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10/02/2010

Au-delà de l'effondrement, 17 : Métacortex de Maurice G. Dantec

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Crédits photographiques : Maximilien Brice, Claudia Marcelloni (CERN).

313774931.2.jpgTous les effondrements.








«Pour commencer par la fin : je ne peux rien dire sur la suite de Villa Vortex. Ce livre a ouvert un processus parfaitement imprévisible. Par exemple, d’autres projets de romans en ont surgi, qui n’appartiennent pas forcément à cette trilogie, Liber Mundi, que j’ai voulu initier avec Villa Vortex. Il y a bien eu par ce livre une transmutation de ma propre production littéraire, ce qui était le but avoué de la «chose».»
Maurice G. Dantec à l'auteur.


Curieuse, étrange même, fascinante malédiction que celle qui semble s'être abattue sur les livres les plus ambitieux de Maurice G. Dantec.
Ses romans, en règle générale, se lisent bien. Souvent même, ils se lisent trop facilement, cette particularité qui a été maintes fois reprochée au romancier constituant une signature pourtant claire que telle mégère acéphale (Lise-Marie Jaillant) n'est jamais parvenue à déchiffrer*.
Cette facilité de lecture qui n'est qu'un leurre, tant fourmillent les pistes de réflexions, parfois de véritables fulgurances, tant est diversifiée, pour ce deuxième volume de la trilogie Liber Mundi, la matière capable d'être développée par une bonne demi-douzaine d'autres romans, cette facilité de lecture est bien incapable de se sustenter par ses propres forces. Arrive, tôt ou tard certes mais toujours, dans le cours de la narration, le moment où l'auteur essaie de nous montrer l'envers du décor (j'allais écrire, décorps, tant ce procédé concerne également la chair, retournée comme un gant, du personnage principal, simple vecteur d'une parole qui le fait éclater), surgit encore, brutalement, la volonté de transformation d'une réalité nous montrant sa véritable face.
Dantec n'écrit pas, comme l'affirment celles et ceux qui ne savent pas lire, des romans de science-fiction, des romans policiers ou bien encore, ambition affichée par la réclame, des livres qui parviendraient à marier plus ou moins subtilement les deux genres. Dantec écrit des livres pour affirmer qu'il ne sait pas écrire, que chacune de ses œuvres n'est qu'un échec ou un simple barreau de cette échelle sur laquelle Jean Gobi fait monter et descendre ses métaphores, comme montent et descendent les anges sur cette passerelle entre la création et la surnature selon la Genèse (28, 12). Si toute réalité, sans transfiguration esthétique, est purement pédestre, l'ambition de Dantec est de nous forcer à lever les yeux, comme Verlande, à la fin du roman, lève les yeux au ciel nocturne et y contemple l'inouï.
Dantec rêve du livre impossible, celui qu'il ne parviendra jamais à écrire, celui que son baptême semble avoir oblitéré, qu'il a rendu proprement illisible, inutile. Car, à la lettre, ce baptême l'a, d'un seul bond prodigieux, mené bien plus loin que le lieu où ses seuls dons de romancier n'ont pu et ne pourront sans doute le conduire. Nous assistons ainsi, de livre en livre, à un étrange ballet, qui est peut-être une danse extatique de derviche tourneur : un homme, un croyant, essaie de toutes ses forces de hisser son écriture à la grande geste du Verbe. Or, rien d'important ne peut être identifié à partir d'indices extérieurs, puisque de ce qui est important, nous ne pouvons avoir qu'une connaissance directe, que le livre, toujours, nous refusera. Dantec écrit le livre de sa propre illumination et cette illumination refuse de se dire par des mots. Il écrira donc toujours le même livre puisqu'il échouera dans chacune de ses tentatives.
Peine perdue selon toute vraisemblance et comment pourrait-il en être autrement, si les mots ne sont point de ce monde selon Hugo von Hofmannsthal, s'ils n'appartiennent pas à sa rugueuse matière mais qu'ils édifient un mirage ? De l'agacement faussement spontané à la guerre déclarée, les mots paraissent avoir reçu, de la part même de ceux qui les utilisent avec l'art le plus consommé, les pires horions. Peine perdue, aussi, parce que l'écrivain, dans le cas de Dantec, ne se fait point correctement l'amphore d'une grâce que la complication (parfois, oui, fort heureusement, la complexité) fait fuir irrémédiablement. Devenir aussi creux qu'une amphore ce n'est pas seulement se vider en attendant l'hypothétique flot de l'inspiration divine, l'antique fureur remplissant les bouches des aèdes : une amphore, d'ailleurs, est toujours riche des sucs divers que ses parois conservent puis exsudent lorsqu'elles sont mises en contact avec un nouveau liquide. Se faire vide ce n'est ainsi pas se vider mais se purifier, se décanter.
