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04/11/2010

Forêts noires de Romain Verger

Crédits photographiques : Viktor Sykora, Institute of Pathophysiology, First Medical Faculty, Charles University, Prague (Nikon Small World).

À propos de Romain Verger, Forêts noires (Quidam Éditeur, coll. Made in Europe, 2010).
LRSP (livre reçu en service de presse).

8.1 Bouton Commandez 100-30

Forêts noires, le dernier roman de Romain Verger, parvient imperceptiblement, comme Dans les ombres sylvestres de Jérôme Lafargue, à créer une atmosphère inquiétante et fantastique avec finalement peu de moyens. Cette atmosphère trouble est d’autant plus surprenante qu’aucune clé interprétative ne nous est livrée et que le cauchemar du narrateur est cousu, sans le moindre raccord, avec la réalité.
Si l’histoire que nous conte le troisième roman de Verger est fort simple, son intention profonde n'est pas très claire : un jeune universitaire envoyé dans la forêt japonaise, mystérieuse et de sinistre réputation, d’Aokigahara Jukai entourant le mont Fuji-Yama pour y conduire quelque relevé biologique sur l’exceptionnelle richesse de la flore qui s’y trouve, semble s’y perdre à son tour, après tant d’autres hommes dont les compagnes paraissent attendre, à la brune, prostrées ou devenues folles, le retour. S'agit-il donc, pour l'auteur, de nous proposer l'exploration hallucinée de ce qui se cache au fond du cratère de la montagne morte de la vie ou au-delà du voile de pure blancheur qui attend les explorateurs du pôle Sud ? Verger ne nous répond pas et ce silence (à moins qu'il ne s'agisse de dédain) me gâte son roman, dont le début décrivant l'arrivée du narrateur aux abords de la forêt maléfique est très bien mené, alors que la suite sombre dans une cascade de cauchemars desquels, comme le dormeur d'Aloysius Bertrand, notre personnage ne se réveille jamais.
Il faut, pour s'aventurer à décrire l'horreur, une puissance d'écriture qui n'est à l'évidence pas celle de Romain Verger, bien plus à l'aise lorsqu'il nous en décrit la proximité fascinante.
Cette exploration de la forêt jusqu’à son cœur magmatique et pestilentiel, trouée dans les profondeurs d’une terre dévoreuse d’hommes et de végétaux, entrée secrète dans la conscience de l’homme toute pénétrée par le mystère végétal, n’est finalement que le seul élément parfaitement réaliste du roman qui, très vite, trop vite, se perd dans les souvenirs, réels ou fantasmés, du narrateur évoquant son enfance hantée par quelques rencontres séminales, comme celle du vampirique Vlad, qui n’est peut-être que le masque sanguinaire d’un autre homme, le Japonais Shintaro, ultime cicérone du narrateur l’ayant conduit dans la forêt interdite.
Il faut lire le roman de Romain Verger comme une tentative, incomplète, décevante, de dérèglement de notre perception du monde, à moins qu’il ne s’agisse d’un essai romancé pour ouvrir, après tant d’autres auteurs, les portes de notre fantasmatique perception, au travers d’une écriture assez sobre qui n’emprunte que rarement la voie de la métaphore (1).
Trois œuvres me semblent intéressantes à rapprocher de Forêts noires en raison de leurs thématiques, qu'il s'agisse de chasse mystique ou de plongée progressive dans la folie, même si le texte de Verger intéressera les amateurs de petit rébus psychanalytiques (qui auront vite fait de renifler quelque trouble attirance homosexuelle entre le narrateur et le magnétique Vlad) et laissera pour le moins perplexes les véritables amateurs d’une horreur d'autant plus enveloppante qu'elle est suggérée, celle que La légende de saint Julien l’Hospitalier de Flaubert, Les saules d’Algernon Blackwood et même Plus vaste qu’un empire d’Ursula Le Guin (lui-même évoquant le splendide Solaris de Stanislas Lem) parviennent à distiller avec bien plus d’évidence et de maîtrise que n’en témoigne l’énigmatique roman de Romain Verger.

Note
(1) Celle-ci, belle : «Soudain, la lune accrocha une branche haute et sa clarté crevée ruissela le long des bois», p. 65.