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10/09/2024
Bellum Dei 3, par Francis Moury


«Observez de plus que cette loi déjà si terrible de la guerre n'est cependant qu'un chapitre de la loi générale qui pèse sur l'homme. Dans le vaste domaine de la nature vivante, il règne une violence manifeste, une espèce de rage prescrite qui arme tous les êtres in mutua funera: dès que vous sortez du règne insensible, vous trouvez le décret de la mort violente écrit sur les frontières mêmes de la vie. [...] Mais cette loi s'arrêtera-t-elle à l'homme ? Non sans doute. Cependant quel être exterminera celui qui les exterminera tous ? Lui. C'est l'homme qui est chargé d'égorger l'homme. Mais comment pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être moral et miséricordieux; lui qui est né pour aimer; [...] lui enfin à qui il a été déclaré qu'on redemandera jusqu'à la dernière goutte du sang qu'il aura versé injustement ? C'est la guerre qui accomplira le décret. [...] Ainsi s'accomplit sans cesse, depuis le ciron jusqu'à l'homme, la grande loi de la destruction violente des êtres vivants. La terre entière, continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort de la mort.»
Joseph de Maistre (1753-1821), Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou entretiens sur le gouvernement temporel de la providence – septième entretien (édition J.-B. Pélagaud, tome II, Lyon 1850), pages 27-32.
«Les armes ne sont pas autre chose que l'essence des combattants mêmes». (...) Dans cette liberté absolue sont donc détruits tous les États... la conscience singulière a supprimé ses barrières; son but est le but universel, son langage est la loi universelle, son œuvre est l'œuvre universelle».
G.W.F. Hegel (1770-1831), Phénoménologie de l'esprit (1807) (traduit de l'allemand par Jean Hyppolite, éditions Aubier-Montaigne, tome 1, page 314 et tome II), page 132.
«Hegel pense l'essence de la guerre, il saisit en leur unité ces caractères de la guerre moderne qu'une considération superficielle recueille à l'état dispersé. L'unité apparaît immédiatement, la guerre moderne est terroriste. [...] Épiphanie du discours universel, la guerre devient, avec Hegel, ce «fondement absolu et inébranlable» que la conscience solitaire croyait atteindre dans le cogito cartésien. [...] La bombe atomique et le partisan ne font qu'accomplir ce mouvement par lequel la guerre se purifie en coïncidant avec sa propre essence où Hegel désigne la puissance absolue du négatif».
André Glucksmann (1937-2015), Le Discours de la guerre (éditions de L'Herne 1967, puis UGE 10/18 1973), pages 101, 130 et 143.
«C'est là le phénomène important qui avait amené Clausewitz à élaborer sa théorie et sa doctrine de la guerre [...] son intelligence [celle de Lénine] du partisan reposait sur le fait que le partisan moderne était devenu l'irrégulier par excellence et, partant, la négation la plus vigoureuse [...], et qu'il avait vocation privilégiée pour mettre en œuvre l'hostilité...»
Carl Schmitt (1888-1985), La notion de politique. Théorie du partisan (1927 en édition originale, puis traduit de l'allemand par M.-L. Steinhauser, préface de Julien Freund, éditions Calmann-Lévy, Paris 1972), cité par Glucksmann.

Une section de l'histoire de la philosophie est consacrée à la guerre : on la nomme aujourd'hui du nom pompeux de polémologie (1). Il y aurait des polémologues comme il y a des politologues ou même, encore pire, des politistes. On sait que l'histoire de la création des néologismes est souvent, en France, strictement fonction de la décadence de la pensée : plus la courbe de ceux-là monte en flèche, plus celle-ci s'avère patente. En réalité, cette tentative d'instaurer une discipline autonome, sous les auspices fluctuants de la sociologie et de l'histoire, a un fondateur, le général allemand Clausewitz (1780-1831) : ses thèses sont assez imprécises : il déclarait à la fin de sa vie que seul le livre I de son De la guerre reflétait l'état de sa pensée, frappant d'avance d'inanité ses autres sections. Cela n'a pas facilité la tâche de ses commentateurs, notamment de Raymond Aron et d'André Glucksmann. Clausewitz avait, certes, tenté de produire un essai théorique de sa propre praxis , une réflexion philosophique rationnelle sur la nature et la fonction de la guerre. Son livre est devenu un chapitre, nécessaire mais pas suffisant, des études théoriques des académies militaires.
