Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« L’État chez les Grecs de Friedrich Nietzsche ou le certificat de décès de la modernité, par Gregory Mion | Page d'accueil | Karl Kraus ou l'école de la résistance selon Elias Canetti »

03/07/2017

Le Paradis français d'Éric Rohmer, sous la direction d'Hugues Moreau

Photographie (détail) de Juan Asensio.

FullSizeR(1).jpgAcheter Le Paradis français d’Éric Rohmer sur Amazon.

Voici les toutes premières lignes de ma contribution au fort beau volume dirigé par Hugues Moreau.

La lecture de La maison d’Élisabeth est une expérience aussi étrange qu’intéressante. Une fois refermé, ce roman, publié en 1946 sous le pseudonyme de Gilbert Cordier, au moment où, selon l’aveu même de son auteur, les balles sifflaient à sa fenêtre, ne laisse strictement aucun souvenir, ni encore moins nous suggère quelles furent ses conditions de composition. Que dire de dialogues entre des femmes et des hommes dont l’histoire, les motivations et les pensées ne nous sont que très rarement connus, femmes et hommes qui ne sont le plus souvent définis que par un simple prénom, comme si le fait de les caractériser par un nom constituait non seulement un détail inutile, mais quelque violation de leur intimité et une faute à la bienséance ? Que dire encore des événements minuscules (promenades, baignades, gestes esquissés) que l’auteur consigne avec une attention maladive, presque douloureuse, comme s’il cherchait, au fond de l’insignifiance, quelque vérité perpétuellement fuyante ? Que dire enfin de méthodiques descriptions de la nature disciplinée entourant une maison qui est le véritable personnage du roman ou, à tout le moins, celui qui nous laisse le souvenir le plus prégnant ? Ce que Rohmer décrit dans son unique roman ne laisse aucun souvenir, fût-ce dans l’esprit du lecteur le plus attentif, qui, palliant la platitude de l’intrigue par une imagination à peine érotisée, se plairait à imaginer, sous telle notation en apparence banale («le genou de Photographie de Juan Asensio (2).jpgClaire», p. 181), la trame d’un film célèbre ou, sous telle cruauté lui semblant toutefois bien lisse, des crevasses profondes dans lesquelles un Jean-René Huguenin n’aura pas peur de plonger. Elles affleurent à la surface de La Côte sauvage, qui me fait penser au texte de Rohmer par certains de ses aspects, comme par exemple une feinte nonchalance qui est la meilleure parade des félins, quelques secondes avant de griffer pour Rohmer, d’entailler profondément pour Huguenin. Si une blessure peut constituer un très honnête souvenir, ce n’est certes pas le cas d’une griffure : tout au plus, d’un air distrait, nous nous gratterons une rougeur vite estompée.


Rappel.
1202912310.jpgÉric Rohmer dans la Zone, par Francis Moury.