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06/05/2015

Le Livre des jours et des nuits de Theodor Haecker

Photographie (détail) de Juan Asensio.

haecker.jpgNous savons qu'il a été possible, y compris même pour un Allemand, de résister au régime nazi, et nous le savons depuis fort longtemps et, même si nous l'ignorions ou feignions de l'ignorer, Le Livre des jours et des nuits, qu'il est scandaleux de ne pouvoir lire que dans une édition datant de 1951, nous le rappellerait et nous le prouverait amplement, dans chacune de ses pages à vrai dire.
Un écrivain n'est pas simplement un agenceur de mots, fût-il remarquablement doué ou, plus rarement, génial. Un écrivain, comme tout grand artiste, est d'abord un résistant, un résistant intérieur, de l'ombre, un homme qui ne se rend pas, le monde entier fût-il contre lui, la nuit fût-elle sa demeure, de paix ou de crainte. La résistance n'est pas le fait de poseurs et de bravaches de comptoir, est-il encore besoin de clamer cette évidence ?, mais d'un de ces véritables esprits philosophiques qui est, selon l'auteur, «un esprit contemplatif», car «ce qui captive, ce ne sont pas les choses que l'on peut modifier, mais précisément celles que l'on ne peut modifier» (pp. 40-1), la prière ne demandant jamais que ce qui a été ne soit plus ou redevienne comme avant, la beauté pouvant être détruite mille fois, qui renaîtra toujours. Cette évidence est bonne pour les saints et pour les anges. D'ailleurs, Theodor Haecker enrage parfois de ne pas avoir suffisamment de confiance, de foi tout simplement face à ce qu'il eût pu considérer comme le triomphe du mal, car il sait parfaitement que les hordes de loups seront détruites, tout comme il sait que le peuple allemand, qui a réveillé les bêtes, devra payer très cher ses actes sordides et criminels. Sa foi vacille pourtant, l'homme doute : et si les bêtes triomphaient ?
IMG_1318.jpgC'est la nuit surtout, pour échapper à la surveillance des sbires et des lémures, où il «connaît des heures d'obscurité et de découragement devant le triomphe apparent des forces du mal», que Theodor Haecker écrivit son magnifique témoignage de résistance à l'horreur, comme nous l'explique Robert d'Harcourt dans une belle préface (1) qui rapproche le nom de Haecker de ceux de Veuillot, Bloy (explicitement nommé p. 188 par Haecker) ou encore Bernanos (p. 10). Évacuons immédiatement une fausse interprétation du Journal de Theodor Haecker, qu'il est rigoureusement impossible de confondre avec l'entreprise profondément solipsiste et ridicule d'un de ces diaristes camusiens contemporains, journaliers du néant et de l'insignifiance : «Je tiens pour l'une des entreprises les plus arrogantes celle d'écrire une biographie qui, par-delà les faits extérieurs, tente d'en donner les motifs les plus intimes. Les autobiographies se rangent parmi ce qu'il y a de plus trompeur» (p. 45). Theodor Haecker ne se sonde pas, cela ne l'intéresse pas : il sonde la profondeur à laquelle la figure de Dieu s'est enfoncée en lui, et cela est absolument différent, qui vous extrait de votre petit moi au lieu de vous y aboucher à longueur de journée.
Assurément, qui ne désire pas être édifié par les livres qu'il lit, ne jouissant que de s'en tenir à une si commode position esthétique, refuge des paresseux et des trouillards, froncera les sourcils en lisant ces lignes, mais il n'en reste pas moins que le livre de celui que le poète anglais T. S. Eliot qualifia en 1937 de great man a pu influencer profondément quelques belles âmes, dont celles qui animèrent le mouvement de La Rose blanche, Hans et Sophie Scholl.
