Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Anéantir Michel, ou pour en finir avec les livres moches, 4 : incurable incurie, par Thomas Savary | Page d'accueil | La langue confisquée. Lire Victor Klemperer aujourd'hui de Frédéric Joly »

11/07/2023

Là-bas de Joris-Karl Huysmans

Photographie (détail) de Juan Asensio.

Huysmans-là-bas.jpg



«Et les litanies du rut s'élevèrent dans le vent salé des abattoirs.»






Milner.JPGQui aurait pu avoir la chance de poursuivre les riches et beaux travaux de Max Milner, à la suite de son mythique maître-ouvrage intitulé Le Diable dans la littérature française, de Cazotte à Baudelaire, 1772-1861, publié en deux tomes en 1971 par José Corti à une époque désormais révolue où l'éditeur n'avait point abandonné la grande tradition de la critique littéraire universitaire d'excellente tenue et ne se contentait pas d'enfourcher le chevau-léger gracquien qui, réduit en poussière de commentaires, n'en continue pas moins ses cavalcades, certes de plus en plus essoufflées et fantomatiques, qui aurait donc eu cette chance-là et ce vrai bonheur d'érudition eût dû se pencher, et plus que cela, sur le cas de Joris-Karl Huysmans, ce courageux travailleur aurait à vrai dire dû évoquer plus qu'en quelques pages hâtives Là-bas (1), afin d'y montrer un double mouvement : d'une part, la disparition de Satan en tant que personnage de chair et d'os, le Démon n'ayant plus «besoin de s'exhiber sous des traits humains ou bestiaux afin d'attester sa présence [puisqu'il] suffit,pour qu'il s'affirme, qu'il élise domicile en des âmes qu'il exulcère et incite à d'inexplicables crimes» (p. 121) et, d'autre part, l'évidence mystique selon laquelle les deux gouffres, celui, puant, des ténèbres, et celui, d'azur, ravissant les sens au-delà de toute mesure, sont intimement liés. Ces quelques lignes sont ainsi, à leur façon, un salut amical à la mémoire de Max Milner, qui a témoigné qu'un universitaire pouvait être un bernanosien, non seulement par son grand sujet d'étude, mais par son comportement, quand tant d'autres mandarins, comme l'indéboulonnable Monique Gosselin-Noat, n'ont de bernanosiens que l'intitulé, les titres.
Point n'est donc besoin de préciser que le premier de ces mouvements était d'ores et déjà fort bien engagé au moment où Huysmans fit paraître son enquête sur le satanisme au travers des âges, car les romantiques, Victor Hugo avec l'énergie de bœuf plus que de taureau républicain qu'on lui connaît, mais aussi Edgar Quinet dans ses poèmes en prose ou encore le Hongrois Emeric Madach dans l'oubliée Tragédie de l'Homme, affirmèrent, sans contestation possible puisque cela eût équivalu à critiquer, voire rejeter la doctrine triomphaliste du Progrès, la fin de Satan.
Je ne sais d'ailleurs pas si l'on a suffisamment remarqué que l'étiolement de la figure majestueuse du Satan miltonien s'accompagnait, dans Là-bas, de la dégénérescence de l'art, mais aussi des mœurs, Huysmans ne cessant jamais véritablement de critiquer la bêtise, à front de mufle ou de veau, de la lamentable «queue de siècle» (p. 46) où il a vécu, une époque déjà très démocratiquement sotte et creuse, obsédée par l'Argent ayant pris la place de Dieu (cf. p. 43), plus rien ne restant debout, par exemple, «dans les lettres en désarroi» (p. 37), et puisque, décidément, «nous en sommes venus à un art si rampant et si plat que j'appellerais volontiers le cloportisme» (p. 34). Durtal ira même jusqu'à affirmer, tournant résolument le dos au masque grimaçant du perfectionnement technique portée aux nues urbi et orbi, que «la société n'a fait que déchoir depuis les quatre siècles qui nous séparent du Moyen Âge» (p. 128), la race elle-même s'étant modifiée puisqu'elle a «réduit, parfois même délaissé ses instincts de carnage et de viol, [et] les a remplacés par la monomanie des affaires, par la passion du lucre» (p. 129). Nul doute que, s'il avait désiré gonfler un peu plus à l'hélium son interminable essai sur les antimodernes, Antoine Compagnon eût songé à y intégrer Huysmans et qui sait, ainsi, gagner quelques mois Solal.JPGutiles de manœuvres de toutes espèces, qu'Alphonse Daudet décrivit ironiquement dans son Immortel, pour intégrer le Graal des ambitieux à vernis littéraire, l'Académie française bien sûr.