En 1967, André Glucksmann avait cru pourvoir établir une philosophie de la guerre en constituant un fil rouge reliant la rationalité de Machiavel et de Descartes à celle de Clausewitz et de G.W.F. Hegel (tous deux morts la même année 1831 après avoir médité sur les guerres napoléoniennes révolutionnaires puis les guerres napoléoniennes d'invasion). La tentative était intéressante mais elle s'avérait fondamentalement viciée par ses dernières étapes : la dialectique hégélienne dévoyée par l'athéisme communiste de Lénine, l'empirisme dévoyé par le communisme léniniste de Mao-Tsé-Toung, la théorie structuraliste américaine des jeux appliquée à la doctrine atomique de l'équilibre de la terreur. Il s'agissait en effet, pour André Glucksmann, alors gauchiste maoïste, de critiquer l'équilibre de la terreur donc la doctrine atomique régissant les rapports entre bloc soviétique et maoïste d'une part, bloc capitaliste libre d'autre part. Deux exemples illustraient cette critique : la crise des missiles de Cuba qui avait failli, en 1962, déclencher une troisième guerre mondiale; la guerre du Viêt-Nam dans laquelle l'Occident libre appuyait la République du Sud-Viêtnam contre l'invasion communiste du Nord, réplique de l'invasion antérieure de la Corée du Sud par la Corée du Nord. On sait que la question des réfugiés anticommunistes, à partir de la chute de Saïgon en 1975, fut pour André Glucksmann l'occasion d'une prise de conscience critique qui le fit basculer du camp communiste dans le camps anticommuniste. Il devint un ardent défenseur d'Alexandre Soljenitsyne, le plus grand écrivain russe anticommuniste de la seconde moitié du vingtième siècle, l'héritier spirituel direct de Fiodor Dostoïevski par certains aspects de sa biographie et de son œuvre littéraire. Le symbole de ce basculement fut la fameuse photographie d'André Glucksmann prétendant, sur le perron de l'Élysée, réconcilier pratiquement (mais non théoriquement) Raymond Aron et Jean-Paul Sartre, en faveur d'une aide présidentielle aux boat-people .
L'idée principale de son Discours de la guerre — dont le titre s'inspire ouvertement du Discours de la méthode de Descartes, paru 330 ans auparavant — était qu'on pouvait trouver un fondement philosophique à la réalité de la guerre, tout comme Machiavel avait cru trouver un fondement à la réalité de l'État, tout comme Descartes avait cru trouver un fondement (catholique comme on sait puisque le parrain intellectuel de Descartes était Bérulle) rationnel à l' adaequatio rei et intellectu dans le cogito et l'idée de Dieu, tout comme Clausewitz l'avait trouvé en posant la guerre comme continuation rationnelle de la politique (2), tout comme G.W.F. Hegel l'avait trouvé dans l'idée dialectique de la négation de la négation, moteur de la manifestation de l'esprit absolu. D'un point de vue hégélien, la possibilité de la montée aux extrêmes de la lutte révolutionnaire du partisan maoïste n'était pas fondamentalement différente de la possibilité de la montée atomique aux extrêmes de la terreur : leur caractère commun était d'être des luttes à mort reposant sur la terreur. La différence pratique, contingente (mais que André Glucksmann considérait comme nécessaire) était que l'équilibre (napoléonien d'abord, soviéto-américain ensuite) assurait un ordre reposant sur la terreur de l'attaque, alors que la stratégie chinoise rouge au Viêt-Nam reposait sur la défensive de la guérilla révolutionnaire. La faiblesse de la démonstration tenait à l'oubli ou à l'élimination théorique délibérée de certains aspects réels historiques : par exemple, André Glucksmann faisait totalement l'impasse, concernant la guerre du Viêt-Nam, sur la contre-