Bien des thèmes de ce Journal, si riche de matière et de profondeur, pourraient être évoqués, qu'il s'agisse de sa forme parfois dialogique, Theodor Haecker s'inventant un contradicteur idéal, ou encore de son évidente admiration pour Sören Kierkegaard (cf. pp. 133, 140, etc.) et John Henry Newmann, tous deux possédant, comme Dostoïevski aussi, «l'esprit prophétique» (p. 196), sans compter ses nombreuses spéculations sur l'Enfer (cf. pp. 27), l’Église ou le Christ (cf. p. 31), les plus hauts mystères de la foi comme la souffrance (cf. p. 38), mais nous n'évoquerons ici que sa critique pour le moins féroce de la stupidité et de la barbarie nazies, via l'attention portée aux discours nazis, ainsi que sa volonté, constante, de lire les événements qui se produisent sous ses yeux sous le seul prisme d'une lute grandiose entre Dieu et son Adversaire. Ainsi, à bon droit, Theodor Haecker peut-être être nommé un «hiérarchiste» par opposition à l'anarchiste (cf. p. 232), qui confond tout et réduit toutes les réalités à un même morne plan. D'ailleurs, nous ne sommes pas franchement étonnés de constater que l'auteur fait de Hitler un «Nietzsche-Wagner plébéianisé au-delà de toute mesure (c'est-à-dire à l'allemande, avec mélange de tzigane)», puisqu'il a «toujours affirmé l'étroite parenté de ces deux esprits anarchiques», cette parenté se trouvant «maintenant attestée par la concrétion des deux en une personne de volonté et d'action» (p. 102, l'auteur souligne).
Comme d'autres, je songe ainsi à Victor Klemperer ou au tonitruant Karl Kraus, c'est en évoquant le maître du langage dévoyé des brutes que Theodor Haecker concentre sa colère : «Aujourd'hui, à la T.S.F., une étoile est tombée du firmament de la langue allemande : Leurs yeux se sont dessillés... et remplis de larmes. Mon Dieu, les yeux dès longtemps dessillés avaient bien de quoi s'emplir de larmes le jour où l'on sombra dans le bourbier d'infamie d'un robot politique tenant du baryton et du mensonge» (p. 10) (2).
Ce propos date du 9 décembre 1939, mais il sera bien des fois répété par son auteur, qui semble éprouver quelque espèce de fascination, quoi qu'il en dise, à écouter le verbe hystérique de Hitler, les actes des Nazis étant d'ailleurs appréhendés sous la catégorie kierkegaardienne du soudain (cf. p. 40), bien capable après tout de sidérer l'esprit le plus averti.
Du reste, évoquer la voix criarde de Hitler, c'est presque toujours retrouver la figure si haute en couleurs de Karl Kraus, dans l'un de ces passages où l'auteur dialogue avec lui-même : «Mon ami, à qui donc (ils sont si peu nombreux) le don de déchiffrer les voix a-t-il été accordé ? (Karl Kraus le possédait éminemment.) Et reste à savoir s'il est accordé aux historiens. Ne le surestime pas. A l'heure actuelle, un tel don ne semble pas être fort répandu. Sinon, comment tout cela aurait-il pu arriver ? Sans doute, mais il se peut et il arrivera que la maladie qui, reposant sur la dislocation de l'ordre hiérarchique, fut le terrain favorable à la genèse et au succès et à la méconnaissance de ces voix, – il se peut, dis-je, et il arrivera que cette maladie spécifique disparaisse (pour faire place à une autre, probablement), et alors tout à coup tous les hommes (les historiens aussi, par conséquent) entendront l'effroyable maladie et abjection de ces voix, leur vacuité et leur possession – il n'y a pas contradiction, – la stupidité et le mutisme spirituels dans le masque du hurlement. Crois-moi conclut Haecker ce très riche passage, c'est un acte de la Providence que de nous avoir donné le disque et la cire» (pp. 50-1, l'auteur souligne) (3).
Kraus encore, indirectement présent dans le texte de Haecker, lorsque ce dernier écrit des propos qui auraient pu parfaitement venir sous la plume acerbe du Grogneur (4) : «Il s'est révélé que précisément la phrase, qui en elle-même passait pour innocente, peut susciter les forfaits et les crimes les plus gigantesques, les soutenir et les perpétuer» (p. 60).
