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19/03/2014

La résurrection intégrale de MMF, Midi-Minuit Fantastique, par Francis Moury

Crédits photographiques : Oliver Berg / EPA.

IMG_7120.jpgÀ propos de Midi-Minuit Fantastique, tome 1, nouvelle édition revue, corrigée et augmentée sous la direction de N. Stanzick et M. Caen, Éditions Rouge Profond, 2014.

C’est le 10 février 2014 qu’a donc enfin été publié le premier tome 1 de cette nouvelle édition – et non pas simple réédition, ce qui eût déjà été remarquable ! – de la célèbre revue Midi-Minuit Fantastique, éditée à l’origine par Éric Losfeld / Le Terrain Vague entre 1962 et 1970. Elle comptera quatre tomes au total et un index général tiré à part au moment de la parution du quatrième et dernier tome.
Midi-Minuit était un cinéma parisien du Boulevard Bonne Nouvelle, spécialisé dans le cinéma fantastique et le cinéma populaire de genres (à l’époque qualifié de ou pensé comme «mauvais genre» par la critique généraliste française) : horreur et épouvante, science-fiction, péplums, films érotiques, films d’espionnage, western italien, film policier violent, et tant d’autres catégories, sans oublier les films uniques, inclassables ou les films d’arts et essais expérimentaux distribués par hasard, «by jest or mistake / par plaisanterie ou par erreur», comme disait H. P. Lovecraft, dans le circuit commercial populaire qui était celui du Midi-Minuit.
C’est ce cinéma dont Herbert P. Mathese a dressé la programmation (sélective et non pas exhaustive contrairement à ce que croyaient certains critiques au moment de sa parution) dans la célèbre note de quatre ou cinq pages qui occupe le cœur de son livre sur José Benazeraf, la caméra irréductible (Éditions Clairac, 2007), note justement remarquée qui synthétisait admirablement ce que fut le cinéma bis dans l’histoire du cinéma mondial, et de quelle façon celui-ci fut reçu en temps réel en France, en exploitation commerciale.
C’est ce cinéma que j’avais tenté de faire revivre en 1985 au Bergère, après avoir convaincu son propriétaire Roger Boublil – qui venait de céder le véritable Midi-Minuit mais possédait encore les droits du nom – de rebaptiser Le Bergère, ce qui donnait dans le PariScope : Midi-Minuit, ex-Bergère. La résurrection fut brève (j’ai raconté en 2001 sa genèse et son histoire dans mes Souvenirs des cinémas parisiens parus dans Les Temps modernes n°601, souvenirs dont une version internet existe sur le blog Cinéastes.net puis une version encore plus longue et plus complète, qui se trouve à présent en ligne sur le blog de H. P. Mathese-Images) et le cinéma, tout comme la revue, retombèrent dans l’oubli sauf chez les cinéphiles et les historiens du cinéma.
La revue Midi-Minuit Fantastique fut ainsi baptisée en 1962 en hommage à ce cinéma précisément synonyme de voyage hors des frontières du temps et de l’espace, à la découverte du rêve, du cauchemar, de ce que le cinéma produisait de plus fort et de plus puissant en matière d’extases psychiques, d’ouverture sur Éros et Thanatos.
Ce n’était pas une revue intellectuelle (en dépit de certaines plumes sachant marier, de temps en temps, aussi bien l’esthétique du cinéma que l’histoire du cinéma) mais factuelle, à la manière anglo-saxonne : elle était avide de filmographies, de documents iconographiques inédits voire rarissimes (pavés presse, photos de plateau, photos d’exploitation, affiches, affichettes), de dessins originaux, de textes littéraires parfois inédits, de bandes-dessinées de SF, d’entretiens accordés par certains cinéastes majeurs (Roger Corman, Terence Fisher, Riccardo Freda, Jacques Tourneur, Edgar G. Ulmer) ou mineurs mais toujours passionnants (William Castle, Domenico Paolella, Don Sharp). Pour la première et la dernière fois, je crois que MMF est la seule revue (je ne tiens pas compte, en écrivant cela, des «fanzines» qui étaient contemporains de MMF mais qui n’étaient, hélas, pas des revues régulièrement éditées) à avoir jamais publié un entretien avec Don Sharp, le cinéaste des beaux Kiss of the Vampire [Le Baiser du vampire], Curse of the Fly et Face of Fu-Manchu [Le Masque de Fu-Manchu]. Ce sont d’abord pour ces entretiens et pour l’iconographie les