Il serait bien évidemment possible de montrer que Là-bas ne se réfugie dans le satanisme, et encore, celui, viril et impie, mais surtout criminel, tel que le pratiqua Gilles de Rais jusqu'à l'épuisement qu'à seule fin, dirait-on, de montrer à l'époque où vit Durtal ses extraordinaires mépris et haine, que rien ne semble devoir apaiser ni rédimer, y compris l'attente, apocalyptique, d'un Âge d'or, d'un Royaume aussi élevé que le monde moderne est boueux et dévoré par le prurit insupportable de la névrose, Durtal détestant son présent, mais, surtout, annonçant notre époque aux toutes dernières lignes du roman, lorsqu'il éructe, pour couvrir les «longs cris» saluant la victoire de Boulanger (cf. p. 281), «Mon Dieu ! quelles trombes d'ordures soufflent à l'horizon !» (p. 282).
Cette détestation du siècle imprègne de sa bile tout le roman, s'il s'agit de vouer aux gémonies les Français contemporains, tout entiers absorbés, dirait-on, par le culte du Progrès, que Huysmans, honnissant la IIIe République qui «lui apparaît comme une médiocratie bourgeoise qui met à mal la transcendance religieuse et conforte un peu plus la victoire avancée du matérialisme et du mercantilisme» selon Jérôme Solal (in Gilles de Rais. La sorcellerie en Poitou, Jérôme Millon, Grenoble, 2019, p. 7), caractérise d'un mot puissant, lorsqu'il écrit de lui qu'il est «l'hypocrisie qui raffine les vices !» (p. 264), alors que «le vieux Ciel divague sur une terre épuisée et qui radote» (p. 265) et que, puisque la fin de la France peut être datée du «jour où les grandes sciences du Moyen Âge ont sombré dans l'indifférence systématique et hostile d'un peuple impie», «il ne nous reste plus maintenant qu'à nous croiser les bras et à écouter les insipides propos d'une Société qui, tour à tour, rigole et grogne» (p. 280).
IMG_8110.jpgPas davantage, nous ne jugeons utile de trop décortiquer le dossier, réputé sulfureux et qui n'est qu'assez grivoisement convenu, de l'ex-abbé Joseph-Antoine Boullan, dossier minutieusement analysé par Marcel Thomas (2) puis Richard Griffiths qui d'ailleurs se réfère au premier (3), pour constater que, outre la figuration de la douteuse doctrine de la Réparation permettant, par «la réversibilité non pas possible, mais réelle, du péché» comme l'écrit Boullan lui-même, d'obtenir la claire vision de la grâce (4), c'est en fait tout le roman lui-même qui entretisse savamment une multitude de passerelles entre les deux gouffres vertigineux que nous avons nommés, et, cela, d'entrée de jeu; Pierre Cogny fait très justement remarquer que la description (au chapitre 1) du fameux Christ de Grünewald qualifié de «plus forcené des idéalistes» (p. 40), ressemblait à s'y méprendre à celle de Gilles de Rais soumis à la Question (au chapitre 18) : «Deux spectacles d'horreur, mais l'un pour illustrer, au départ, la mystique blanche et l'autre, en finale, pour illustrer la mystique noire, sans qu'il soit parlé jamais de l'une ni de l'autre» (cf. p. 27 de l'Introduction du roman). Pierre Cogny a qui plus est raison de remarquer qu'il ne s'est en l'occurrence appuyé que sur quelques lignes, étant certain qu'une «lecture de ce type pourrait être étendue à l'ensemble du roman», et, alors, on constaterait que «les membres épars, à quelque distance qu'ils soient les uns des autres, retrouvent leur unité par le seul jeu de l'écriture» (p. 28), écriture, terme commode mais imprécis qui traduit peut-être, en fait, une bizarre complexion de la sensibilité de Huysmans, incapable de séparer une mystique de l'autre comme si, en disparaissant de la scène, Satan avait décidé d'adopter la tactique de camouflage de son grand Rival, rendant les signes de la possession au moins aussi troubles que ceux de la sainteté, lançant sur sa piste soufrée les amateurs de rébus et d'énigmes.