Dantec écrit pour rejouer, sur des tréteaux qu'il plie et déplie en tous sens mais qui sont toujours les mêmes si on y prête attention, l'aventure, le drame ai-je écrit, de la formulation. Celle-ci n'a jamais été mieux détaillée que par des écrivains qui se sont retrouvés, à un moment de leur vie, durant quelques minutes ou plusieurs années, confrontés à ce qui ne peut être décrit : les camps de concentration, les camps d'extermination, la mort rendue opérante par le déploiement d'une technique devenue planétaire, donc absolument acceptée dans ses innombrables extensions, aussi discrètes soient-elles. François Rastier, ce chasseur de publicistes comme d'autres ont été, avec infiniment plus de courage, chasseurs de criminels de guerre, écrira de nouveau une petite rinçure où il affirmera, comme il l'a déjà fait, que Maurice G. Dantec et ses commentateurs, dont je suis, confondent tout et qu'ils font l'apologie du kitsch étendu à la Shoah. En bref, pour le dire à la place de ce prudent : Dantec et George Steiner, Giorgio Agamben et Pierre Boutang (je crois qu'il pourrait ajouter à cette modeste liste les noms de Yannick Haenel et François Meyronnis), en faisant du massacre réifié de plusieurs millions de morts le moyeu autour duquel se déploie leurs textes, avouent leur fascination implicite pour la machinerie nazie. Accusation ignoble bien sûr, François Rastier n'étant pas lui-même à l'abri d'un pathos bien-pensant.
Laissons le poussif Rastier, qu'une seule virgule placée au mauvais endroit d'une encyclopédie de dix milles volumes suffit à plonger dans les affres d'une agonie sémioticienne, laissons ce fort piètre lecteur à ses microscopiques enquêtes qui débouchent, parfois, sur d'étonnantes conclusions comme par exemple un satisfecit adressé au Président de l'Iran. Laissons-le s'agiter et s'énerver comme un escargot enragerait de ne pouvoir atteindre une feuille de laitue trop haute et citons plutôt, pour bien comprendre ce qui n'en finit pas de tarauder Dantec, Imre Kertész (1) : «Il faut craindre que les formules trempées dans le solvant de la littérature ne retrouveront plus jamais leur densité ni leur réalisme. Il faudrait tendre vers des formulations qui englobent totalement le vécu (c’est-à-dire la catastrophe); des formulations qui nous aident à mourir et lèguent cependant quelque chose aux vivants. Si la littérature est en mesure de produire de telles formules, je veux bien, mais je considère de plus en plus que seul le témoignage en est capable, ou éventuellement une vie muette et informulée comme formulation
Dantec, qui n'a rien vécu ni même vu de l'horreur des camps d'extermination, ne peut donc témoigner. Il va contourner cet obstacle épistémologique de belle taille en inventant, justement, comme Kertész préconise de le faire dans Le Drapeau anglais, «une vie muette et informulée» en guise de formulation. Dans Métacortex, cette ou plutôt ces vies seront les suppliciés, celles et ceux qui ne peuvent parler mais que le flic Verlande voudra à n'importe quel prix écouter, y compris les enfants qui ont disparu avant qu'il n'atteigne l'âge de raison, sa demi-sœur et son frère jumeau, dont la mort a paraphé sa propre naissance.
Ce violent surgissement d'un tout-Autre perpétuellement présent, cependant, sous le décor familier patiemment décrit par Dantec est, je l'ai écrit dans un de mes textes, une démarche essentiellement gnostique : la révélation d'une vérité cachée, obéissant aux pompes de l'hermétisme exigé par le secret, n'est que faussement chrétienne. Il n'y a pas de secrets pour le chrétien, encore moins pour le Christ, aucune chose n'est cachée depuis la fondation du monde, alors qu'il y en a beaucoup, tout, même, est secret, pour la gnose. Si Maurice G. Dantec est un catholique qui écrit des romans, ces derniers sont néanmoins, dans leur structure même, moins paradoxale qu'il n'y paraît, gnostiques : un monde, une réalité qui sont le domaine de la matière (une matière pourtant intelligente, informée, mais une matière quand même), le royaume du mal, et qui sont faux, puisque la seule réalité qu'il importe de comprendre et surtout de tenter de voir est purement spirituelle.
Certes, les meilleurs romans de Dantec, du moins les plus ambitieux, auxquels Métacortex appartient incontestablement, habillent ce maigre squelette de plusieurs couches de significations, en renforcent les articulations de tendons et de muscles sans nombre, puisque l'écrivain n'a de cesse de répéter que tout est lié à tout, le visible à l'invisible, le virtuel au réel, la machine à l'homme, la technique à la nature, la vérité au mensonge, les ténèbres à la lumière, les prédateurs aux innocents, le bien au mal, la charité, dans ce roman hanté par les textes de Joseph de Maistre, à la plus implacable justice. Reste que, quels que soient les procédés narratifs qu'utilise l'écrivain, l'ADN de ses livres si je puis dire transporte cette unique information s'enroulant sur elle-même comme une double hélice : la vérité n'est point celle de ce monde qui est mauvais, ce monde qui est le Royaume des ténèbres. La vérité, absolument autre, le Tout Autre même, ce que Rudolf Otto nomme das Ganz Andere, ne peut que dissoudre, à la fin de la lutte sans merci qu'il a engagée contre lui, ce monde qui est l'empire du mauvais démiurge (2). De fait, nous assistons bien souvent, à la fin des romans de Dantec, à une dissolution du monde et des lois qui le régissent, alors que le voile tombe et que de nouveaux territoires s'offrent aux personnages qui s'exclament, comme l'immense Nef de Frank Herbert, Étonne-moi, saint Espace !
