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23/03/2017

Orpaillages, ou les tribulations héroïcomiques d'un manuscrit de critiques littéraires en France, phare universel de la littérature parisienne

Photographie (détail) de Juan Asensio.

Le péché premier : Les Infréquentables évacués par le siphon du bidet, ou presque, avec les éditions Théo Glaire.

Ce n'est pas la première fois, et ce ne sera sans doute pas la dernière, que j'éprouve des difficultés à faire publier un de mes manuscrits. C'est bien normal, car je n'ai ni l'intégrité d'Éric Naulleau, ni la verve de Pierre Jourde, surtout pas la discrète érudition de Jean-Philippe Domecq, et absolument pas le talent de Yann Moix ou la grâce minaudière et délicate de Cécile Coulon. Je ne dis rien de tout ce qui me sépare de Pierre Assouline, monument d'intelligence littéraire et critique, charme d'homme qui n'est hélas absolument pas assez publié par Gallimard, ce génial lecteur devant se contenter d'un modeste blog évidemment sous-dimensionné à l'aune de son stratosphérique talent.
Voici quelques années, le visqueux Théo Glaire, secondé par le femmelin aussi répugnant que poudré à prétentions littéraires Florian Turgesco, m'assura que, sur la place parisienne, il était le seul et unique éditeur (il n'hésita même pas sur ce mot et le prononça fièrement, le lançant même comme un défi : éditeur !) capable de publier le brûlot consacré à plusieurs figures d'infréquentables, le livre devant faire suite à une série publiée en revue qui connut un certain succès, d'estime sinon de librairie, sous la houlette d'un Auvergnat connu pour faire bosser des rédacteurs sans jamais les rémunérer. Bien évidemment, contrairement aux assurances melliflues qui me furent alors données confortant ma tranquille et même, disons-le, naïve assurance, ce livre ne vit jamais le jour, ni chez les éditions Théo Glaire, ni même chez celles du pitre public Gilles Couenne-Hallal, sorte de parrain à la mode parisienne se vantant de connaître la terre entière, la connaissant effectivement car la mondanité et l'immonde partagent une même racine étymologique, et dont la résidence d'été, corse m'apprit-il avec un clin d’œil, est voisine de celle du bavard Théo Glaire et enfin qui, pour cette raison d'un honneur aussi ombrageux qu'un ancien chef de clan de l'île de Beauté, se mit à tout prix à vouloir m'éditer, et ainsi faire la nique à son voisin de palier. Gilles dit Gilou le Fou reprit sa couenne, son cigare, ramassa la petite culotte, de peur que sa femme, elle-même éditrice, ne la découvre, petite culotte qu'un de ses propres auteurs avait par mégarde oublié de cacher alors qu'il était hébergé chez celui qui était, alors mais cela a peut-être changé en raison de ladite petite culotte finalement oubliée, son éditeur.
Infréquentable en tout cas, mon livre l'était à plus d'un titre, puisqu'il se proposait de réunir une galerie de salauds littéraires, de droite comme de gauche, un projet que l'excellent Bruno de Cessole parvint, lui, à concrétiser chez l'insignifiant Éditeur (insignifiant du moins il y a quelques années, lorsqu'il était cornaqué par le vague célinien Virgile Larbi*), en écrivant deux beaux tomes de figures plus ou moins honnies mais toutes libres et réfractaires de méchants hommes. Récemment, j'ai évoqué ce projet auprès d'un éditeur dont, par prudence et superstition, je tairai le nom, mais je ne doute guère du résultat final, résidant dans le fait qu'il n'y aura justement aucun résultat.

On monte en grade, et on complète sa bibliothèque gréco-latine, avec les éditions des Belles Blettes.