IMG_8112.jpgDe fait, c'est encore le peintre Grünewald qui a, comme nul autre, «magnifiquement exalté l'altitude» et «résolument bondi de la cime de l'âme dans l'orbe éperdu d'un ciel», allant encore «aux deux extrêmes» et ayant, «d'une triomphale ordure, extrait les menthes les plus fines des dilections, les essences les plus acérées des pleurs», parvenant encore, dans sa célèbre toile comprise comme «le chef-d’œuvre de l'art acculé», à «rendre l'invisible et le tangible [et à] manifester l'immondice éplorée du corps», à «sublimer la détresse infinie de l'âme» (p. 40).
Dans notre roman, le personnage de Gilles de Rais est bien évidemment indissociable de celui de la Pucelle, l'un et l'autre représentant des «tendances extrêmes» (p. 123), moins contraires que secrètement complémentaires à moins, nous disent les hérésiarques et les demi-mondaines comme Hyacinthe Chantelouve qui suivent leurs pratiques visant, somme toute, à une «spiritualisation du péché» (5), ainsi, bien sûr, que Huysmans lui-même qui bien trop de fois pour qu'on ne puisse pas le soupçonner d'être profondément fasciné par ces matières (6), leur donne la parole, à moins donc qu'il ne s'agisse de la même réalité invisible se donnant sous des dehors profondément antagonistes mais irrécusablement, paradoxalement, monstrueusement indissociables.
Car c'est une évidence : tout, dans Là-bas, est réversibilité ou plutôt, circulation, «transmission» (p. 226) permanente des sorts et des contre-sorts, illustrant aussi bien «la loi des contresignes» (p. 253) qui suppose, on s'en doute, des signes, chaque pierre correspondant ainsi à «une espèce de maladie et aussi à un genre de péché» (p. 273), que le «sacrifice de gloire de Melchissédec» (p. 254), gémellité profonde des mystiques de Satan et des mystiques de Dieu : «Le culte du Démon n'est pas plus insane que celui de Dieu; l'un purule et l'autre resplendit, voilà tout» et «les affiliés du Satanisme sont des mystiques d'un ordre immonde, mais ce sont des mystiques» (p. 237). De la même manière, le satanisme moderne poursuit les efforts, du moins tente de le faire car il n'a plus de force réelle, du satanisme, le vrai, le fort, le sublime dans son âpreté fanatique même, du Moyen Âge, Durtal comprenant qu'il a dû s'occuper de Gilles de Rais et du «Diabolisme au Moyen Âge, pour que le Diabolisme contemporain [lui] fût montré» (p. 236), même si, nous l'avons dit, Satan n'opère plus en personne (cf. p. 237) lorsqu'il s'agit de célébrer une messe noire ! Nous ne sommes même pas étonnés, à un tel degré de mise en abyme et de réseau de correspondances, de constater cette perpétuelle circulation entre les signes contraires au sein du même personnage, Gilles de Rais bien sûr qui est, nous dit Huysmans, «tout en volte-face d'excès, celui-là !» puisque l'on découvre, «à contempler le panorama de sa vie», «en face de chacun de ses vices une vertu qui le contredit», même si, se désole Durtal pour des raisons que l'on devine, avant tout, être d'ordre littéraire, qu'«aucune route visible ne les rejoint» (p. 210), petite déception qui nous donne non seulement la clé de ce roman mais celle, plus certainement, de l'ensemble ou peu s'en faut des textes qu'a écrit Huysmans (7).