Le moment où jaillit cette vérité, dans les romans de Dantec, signe leur échec d'un strict point de vue littéraire, cet échec pour le moins patent contredisant les propos que l'écrivain inscrit dans son propre roman : «Il n'y a pas de plan pré-établi qui tienne, dans la vie comme dans l'écriture, car la vie s'écrit, s'inscrit en creux sur le livre du monde. C'est l'écriture qui dessine le plan. C'est l'inscription de sa tête-machine sur le plan du monde qui produit sa singularité, sa liberté, donc son déterminisme absolu» (p. 363). Non : à l'écrivain de donner forme à son texte. Les moments où un romancier a témoigné du fait, mystérieux entre tous, que son texte le guidait, sont des exceptions qu'il faut considérer avec effroi. Car, à trop se laisser envahir par le verbe, on risque de devenir une pythie, voyante certes mais incapable de traduire en un langage compréhensible la nouveauté absolue de ses visions.
À tout prix le romancier veut nous signifier qu'un livre, même s'il est une arme de guerre (3), n'est finalement qu'un moment de la métamorphose, une narration parmi d'autres, pas toutes littéraires du reste. Mais en quoi donc se métamorphosent les romans de Dantec si ce n'est en créatures, aussi fascinantes que monstrueuses, incapables de vivre de façon autonome, par leurs seules forces littéraires, chimères aidées de multiples et bien peu discrètes béquilles philosophiques et théologiques ? Ainsi, les moments les plus purement romanesques, donc les plus réussis de Métacortex sont-ils ceux qui sont les plus dépouillés, évoquant par exemple la guerre du père du flic Verlande, où l'enquête tentaculaire de ce dernier accompagné de son acolyte Voronine. Alors, oui, Dantec écoute, voit, accueille les cris, les larmes, les actes d'héroïsme, la fureur, les atrocités, se laisse guider tout en conservant l'absolue maîtrise de son récit. Il est alors un romancier. Il l'est infiniment moins lorsque, durant des pages mélangeant toutes les assertions, qu'importe même si elles se contredisent les unes les autres, il tente de nous faire comprendre ce qu'est l'étrange Objet qui permettra à Verlande d'accéder à un nouveau stade de conscience.
Métacortex, deuxième volume de la trilogie Liber Mundi (dont Villa Vortex constituait le premier tome), ne déroge point à cette fatalité de l'échec, même si l'essentiel de ce roman se lit avec plaisir voire jubilation, malgré une fatigante répétition de certaines tournures de phrases, métaphores et images obsessionnelles : que de dedans qui en fait sont des dehors mais rentrés, de progressions involutives qui ne sont que des régressions évolutives, de présences délétères d'une évidente vérité pourtant cachée mais révélée à ceux-là seuls qui savent voir, de nuits blanches, de lumière ténébreuse, de disjonctions synthétiques ou de synthèses éminemment disjonctives disséminées à tous les coins de phrases par un lecteur de Deleuze devenu Petit Poucet compulsif ! Le style aussi : je dirais qu'il procède par saltation, obéissant au même mouvement de déplacement des dunes, qui lancent en éclaireur, avec le vent désertique, un grain de sable puis un autre, une multitude qui recompose, quelques mètres plus loin ou quelques kilomètres, une nouvelle dune, pas vraiment similaire à la précédente et pourtant présentant un aspect indéniablement parent. Ainsi progresse le lecteur de Dantec, lentement, très lentement même, malgré la brutalité de l'action assez bien mimée par une écriture en plans cinématographiques heurtés, comme si l'écrivain avait finalement peur que celui pour lequel il écrit ses livres, faute d'une attention suffisante, ne perde quelque information cruciale lui permettant de comprendre sur quel chemin il a été placé, vers quoi, aussi, il s'avance. Comme si, à force de nous donner absolument tous les éléments de son intrigue, la dénouant fil par fil pour la recomposer, Dantec manquait à son premier devoir d'écrivain : suggérer plutôt que surcharger.