Je suis un homme qui jamais ne renonce, et c'est sans doute cette noble qualité qui fit fondre le cœur réputé aussi imprenable que le coffre-fort d'un gobelin d'Angela Mythos (attention, prononcez Mûthos, à la grecque), plaisant état dont je tirai un noble et désintéressé parti puisque j'achalandai conséquemment ma bibliothèque en titres tous plus intéressants les uns que les autres de Tite-Live et Cicéron, allant même jusqu'à faire montre d'un sidérant sans-gêne en me gardant sous le coude un Théophraste. En effet, Angela officiait, non sans talent, aux prestigieuses Belles Blettes, dont je recevais donc à peu près tout ce que je désirais, parfois même ce que je ne désirais point, comme un épais volume de Quinte-Curce et un non moins volumineux bouquet de fleurs pour un de mes lointains anniversaires. Les femmes ont de ces délicates attentions, immédiatement balayées lorsque l'élu d'un temps devient le honni de celui qui le suit : la lecture d'une seule page ne sépare généralement pas ces deux moments systématiquement ajointés l'un à l'autre. Quoi qu'il en soit, je parvins à rencontrer le staff dirigeant de cet éditeur, que j'entretins de divers projets, dont celui bien sûr des infréquentables, mais aussi d'un travail ambitieux consacré à la postérité littéraire de Cœur des ténèbres de Joseph Conrad. J'évoquai aussi auprès de l'augure commerciale ma volonté de rééditer mon essai sur l’œuvre de George Steiner. Bref, il y avait matière à travailler ensemble. Je crois avoir même mentionné le titre qui va dorénavant nous occuper, Orpaillages, c'est donc dire comme ce projet est ancien, recueil de mes études que je considère comme étant les meilleures, à l'exclusion de textes franchement déplaisants ou même carrément acrimonieux, selon les andouilles écouillées qui aujourd'hui bouchent à l'émeri de leur moraline la moindre fissure aux murs de la forteresse éditorialo-journalistique française. Il me fut répondu à peu près ceci, lors de mon entretien avec les plus hautes sphères des Belles Blettes : «Cher Monsieur, tout cela est fort intéressant mais ne pourriez-vous pas, plutôt, nous écrire une espèce de dictionnaire amoureux de la littérature nord-américaine ?» Ma réponse fut aussi brève que sont longues les déplorations d'Ovide : «Non Madame, car je n'en ai ni le goût ni la compétence, mais je puis tenter de m'atteler à un Précis de littérature érotique néo-zélandaise si vous y tenez vraiment». Cette réponse, pourtant fort mesurée, fut sans doute mal reçue, et je fus au regret de constater, parallèlement à ces mésaventures somme toute banales, la consomption rapide de l'amour immodéré que me portait Angela Mythos, marcescibilité hystérique qui se traduisit par un service de presse désormais plus relâché, et à l'évidence beaucoup moins fleuri. Je poussai ma foi un soupir de soulagement, car j'étais allergique aux fleurs et à l'amour expédiés tous deux par quintaux, et versai une larme bien réelle, en revanche, en constatant le tarissement puis l'assèchement total des livres gracieusement envoyés par l'éditeur.

Le manuscrit s'égare à la campagne, où travaillent, fiers et solitaires, les mains dans le purin, loin du vacarme marchand de la ville vendue, Paris aussi sale que la Putain de Babylone, les modestes travailleurs des éditions du Blérot. Détour, aussi, par les éditions du Rabot Libre

