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20/04/2004

L'Imbécile, Topo, La Sœur de l'Ange, Conférence

Heureusement qu’existent encore les revues, respiration essentielle (mais souffreteuse, chaotique et difficile, en un mot : fragile) d’une vie intellectuelle qui n’est pas encore inféodée au journalisme ou, plus prosaïquement, noyée dans un bidet de phrases sales. J’ai donc lu quelques articles (quelques-uns seulement, c’est mon droit) de deux revues, Topo et L’Imbécile. Cette dernière consacre à Nietzsche, le penseur indémodable de toutes les modes, y compris les plus ineptes, un dossier pour le moins inégal, dont le texte de Pascal Imaho consacré aux transpositions cinématographiques de la pensée nietzschéenne, m’a semblé le plus intéressant. Une bizarrerie toutefois, concernant l’interprétation d’un passage célèbre du film de Tarkovski, Stalker : comme d’ailleurs l’indique l’illustration choisie, ce n’est pas l’Ecrivain qui se recroqueville en position fœtale dans un cours d’eau (ou plutôt, une espèce de marécage à moitié asséché), mais bel et bien le passeur, c’est-à-dire le stalker, innocent touché par la grâce qui, lui, à la différence des deux autres personnages, est désespéré de constater le peu de foi qui anime les faits et gestes des hommes qui l’accompagnent et qui pensent que la Zone n’est rien d’autre qu’une vaste foire mystérieuse leur réservant d’agréables surprises. Quant au fait de prétendre, Pascal Imaho, que le chien noir est la « personnification » (ânerie monumentale : il s’agit d’une animalisation) du Malin, allons allons !, laissez donc ce symbolisme poussif aux rédactrices d’Elle… et regardez de nouveau le film de Tarkovski, puisque le chien, au contraire de vos affirmations, apparaît dans la Zone, d’où pourtant toute vie est exclue, puis suit le stalker et, d’une certaine façon, l’adopte. Les approximations me paraissent heureusement moins visibles dans le deuxième article d’Imaho, qui évoque bellement les films de Jarmush, Gallo et Yu Lik Wai, respectivement Coffee and Cigarettes, The Brown Bunny et All Tomorrow’s Parties. C’est à peu près tout ce qui m’a frappé dans ce numéro de L’Imbécile redivivus, hormis peut-être l’article de Frédéric Schiffter consacré au phénomène du fanatisme (qui pourtant jamais n’évoque cette évidence : aujourd’hui, le fanatisme est celui de certains musulmans). J’évoque rapidement le papier bizarre de Frédéric Pajak sur François Hollande (on hésite à parler de portrait doucement ironique ou de dénonciation feutrée s’accordant bien, après tout, avec l’insignifiance de l’homme politique croqué), celui de Florian Zeller sur Aznar (d’une écriture nulle qui accumule les poncifs et critiques d’arrière-comptoir à l’égard de l’ex-dirigeant espagnol) et, enfin, le meilleur des trois, l’article de Guy Protche sur Marc-Olivier Fogiel. Ah, non, j’allais oublier le texte très drôle de Philippe Muray sur le fléau du rire, récupérant (cette fois avec intelligence) les tics de langage (donc d’esprit) propres au petite peuple de gauche.
Voilà tout. C’est peu mais la tentative (ou plutôt sa redite) est intéressante à mon sens même si elle manque de maturité.
C’est ce même reproche que j’adresserai à Topo, le «mensuel de tous les livres» (le sous-titre fait déjà rire… et frémir), dont la dernière livraison est consacrée à la question de Dieu, plus précisément à celle du Christ et de ses représentations cinématographiques, littéraires et mystiques. J’établis une gradation là où les rédacteurs de Topo se contentent de juxtaposer des textes dans une mise en page capable d’infliger une migraine ophtalmique à un adepte du fauvisme. Les deux articles consacrés au polémique film de Mel Gibson sont ridicules et traduisent assez le parti-pris idéologique de la revue, dont Prieur et Mordillat sont les rédacteurs en chef invités (avant le grand philosophe Alain Souchon et après Bashung, Isabelle Carré et Josiane Balasko…A quand un numéro piloté par Steevy ?). Il y a cependant des articles intéressants et, je dois le dire, assez surprenants par les figures qu’ils évoquent, qu’elles soient profanes ou mystiques : par exemple celui, sous la plume de Delphine Hautois, présentant Charles Du Bos dans son immense Journal. Celui encore de Jean-Marc Talpin sur l’expérience mystique féminine qui lui permet de mentionner une de mes collections favorites, Atopia, chez Jérôme Millon, que je n’inviterai jamais assez à découvrir. Je mentionne encore l’entretien avec Denis Podalydès relatant ses expériences de lectures enregistrées et, cette fois pour insister sur sa nullité critique qui n’est pas même celle d’une quatrième de couverture, le texte de Lorraine Rossignol évoquant les amours païennes, dont le collectif de Cancer !, Gueules d’amour, remarquablement analysé par une plume qui ferait fortune, je crois, si elle se cantonnait à la rédaction des notices d’utilisation pour aspirateurs.
Apparemment, puisque le mot «hasard» est réservé aux imbécile selon Léon Bloy, il était nécessaire (de toute éternité aurait ajouté l’écrivain) que je lise cette revue durant le long trajet qui me conduisait en train vers l’insignifiante, laide et commerçante ville (plutôt bourgade) de Lourdes. Je n’ai d’ailleurs pas eu besoin de me souvenir des textes d’une violence qui nous semble aujourd’hui inouïe que lui consacrèrent Huysmans et Bloy pour trouver cette verrue miraculeuse (au superbe paysage qui l’entoure mais aussi à toute conception d’une foi exigeante et solitaire), immédiatement et sans hésitation, d’une vulgarité extraordinaire, pas seulement, hélas !, commerçante.
Il fallait donc, aussi, que je revienne à Paris pour parcourir (parcourir seulement, hélas) le superbe travail accompli par Matthieu Baumier pour le premier numéro de La Sœur de l’Ange dont je reparlerai bien évidemment dès que j’aurai quelque instant à lui consacrer. Je songe toutefois, en tournant les pages nombreuses de La Sœur, pour celles et ceux qui la connaissent, à la revue (le terme est faible) intitulée Conférence, créée par Christophe Carraud qui, à présent, dirige une collection chez Jérôme Millon, Nomina. Je suis de même certain que Matthieu Baumier saura éviter à sa très belle revue de sombrer dans le détestable clanisme qui est le cruel, l’impardonnable défaut de Conférence, à la fois admirable lorsqu’elle publie des textes (bien souvent inédits) d’auteurs tels que Pétrarque, Anders ou Hill et pitoyable lorsqu’elle ouvre ses colonnes à des auteurs contemporains (presque toujours la même clientèle de cueilleurs de champignons poétiques et de rimailleurs spécialisés dans l’ode aux petits étangs, il suffit de jeter un œil sur le «cahier de création» de chacun des numéros pour s’en convaincre) qui en déparent la qualité et la profondeur évidentes.