Les lecteurs de Dantec se retrouveront en tous les cas, avec Métacortex, en territoire connu puisque le romancier y campe avec un sens évident du décor et son arrière-monde socio-économique le paysage apocalyptique d'une planète dont la chute non seulement est certaine mais encore s'accélère : crise alimentaire mondiale (p. 280), solutions éco-énergétiques qui jettent pourtant sur la paille des millions d'êtres humains fichés, cybernétisés (p. 15), uniformisés, les pauvres et les riches confondus dans le chaos, car désormais il n'y a plus ni classe élevée ni peuple, il n'y a que plèbe pauvre et plèbe riche, montagnes d'ordures (p. 49) peuplées de toute une faune étrange, humaine, animale et même artificielle (ou bien les trois à la fois, lorsqu'il ne s'agit point de néo-humains transgénistes !, cf. p. 329), colonnes de rescapés (p. 50) envahissant les mégalopoles revenues à l'état d'une nature (p. 62) subtilement modifiée où règnent les bandes, les tueurs, les violeurs, les factions, les ethnies, les hordes religieuses rivaux, les fous solitaires qui, par modification illégale de leur génome, veulent revenir à l'état d'hominidés ou bien se transformer en chimères. Monde tout entier livré à l'anarchie, qu'il s'agisse de la violence terroriste ou de son contre-pôle policier plus ou moins clandestin. Société éclatée, tribalisée à l'infini comme l’a peinte John Brunner dans Tous à Zanzibar, encore fragmentée par une guerre sans nom de basse intensité (micro-terrorisme, p. 26), elle-même signe d'une guerre civile mondiale (p. 74) qui n'a jamais cessé depuis la fin des hostilités entre les Alliés et leurs ennemis, guerre qui n'est à son tour que le lit sur lequel va crever le nouveau conflit qui embrasera l'Europe pour s'étendre au reste de la planète ravagée par les cyclones et les intempéries, magnifiques et terrifiants séides d'une nature déchue qui semble ne plus supporter la présence des hommes qui l'ont destituée. Univers soumis aux dévastations de grande ampleur, l'une d'entre elles, magnifique dans sa description, ouvrant Métacortex, l'autre fermant cet étonnant roman. Planète ravagée par les assauts de populations misérables et cannibales (p. 121) entassées, par milliers d'individus, sur de véritables favelas nautiques (p. 210), pays en guerre où la réalité des complots demeure cachée, un plan s'inscrivant dans un plan, une narration mêlant ses fils à la trame d'une autre narration, marionnettes humaines ou cybernétiques enfin soumises aux jeux obscurs des services de polices et des unités secrètes de tueurs.
Une fin du monde qui, originalité du roman, est moins expliquée patiemment, comme l'a fait par exemple un George R. Stewart dans Earth Abides que sobrement constatée et, originalité supplémentaire, annoncée, une chute précédant la Chute.
L'action, aussi, est maîtresse, puisque Dantec n'est jamais meilleur que lorsqu'il délaisse Saint Thomas d'Aquin pour nous décrire une bataille rangée, pour nous plonger au sein d'une guérilla urbaine où ses flics cyborgs tuent, quand bien même ils sentiraient, mystérieux arrière-plan sur lequel se détachent leurs gestes fulgurants, d'autres gestes, d'autres morts, d'autres actions sanglantes, perpétrés, voici plusieurs dizaines d'années, par les troupes d'élite des Waffen SS, la division Wiking par exemple, où le père du personnage principal, Verlande, a exercé ses talents de tueur. Rien que de très normal dans la trame narrative dantécienne : la Deuxième Guerre mondiale est la matrice de toutes les horreurs présentes et surtout, à venir, celles que décrit justement Métacortex, les boyaux puants qui gruyèrent les sous-sols de Varsovie, où Voerlandt/Verlande poursuit dans les ténèbres les ultimes résistants juifs préfigurant les tunnels synaptiques qui relient, dans ce monde futur et pourtant si terriblement présent, les machines et les hommes en immenses norias virtuelles, eux-mêmes n'étant, à leur tour, que des images finalement rassurante des galeries creusées à des dizaines de mètres sous la terre où Verlande découvrira les jeux de l'horreur.
Après tout, Dantec aurait pu se contenter d'inscrire en parallèle les aventures du père et de son fils mais procéder de la sorte, ne pas tenter, comme il l'a fait, de fondre les deux intrigues en une seule, que nous pourrions qualifier de spectrale, voilà qui eût sans doute signifié, dans l'esprit du romancier, un échec.