IMG_8037.jpgDe sorte que nous ne sommes guère supris de voir, en Huysmans, un précurseur de Georges Bernanos (8) non moins indiscutable que ne le fut Léon Bloy, telle ligne de basse, dans Là-bas, ne cessant de nous rappeler que Gilles de Rais, dans le péché comme dans le rejet final de ses propres turpitudes monstrueuses, est un personnage hors-normes, tout simplement inimaginable à l'époque où Durtal assiste, avec sa maîtresse, à une messe noire qui n'est que prétexte à ripaille sexuelle : «Loin des passions médiocres, il s'exalte, tour à tour, dans le bien comme dans le mal et il plonge, tête baissée, dans les gouffres opposés de l'âme» (p. 211). Gilles de Rais, en effet, explore les cimes tout comme les bas-fonds, mais jamais il ne daignerait se promener, comme l'écrit d'un bon mot Huysmans, «dans la plaine parcourue, dans les pampas de l'âme» (ibid.) ou, pour le dire en utilisant un terme que Durtal déteste, c'est faire remarquer que Gilles de Rais n'est pas un dilettante qui «na pas de tempérament personnel, puisqu'il n'exècre rien et qu'il aime tout» (p. 218), dilettante qui jamais ne sera qu'un individu perdu dans la foule anonyme, un être de bon sens et qui rabâche «l'éternelle antienne de l'ennuyeuse vie» (p. 200). Docre, dont le seul nom suffit à faire trembler ses adversaires est, «au demeurant, fort au-dessous de Gilles de Rais» car, poursuit Huysmans en faisant parler Des Hermies, «ses œuvres sont incomplètes, fades, molles, si l'on peut dire» (p. 251); le chanoine Docre n'est qu'un libertin affublant son libertinage d'un signe négatif, et cela n'intéresse pas l'ami de Durtal qui, à propos des «prêtres sataniques», affirme qu'ils «sont tièdes», «indolents» et encore qu'ils «sont imbéciles [et] médiocres», et qu'ils «commettent le péché contre le Saint Esprit, le seul que l'Exorable ne pardonne pas !» (p. 192). Ainsi, la grandeur, dans le mal comme dans le bien, est telle chez un personnage comme Gilles de Rais qu'il semble que la nature (comme dans une scène de Monsieur Ouine !) se pervertisse «devant lui et que ce soit sa présence même qui la déprave» (p. 170) comme, aux dernières pages du roman, la nature et la foule sublime du Moyen Âge conduisant le meurtrier vers son gibet se transforment pour lui pardonner ses crimes monstrueux : «Et ce peuple dont il avait mâché et craché le cœur, sanglota de pitié; il ne vit plus en ce seigneur démoniaque qu'un pauvre homme qui pleurait ses crimes et allait affronter l'effrayante colère de la Sainte Face» (p. 280).
J'ai parlé, plus haut, d'un mouvement de spiritualisation du Démon, dont la grande figure, pourtant absente, constitue comme le disque d'accrétion attirant les différents personnages de Là-bas; nous pourrions une fois encore rapprocher Huysmans de Bernanos en faisant remarquer la modernité du personnage de Gilles de Rais, qui ne parvient pas à toucher l'au-delà du Mal, comme Monsieur Ouine mais qui pourtant, à la différence de l'ancien professeur de langues vivantes, sera rédimé : «Mais si l'au-delà du Bien, si le là-bas de l'Amour est accessible à certaines âmes, l'au-delà du Mal ne s'atteint pas. Excédé de stupres et de meurtres, le Maréchal ne pouvait aller dans cette voie plus loin. Il avait beau rêver à des viols uniques, à des tortures plus studieuses et plus lentes, c'en était fait; les limites de l'imagination humaine prenaient fin; il les avait, diaboliquement, dépassées même. Il haletait, insatiable, devant le vide; il pouvait vérifier cet axiome des démonographes, que le Malin dupe tous les gens qui se donnent ou veulent se livrer à lui» (p. 169), enseignement que Bernanos ramassera en une phrase en déclarant que le diable est l'ami qui jamais ne reste jusqu'à la fin, comme si l'élu du Mal, ne cessant de descendre «la spirale du péché jusqu'à sa dernière marche» (p. 165) et même, précise Durtal, «entra[nt] de plain-pied dans la dernière ténèbre du Mal» (p. 169), ne pouvait qu'être condamné à la déception, voir et entendre, comme le héros du Démon de Hubert Selby Jr, l'affreux ricanement lui signifiant l'ultime duperie.
S'il est décidément impossible d'atteindre l'au-delà du Mal, s'il est tout de même assez paradoxal de voir en Gille de Rais un contre-Christ (9), il va tout de même falloir lui préférer celui du Bien, en inversant le sens de la progression, non plus vers le bas mais vers le haut; c'est évidemment ce que fera Huysmans avec Là-haut où Durtal, encore lui, entreprendra des recherches sur Lydwine de Schiedam comme il les avait entreprises sur le compagnon de Jeanne d'Arc, Gilles et Lydwine, ainsi que l'écrit Jérôme Solal, formant une «unité jusqu'au-boutiste de la douleur» (10).