accompagnant qu’il faut posséder l’intégrale de la revue dans sa bibliothèque, sans oublier les archives d’histoire du cinéma. Je crois qu’aucune revue française n’avait jamais consacré au cinéaste William Castle ou à l’acteur Bela Lugosi des articles aussi complets que ceux que lui consacrèrent MMF. Les contributeurs étaient très variés (Alain Le Bris, Michel Caen, Jean-Claude Romer, Roland Lethem, Jean Boullet), le niveau était inévitablement inégal mais on y trouvait pourtant régulièrement des trésors. Comment oublier, par exemple, les dossiers Inoshiro Honda et Koji Wakamatsu auxquels le cinéaste Roland Lethem (qui fut aussi le complice de Jean-Pierre Bouyxou pour La Science-fiction au cinéma, Éditions UGE, coll. 10/18, 1971) avait contribué ? Le cinéaste Jean Rollin lui-même (dont l’âge d’or coïncida avec la seconde période grand format de MMF) avait publié un dossier remarqué sur Gaston Leroux dans les deux derniers numéros, 23 et 24.
Certains numéros spéciaux sont demeurés longtemps fameux, notamment les premiers sur Terence Fisher, sur King Kong (l’original de 1933 bien entendu), mais aussi sur Dracula ou encore Les Chasses du comte Zaroff. C’étaient des Cahiers de l’Herne cinéphiliques, mutatis mutandis : témoignages de première main, iconographie à laquelle des collectionneurs contribuaient passionnément et qu’alimentaient en temps réel les distributeurs et les producteurs, correspondances ou lettres originales reproduites en fac-similé, rien n’y manquait. Le célèbre numéro 8 prisé des collectionneurs sur Érotisme et épouvante dans le cinéma anglais contient des plans d’orgies, coupés au montage ou par la censure, de classiques du cinéma fantastique aussi importants que The Flesh and the fiends [L’Impasse aux violences] (G.-B., 1959) de John Gilling ou encore que Jack The Ripper [Jack l’éventreur] (G.-B., 1958) de Robert S. Baker et Monty N. Berman. Le passage au grand format accentua cette diversification parfois excessive : dans le numéro 17 de juin 1967, le cinéaste Jean-Pierre Mocky se retrouvait interviewé à quelques pages de Barbara Steele, ce qui n’avait évidemment aucun sens alors que Mocky avait trahi Jean Ray en adaptant en film comique La Cité de l’indicible peur ! Le succès venant, la revue pouvait certes distribuer (via Les Films de l’Étoile) et programmer (au Studio de l’Étoile) des reprises (comme Freaks de Tod Browning, Island of Lost Souls [L’île du Dr. Moreau] d’Erle C. Kenton, ou bien L’Homme léopard de Jacques Tourneur) et des exclusivités (The Premature Burial [L’Enterré vivant] (États-Unis, 1962) de Roger Corman d’après Edgar Poe) avec un peu de décalage. Un certain sensationnalisme pouvait toutefois gravement gâter l’événement : Michel Caen n’hésitait pas à inviter un brave nécrophile se vantant de dormir dans son cercueil afin de poser en sa compagnie dans le hall du Studio le soir de la première. On était loin de la finesse du film de Corman, de sa profondeur aussi. Mais enfin l’essentiel était bien de le voir (on ne disait pas encore «visionner» : on réservait alors ce terme aux visionneuses de diapositives 24/36) et c’était grâce à MMF, aux Films de l’Étoile et au Studio de l’Étoile qu’on le voyait ! On pouvait donc passer sur ces quelques errements (réservant d’ailleurs des surprises qui sont le propre de l’errance, sa rançon positive : il y avait par exemple un aspect non pas fantastique mais insolite chez Mocky qui était très bien illustré par le dossier cité plus haut), tant la richesse d’ensemble était grande. Ce n’est pas pour rien, on le voit, que la revue MMF – ainsi qu’on l’abrégeait affectueusement en supprimant le trait d’union entre les deux «M» – était vendue dans la plus ancienne librairie surréaliste parisienne qu’était alors Le Minotaure.
Ce premier tome de 672 pages est, en outre, assorti d’un DVD de 205 minutes contenant de nombreuses archives d’émissions de télévision d’époque devenues invisibles (des entretiens filmés avec Barbara Steele ou avec Jean Boullet qui fut le parrain historique et esthétique de MMF) à moins de fouiller les archives de l’INA et des téléfilms fantastiques français devenus tout aussi rares tels que Le Puits et le pendule d’Alexandre Astruc d’après Edgar Poe.