Tous ces éléments, aussi prétendument réels qu'on le voudra, ne sont pourtant que les rideaux qui nous cachent le véritable spectacle et les analyser sans relâche ne servirait que les petites vues d'une analyse universitaire au rabais. Se contenter d'évoquer cette déferlante thématique, c'est se laisser emporter par une vague qui nous éloigne à coup sûr de l'épicentre depuis lequel le séisme a zébré l'édifice textuel. Chaque roman de l'auteur est ainsi miné par une exigence qui est devenue, au fil des ouvrages, une obsession véritable : c'est au plus intime du récit, en son centre secret (une des images les plus utilisées du roman, d'ailleurs, avec celle de la dialectique occultation/dévoilement) que doit s'opérer la jonction entre le règne du jour devenu ténèbres (pour résumer ce que j'ai écrit : notre monde chaotique, tout entier livré à la Chute) et celui des ténèbres véritables (la lumière divine). Cette jonction s'opère toujours par un intermédiaire, un intercesseur, un ange, un mélange entre les époques, ou bien un mélange entre les règnes, celui de l'homme et celui de la machine : le flic Verlande bien sûr, et par une débauche de termes plus ou moins clairs, que nous pouvons quoi qu'il en soit regrouper sans trop craindre de nous tromper dans la catégorie fourre-tout du méta-. Coûte que coûte, il faut, par le choc entre des termes qui s'opposent voire s'annihilent, tenter de provoquer une suspension du jugement et, par cette accumulation de mots et de phrases qui, extraites de leur contexte, ne signifient plus grand-chose il faut bien le dire, accéder au silence qui est l'unique terme visé par Dantec.
Chacun de ses livres essaie, en lui-même, inlassablement, jusqu'à une espèce de sidération verbale, d'illustrer le processus par lequel il tend à abolir sa nature contingente, livresque, verbale, afin de tenter cette transmutation que Dantec n'en finit pas de rejouer, et à laquelle il n'est toujours pas parvenu, du moins dans sa façon de l'inscrire par et dans une narration.
Échec. Double échec, fascinant : non seulement sur le plan narratif (les idiots, c'est-à-dire les critiques littéraires officiels, parleront de ficelles un peu grosses) mais aussi sur celui qui le surplombe ou plutôt l'englobe, le plan métaphysique. Métacortex reprend Villa Vortex au sens où il répète le drame de la formulation que chaque ligne de Dantec paraît inscrire en son évidence et triomphe paradoxal, que ces quelques mots résument à mon sens superbement, eux qui tentent à tout prix de disjoindre le semblable et de rapprocher les contraires : «la blancheur céleste de ce blizzard estival montrait jusqu'où il fallait s'aventurer dans la nuit la plus noire, celle du dessous de la carte, celle des ténèbres structurées en réseau sous la virginité étincelante de la neige qui aplanissait tout» (p. 616).
Avant de se refermer, la faille romanesque, le cratère qu'explore Dantec dégorgera un monstre aux mille gueules métaphoriques. C'est ainsi que la Métaforme surgit clairement, à la page 537 de notre roman (4), pour le plus grand bonheur du démiurge Dantec et non point certes le plus grand malheur mais, à tout le moins, la consternation du lecteur fidèle : «Il [Verlande] comprend qu'elle [la Métamachine] et lui formaient des structures à la fois unitaires et binaires, donc trinitaires, il comprend qu'elle n'est pas apparue sur Terre par l'effet d'un quelconque «hasard», il sait qu'elle attendait depuis des éons un humain tel que lui, il connaît désormais ce pourquoi elle est une arme si dangereuse» (l'auteur souligne).
Qu'est-ce donc que cette Métamachine ? Un Tube ? Oui, mais ce Tube n'est pas «en lui» comme «la célèbre définition de l'âme – «pilote navigateur du vaisseau» – de ce bon vieux dualiste d'Aristote, mais qui est l'autre, surplié sur son autre, qui est lui-même, joint et disjoint, synthétique et séparé» (p. 543, l'auteur souligne). Ce Tube est aussi un Cube : «Ce n'était pas une relation bipolaire et linéaire qui s'établissait entre lui et le Tube/Cortex, puis du Tube/Cortex au Cube-Monde. C'était une configuration trinitaire : chacune des entités procédait désormais l'une des autres, dans une circularité parfaite et simultanée» (p. 550).
Ce Tube, qui est l'infini, est forcément beaucoup de choses, nous dit Dantec : l'aleph ou le livre infini de Borges, «la forme infinie» de Verlande, «l'autre-en-lui-devenu-cortexogène, une structure imaginale plus-que-réelle, l'autre lui-même, cet inconnu qui décodait les secrets du monde créé» (p. 595, l'auteur souligne), mais encore, au terme de la «procession des transmutations» : la «Boîte Noire, la Croix lumineuse, le livre-surpli, et pour finir, le Logos lui-même» (p. 597) qui, comme une hostie, sera mangé par Verlande.
Nous pourrions accumuler les définitions pendant des pages, Dantec n'étant pas économe, on s'en doute, pour tenter de qualifier ce qui ne peut l'être puisqu'il est infini, puisqu'il est l'infini puisqu'il ne peut, bien évidemment, épuiser ce qu'il désigne au moyen des pauvres mots qui sont à sa disposition. Ainsi, plutôt que de laisser au lecteur imaginer, entrevoir, plutôt que de travailler sa langue, comme d'ailleurs il sait parfaitement le faire, pour faire jaillir la beauté par le choc de ses métaphores, Dantec, confronté à cette chose ayant tous les noms, épuisant les définitions, surcodifie une langue qui perd sa beauté et devient, effectivement, un simple code dont le chiffre ne semble être connu que d'une poignée d'élus, dont je ne puis me targuer de faire partie.