Je sais bien que le terme exact est blaireau mais que voulez-vous, cette orthographe pour le moins suspecte est après tout censée donner une image, fût-elle vague, du travail, entre modernité et tradition, que s'honorent de poursuivre, contre vents et marées, les périurbaines éditions du Blérot, dirigées par Michel Pierre. Beau travail, du reste, en tant qu'éditeur et imprimeur, qui jamais n'aura cédé aux sirènes envoûtantes des offices et des officines, pratiquant donc des ventes en compte ferme sans autorisation de retour, refusant catégoriquement, avec un panache doncquichottesque qui ne pouvait que me ravir, la gabegie des livres rognés trois faces avec un code à commerçantes barres. En plus de ces qualités devenues désormais rares, Michel Pierre me fit plus d'une fois part de son attention admirative pour ma méthodique exploration de la Zone. C'est donc tout naturellement que je luis transmis mon fort volume de critiques littéraires, Orpaillages les bien nommées, que ce courageux éditeur voulut bien publier, et ne publia jamais, pour des raisons qui, sensées, ne tenaient toutefois pas la route et démontraient même une typique mauvaise foi de paysan. Voici quelques extraits de l'antienne plaintive que poussa notre rossignol ayant fait son nid sur une girouette : «Nous n'avons que peu de visibilité» : «Ce n'est pas grave, car j'en ai», leur répondis-je. «Nous avons peu de moyens de défendre votre livre, et nous ne pourrons pas le tirer à plus de 500 exemplaires» : «Qu'à cela ne tienne, cher Monsieur, je le défendrai moi-même». «Nous n'avons que très peu de service de presse» : «Et alors, aucun de mes éditeurs n'en avait beaucoup plus que vous qui en avez très peu, et de toute façon je m'en chargerai !». «Nous risquons de mettre en péril le fragile équilibre économique sur lequel repose notre modeste maison», me fut-il encore objecté : «Ne vous inquiétez donc pas, je puis faire appel à une souscription sur Internet, je suis certain que je réunirai la somme tout de même modeste pour que ce gros livre ne vous coûte que quelques euros, voire centimes d'euros de fabrication !». «Oui mais non, en fait car, quels que soient les arguments que vous aurez raison de nous opposer, nous vous avons dit oui, et maintenant, nous vous disons non, et c'est ainsi, et veuillez nous laisser libre de rêver nos beaux livres bio comme nous l'entendons, et de les faire pousser au bon fumier célinien». Je crois que cette liberté, je la leur avais d'emblée accordée, car j'aime les cultures qui sentent la merde bien fraîche, gage de saine traçabilité de nos produits de terroir.
Moches couvertures, d'abord, c'est ce qui saute aux yeux, des livres de l'éditeur se prétendant intéressant, le Rabot Libre, de Jules-Renard Jolliesse. Cela tombe mal, car première et quatrième de couverture ne sont absolument pas négociables selon Jolliesse, qui me promet une «rude bataille, âpre, méchante, sanguinaire», car il aime plutôt se coltiner «au corps à corps avec un auteur», «chacun ayant bien entendu le droit au dernier mot», «l'auteur en ce qui concerne son texte», «l'éditeur pour ce qui est de l'éditer ou pas». Joliesse, ça se lit immédiatement, ne plaisante pas même s'il aligne d'incroyables poncifs qui n'engagent que celles et ceux qui y croient et, pour montrer qu'il ne plaisante pas, il segmente définitivement par un point breton (inamovible comme un menhir) chacun de ces différents membres de phrase. C'est Jules-Renard Joliesse qui a pris bravachement contact avec moi, alléché par la recommandation d'une de ses auteuses, Sybille Delaflandre. Nous étions alors au mois de décembre 2015 et, outre ces échanges électroniques, nous avons dû nous parler une fois (mais je n'en suis plus très certain) puis... puis plus rien du tout, jusqu'à ce que je demande des nouvelles à Jules-Renard, au mois de mai 2016, et qu'il me réponde, comble de l'originalité encore, en me remerciant de l'avoir relancé car, m'assurait-il, il allait se proposer justement de me contacter, phrase improbable selon ses propres termes qu'il pensait que je ne pouvais pas croire, et, ma foi, il avait raison, car je ne l'ai absolument pas cru. Suivent une bonne trentaine d'échanges pour fixer une heure de conversation téléphonique, agréable au possible quoique insignifiante puis... puis plus rien jusqu'à ce que j'écrive quelques mots à Jolliesse, que voici : «2017. Qui sait, peut-être finirons-nous par prendre ce verre, même si j'en doute désormais fort», message aimable de début d'année auquel notre procrastinateur impénitent me répondit qu'il ne fallait douter de rien car, comme il m'en assura, il voulait faire un «truc» avec moi, lequel, je ne sais pas, apparemment pas un livre puis... puis plus rien jusqu'à ce que, à la suite de la note que vous lisez et dont la première version ne contenait pas ces dernières lignes, Jolliesse me contacte de nouveau, me disant qu'on lui avait signalé mon article (encore Delaflandre ?) qu'il avait lu avec intérêt, notant, apparemment pour m'en remercier, qu'il avait bien constaté que je l'y ménageais, formule étrange voire sotte puisque, à vrai dire, je n'y parlais absolument pas de lui ou de ses éditions, pour la simple et bonne raison que j'avais complètement oublié les deux, et même Delaflandre. J'espère avoir de la sorte réparé cet oubli coupable car, en matière de je-m'en-foutisme et de belles phrases creuses, il faut être absolument rigoureux, et rendre à César Procrastinateur ce qui lui appartient : beaucoup de mots pour ne rien dire, encore moins faire, cela va de soi.