Les voix des lémures ne peuvent être celles par lesquelles un saint Pierre, un saint Ambroise, un saint Augustin ou un Newmann se sont exprimés, car il est inconcevable d'imaginer de tels esprits avoir parlé «comme ça leur venait» (p. 52), les voix des lémures, ce que l'auteur appelle la «voix de l’Émetteur allemand n'est pas seulement au sens objectif du mot inhumaine : elle est un persiflage de la vie surnaturelle et du Dieu trinitaire» (p. 65) (5). D'ailleurs, l'auteur ne déclare-t-il pas qu'il est épouvanté chaque fois qu'il entend «les voix des Allemands [qui] trahissent tout, elles crient de par elles-mêmes» (p. 130), ajoutant qu'aucune époque autant que la sienne n'a aimé à ce point les hurlements (cf. p. 132) ?
Seul dans la nuit, Theodor Haecker, qui est l'un de ces rares esprits «qui recherchent dans un mot combien de vérité il renferme» (p. 121), qui se lamente de ne plus lire que des «courtes phrases de la prose à la mode [...] qui ressemblent à des plants», alors que plus personne n'écrit de phrases qui soient «comme un arbre» (p. 169), accomplit l'office de vigie dont parlait Sainte-Beuve, et la dénonciation du verbe en toc des imposteurs (6) ne peut s'accompagner que d'une méditation admirable sur les ressources et les pouvoirs d'un langage servant le bien, la beauté, la grandeur : «C'est par là que cela commence. Quand les hommes ne craignent plus de dire quelque chose de faux, il ne faut pas longtemps pour qu'ils ne craignent plus de faire quelque chose d'injuste» (p. 103) ou bien encore : «La langue est à la fois excès et insuffisance. Celui qui le sait et peut le dire de telle manière que, d'une même haleine, il apprécie aussi bien cet excès qu'il trahit cette insuffisance, et que là où il déplore cette insuffisance, il fait également transparaître cet excès, – celui-là seul est digne de parler de la langue» (p. 109). Theodor Haecker pousse loin cette éthique de l'écriture, et cela d'autant plus que son Journal n'est pas, du moins dans l'immédiat, destiné à être lu pour d'autres yeux que les siens : «Si je mets par écrit un propos dont je sais fort bien qu'il est valable pour moi, et qu'il donne une impression de suffisance, on exerce une action dangereusement aberrante sur ceux pour qui il n'est justement pas valable et qu'il peut égarer, alors je ne dois pas le mettre par écrit, mais le laisser comme un secret entre Dieu et mon âme» (p. 134). Plus loin, voici un propos magnifique, daté du 13 février 1941 : «J'écris maintenant presque chaque nuit. Au moment où, précisément, je ne sais pas pourquoi ou pour qui. Sinon : pour mon enseignement et pour moi. En ce moment où j'ai trop de peine à lire, le seul moyen que j'aie d'apprendre du nouveau est d'écrire pour moi-même. J'en viens à connaître des choses que je ne savais pas encore; j'acquiers des connaissances qui par la seule réflexion n'eussent pas été saisissables : il y fallait l'écriture. Donc j'écris pour moi et pour mon propre enseignement» (p. 174).
Il est bien certain, du reste, que celui-là ne se contemple pas à longueur de journée devant un miroir, mais qu'il se place bien au contraire sous la seule protection valable, celle de Dieu (cf. p. 236), qui écrit : «Ainsi sont mes nuits : au début, tout est aride et sec, et nulle goutte d'eau ne semble devoir jamais plus ranimer ma langue. Puis, jaillit on ne sait d'où un ruisselet, et bientôt de grandes eaux se mettent à bruire, et la coupe ne suffit pas à les contenir» (p. 157). Il est tout aussi certain que Theodor Haecker se fait, de son rôle d'écrivain, une idée qui n'est absolument plus comprise, et comment le serait-elle, puisqu'elle est fondamentalement éthique, religieuse, intransigeante : «Si l'on est responsable de chaque mot inutile que l'on a prononcé, combien plus l'est-on pour chaque mot que l'on a écrit ! Il n'est pas d'autre mot qui me donne à ce point le sentiment d'être placé par Dieu sous une loi impossible à satisfaire. Pour aucun autre mot je n'estime la réaction de l'homme aussi indiquée : dès lors, l'homme n'a plus qu'à se pétrifier, il ne saurait plus dire quoi que ce fût, il doit se taire. Mais le Christ répondra : avec Dieu, cela même est possible. Soit de ne plus prononcer de mot inutile. Un saint, par conséquent, ne proférera plus de mot inutile» (p. 187).