André Glucksmann cite (op. cit., pages 107-108 de l'édition de 1974) Joseph de Maistre («une bataille perdue est une bataille qu'on croit avoir perdue» alors que «les batailles ne se gagnent ni se perdent physiquement»). Joseph de Maistre remettait l'irrationalité de la guerre entre les mains de Dieu, quelle que fût la prudence humaine à l'œuvre, quels que fussent la tactique et le matériel militaires considérés. Cette citation était partielle, commentée de manière à réduire la position de Maistre à une sorte de structuralisme linguistique, à une théorie de la communication vaguement mise en relation avec la Science de la logique de Hegel et avec La part du feu de Maurice Blanchot. Ici la théorie de la communication polémologique butait pourtant contre la philosophie théologique de l'histoire : saint Augustin et Bossuet ne tenaient pas d'autres positions que celle de Joseph de Maistre. Tous trois reprenaient simplement, en les acclimatant à la théologie catholique, les antiques thèses polémologiques d'auteurs tels que Plutarque ou Xénophon. Le destin, supérieur à toute technique humaine de la guerre, décidait seul de répartir la victoire. Du point de vue de Joseph de Maistre, que la théorie des jeux influençât ou non la victoire et la défaite en cas de guerre atomique, que la meilleure défense fût ou non l'attaque (un des grands problèmes techniques posés par Clausewitz en matière tactique mais aussi stratégique), que la terreur garantît ou non la paix mondiale (Raymond Aron a passé une partie de sa vie à lire Clausewitz sans en être convaincu ni sans en convaincre personne), ne changeait pas grand-chose au fond du problème. Et son point de vue pouvait rejoindre, en fin de compte, celui de Hegel mais André Glucksmann négligeait volontairement ce passionnant rapport entre Joseph de Maistre et G.W.F. Hegel. Aussi, à l'issue de la lecture de ce Discours de la guerre qui contenait, dans sa partie la plus remarquable, une analyse du discours hégélien de la guerre, on ne pouvait qu'osciller entre la position du discours (la raison) et la position de la guerre (l'irrationalité) sans parvenir à véritablement les unifier car la pertinence théologique du discours hégélien était évacuée : Glucksmann ne citait pas souvent l'Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel : il privilégiait la Phénoménologie de l'esprit, comme le faisait alors la majorité des lecteurs français universitaires de Hegel des deux premiers tiers du vingtième siècle. D'où cette conséquence qu'il ratait la mystique logique commune à G.W.F. Hegel et à Joseph de Maistre, posant que la mort à la guerre était un décret divin valant pour tous mais appliqué par Dieu à certains, pas à tous : le concept de la guerre était, sur le plan de la logique aristotélicienne, celui d'un sujet difficile à définir car incapable de recevoir un prédicat, sujet éternellement mouvant dans sa substance elle-même, car effectivement (au sens le plus hégélien qui fût) soumis à la volonté divine.

Venons-en, après cette introduction théorique, à une classification des différents types de guerre.

