« Héloïse captive et révoltée dans la galvanisante poésie d’Alexander Pope, par Gregory Mion | Page d'accueil
25/09/2025
Comme on fait sa tombe, on se couche dans l’éternité : Philip Freneau et le cimetière indien, par Gregory Mion
« Pour mourir bienheureux, à vivre il faut apprendre.
Pour vivre bienheureux, à mourir il faut apprendre. »
Philippe Duplessis-Mornay.
« Mort, mort est ma joie
Il me tarde d’être en repos
Et que la terre humide couvre
Cette poitrine désolée. »
Emily Brontë.
Note du traducteur :
Ce sont les précieuses études de Charles Cestre sur la littérature et la poésie américaines qui ont réglé notre boussole sur des caps inexplorés et nous ont mis dans la situation favorable de rencontrer le nom fort peu connu de Philip Freneau. D’origine française par son père et mitigé dans son tempérament par l’Écosse de sa mère, cet homme hérita des Gaulois un certain esprit contestataire et ne se fit pas toujours remarquer pour de nobles raisons. Comme le mentionne à juste titre Charles Cestre dans sa Littérature américaine (datée de 1948), ce n’est qu’à la suite des orages de la Révolution Américaine (1775-1783) que le jeune Freneau se calme et retrouve une « égalité d’âme » (dixit Cestre), ce qui l’orientera vers des intérêts moins visibles mais non moins fondamentaux en ce qui concerne les trames éoliennes de ce qui souffle continuellement d’esprit saint dans l’invisible. Ainsi vint ce poème sur les Indiens d’Amérique et leur façon de considérer les rituels de la mort et ainsi se fortifia, pour l’assagi Freneau, le goût d’approfondir les mythes et les traditions des peuples autochtones, peut-être après avoir été horrifié par le massacre dit de Gnadenhütten le 8 mars 1782 (sorte d’holocauste qui annonçait les terribles et futures folies du nettoyage ethnique en Amérique du Nord). Et ce poème à la fois funéraire et critique étrille nos regards sur des coutumes qui nous échappent autant qu’il dénonce en creux nos propres habitudes face à la mort (notre marchandage de la mort, sans doute, qui ne prépare pas le tranquille et souriant repos d’une âme mais qui perpétue, dans l’au-delà et son mystère, de vilaines distinctions de classe). Osons une image simple : si la mort est l’arrêt redouté d’un redoutable train sur le quai de la vie, alors la motrice serait conduite par un Indien et le wagon de queue serait suroccupé par de grossiers Américains, parce que, on l’a éventuellement noté, les phares de la motrice sont blancs et ceux du dernier wagon sont rouges (tant et si bien que le train de la mort est divin devant et malin derrière, l’œil clair de Dieu devant et l’œil satanique et infernal derrière) – et c’est ce que paraît nous enseigner ce poème : nous ne sommes pas à la hauteur de la mort parce que nos cimetières sont des preuves de nos abaissements, alors que les Indiens, nonobstant toute accusation de trivialité ou de rusticité, vont à la mort sereinement et disent quelque chose d’une éternité pacifiquement voire jovialement conçue.
LE CIMETIÈRE INDIEN
par Philip FRENEAU
En dépit de tout ce que les érudits ont pu dire,
Moi, je reste fidèle à mon opinion de toujours ;
La posture échue aux morts est façon de traduire
Le repos éternel de l’âme, l’infini de nos jours.
Il y a nuance pour les anciens de ces terres –
Quand il est défait de la vie, l’Indien d’Amérique
Se trouve encore posé au milieu de ses compères,
Et de nouveau il partage du joyeux festin la politique.
Ses oiseaux bariolés, ses versicolores sébiles,
Et la chair du gibier préparée pour le périple,
C’est le récit de l’âme et de son style,
C’est l’activité sans fin, passage du simple au multiple.
Son arc est tendu, prêt à décocher
L’une de ses flèches à la pointe de pierre ;
Comprenons là que la vie seulement a passé,
À rebours des vieilles idées de naguère.
Toi l’étranger qui viendras parmi ces mondes,
Sur la tête des morts, ne va pas commettre un blasphème –
Vois les protubérances de l’herbe, les tertres et leur ronde,
Ne dis pas qu’ils dorment car ils trônent et ils sont suprêmes.
Ici persiste un granit de haute noblesse
Sur lequel un œil antiquaire pourrait déchiffrer la trace
(Quoique à moitié rongée par des pluies qui agressent)
Des mythes d’une plus robuste race.
Là un orme centenaire boit toujours le ciel ;
Sous son ombre vaste la mémoire voit loin
(Et le berger admire encore son potentiel)
Les enfants de la forêt qui s’amusaient d’un rien !
Ici l’âme tourmentée d’une déesse indienne souvent circule
(Pâle reine de Saba aux cheveux ourdis de tresses),
Et l’on voit plus d’une forme barbare qui gesticule
Pour chasser le traînard privé d’esprit de finesse.
Aux lunes de minuit, par-delà l’humide et ses saturations ;
Paré dans ses vêtements de grand veneur,
Le chasseur, du cerf, suit toujours le sillon,
Ah le chasseur et le cerf : mirage de deux âmes sœurs !
Et l’imagination timorée pour longtemps apercevra
La cosmétique du cacique, la lance aiguisée,
Et la Raison en personne un genou à terre mettra
En l’honneur des fantômes d’ici et leurs fascinantes fumées.
Lien permanent | Tags : littérature, gregory mion, philip freneau, poésie | |
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