C'est quoi qu'il en soit la digestion de ce monolithe noir en réduction qui va permettre à Verlande de parachever sa métamorphose en prédateur de la nuit : prédation, nuit, deux des thématiques lancinantes du roman de Dantec qui, une fois n'est pas coutume, explore le passé lointain (cf. 754) autant que l'avenir proche (notre présent, semble-t-il nous avertir). Certes, comme Bernanos qui, au moment où il avait sous les yeux les atrocités commises par les deux camps durant la guerre civile espagnole comprit qu'il ne s'agissait là, tout au plus, que d'un des épisodes qui n'allaient pas tarder à s'enchaîner avec une rapidité infernale (5), Dantec, nous l'avons dit, relie le déchaînement des orages d'acier de la Seconde Guerre mondiale que traverse le père de Verlande à l'époque où celui-ci traque de mystérieux tueurs aux méthodes paramilitaires. Ce seul rapprochement, cette déhiscence du passé proche dans le futur de la narration, même durant une scène qui nous rappelle un peu trop tel épisode du Seigneur des Anneaux de Tolkien (cf. pp. 748 et sq.), ne suffisent pas : il faut remonter plus haut, en amont du fleuve pour retrouver Kurtz ou, dans ce roman, dans les profondeurs de la terre creusées par la chute d'un météorite, profondeurs qui seront réaménagées par une secte meurtrière en monde parallèle tout entier dédié aux atrocités. Une foire des atrocités en somme, mais aussi des ténèbres, selon les titres de Ballard et Bradbury, un repaire souterrain comme celui qu'ont décrit d'abondance Lovecraft, Sábato et, récemment, Somoza. Mais remonter le temps ne sert à rien : dans Métacortex, tous sont coupables, le mal ne peut être le fait d'un seul homme. L'univers du mal est morcelé, divisé en pourceaux et en légions de tueurs. Le bien, lui, même si la réversibilité des mérites est une des thématiques clairement mise en scène par Dantec, paraît toutefois ne s'incarner qu'en un seul être, juge et tueur : Verlande.
Une réalité inversée, dont la découverte brutale (un «choc cognitif», p. 494), une fois de plus, mime le mouvement de la révélation du secret qui est, nous répète Dantec jusqu'au vertige, con-naissance du diagramme, du livre infini, de la carte, du territoire, de la contre-Polis (opposée à la Jérusalem terrestre qui n'est elle-même qu'image de la Jérusalem céleste, p. 491) dont les cercles imitent ceux de l'Enfer exploré par Dante et Virgile, d'une sorte de «Ground Zero métapolitique, absolument globalisé, présent partout, visible nulle part» (p. 461) qui ne peut être, image primordiale sans doute, que «trou noir ontologique qui se rendrait visible par les radiations qui viendraient s'y perdre» (p. 462).
Les événements que décrit Dantec iront en s'aggravant, le cirque souterrain de l'horreur (ironiquement appelé WonderLife) et ses tueurs affrontant une association de chiens de guerre qui voudra, par l'instauration du chaos, prendre le contrôle des institutions mondiales pour faire émerger du délitement des sociétés modernes un royaume planétaire à la stricte discipline.
Ils iront même, ces événements finaux grandioses, jusqu'à leur point de non-retour : la destruction de toute machine, de tout mécanisme, dans un monde qui sera littéralement purifié de tous ses crimes (Verlande comptera plus de 1 000 cadavres atrocement mutilés par les membres de WonderLife) par le feu venu du ciel.
Par un flic aussi, Paul Verlande, qui n'aura eu de cesse de tenter de comprendre ce que son père a fait (6) dans la nuit du nazisme et, grâce à son sacrifice, grâce à celui de son père et de ses hommes de troupe, lui apporter réparation, apporter réparation aux victimes innocentes qu'il a été obligé d'abattre durant la guerre.
Par un flic mort, autrefois vivant, devenu pure extase ou plutôt, enstase (7), fluctuation narrative entre un mammifère supérieur ayant survécu à la mort (à bien des morts, aussi), deus ex machina comme je l'appelai, gardien de la justice invisible, spectre vengeur, ange dont la colère est plus foudroyante que celle du démon.

