06/02/2007
Charlie Hebdo en procès, une chronique de l’intégrisme ordinaire, par Jean-Christophe Moreau
Il y a encore quelques imbéciles (forcément heureux, puisqu'ils appartiennent aux rayonnantes forces du Progrès), ouvertement désireux de voir un candidat de la plus lamentable envergure et pitoyable intelligence occuper le poste de président de la République française (ce qui, je vous l'accorde, n'est certainement rien de bien noble), capables d'affirmer que la Zone est le lieu maudit où se regroupent tous les plus infréquentables auteurs. Nous reviendrons, dans quelques jours, sur ce terme d'infréquentable puisqu'il est distribué, par nos belles âmes toutes luisantes de moraline, à tout écrivain ayant l'insigne impolitesse de ne point répéter les truismes commodes si chers à nos Assis vertueux. Disons, plus modestement, que le Stalker, comme bien d'autres sites (très exactement : 999) référencés ici, est un espace de liberté exigeante (quelques droits, mais surtout beaucoup de devoirs...) qui ne s'ouvre pas au premier âne callipyge venu désireux de brouter une avoine consensuelle. Disons aussi, encore plus modestement, que ce site, taxé d'extrémisme par ces mêmes imbéciles surnumérairement consanguins, puisque tous ont été dégoulinés par le même émonctoire aussi bouillonnant qu'un Etna de merde, n'hésite pourtant pas à défendre, sous l'excellente plume de Jean-Christophe Moreau, un journal, Charlie Hebdo qui, jusqu'à preuve du contraire, n'a guère été soutenu par les petits donneurs de leçon qui, à l'approche de quelque barbe fournie peu encline aux réjouissances occidentales, retournent pleurer dans les jupes maternelles, avant que celles-ci ne se transforment bientôt en si féminines burkas. Pour l'allaitement rapide de nos paisibles nourrissons, voilà un habillement qui risque d'être diablement peu pratique.
«L'homme communautariste, l'homme des associations est l'homme du ressentiment sous sa figure contemporaine. Son impuissance à être l'a conduit vers les officines où bout l'esprit de vengeance. Il lui faut sans cesse des combats, des revendications, des pressions pour se sentir être parce qu'il ne peut plus éprouver l'excitation vitale que sous la forme de la persécution : celles dont il se dit menacé justifiant celles dont il demande la mise en œuvre.»
Les démons, Philippe Muray.
L’État de droit a un attrait inestimable pour qui veut lui nuire ou en espère un avantage particulier: il suffit d'y être reconnu victime pour attirer à soi la bienveillance de la justice. C’est ainsi que de nos jours, on ne compte plus les prédateurs de la République aux velléités de justiciables. Être une victime n'est pour eux plus une tare mais une nécessité, un préalable à des victoires de plus grande envergure.
Les poursuites engagées à l’encontre de Charlie Hebdo par le recteur de la Grande Mosquée de Paris, l’Union des Organisations Islamiques de France et la Ligue Islamique Mondiale sont incontestablement de cet ordre, celui où les cérémonies de justice se substituent progressivement aux débats d’idées. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, soucieux de ne pas paraître trop ostensiblement intégriste, se défend d’avoir organisé le procès de la liberté d’expression. «Nous admettons que l’on puisse caricaturer le prophète, a précisé son avocat, Maître Szpinner, mais nous refusons cette agression raciste contre les musulmans» (1).
De fait, le journal devra répondre devant le Tribunal de Paris, du 7 au 8 février, de l’accusation d’«injure envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée» (2) pour la publication de trois caricatures, dont deux initialement parues dans le journal danois Jyllands Posten. La première représentait Mahomet portant une bombe en guise de turban, la deuxième montrait le prophète submergé par le nombre de terroristes arrivant au paradis, et leur en refusant l’accès par ces mots : « Stop ! Stop ! We ran out of virgins !» (3) tandis que la dernière décrivait un Mahomet affligé par les intégristes, se tenant la tête entre les mains et déclarant : «C'est dur d'être aimé par des cons».