La guerre étatique limitée: c'est la guerre classique antique, moderne et contemporaine limitée à deux territoires, deux pays, deux nations, deux États et à leurs alliés stratégiques (fournisseurs d'armes) ou tactiques (au moyen d'unités envoyées sur le terrain en jeu). On ne prend pas en compte, concernant cette définition, les combats archaïques entre tribus et clans totémiques mais on prend en compte les combats antiques grecs entre deux villes (voir Eschyle, Les Sept contre Thèbes), entre deux groupes de villes (Lacédémone et ses alliés, Athènes et ses alliés dans les guerres racontées et commentées par Thucydide), entre une nation constituée en un grand État et une multitude de tribus (la guerre de Julius Caesar contre les tribus des Gaules). Notez qu'une nouvelle forme de guerre d'invasion existe à présent : des émigrés se ruent sur nos mers et nos côtes afin de forcer nos frontières mais ils ne disposent pas d'autres armes que de leurs propres corps : elles suffisent

La guerre étatique mondiale : elle est née au vingtième siècle (1914-1918, 1939-1945) par le jeu des alliances entre États à partir d'un conflit localisé mais rapidement étendu aux voisins et aux alliés des voisins, allant de proche en proche jusqu'à la dimension d'un conflit mondial. À partir de 1950, un certain nombre de guerres pas répertoriées comme mondiales furent d'un niveau international proche d'un niveau mondial. Exemple matriciel : la guerre de Corée de 1950-1953 (pendant laquelle des dizaines de nations envoyèrent au combat des unité aux côtés des Sud-Coréens contre l'invasion communiste nord-coréenne soutenue par la Chine rouge de Mao) dont l'armistice de 1953 marque simplement l'interruption mais pas la fin. La mondialisation de la guerre est précédée par la mondialisation inédite des théories politiques : Alexandre le grand (élève d'Aristote) avait tenté de conquérir le monde et de l'unifier politiquement. Ni Charlemagne ni Napoléon n'avaient eu cette prétention. En revanche, à partir de la Révolution française, la théorie politique universaliste révolutionnaire devient mondialiste : la colonisation inédite du monde entier par l'Occident fut sa première conséquence directe; la décolonisation fut sa seconde conséquence directe. Le paradoxe n'est que rarement apprécié à sa juste valeur, en dépit de cette avérée symétrie théorique. Dès lors, il suffisait d'abandonner les droits de l'homme et de leur substituer une alternative (race dominatrice, dictature du prolétariat, etc.) pour obtenir des effets identiques. L'Ancien et le Nouveau Testament ont donné naissance à deux religions mondialistes (le christianisme et l'islam) qui furent mondialistes, expansionnistes et le demeure pour l'essentiel. Les religions de l'Asie sont ouvertes à la conversion des autres parties du monde mais n'ont jamais manifesté de visée expansionniste au niveau mondial. Les guerres de religions, lorsqu'elles apparaissent à la surface de la Terre, sont par essence des guerres mondiales.
Terrorisme et guerre : ici une difficulté car le sens du mot se renverse selon le locuteur : aux yeux de l'IRA des années 1800 à 1980 au moins, l'Angleterre est un État occupant qui doit être chassé ; pour les Anglais, durant la même période, l'IRA n'est pas une armée nationale mais un groupe terroriste armé séparatiste qui doit être combattu. Aspect plus ample de la question car déjà para, infra ou supra-étatique : le trafic de drogue. Il peut aider à financer une guerre (guerre de religion, guerre politique, guerre de territoire, guerre classique, contre-insurrection) ; on sait par l'ouverture des archives que certains États ou leurs services secrets ont pu avoir recours à ce trafic pour financer des livraisons d'armes ou la contre-insurrection (l'affaire des « Contras » à l'époque du dernier très grand président des États-Unis d'Amérique, j'ai nommé Ronald Reagan, celui qui a réellement libéré la Russie du communisme soviétique). Il peut aussi se développer en tant que tel et défier les États. Le Mexique du vingt-et-unième siècle a confié à la police puis à l'armée la lutte contre les cartels de la drogue mais ces derniers se sont organisés à leur tour en mini-armées, reconnues sur les territoires qu'ils contrôlent comme aussi puissants que l'État. On avait déjà vu en Colombie certains cartels de la drogue prétendre à une autorité politique, organiser des distributions charitables d'argent, signifiant que le cartel organisateur dispose d'un pouvoir social plus efficace et juste que celui de l'État et de son administration. Le terrorisme (5) recoupe les autres catégories de guerre dont il constitue, aujourd'hui presque systématiquement, un des moyens d'élection. Son extension varie, en fonction de sa finalité, du local au mondial.