Cette profondeur du silence qui est celui de la méditation et de l'adoration, autre façon d'affirmer que la parole ne doit pas être gâchée, est illustrée par un propos admirable de Theodor Haecker : «Ne pas accorder à un homme le mot dont il est affamé, alors qu'on pourrait le lui donner, témoigne d'un manque d'amour, d'une dureté aussi grave que de refuser à un affamé le morceau de pain qu'on pourrait lui donner. Mais ne pouvoir donner ce mot à un homme parce qu'on ne possède pas ce mot, c'est une torture qui égale celle d'une mère qui ne peut donner au nourrisson mourant le lait qui le sauverait, parce qu'elle n'en a plus dans ses pauvres seins» (p. 199).
La seconde thématique que nous choisissons d'illustrer, concerne, je l'ai dit, la lutte entre les forces du bien et celles du mal, commode grille de lecture des événements pour celui qui affirme, sans l'ombre d'une ironie que, pour «pour qui écrit l'histoire des jours actuels, la connaissance la plus nécessaire, à côté de sa spécialité, est celle du catéchisme, à quoi il faut peut-être adjoindre la psychologie de la criminalité» (p. 125) et, Haecker oublie de le noter mais y pense sans cesse, la démonologie, puisque l'empire nazi est, d'abord, une parodie, tout comme le Dieu allemand est une parodie (cf. p. 155) (7) : «Qu'est-ce donc que cet infernal simulacre de vie ? Œuvres de charité sans la charité, œuvres de lumière sans lumière ! Haine et ténèbres pour insignes de la charité et de la lumière. Quelle infernale chimérie ! On dit la vérité pour mentir !» (p. 128). Il est tout aussi clair que cette thématique est liée à la précédente, Haecker s'inscrivant dans une très ancienne tradition qui fait de Satan le Maître d'une parole mensongère, seulement capable de singer celle du Christ : «C'est terrible qu'une chose aussi éphémère que la voix humaine soit destinée à révéler la corruption et malédiction d'un peuple avec plus de clarté et d'évidence que ne font ses actes» (p. 135).
Theodor Haecker n'est jamais plus clair que lorsqu'il se fait le spectateur d'une lutte invisible, dont les opérations ici-bas ne sont que la traduction grossièrement matérielle : «Si, à l'intérieur d'un ordre chrétien, c'étaient simplement les Allemands qui devaient supplanter les Anglais dans ce qu'on appelle l'hégémonie universelle – qu'importerait-il ? Pour un être pensant, il ne vaudrait guère la peine d'y gaspiller peine et travail, et toute une somme de réflexion. Mais il s'agit là, de toute évidence, d'une cause qui concerne le Christ et l'Antéchrist» (p. 163, l'auteur souligne), tout comme c'est la chrétienté qui est victime d'une «apostasie élevée à la deuxième puissance, si nous prenons 1789 pour celle de la première puissance» (p. 183), un tel mode de déchiffrement des événements ne pouvant comme il se doit que heurter frontalement les apôtres de la Révolution française.
La pensée de Theodor Haecker confine à une vision métaphysique grandiose, digne de celle de Léon Bloy, surtout lorsqu'il évoque la destinée du peuple élu, persécuté sous ses yeux : «On annonçait aujourd'hui qu'à partir du 19 septembre [nous sommes le 13 septembre 1941], tout Juif sera tenu de porter une étoile jaune sur le côté gauche de son vêtement, – l'étoile de David, le grand roi, de la race duquel est né selon la chair le Fils de l'homme, Jésus-Christ, la deuxième Personne de la Trinité. Le temps pourrait venir où les Allemands à l'étranger auront à porter sur le côté gauche de leur vêtement extérieur une croix gammée, le signe de l'Antéchrist. Par leur persécution des Juifs, les Allemands se rapprochent de plus en plus des Juifs et du destin des Juifs. Ne crucifient-ils pas en ce moment le Christ pour la seconde fois, en tant que peuple ? N'est-il pas vraisemblable qu'ils auront dès lors à subir les mêmes conséquences ?» (p. 199, l'auteur souligne).
