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02/10/2005

Arménie, 1915 ou le premier génocide du XXe siècle

Le génocide des Arméniens, photographie datant de 1916
«La Turquie a toujours représenté un autre continent au cours de l'Histoire, en contraste permanent avec l'Europe. Il y a eu les guerres avec l'empire byzantin, pensez aussi à la chute de Constantinople, aux guerres balkaniques [...]. Je pense donc ceci : identifier les deux continents serait une erreur. Il s'agirait d'une perte de richesse, de la disparition du culturel au profit de l'économie.»
Joseph Ratzinger, depuis quelques semaines Benoît XVI.


La question turque étant, de nouveau et pour quelques années encore, brûlante, je me permets de publier de nouveau, légèrement modifiée, une note datant du mois d'avril.

Annick Asso, Le cantique des larmesLu, avec effroi, dégoût et colère, les pages consignant la lente éploration de l'horreur, la banalité du Mal, dans la bouche d'anonymes oubliés de tous, horreur et banalité pourtant recueillies (selon l'étrange et lui aussi banal miracle affirmant qu'aucune lâcheté, qu'aucune ignominie ne sauraient rester totalement inconnues des hommes si elles ont été une fois notées et consignées) dans un ouvrage que toute personne bizarrement turcophile, et d'abord Jacques Chirac, ferait bien de lire, et plutôt deux fois qu'une : Le cantique des larmes (La Table ronde) consacré au génocide arménien. Ainsi, ce témoignage, parmi des centaines d'autres du même acabit, extrait de la déposition de madame Terzibachian d'Erzeroum lors du procès Tehlirian : «Avec ce que nous pouvions porter sur le dos, nous avons atteint Malatia. Là, on nous mena dans la montagne et on sépara les hommes des femmes. Les femmes étaient à environ dix mètres des hommes et purent voir de leurs propres yeux ce qui leur arrivait. On les a tués à coups de hache et on les a poussés dans l'eau.
Seuls les hommes ont péri de cette manière. Lorsqu'il commença à faire un peu sombre, les gendarmes vinrent choisir et prendre les plus belles femmes et jeunes filles pour en faire leur femme. [...] Celles qui ne cédaient pas furent transpercées à coups de baïonnette et eurent le corps déchiré par traction sur les jambes. Même des femmes enceintes eurent les côtes tranchées, les enfants arrachés du ventre et jetés. (Le témoin lève la main.) Je le jure.
Mon frère aussi eut la tête tranchée. Lorsque ma mère vit cela, elle s'écroula et mourut sur le coup. Alors un Turc s'approcha de moi pour faire de moi sa femme, mais comme je ne consentis pas, il prit mon enfant et le jeta.»

Photographie de l'auteur

Le lecteur mettra en rapport ces pages déchirantes et le dossier, d'une rare indigence intellectuelle et d'une plus immonde complaisance encore vis-à-vis de la chienlit huppée stambouliote et de tous les clichés progressistes, publié par Paris Match (dans son numéro du 29 septembre au 5 octobre). Sous la plume de Gilles Martin-Chauffier par exemple, cette perle que l'on dirait secrétée par une limace se nourrissant d'une petite crotte delanoenne : Istanbul n'est pas une mosquée, c'est une fête. Cette autre, qu'un Bloy et un Ellul auraient enchâssée dans un écrin d'exégèses assassines : Les Turcs sont des Européens musulmans.

Parfait allais-je répondre à l'imbécile, nous voici donc bien informés du danger, d'ailleurs maintes fois annoncé, nos ignorants ne savent point cela bien sûr, par ces moines et visionnaires grecs qui furent les plus intimes ennemis des Turcs, comme je le lisai récemment dans une étude savante d'un certain Astérios Argyriou, intitulée Les Exégèses grecques de l'Apocalypse à l'époque turque (1453-1821) (Thessalonique, 1983). Il est d'ailleurs fort à craindre que la littérature apocalyptique, surgissant, c'est là une constante historique, en temps de crises, ne devienne, d'ici quelques années, un genre de nouveau prisé par les derniers survivants des catacombes.

Photographie de l'auteur

Mais j'y songe, n'avais-je pas jugé, de visu, en 1992, des splendeurs tant vantées par nos petits journalistes parisiens de la Sublime Porte, traversant d'Ouest en Est, durant deux semaines, l'immense pays dans un véhicule de fortune ? Il est vrai que ne m'intéressaient alors que les villes, ou plutôt les ruines de ces villes, devenues par la suite ottomanes puis turques, auxquelles Jean adressa sept lettres dans son Apocalypse : Éphèse, Smyrne, Pergame, etc.

Certes, il est vrai encore, à la décharge de nos européens stambouliotes, que j'eus la malchance de parcourir les rues de l'immense Byzance festive durant une grève de ses éboueurs...
Photographie de l'auteur

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