La guerre totale ou guerre de survie : celle-là me semble vraiment nouvelle. Elle ne se limite plus à un groupe d'États ni à une portion du globe terrestre mais est d'emblée et toujours mondiale même si ses agents peuvent être représentés par les États. La guerre biologique menée contre le Covid-19 en fournit un exemple inédit et frappant : restriction simultanée, au niveau mondial réel et en temps réel, des libertés et du droit de se déplacer, organisation d'une vaccination mondiale obligatoire (les réfractaires étant mis à l'index, empêchés de travailler, de se déplacer, de voyager. La guerre étatique contre les cartels de la drogue est, elle aussi, devenue mondiale : on peut à présent parler de guerre car les armées et police militaires du monde entier sont directement impliquées : elles en sont des acteurs négatifs (agents du trafic qu'elles sont en apparence tenues de réprimer) ou positifs (information, contrôles, combats). Les effets de certaines drogues répandues à travers le monde provoquent en outre l'apparition d'une humanité localement transformée menaçant constamment la vie et les biens des populations normales : les drogués à ces nouvelles drogues (crack, métamphétamine, fentany) colonisent des rues voire des quartiers entiers de certaines villes occidentales au sein desquels ils errent, dénués de raison et de morale, littéralement transformés en monstres. Ils ressemblent alors à des morts-vivants s'attaquant aux hommes normaux mais aussi s'attaquant les uns les autres : de même que le cinéaste Rouben Mamoulian avait considéré que sa version du Dr. Jekyll et Mr. Hyde (États-Unis 1931) était prémonitoire du phénomène de la jeunesse droguée des années 1950, de même on pourrait considérer que les films fantastiques eschatologiques du cinéaste George A. Romero (6) furent prémonitoires des effets sociologiques de la diffusion de ces nouvelles drogues.
Un cran de plus dans la prospective eschatologique, nous arrivons à l'échelon para-étatique le plus redoutable qui pourrait se développer en deux temps : d'abord la chute des organisations, la fin des États à la suite d'une catastrophe (provoquée ou non par une guerre) puis la constitution de blocs para ou infra étatiques sur de nouvelles bases. La fin des traités, des organisations, des États et des armées constituées ouvrirait la porte à des combats reposant sur de nouvelles bases : sains contre malades, riches contre pauvres, race contre race, ethnie contre ethnie, religion contre religion, voire même lutte de tous contre tous, individu contre individu, retrouvant les hypothèses antiques du philosophe épicurien romain Lucrèce (De natura rerum, V, 923-1025) et celles, plus modernes, de Thomas Hobbes (7). Ces possibilités sont celles envisagées par ce qu'on appelait autrefois du nom pompeux et technocratique de « prospective » (Gaston Berger dans les années 1960) mais aussi par les courants « survivalistes » contemporains occidentaux les plus pertinents. Ces courants étaient déjà occasionnellement illustrés par le cinéma anglais et américain des années 1965-1975 mais, en dépit du fait qu'ils adaptaient souvent des romans à l'écriture concertée, ils étaient encore peu théorisés. De 1975 à nos jours, ils ont envahi les écrans à mesure que l'insécurité mondiale augmentait. Les thèmes de l'apocalypse, de la post-apocalypse et de la survie sont devenus des catégories à part entière de la science-fiction littéraire et cinématographique mais aussi de la politique-fiction. Les fondements théoriques d'un film aussi méconnu et admirable que le To Survive (États-Unis 2014) de Stephen Folker. se précisent sous nos yeux chaque jour davantage ou, autrement dit, la réalité rattrape la fiction, alors devenue prémonitoire, voire prophétique. Que la fiction soit prophétique, qu'elle nous permette d'interpréter l'histoire et rejoigne alors la métaphysique n'aurait pas surpris G.W.F. Hegel qui avait écrit une Esthétique tenue au sein de son système pour une des parties essentielles de la philosophie de l'esprit, une des manifestations essentielles de l'Esprit absolu. Hegel, «l'Aristote des temps modernes» ainsi qu'on l'avait surnommé au dix-neuvième siècle, avait lu Aristote qui déclarait : «La poésie est plus philosophique et plus profonde que l'histoire» (Aristote, Poétique, IX, 1451 b6). Les représentations correctes de notre futur politique oscillent ainsi, sinon entre la souffrance et l'ennui (Schopenhauer), au moins entre la théologie et l'art tous deux éclairés et reliés par la métaphysique. Sur le plan de la pure prospective, ajoutons que les différentes guerres mentionnées pourront se produire, à terme, également dans l'espace si la conquête spatiale débouche sur une réelle colonisation humaine de l'espace. Leur finalité commune étant d'être l'appropriation d'un espace vital (envisagé comme plan neutre permettant la suprématie théorique ou pratique), leur reproduction ou continuation ne relève plus de l'imaginaire mais appartient dorénavant au domaine du possible, autant sur le plan scientifique que logique.
