« Georges Bernanos, l'oublié de Plon | Page d'accueil | Cloverfield, l'Apocalypse exliquée aux bourrins »
09/02/2008
La bouche pleine de mots de Pierre-Emmanuel Dauzat
Crédits photographiques : Simon Dawson (AP Photo).
«Des livres, qui n’en écrit pas ? De plongeurs sous la mer armés de caméras, de commissaires-priseurs, d’austères philosophes, d’anciens critiques de théâtre, de médecins, de professeurs lourds titubant sous le poids des diplômes, d’hommes politiques, d’avocats, nous n’en manquons pas, heureusement, mais la denrée reste plus rare que celle des faiseurs de livres à laquelle j’appartiens. Nous sommes légion. Tout le monde écrit.»
Jean Cau, Le Candidat (Xenia, Vevey, coll. Franchises), 2007, pp. 36-7.
Quel est le signe le plus évident de la pédanterie ? Incontestablement la capacité d'écrire, sur un texte admirable de dépouillement, une préface qui non seulement complique à dessein le propos de l'écrivain, mais rend confus et compliqué (plus que complexe) ce qui était clair. La bêtise seule ne défigure pas un ouvrage; la cuistrerie y parvient tout aussi bien, mais il est vrai qu'elle n'est qu'une forme de bêtise déguisée.
Pierre-Emmanuel Dauzat, depuis qu'il est devenu une espèce pleurnicharde d'avocat se faisant fort de plaider la cause difficile voire impossible des plus grands damnés de l'histoire, à l'exemple de l'apôtre Judas, a réussi l'exploit, en moins de quatorze pages d'un livre de poche, de citer une quarantaine de noms d'auteurs, de façon plus ou moins directe, d'évoquer la tragédie grecque, le suicide selon les Pères de l'Église, Buchenwald, Judas donc (certes pas le mien, je veux dire mon manuscrit maudit, pendu par le cou au bon vouloir des éditeurs), l'étymologie latine et quelques autres sujets que je vous laisse découvrir. Applaudissez mes amis, l'exploit n'est pas mince : moins de quatorze pages vous ai-je dit et près de quarante noms d'auteurs ! Quel meilleur exemple de claironnante pédanterie ? À côté de Dauzat, je le dis tout net, même Philippe Sollers est un nain, François Meyronnis une tique, Yannick Haënel une amibe.
Et, sans doute parce qu'il s'agit de la marque des plus grands (je songe à Nietzsche ou à Kierkegaard, coutumiers du fait), ajoutons que Pierre-Emmanuel Dauzat n'hésite pas à faire ô combien finement allusion à ses propres travaux concernant le suicide dans les écrits du christianisme ancien. Quelle chance pour Šćepanović, tout de même, que pareil exégète n'ait pas encore écrit d'ouvrage savant sur la mode vestimentaire dans la haute bourgeoisie clermontoise du XIXe siècle...
Cette capacité est d'autant plus remarquable que, ayant dirigé le dossier convenu consacré à Steiner d'un ancien numéro du Magazine littéraire, Dauzat en avait oublié un seul, de nom, dans sa bibliographie pseudo-critique et pas franchement exhaustive : le mien.
C'est finalement une grande chance que Dauzat, à propos de La Bouche pleine de terre (1) de Branimir Šćepanović, paru dans cette remarquable collection de poche qu'est Motifs (aux éditions du Rocher; ce titre est le trois-centième de la collection), n'ait pas évoqué les innombrables travaux de George Steiner dont il est devenu depuis quelques années le traducteur apparemment officiel et, lors des déplacements de l'auteur de Réelles présences en France, son garde du corps adepte des techniques les plus désarmantes de non-violence. Patience, on me chuchote qu'il compte bien réparer cet inexcusable oubli lors de sa prochaine préface, et ainsi battre son record personnel : Dauzat vise la médaille d'or de la pédanterie en citant, en moins de vingt pages, plus d'une centaine de noms...
Peu m'importe de saluer cette prochaine performance d'athlète, il me faudra beaucoup plus que cette évidente faute de goût pour bouder mon plaisir. La collection Motifs est en effet un véitable petit bijou, que l'on en juge par ses derniers titres parus : Sur mes traces de Gregor Von Rezzori, Missa sine nomine d'Ernst Wiechert enfin réédité puisqu'il était pratiquement introuvable, L'École d'impiété d'Alexandre Tisma ou encore, bien évidemment, la réédition du Cinquième empire de Dominique de Roux préfacé par Raymond Abellio.
Note :
(1) J'avais détourné le titre de cette nouvelle dans une charge contre l'ignoble torchon Technikart.