La question, aussi scandaleuse qu'elle puisse paraître qui fonde une identité spéculaire entre bourreaux et victimes, élection et anti-élection que retrouvera George Steiner dans son Transport de A. H. qui choqua ses premiers lecteurs, n'est pas seulement de pure forme car, nous l'avons vu, les moments de doute ont été nombreux durant ces nuits où il s'agissait en somme de veiller pour ceux qui dormaient, et même pour ceux qui, inquiets ou torturés dans un cachot, ne pouvaient dormir. Mais triomphe pourtant la bouleversante certitude, comme une petite flamme dansant, fragile, dans les ténèbres : «Dans la plus grande notoriété Dieu agit en secret, et sans tromper, il trompe ses ennemis» (p. 239).

Notes
(1) Tang und Nachtbücher sous son titre original, Le Livre des jours et des nuits. Journal de nuit et de jour 1939-1945 sous son titre français, a été publié en 1951 par Plon dans la collection L'épi. La traduction est due à Blaise Briod. Les pages entre parenthèses renvoient à cette édition, de toute façon la seule disponible en France. Ici, la page 3 de la Préface.
(2) Par deux fois, le texte indique «desillé».
(3) «Mais le futur historiographe, grâce au disque, détient une source de premier ordre pour l'histoire européenne d'aujourd'hui, alors que jadis seul l'historien contemporain disposait de cette source lorsqu'il pouvait entendre lui-même les acteurs de l'histoire» (p. 56, l'auteur souligne).
(4) Nous apprenons d'ailleurs que les deux auteurs se sont rencontrés, cf. p. 62 !
(5) Il vaudrait la peine de relever les expressions et les termes par lesquels Theodor Haecker évoque le langage, la voix aussi et la radio qui la porte, la «voix du speaker» (p. 86), ce dernier étant considéré comme un révélateur politique, voire religieux (cf. p. 244), la voix des Nazis et de leur Maître, pour les comparer au vocabulaire d'Armand Robin dans La Fausse Parole.
(6) «Les tyrans doivent souhaiter une langue et une littérature faciles à comprendre, car rien ne débilite plus la pensée, et il leur faut une pensée débilitée qui est le plus vigoureux soutien de leur puissance. Si l'idéal et le mot d'ordre sont : écrire de manière à être facilement compris, tout individu qui écrit en une langue difficile à comprendre est eo ipso suspect» (p. 116).
(7) Toute démonologie est, d'abord, une étude de la parodie ou «singerie», écrit Haecker (p. 184) des formes, des actions et du langage qu'opère le diabolique : «il peut arriver, et cela de façon entièrement distincte, que des choses naturelles, irrémédiablement faussées et brouillées, soient, par une «révolution», réintégrées en partie dans un ordre naturel, et que, en même temps, le rapport avec Dieu, la relation naturelle aussi bien que surnaturellement révélée, soient radicalement et diaboliquement renversées» (p. 167). Theodor Haecker évoque directement le diable, dans un passage pour le moins explicite : «Le diable peut faire bien plus, dans sa sinistre bouffonnerie. On ne saurait douter de nos jours qu'il existe un simulacrum diabolicum des martyrs pour la domination du Malin. Ils ont d'horribles serments pour adjurer les esprits de ces morts de ressusciter, de prendre possession des vivants, de flamboyer dans leurs regards, de hurler dans leurs chants, de décupler leurs forces» (pp. 181-2). Les critiques de Theodor Haecker sont aussi particulièrement féroces contre ce qu'il nomme la «religion allemande du Bon Dieu» (p. 170), et qui n'est à ses yeux qu'une parodie minable de la vraie religion : «La religion allemande du Bon Dieu proclame un Dieu qui n'est assurément pas le Père de Jésus-Christ et dont le Saint-Esprit ne procède assurément pas. Et c'est pour cela qu'il n'est pas non plus Dieu» (p. 185). Il est également étonnant de constater que Theodor Haecker parle, comme Max Picard, de fuite devant Dieu (cf. p. 231).