Après sa descente dans l'enfer vert de la France rurale, le manuscrit maudit remonte à la capitale, où il est en partie lu par Jules-Édouard Labarbotine, tout de même !

Avant d'oser l'envoyer à l'intransigeant Labarbotine, écrivain puissant ayant publié quelques magistraux romans oubliés aussitôt que parus, il m'a fallu m'armer de courage, et commencer par un galop d'essai en adressant mon manuscrit monstrueux à Pierrick Migne, qui envisagea jadis de publier mon essai sur George Steiner, puis qui refusa mollement, avançant de fort improbables raisons juridiques. Ce ne fut point Migne qui me répondit, mais une vague scribouillarde d'un tout aussi vague service des très renommées éditions Babillard, qui passeront à la postérité pour avoir édité Paul de Paillasson en Péliade, et cette réponse, bien sûr, fut polie quoique négative.
Avant de revenir au consécrateur du sublime Paul de Paillasson, je dois avouer que je fis un détour par l'éditeur Floque en la personne de José Villebonne qui, possédant un trésor littéraire avec les grands romans de Robert Penn Warren, refuse néanmoins de les rééditer, ne serait-ce qu'à l'identique, depuis les années 50, procédant même à un déstockage de ces barbares romans approchant pour la plupart les 1 000 pages illisibles. Passons car le réponse fut négative, je le suppose du moins, puisque jamais à vrai dire je ne reçus de réponse, malgré le fait d'avoir adressé à l'intéressé un exemplaire imprimé et non électronique, comme cela me fut instamment demandé, preuve du plus grand sérieux de la part des directeurs littéraires, qui ne lisent donc, quand ils lisent, que des textes imprimés sur du beau papier.
Revenons à Labarbotine, auquel je rendrai une reconnaissance éternelle, soyez-en certain, puisque ce fut l'un des rares à me répondre au moyen de phrases point assemblées machinalement pour proposer quelque réponse-type. Après m'avoir assuré qu'il avait lu une bonne partie de mon volume, notant que les sujets étaient intéressants puisque je proposais une promenade dans la compagnie d’auteurs majeurs et parfois d’écrivains méconnus qui méritaient sans doute d’être signalés à l’époque oublieuse ou distraite qui est la nôtre, après avoir, qui plus est, concédé qu'il y avait souvent pris plaisir et intérêt, vint la décision finale, tenant en une explication ma foi point sotte. En effet, si mes textes paraissaient à l'intéressé avoir leur place un par un dans une revue, dans un blog, etc., leur assemblage en volume était malheureusement une tout autre affaire, et même une affaire impossible à envisager – en tout cas chez son éditeur. La raison en était fort simple à ses yeux, et, du coup, aux miens lisant son explication sensée, puisque ce type de livre ne pouvait par essence remporter les faveurs des lecteurs ni des libraires, même lorsque l’auteur était une personnalité connue, ce qui n'était évidemment pas mon cas à Dieu ne plaise. Cependant, concédait Labarbotine, ce handicap eût été surmontable s'il s'était senti totalement enthousiaste, convaincu que mes études avaient un caractère novateur, unique, irremplaçable, ce qui n'était visiblement pas le cas une fois de plus car, en effet, si elles étaient incontestablement solides, intelligentes, bien documentées et personnelles, il ne se sentait néanmoins pas assez emporté par mes études pour tenter de convaincre le comité de lecture et même le grand patron lui-même, Sidoine Cassolard, de la nécessité de leur publication dans la collection Planche. Cette accorte réponse fut frappée au coin de la plus excessive délicatesse, Labarbotine m'engageant à ne pas blâmer sa franchise.
Bien loin de blâmer cette dernière, j'en louai au contraire l'usage devenu rare, et lui répondis de la sorte (lettre depuis corrigée d'une petite erreur, bien compréhensible puisque j'étais alors aveuglé par ma volonté de convaincre, et donc tout pressé de ravir la décision labarbotinienne) :
«Cher Jules-Édouard Labarbotine,
merci pour votre réponse, franche, comme il se doit !
J'espère que vous ne m'en voudrez pas, à votre tour, de ma franchise : je suis en effet pour le moins étonné, non pas que vous me répondiez que ce genre-là, en effet, est pour le moins difficile à vendre, ce que je sais parfaitement, considérant en outre qu'il est possible, comme vous avez eu raison de le préciser, que cette difficulté ne soit ou ne fût pas insurmontable, mais par votre appréciation du caractère point si novateur que cela de mes critiques.
Cher Monsieur, j'ai beau chercher à droite, à gauche et même au centre, je ne vois absolument rien de comparable à ce genre de travail. Je dis bien : rien.
Si ! Alphabets, de l'excellent Claudio Magris (dont j'ai évoqué le magistral Danube sur mon blog) et qui, je ne vous apprends rien, a été édité chez Cassolard (collection Le Marcheur). Or, il se trouve que l'auteur, certes plus connu que moi, a réuni là un ensemble de (bonnes) critiques parues précédemment dans des revues. Bonnes, mais point si originales que cela, et ne présentant donc pas, pour reprendre vos termes, un caractère novateur, unique, irremplaçable»,
etc.
Recevant cette réponse, l'intéressé décida de transmettre mon précieux manuscrit à un certain Albéric Esclandre, qui jamais ne me donna la moindre nouvelle.

