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10/10/2021

Le Fils de Frankenstein de Rowland V. Lee, par Francis Moury


Résumé du scénario
FR3-2-Universal Pictures-Éléphant Films.jpgLe baron et médecin Wolf von Frankenstein, fils de Henrich, revient (bien des années après l’action des deux films précédents) avec sa femme et son jeune fils au château familial. Une population hostile et apeurée l’y attend ainsi qu'un inspecteur de police cérémonieux et méfiant sans oublier Igor, un criminel déterreur de cadavre autrefois condamné à la pendaison mais qui a survécu. Igor a pris soin de la créature qu’il garde au secret et qui est son amie. Elle rend visite au fils de Wolf, la nuit dans sa chambre, par un passage dérobé. Igor révèle la vérité à Wolf fasciné qui décide alors, à l’insu de son entourage, de soigner la créature tout en la tenant à l'écart de sa famille. Wolf réussit assez bien mais Igor, à son insu, ordonne à la créature d'assassiner les uns après les autres les anciens membres du jury qui l'avait condamné à mort. L’inspecteur dont le bras fut arraché par le monstre alors qu’il était enfant, est bientôt convaincu du retour de celui-ci tout comme il est persuadé que Wolf a suivi les traces maudites de son père. L'inspecteur va dorénavant s'attacher à enquêter tout en protégeant la famille Frankenstein des conséquences, qu'il sait inéluctables, de la malédiction qui pèse sur elle.

Critique
Remarquable variation, la plus longue de la trilogie classique karloffienne 1931-1935-1939 et celle qui fut aussi longtemps considérée comme étant la borne finale de l’âge d’or du cinéma fantastique américain dans son ensemble, toutes sociétés de production prises en comptes (la Universal mais aussi la Warner, la MGM, la Paramount, la RKO et les autres plus petites sociétés qui rivalisaient avec Universal dans ce genre depuis le succès du Dracula de 1931 mis en scène par Tod Browning), Le Fils de Frankenstein [Son of Frankenstein] (États-Unis, 1939) de Rowland V. Lee est d’une beauté plastique elle aussi souvent confondante et apporte d’intéressantes innovations mais aussi des régressions par rapport au film précédent.
La créature est redevenue muette alors qu’elle parlait en 1935. Karloff compose, certes, à nouveau une admirable créature mais cependant, de ce fait, plus monolithique et primitive que dans les deux films antérieurs où elle passait par une gamme d’aventures et d’émotions autrement complètes. Cette régression (peut-être rationnellement inspirée aux scénaristes par le fait que le cerveau de la créature a été inévitablement endommagé à la fin du film de 1935) est compensée par l'introduction d'un nouveau personnage haut en couleurs (il vaudrait mieux dire «haut en noir et blanc» puisque le film n'est pas en couleurs) : Igor le pendu maléfique, marginal, criminel joué par un Bela Lugosi au mieux de sa forme et dans un de ses meilleurs rôle. Basil Rathbone, pour sa part, s'avère si remarquable qu’il fait presque regretter qu’on ne lui ait pas d’emblée confié en 1931 et 1935 le rôle du père dont il joue le fils ! Il trouve l’équilibre dramaturgique idéal que Colin Clive rompait parfois : ce parfait gentleman, une fois identifié à son père, en retrouve régulièrement le lyrisme romantique, le génie démoniaque et créateur. Rathbone joue donc un jeu remarquable d’ambivalence et le joue tout du long avec la plus belle sincérité. Auprès de lui, son épouse insignifiante et son charmant bambin font assez pâle figure. En revanche, troisième grande idée de casting, Lionel Atwill est un extraordinaire inspecteur de police handicapé et inoubliable. Sa raideur autant que la qualité de son jeu dramatique évoquent celle de son contemporain Eric Von Stroheim.
La direction de la photographie, signée par George Robinson, utilise d’étonnants effets de profondeur de champs et dose ses éclairages, notamment les grands angles et les décadrages souvent influencés par le cinéma expressionniste allemand. Les décors épurés, conçus par Jack Otterson et Russel A. Gausman, sont souvent très beaux. La mise en scène de Rowland V. Lee est digne, par moments, de la poésie si authentiquement fantastique de son antérieur Zoo In Budapest [Révolte au zoo] (États-Unis, 1933) mais elle sait aussi exploiter la violence graphique dans les scènes de meurtres. La terreur et l’épouvante sont tantôt habilement préparées (le voyage en train et l’arrivée au château pendant l’orage, le récit du petit garçon à ses parents) tantôt plastiquement exprimées (la visite au laboratoire abandonné, la résurrection médicale du monstre, la fin). L'histoire compose désormais autant avec le mythe qu’avec une amorce de réflexion sur le mythe : le fils de Frankenstein fait remplacer l’inscription infamante gravée sur la tombe de son père («créateur de monstre») par une inscription nouvelle («créateur d'homme»), toute nietzschéenne autant que prométhéenne.
Parfois tenu pour inférieur au film de 1935 en raison d’un scénario plus linéaire, moins inspiré et moins grandiose, parfois tenu pour supérieur au film de 1931 du point de vue plastique, Le Fils de Frankenstein constitue, en tout état de cause, le troisième et dernier volet de la trilogie karloffienne (avec Karloff dans le rôle de la créature, s'entend) parlante de la Universal. Ce troisième volet est, assurément, équilibré : son classicisme synthétise les deux volets précédents, son intelligence annonce les passionnantes variations suivantes.

Source technique DVD + BRD : Coffret Frankenstein : the Legacy Collection (édition Universal, Paris 2004) + Collection Universal Cinéma Monster Club (édition Éléphant Films, Paris 2016).

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