Dans chacune des trois illustrations, c’est sans équivoque possible l’intégrisme musulman, et non la communauté musulmane dans son ensemble, qui fit l’objet de la charge critique menée par Charlie Hebdo.
La distinction, essentielle, ne semble pourtant pas concevable à Dalil Boubakkeur, qui considère notamment que «Représenter Mahomet coiffé d'une bombe c'est dire à tous les musulmans et pas seulement aux intégristes : "Vous adorez un prophète vecteur d'attentats, de mort, de destruction, donc vous adorez la violence"» (4).
Bien évidemment, ce serait faire preuve de fausse ingénuité que d’ignorer qu’un tel sentiment ait pu exister lors de la publication des caricatures. Pour autant, il n’est pas concevable de fixer les limites de la liberté d’expression au gré des fluctuations de sentiment d’une communauté, à plus forte raison quand celle-ci est représentée par des institutions à ce point contestées par ceux dont elle prétend aujourd’hui prendre la défense.
Entre l’infinité d’interprétations possibles des caricatures publiées, ce sera au tribunal de Paris de déterminer s’il en est une qui doit prévaloir. Pour ce faire, il lui incombera de répondre à une question décisive : le caractère insultant des publications procède-t-il d’une intention coupable de leurs auteurs ou de la sensibilité particulière d’un public ?
Or, à considérer la définition légale et jurisprudentielle de l’injure (5), rien ne serait plus contraire au droit positif qu’une décision de justice en défaveur de Charlie Hebdo.
En effet, pour que soit constitué le délit d’injure, il faut, outre l’existence d’un propos outrageant adressé en public à une personne ou un groupe de personnes déterminées, démontrer la volonté de nuire de l’auteur des propos.
En l’occurrence, les caricatures incriminées ne visaient de toute évidence qu’à stigmatiser les seuls intégristes musulmans, cherchant à mettre ainsi en exergue le dévoiement croissant de l’Islam par les extrémistes religieux.
De fait, pour que la justice condamne l’hebdomadaire satirique, il lui faudrait conclure que la critique véhiculée par les caricatures incriminées portait sur l’ensemble de la communauté musulmane. Procéder à une telle analogie serait en définitive estimer que le fanatisme est indissociable de la foi musulmane, ce serait proclamer que la violence est consubstantielle à l’Islam. En d’autres termes, pour que les plaignants obtiennent gain de cause, il faudrait que la justice se rende coupable de l’amalgame qui précisément est aujourd’hui reproché à Charlie Hebdo.
Cette méprise aberrante, si la justice ne s’en est pas encore rendue coupable, a quoi qu’il en soit d’ores et déjà été commise par les premiers à s’en dire victimes ; car ne pas tolérer la critique des violences islamistes au motif qu’elle insulterait la foi de tout musulman, c’est ériger l’appartenance à une même religion en obstacle à la réprobation des crimes perpétrés en son nom, abolir le sens critique au nom du sacré.
De cette affaire, et quelle que soit son issue juridique, il faudra retenir que l’intégrisme a d’autres visages que celui de la barbarie et sait s’habiller d’ordinaire pour parvenir à ses fins, qu’il ne répugne pas à recourir à des moyens légaux pour étendre son empire. Mais, sauf à considérer que la licéité des moyens justifie la poursuite de fins insensées, cela ne le rend pas moins hostile au monde ni ne l’affranchit de sa responsabilité vis-à-vis des croyants sur lesquels ils jettent le discrédit, usurpant la place des authentiques musulmans, ceux que l’on dit modérés parce que restés silencieux jusqu’à ce jour, ou parce que leurs voix ne nous parviennent plus par-delà le tapage et les vaines détestations.
Notes :
(1) Face à Charlie, la Mosquée sur la défensive, par Catherine Coroller, Libération, samedi 3 février 2007.
(2) Article 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
(3) «Arrêtez ! Arrêtez ! Nous sommes à court de vierges !»
(4) Face à Charlie, la Mosquée sur la défensive, loc. cit..
(5) Article 29 de la loi du 29 juillet 1881: l'injure s'entend, en opposition avec la diffamation, de «toute expression outrageante, terme de mépris ou d’invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait».
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