Toutes dernières tribulations du manuscrit impubliable et impublié : dans l'enfer des éditions du Père, dirigées par le cost killer Pierre-Marie Calsonetto.

C'est bien près de connaître le peu enviable état de désespoir selon Kierkegaard que, fatigué, sur le point de renoncer et de jeter mon manuscrit électronique dans la poubelle de mon ordinateur, j'ai songé à m'adresser à celui qui a créé la collection Bêta, récemment baptisée, allez savoir pour quelle raison, Macédoines (le s est important, je vous prie de le noter). Lorsque la collection s'appelait encore Bêta, mon manuscrit me fut sèchement refusé, alors même que, devenue Macédoines, sa directrice, apparemment nouvelle, l'accepta, me proposant d'y publier mon texte, tout en me rappelant quelques plaisantes caractéristiques de ladite collection, réunissant les éléments de langage du plus franc couillonnage. Qu'on en juge : «Père Macédoines propose des solutions alternatives au circuit traditionnel du livre, il s’agit d’impression à la demande. Le but est d’offrir une diffusion efficace de l’intelligence et de la foi, à l’échelle nationale comme internationale, adaptée aux mutations de la librairie et aux nouveaux moyens technologiques. L’auteur s’engage et sur le plan financier à apporter une subvention aidant à la production du livre, et sur le plan éditorial, en mettant aux normes de la maison d’édition son manuscrit». Vous avez bien lu et, au cas où vous auriez mal lu, j'ai indiqué en italique les mots importants : il s'agit donc d'un compte d'auteur à peine déguisé, et même, pire que d'un compte d'auteur, car il existe des maisons d'édition qui, incapables d'offrir de meilleurs services que la collection Macédoines, à tout le moins ne vous obligent pas à payer pour faire éditer votre propre livre. La distribution, elle, est assurée par GPS, comme pour tous les ouvrages de la maison du Père, la diffusion étant à l’identique également (à savoir : achat possible sur les sites Amazon, Decitre, Chapitre, Fnac, Éd. du Père), à ceci près, point important à noter, que les libraires ont bien à leur catalogue les ouvrages Père Macédoines, mais ne les reçoivent pas à l’office, puisqu'il s'agit, vous l'aurez compris, du principe de l’impression à la demande. Enthousiasmé par des conditions aussi alléchantes, qui montrent véritablement que les éditions du Père, qui depuis quelques mois, sous l'impulsion bénéfique de Pierre-Marie Calsonetto, publient des textes minables (dont celui-ci, exécuté par un méchant bourreau critique) dont la lecture bienveillante exigerait, il faut bien le dire, l'aménité d'un saint, je demandai sans tarder de quelle somme je devais me délester pour publier mon propre texte : il me fut répondu 1 500 euros, somme pas même digne d'un don versé en fin de messe me direz-vous. Paris vaut bien une messe n'est-ce pas, et un livre une saignée financière, qui permettra aux éditions du Père de publier de mauvais livres journalistiques, il n'y avait pas à balancer une seconde ! Cette somme modique servirait à fabriquer mon livre (mais à la demande) ou plutôt, je le suppose, à confectionner le fort modeste service de presse, restreint à 10 exemplaires, sachant par ailleurs que c'est l’auteur, donc moi, qui devait fournir les titres des revues ou médias auxquels il souhaitait adresser un exemplaire. Résumons-nous : alors que j'ai publié un ouvrage, à une époque révolue, aux éditions du Père, alors que j'ai sans relâche travaillé pour alimenter ce blog depuis sa création en mars 2004, alors que