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29/03/2012

Le fanatisme de l'Apocalypse de Pascal Bruckner

Crédits photographiques : Johnny Hanson, The Houston Chronicle.

51ZlNZrqjbL._SS500_.jpgÀ propos de Pascal Bruckner, Le fanatisme de l'Apocalypse (Grasset, 2011).
LRSP (Livre reçu en service de presse).


Comme dans tout phénomène de masse, la folie des intégristes de la chlorophylle que dénonce Pascal Bruckner dans son dernier essai s’accompagne d’intolérance, puisque la thèse du livre de l'auteur consiste à affirmer que l’écologie, moins consciemment qu’elle ne le souhaiterait sans doute, a emprunté tous les traits apocalyptiques de l’ancienne religion chrétienne sans nous promettre toutefois la révélation de l’Amour.
Ce n’est pas un hasard si le titre du livre évoque ainsi l’essai que Norman Cohn écrivit sur les fanatiques de l’Apocalypse, où il affirmait d’ailleurs que les grandes idéologies du siècle passé devaient bien de leurs caractéristiques aux mouvements millénaristes. Pascal Bruckner, qui développe l’idée selon laquelle l’environnement «est la nouvelle religion séculière qui s’élève, en Europe du moins, sur les décombres d’un monde incroyant», frappe l’imagination par quelques formules suggestives comme les convulsions de la Terre comparées à un «Christ minéral et végétal» (p. 33) et affirme que la matrice de tout le discours sur l’environnement ne fait que reproduire «le récit de la Chute dans la Genèse» (p. 70). De fait, l'un des thèmes sous-jacents du livre de Bruckner est l'analyse, hélas simplement suggérée, d'une maladie du langage (cf. p. 87), qui a permis à l'écologisme de prospérer, comme un champignon se développe sur du bois pourrissant. Un fin lecteur éprouverait peut-être quelque amusement à démontrer que l'auteur lui-même profite largement de cette maladie du langage qui se traduit par une «explosion jargonnante [et une] prolifération de galimatias» (p. 133), puisque son livre ne cesse d'employer, à propos des thuriféraires de l'écologisme, des expressions et métaphores religieuses : l'écologisme est ainsi comparé à une «nouvelle vulgate» (p. 118), ses zélés sicaires à des «frères prêcheurs» (p. 212), à des «stylites [...] pétulants» ou à des «flagellants [...] joviaux» (p. 217), la mode du recyclage inconditionnel à une «merveilleuse épopée des épluchures, [une] sainteté des rebuts» (p. 225). Je pourrais multiplier ces exemples qui, s'ils frappent les esprits, ne constituent tout de même pas une analyse en bonne et due forme comme celle d'un Broswimmer de ce fait essentiel selon Bruckner : l'écologisme est la religion non pas des nouveaux pauvres, mais de celles et ceux qui veulent nous convaincre que la pauvreté de l'homme occidental est son nouvel idéal de décroissance, dût-il en mourir.
Bref, bien davantage que l'essayiste Bruckner, il nous eût fallu un écrivain, pourquoi pas Léon Bloy, du reste évoqué par l'auteur en des termes peu amènes (cf. 97), capable de pasticher cette pseudomorphose du sacré dans la trivialité d'un langage maltraité, sans se contenter de l'employer en usant de formules frappantes mais hélas faciles.
Si l’écologie en tant que phénomène religieux dévoyé peut à bien des égards rejouer, devant un parterre tout de même moins crédule que par le passé, les vieilles convulsions millénaristes prétendant hâter «l’exaltante proximité du cataclysme» (p. 82), elle emprunte ses principales caractéristiques à l’idéologie marxiste. L’écologie développe en effet, comme le marxisme, un scientisme omniprésent qui, s’il avait un pouvoir politique véritable, serait selon Bruckner destructeur et même criminel, «l’admonestation aux hommes coupables de ne pas comprendre ceux qui leur veulent du bien» (p. 38) pouvant conduire les récalcitrants au camp de rééducation. Ces prophètes sans Dieu, ces «courtisans du Jugement dernier» (p. 98), ces illuminés de la «maladie infantile» qu'est le catastrophisme (p. 14), ces apôtres du désespoir que Bruckner rapproche, non sans pertinence, des fascistes (cf. pp. 100 et 181), n’ont qu’un seul but : nous faire désespérer alors que, pour Bruckner, il y a toujours un possible pour l’homme, même au bout de l’horreur (cf. p. 158).

Le fanatisme de l'Apocalypse, de même qu'Une révolution sous nos yeux de Christopher Caldwell (Éditions du Toucan) ont reçu le sixième Prix du Livre incorrect.