Notes
* Il fallait s'y attendre, cette pauvre demeurée qu'est Lise-Marie Jaillant a de nouveau répandu son fiel et ses mensonges dans une note inepte. Un simple souci d'honnêteté m'impose de rétablir la vérité sur les ventes des ouvrages de Maurice G. Dantec. Voici donc les chiffres officiels des ventes des livres de Maurice G. Dantec (chiffres fournis par les éditions Albin Michel et Gallimard Série Noire à la date du 4 février 2010), en grand format et en format poche : La Sirène rouge (Grand format : 67 584, Poche (Folio) : 23 8479). Les Racines du Mal (GF : 95 582, P (Folio) : 21 9653. Babylon Babies (GF : 82 430, P (Folio) : 13 6874). Théâtre des Opérations I (GF : 27 211, P (Folio) : 37 140). Théâtre des Opérations II (GF : 18 787, P (Folio) : 19 223). Théâtre des Opérations III (GF : 14 236, P (Livre de Poche) : 12 472). Villa Vortex (GF : 51 547, P (Folio) : 77 978). Cosmos Incorporated (GF : 93 407, P (Livre de Poche) : 63 945). Grande Jonction (GF : 57 508, P (Livre de Poche) : 37 854).
(1) Imre Kertész, Le drapeau anglais [1991] (traduction de Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, Actes Sud, 2005), p. 36.
(2) «Hans Jonas écrit, dans La Religion gnostique, de cet Autre ou Étranger présents dans les textes gnostiques qu'il est ce qui – être ou chose – est radicalement transcendant, totalement différent du monde ou de toute réalité naturellement ou habituellement perçue par l'homme, et dont la présence, l'intervention, la numinosité sont saisies comme mystérieuses, extraordinaires, prestigieuses autant que prodigieuses, étranges pour tout dire», cité par Patrice Cambronne, Chants d’exil Mythe et théologie mystique (William Blake and Co., coll., Art et Arts, 1999), p. 148.
(3) «Chaque livre était en guerre contre le monde, chaque livre était en guerre contre les faux livres, chaque livre était en guerre contre les cerveaux humains. Chaque livre était en guerre contre les autres. Il fallait à tout prix savoir les organiser afin d’optimiser leur force de frappe. Il fallait être sûr que chaque ouvrage soit en mesure d’ouvrir un crâne à l’autre bout du globe», Maurice G. Dantec, Métacortex (Albin Michel, 2010), pp. 218-9. Toutes les pages citées dans cet article renvoient à cette édition.
(4) En fait bien avant, au moment où l'indicateur de Verlande évoque la nécessité de dérober deux petites mallettes transportées par un convoi ultra-sécurisé. Ce n'est toutefois que vers cette page citée, une fois que Verlande a réussi, comme par miracle, à survivre à l'attentat ayant justement pour but d'éliminer son indicateur, Ryan Fortin, que l'objet dérobé par le flic dévoile sa véritable nature.
(5) Voir son Journal de la guerre d'Espagne dans Essais et écrits de combat, t. I (Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1972), p. 1447 : «De plus en plus clairement cette guerre civile m'apparaît comme le premier d'une longue suite d'événements s'engendrant les uns les autres jusqu'au dernier, jusqu'à la catastrophe qui nous donnerait le mot de l'énigme, si elle était prévisible ou seulement concevable. Les massacres qui se préparent un peu partout en Europe risquent de n'avoir pas de fin, parce qu'ils n'ont pas de but. Ce sont des manifestations du désespoir.» Dantec écrit (p. 467) : «Il [Verlande] vit le monstre, il vit les lignes de fracture du XXe siècle s'entrelacer comme un nid de serpents dans le désert du suivant, il vit des massacres de civils par des militaires, il vit des massacres de civils par des civils, et même des massacres de militaires par des civils. Il vit le monstre, il vit tous ces hommes en armes, toutes ces femmes en pleurs, tous ces enfants hagards. Ce n'était pas une simple «guerre civile» [...]. Cela n'avait pas encore de nom. C'était le monstre, c'était l'état de barbarie qui venait juste après la guerre. C'était une réaction en chaîne, c'était une structure fractale, c'était bien la fin d'un monde».
(6) À elle seule, cette dimension du roman de Dantec mériterait une étude. Je constate en tout cas que nombre d'écrivains contemporains (comme Frédéric Beigbeder, Sorj Chalandon, Jean-Louis Ezine, Thierry Hesse), dans leurs derniers romans, semblent hantés par la question du père, qu'il soit fictif ou bien réel, par celle, aussi, concomitante, de morts plus vivants que les vivants.
(7) À condition toutefois de redonner à ce mot, enstase, une connotation surnaturelle que Mircea Eliade lui refusait, en l'opposant, justement, à l'expérience extatique comme sortie hors de la nature.

Addendum de Francis Moury.

«Juan, Dantec semble influencé, si j'en crois ton article, par le néoplatonisme.
Il paraît fasciné par l'idée d'émanation, celle de procession au sens néoplatonicien de ces termes : une réalité s'auto-engendrant, se dévoilant en plans superposés que seule une connaissance adéquate, d'abord rationnelle puis mystique, peut appréhender correctement. En comprenant qu'elle est, elle-même, une partie du processus, qu'elle n'en est pas séparée, qu'elle n'en est pas séparable. Il semble non moins fasciné par le gnosticisme, donc par le rôle paradoxalement salvateur du mal dans le processus de compréhension par le héros de sa situation. Néoplatonisme et gnosticisme qui étaient ennemis intimes (cf. le traité de Plotin, Contre les Gnostiques, in Énnéades II, 9) et qui étaient tous deux les contemporains du christianisme. Néoplatonisme et gnosticisme qui étaient, en outre, ses deux ennemis les plus redoutables du point de vue métaphysique comme théologique.