j'ai fait mieux connaître ou même, immodestie que j'assume, fait découvrir plusieurs écrivains à des dizaines (je reste modeste une fois de plus) de lecteurs, alors que le manuscrit rassemblant ce que je considère être mes meilleures critiques représente lui-même un travail qui n'a aucun équivalent dans tout ce que j'ai pu lire (et que dire de tout ce qui est actuellement publié sous l'appellation de critique littéraire !), alors que ledit manuscrit eût dû être préfacé par tel éminent critique littéraire qui certes, après moult contorsions, finit par décliner ma fort honnête proposition, alors donc, pour aller vite, que je fais montre d'une ténacité inébranlable dans la défense et l'illustration des grands textes, ce sont 1 500 euros qui me sont demandés pour publier mon propre livre qui sera :
1) introuvable en librairie, à moins de dénicher un improbable mécène payant de sa propre poche la confection de plusieurs exemplaires qu'il mettra ensuite en vente, pour un résultat probablement nul dont il ne me tiendra jamais rigueur,
2) être uniquement imprimé à la demande, et dont la livraison pourra durer plusieurs semaines en passant par un site Internet marchand, plusieurs mois par une librairie classique, comme j'ai pu m'en assurer en commandant un des livres de cette collection, dont je tairai le nom de l'auteur pour ne point le mettre dans un embarras bien compréhensible,
3) vendu à un tarif proche de 40 euros (vu l'épaisseur dudit livre et sa très faible diffusion ou plutôt : sa diffusion quasiment inexistante), ce qui fera qu'il sera donc de nouveau invendable, comme le montrent sans ambiguïté les prix affichés pour les ouvrages de ladite collection sur le site des éditions du Père, titres que je n'ai jamais réussi à dénicher chez les plus compétents libraires parisiens,
4) étouffé dans un pieux silence et dont personne ne parlera, puisqu'il faut parfois arroser de plusieurs dizaines d'exemplaires les si piètres journalistes parisiens faisant paraît-il office de critique littéraire pour espérer obtenir, par chance et à condition d'avoir récité une bonne cinquantaine de neuvaines, un article de quelques lignes qui se contentera, si bien sûr vous avez songé à y indiquer les bons éléments de langage, de recopier la quatrième de couverture que vous aurez comme il se doit vous-même rédigée,
5) orphelin en quelque sorte, puisque je n'en serai même pas le père, ayant probablement dû abandonner les droits, vu que je l'ai payé de ma propre poche, ce livre dont j'aurai même fourni la photographie (au moins belle) illustrant la première de couverture, même si je ne suis point assuré de ce que j'affirme, étant donné que les conditions figurent au contrat, contrat que je n'ai pas reçu, et pour cause !
6) mort-né aussitôt que publié, alors même que ledit éditeur, mais aussi tous ceux auxquels j'ai pu m'adresser, publient sans la moindre honte de consternantes nullités, la palme devant toutefois être décernée aux éditions du Père, Pierre-Marie Calsonetto, par calcul purement commercial, pariant sur des béjaunes et des bécasses produisant des textes aussi vite oubliés que lus, comme, de Coralie Vachier pigiste pour Le Figaro, un précis anti-féministe fleurant bon la première communiante, ou de Léandre Barbotino, lui aussi pigiste pour Le Figaro (décidément, quelle remarquable, presque suspecte concentration de talents nous avons là !) quelques pages filandreuses et purement journalistiques censées nous dire ce que sont devenus les enfants du siècle depuis Musset.