Notes
IMG_3075.JPG(1) Joris-Karl Huysmans, Là-bas (édition de Pierre Cogny, Flammarion, coll. GF1991). Cette édition comporte un assez grand nombre de fautes; j'en donne quelques-unes, sans prétendre que cette liste est exhaustive : «la grosse Margot de la ballade n'étaient pas une femme» (p. 48), «un homme dont t'âme était saturée [...] toute son hislloire le prouve» (p. 67), «le cendre» (p. 89), «celle se savoir» (p. 146), «jusu'qà» (p. 167), «traînée épandues de laite» (p. 171), «il ne le décelait guère» (p. 176); signalons encore un étrange «tu la danseras» ne renvoyant à rien (cf. p. 182), le et non «les Vice-Inquisiteur» (p. 216), «Liège» (p. 228), «d'uu» (p. 247), «Il était temps, monsieur, quee je recourusse» (p. 253), une non moins bizarre «dédagogie» pour démagogie ou pédagogie, je ne sais (p. 279).
(2) Marcel Thomas, L'abbé Boullan et l'Œuvre de la Réparation, in revue La Tour Saint-Jacques, mai-juin 1957, numéro spécial sur J.-K. Huysmans, pp. 72-90.
IMG_6673.jpg(3) Richard Griffiths, Le mythe du satanisme au XIXe siècle, in Entretiens sur l'homme et le diable sous la direction de Max Miner (Mouton, 1966), pp. 213-25 et la discussion consécutive à l'exposé de l'article, pp. 226-33.
(4) Marcel Thomas écrit, dans l'article cité que, «lorsqu'elle est comprise de façon normale, c'est là une pratique tout à fait orthodoxe et qu'encouragèrent maintes fois les hautes autorités ecclésiastiques : elle trouve en effet sa justification théologique dans les grands dogmes de la Rédemption et de la Communion des saints, puisqu'il s'agit, pour les fidèles qui s'y consacrent, d'offrir à Dieu, à titre de «satisfaction» ou de «réparation», soit des prières spéciales, soit des souffrances physiques ou morales chrétiennement acceptées, ou même sollicitées, de manière à compenser ainsi dans une certaine mesure les offenses continuellement faites à la majesté divine par les pécheurs non repentis» (p. 76). La citation de Boullan est extraite de la page 85 de ce même article. Cette pseudo-doctrine s'inspire très probablement du dogme de la «réversibilité des douleurs de l'innocence au profit des coupables» tel que Joseph de Maistre l'a popularisé dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg, plus particulièrement au neuvième entretien, où il écrit que : «Les hommes n'ont jamais douté que l'innocence ne pût satisfaire pour le crime; et ils ont cru qu'il y avait dans le sang une force expiatrice; de manière que la vie, qui est le sang, pouvait racheter une autre vie» (l'auteur souligne). On sait quel usage fit Louis Massignon de cette grande idée paradoxale.
(5) L'expression est de Richard Griffiths, dans l'article cité plus haut (p. 224).
(6) Nous pourrions évoquer encore, sur les brisées de la discussion suivant l'exposé de Richard Griffiths mentionné plus haut, évoquer L'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, ou encore Le Paria, une pièce de Graham Greene que je n'ai pas lu, sans oublier telle mémorable scène de substitution opérée par l'abbé Donissan sur un enfant mort dans le premier roman de Georges Bernanos.
Lefèvre.JPG(7) Nous pourrions à cet égard rappeler le jugement de Frédéric Lefèvre, affirmant que Huysmans «avait été mystique quand il était naturaliste» et que, «devenu chrétien, il demeura naturaliste» (in Entretiens sur J.-K. Huysmans, éditions des Horizons de France, 1931, p. 94).
(8) Nous connaissons le goût qu'avait Bernanos d'écrire dans les cafés, afin de ne jamais perdre de vue la réalité la plus humble. Serons-nous surpris d'apprendre que Huysmans pensait dans la rue, «et non dans son bureau, assis à sa table de travail», et qu'«un visage entrevu par hasard, une voiture qui passait, attiraient son attention», in op. cit., p. 109. Dans le même ouvrage si riche d'anecdotes et de perspectives, Eugène Dabit peut encore assurer que le style de Huysmans, «c'est le langage populaire transporté dans la langue écrite» (p. 171).
(9) Vincent Petitjean parle même d'un «Christ à rebours [qui] ne prend pas sur lui les péchés du monde à travers la douleur qu'il subit [mais] rédime un mal humain à travers la douleur qu'il inflige», in Vincent Petitjean, Vies de Gilles de Rais (Classiques Garnier, coll. Perspectives comparatistes, 2015), p. 259.
(10) Gilles de Rais. La sorcellerie en Poitou, op. cit., p. 43.

50255594791_f49e1bcaa0_o.jpg