Voici le sommaire de la revue, valant mieux que bien des discours :
• n°1 — mai 1962 : Terence Fisher.
• n°2 — juillet/aout 1962 : Les Vamps fantastiques.
• n°3 — octobre/novembre 1962 : King Kong.
• n°4/5 — janvier 1963 : Dracula.
• n°6 — juin 1963 : La Chasse du comte Zaroff.
• n°7 — septembre 1963 : Actualité du fantastique.
• n°8 — janvier 1964 : Érotisme et épouvante dans le cinéma anglais.
• n°9 — juillet 1964 : Le Tour du monde du fantastique.
• n°10/11 — hiver 1964/1965 : Castle, Corman, Fisher.
• n°12 — mai 1965 : Jacques Tourneur, Domenico Paolella, Barbara Steele.
• n°13 — novembre 1965 : Edgar G. Ulmer, Les Festivals.
• n°14 — juillet 1966 : Christopher Lee, Fu Manchu.
• n°15/16 — décembre 1966/janvier 1967 : Trieste, San Sebastian.
• n°17 — juin 1967 : Barbara Steele, Jean-Pierre Mocky.
• n°18/19 — décembre 1967/janvier 1968 : Polanski, Christopher Lee, Barbarella.
• n°20 — octobre 1968 : Michael Powell, Inoshiro Honda.
• n°21 — avril 1970 : Koji Wakamatsu, Le Studio de l’Étoile.
• n°22 — été 1970 : Science-fiction, Bert I. Gordon.
• n°23 — automne 1970 : Gaston Leroux I.
• n°24 — hiver 1970 : Gaston Leroux II.
Nota bene : Un ultime numéro double, le 25/26, est resté inédit du fait de l’acharnement de la censure contre l’éditeur de Midi-Minuit Fantastique, Éric Losfeld, au début des années 70. Au sommaire de ce n° 25/26, annoncé pour mai 1972, puis pour 1973 : Tarzan, Pierre Mac Orlan, Terence Fisher… Il sera publié pour la première fois dans le quatrième volume de L’intégrale Midi-Minuit Fantastique.