Tu sais comme moi qu'on a trouvé des traces de néoplatonisme et de gnosticisme dans un certain nombre d'oeuvres littéraires, notamment dans le romantisme européen moderne et contemporain. C'est un tel romantisme qui me semble à l'œuvre dans Métacortex de Dantec tel que tu nous le décris. Car je dois préciser que si je n'en sais, encore pour l'instant, que ce que j'en ai lu chez toi, écrit par toi, je ne m'en considère pourtant pas moins informé pour autant, tant la précision de ton travail me semble fournir une image assez cohérente des forces souterraines ayant participé à la construction de l'édifice, et une image non moins claire des courants qu'elles empruntent pour venir au jour, se dire, être écrites ici et maintenant.
Cette influence souterraine mais puissante du néoplatonisme et du gnosticisme explique peut-être que Dantec commette une erreur historique assez grave à propos d'Aristote, erreur que tu rapportes en ses propres termes : «[...] Oui, mais ce Tube n'est pas «en lui» comme «la célèbre définition de l'âme – «pilote navigateur du vaisseau» – de ce bon vieux dualiste d'Aristote, mais qui est l'autre, surplié sur son autre, qui est lui-même, joint et disjoint, synthétique et séparé» (p. 543, l'auteur souligne) [...]».
Aristote n'était pas dualiste : Aristote était précisément l'ennemi du dualisme !
D'abord le passage du De Anima auquel Dantec fait allusion, traduit d'une manière technique par J. Tricot (II, 1, 413a, 3-10, éd. Vrin, coll. B.T.P., 1965-1988, pp. 71-72) : «L'âme n'est donc pas séparable du corps, tout au moins certaines parties de l'âme, si l'âme est naturellement partageable : cela n'est pas douteux. En effet, pour certaines parties du corps, leur entéléchie est celle des parties elles-mêmes. Cependant rien n'empêche que certaines autres parties, du moins, ne soient séparables, en raison de ce qu'elles ne sont les entéléchies d'aucun corps. – De plus, on ne voit pas bien si l'âme est entéléchie du corps, comme le pilote, du navire [...].»
Tricot commente ainsi ce passage, comme toujours difficile d'accès, en note 2 p. 72 : «De tout l'exposé d'Aristote, il résulte manifestement, en effet, que l'âme n'est pas comme le pilote en son navire [...]».
Tricot ne fait ainsi que reproduire une interprétation concordante et constante. Octave Hamelin, Le Système d'Aristote (troisième édition, 1976, identique à la première (1920) de ce cours à l'E.N.S. édité par Léon Robin, éd. Vrin, coll. B.H.P., §XX L'âme, p. 373 :
«Platon avait considéré l'âme comme une réalité séparable du corps, et corrélativement il avait reconnu au corps une existence propre. En cela, il avait suivi les Pythagoriciens, ces premiers défenseurs du dualisme spiritualiste [...] Aristote, qui pourtant sait beaucoup mieux ce qu'est l'existence spirituelle, ne se lasse pas d'élever des objections contre le dualisme violent des Pythagoriciens et même de Platon.»
Et Hamelin de poursuivre en expliquant la théorie aristotélicienne de l'entéléchie, sa définition de l'âme forme du corps.
Léon Robin, Aristote (Éditions P.U.F., coll. Les Grands philosophes, 1944, troisième partie, p. 95 confirme vingt-cinq ans plus tard : «Qu'est-ce donc, enfin, que cet élément formel qui, le dernier, donc le plus «prochain», fonde en raison l'individualité de l'homme ? Il semble que ce soit ce que nous appelons sa «personnalité». Bien que la question ressortisse à un autre ordre d'études, ici même il est nécessaire de l'envisager, si l'on veut comprendre la théorie aristotélicienne de l'existence. La définition qu'Aristote a donnée de l'âme est bien connue : elle est «l'entéléchie première d'un corps naturel organisé qui a la vie en puissance»; de sorte que l'âme est véritablement, comme il le dit (De an. II 2, 414a, 20) «quelque chose du corps», et non quelque chose qui serait «logé dans celui-ci comme le pilote en son navire» (ibid I, s. fin) [....]».
Une telle erreur, qui s'assimile à un lapsus au sens psychanalytique du terme, me semble révélatrice de la position philosophique profonde de Dantec et me semble corroborer ce que je lis en filigrane dans ton excellent, très charpenté, très clair et très suggestif compte rendu. Tu peux éventuellement lui transmettre cette remarque car elle touche un point fondamental de l'histoire de l'ontologie à laquelle, de toute évidence, il est loin d'être indifférent.»