Photographie de Juan Asensio.jpgEn guise de morale de cette histoire dont j'aurais pu sans peine multiplier les feuilletons à la trame lassante, et dont je n'ai proposé qu'une synthèse, je me demande s'il n'y aurait pas quelque chose de décidément pourri dans le monde éditorial français (au sens large : attachées de presse et médias confondus) contemporain : course à l'argent, prime à l'insignifiance et à l'inculture, népotisme, clientélisme, entreléchages divers et variés, triomphe de la réclame publicitaire et journalistique, renvois systématiques d'ascenseur, parcours du combattant, que dis-je, du condamné à mort auquel il n'est même pas proposé une dernière cigarette, pour celui qui n'appartient à aucun clan, qui n'est ni universitaire, ni journaliste, ni jeune auteur prometteur, ni pute écrivante ni soumise illettrée, ni rien de tout ce qui peut paraît-il garantir, à un éditeur, un prétendu retour sur investissement. Disons-le succinctement avec le grand Flaubert, qui a du moins connu le succès (relatif) de voir ses livres édités : «Rien ne m'a plus donné un absolu mépris du succès que de considérer à quel prix on l'obtient».
Il ne me reste donc plus, au Salon du Livre où je vais encore croiser tant de personnes que je n'ai pas envie de voir, où je vais encore constater que la plus petite merdicule est publiée avec tapage et fierté usurpée par l'un des innombrables, trop nombreux éditeurs français, ce pays où il importe plus d'être publié que de réussir sa mort, où je vais feuilleter, dégoûté, quelques livres parmi des centaines de titres qui jamais n'auraient dû être édités, où je vais entendre d'une seule oreille d'édifiantes conversations, il ne me reste donc plus qu'à aller faire un tour du côté du stand de l'auto-édition, dont la surface, ma foi, mais ce n'est sans doute qu'un hasard, grandit d'année en année, sans qu'il faille bien sûr tirer, de ce suspect agrandissement, un enseignement concernant la qualité, ou la non-qualité de ces livres dont les éditeurs ne veulent tout simplement plus.

* Réflexion faite et un œil (un seul) jeté sur son catalogue, cet éditeur éditorialisant qui est tout sauf un éditeur mais n'en reste pas moins un éditeur, ne vaut toujours rien.