Notes
(1) Arnold Joseph Toynbee (1889-1975), Guerre et civilisation (éditions Gallimard, traduction Albert Colnat, 1953) peut relever de cette discipline mais uniquement sur le plan de la philosophie de l'histoire dans la mesure où ce volume était constitué d'extraits des 12 tomes de ses Study of History (1934-1954), sélectionnés par Albert V. Fowler.
(2) On ne trouve, assez curieusement, aucune mention de Clausewitz dans la vaste Correspondance (1930-1983) d'Ernst Jünger et Carl Schmitt (éditions Pierre Guillaume de Roux et Krisis, 2020), mise à part la mention page 638, dans la bibliographie primaire finale établie par les éditeurs, d'un article sur le rapport de Schmitt à Machiavel et Clausewitz, publié dans l'ouvrage collectif Machiavel-Clausewitz. Droit et politique face aux défis de l'histoire (éditions Krisis, 2007). Sur cette correspondance, cf. mon article.
(3) Cf. Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel (Gallimard, NRF, 1947) : la critique de Kojève par André Glucksmann se trouve, in op. cit. aux pages 172 et suivantes de la section Les représentations de la guerre, chapitre Les postulats de la lutte à mort.
(4) Cf. Jean-Claude Fraisse, Saint Augustin (III §B, éditions PUF, 1968), page 63 : «Il apparaît donc que saint Augustin, s'il n'esquisse pas une philosophie de l'histoire, où le devenir aurait, dans son principe même, et de façon immanente, une rationalité claire pour tous, ne renonce pas pour autant à l'idée d'un sens de l'histoire, sens que Dieu seul assigne et connaît ».
(5) Cf. mon second article de la série Bellum Dei.
(6) Sur le cinéma eschatologique de Romero de 1968 à 2010, je renvoie à mes deux articles : ici et là.
(7) André Glucksmann dénonce d'une manière assez pointue (op. cit., pages 162-170) le cercle inévitable dans lequel tombent les penseurs du contrat social que sont Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes mais il néglige la grande différence philosophique entre leurs deux positions : Hobbes était empiriste et nominaliste (au sens médiéval du terme) alors que Rousseau ne l'était pas. Cf. R. Derathée, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps (PUF, 1951) et Raymond Polin, Politique et philosophie chez Thomas Hobbes. (P.U.F., 1953). Reste que certains points communs subsistent, par exemple Hobbes, Questions concernant la liberté, la nécessité et le hasard – Contre John Bramhall (posthume 1682), (traduction aux éditions Vrin, 1993) pages 76-78 et Rousseau, Le contrat social (1762) I, V qui affirment que la société, en appliquant justement la peine de mort, exécute le criminel non pas comme citoyen mais comme ennemi, passible du droit de la guerre.