Première bonne nouvelle : l’ensemble de la revue est réédité dans un format unique de reliure sous jaquette. Finie la séparation physique entre la première période du petit format (de 1962 à 1966, du n°1 au N°13) et la seconde période grand format (de 1966 à 1971, du n°14 au n°24).
Deuxième bonne nouvelle : la couleur fait son apparition et on découvrira un certain nombre de documents photographiques en couleurs pour la première fois, telle cette esquisse dessinée pour King Kong par Willis O’Brien dans le MMF n°3.
Troisième bonne nouvelle : les documents photos ont été pour un grand nombre d’entre eux rephotographiés à la source : leur définition et leur précision sont supérieures à celle de la première édition !
Quatrième bonne nouvelle : les couvertures originales sont soigneusement reproduites afin que les collectionneurs retrouvent immédiatement l’ordre de chaque numéro et son esthétique originale au sein du tome, dans l’ordre de parution.
Cinquième bonne nouvelle : il y a des inédits ! Textes, photos, dessins qui n’avaient pas trouvé place à l’époque, mais qui la trouvent à présent, en raison d’une rationalisation de l’espace, gain d’un travail acharné mené en collaboration entre Nicolas Stanzick (dont on a déjà lu la belle étude sociologique, historique et esthétique Dans les griffes de la Hammer, Éditions BDL sur une partie de la production Hammer Films et sur sa réception critique et publique en France de 1955 à 1975, dans laquelle l’auteur de ces lignes avait répondu aux questions posées par Nicolas) et Michel Caen, l’un des rédacteurs en chef de la revue originale. C’est ainsi que le mythique double n° 25-26 demeuré inédit à cause de l’arrêt de la revue en 1971 va enfin voir le jour, avec des articles notamment consacrés à Terence Fisher qu’on attend de lire avec impatience !
Ce que symbolisa – autant que ce que fut réellement ! – la revue Midi-Minuit Fantastique pour la génération de cinéphiles qui avait eu vingt ans en 1960 : l’ouverture des portes du rêve (comme disait Geza Roheim), portes qui s’ouvraient d’une manière inédite en France et même en Europe, puisque jamais aucune revue – si incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui – n’y avait été consacrée au cinéma fantastique, d’horreur et d’épouvante, de science-fiction ou au cinéma bis, suivant une autre expression qui devait devenir célèbre. Alors qu’aux USA, plusieurs revues existaient (Famous Monsters of Filmland, Creepy, Eery, Vampirella : ces trois derniers titres arriveront ensuite en France, adaptés par une partie de l’ancienne équipe de MMF à partir de 1970 environ, prenant de facto le relais éditorial de MMF mais avec des présentations très différentes : le concept de cinéma bis, notamment, sera popularisé par Creepy, Eery et Vampirella dans la lignée directe de MMF) et rencontraient donc un large public, à l’échelle de l’Amérique du Nord, Canada anglophone inclus.
Cette réédition de 2014 redonne vie esthétique et historique à ce symbole, en l’enrichissant encore d’éléments inédits et du dialogue à venir avec les lecteurs des générations contemporaines qui redécouvriront ainsi un pan englouti de l’histoire et de l’esthétique du cinéma mondial tel qu’il fut – tel qu’il est encore réellement vivant, actif, effectif puisque l’œuvre d’art, à la différence de ses créateurs, a ce privilège non seulement de renaître elle-même à chaque nouveau regard mais encore de faire renaître la «Weltanschauung» (la «vision du monde» comme la phénoménologie husserlienne le précise) qui l’entourait. Il va falloir s’habituer à contempler en couleurs sur la jaquette du tome 1 la photo d’Yvonne Romain terrifiée par Oliver Reed alors qu’elle fut pour nous une photo à tout jamais N.&B. mais on s’y habituera, avec le temps d’autant plus facilement que l’originale N.&B. nous attend, à sa place, en première de couverture du n°1. Telle qu’en elle-même enfin…

Quelques images sont disponibles ici.

Nota bene : parmi les éléments inédits essentiels dans ce tome 1 : la préface de Michel Caen (quatre pages) et l’introduction de Nicolas Stanzick, Midi-Minuit Has Risen From the Grave (26 pages environ) : ces pages comprennent nombre de documents inédits : photos des midi-minuistes au travail ou en virée, lettre manuscrite de Merian C. Cooper, etc. Autre élément majeur : le chapitre central, qui est une sorte de numéro inédit de MMF, conçu avec des textes d'hier et d'aujourd'hui : L'Entracte du Midi-Minuit. On y trouve aussi bien une rubrique érotique consacrée à l’actrice Marie Devereux (Nicolas a retrouvé ses superbes nus photographiés par Harisson Marks en Angleterre en version haute définition), un entretien avec Fellini sur les Fumetti (par Michel Caen et Francis Lacassin), et un long texte de Nicolas Stanzick sur ce qu’il qualifie de chef-d’œuvre oublié du cinéma français : Fantasmagorie, un moyen métrage de Patrice Molinard (beau-frère de Georges Franju, photographe de plateau du Sang des Bêtes) avec Édith Scob dans le rôle d'une femme-vampire croqueuse d'enfant, errant dans une sorte d'étrange Transylvanie val-d'oisienne...