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18/04/2005

Pro Europa 3 : l'Europe et sa médiatisation, par Francis Moury

Crédits photographiques : Rodrigo Abd (Associated Press).

«C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu.»
Louis-Ferdinand Céline cité par Jean-Paul Sartre, en exergue à son roman La Nausée (Gallimard, coll. N.R.F. (1938), 42e édition, 1948).

«Monsieur, vous êtes pâle, vous avez l’air fatigué. Je ne vous ennuie pas, au moins ?»
«Vous m’intéressez beaucoup.»
«La guerre est venue et je me suis engagé sans savoir pourquoi. Je suis resté deux années sans comprendre, parce que la vie du front laissait peu de temps pour réfléchir et puis les soldats étaient trop grossiers. À la fin de 1917, j’ai été fait prisonnier. On m’a dit depuis que beaucoup de soldats en captivité ont retrouvé la foi de leur enfance. Monsieur, dit l’Autodidacte en baissant les paupières sur ses prunelles enflammées, je ne crois pas en Dieu ; son existence est démentie par la Science. Mais, dans le camp de concentration, j’ai appris à croire dans les hommes. […] Tous les dimanches, j’allais à la messe. Monsieur, je n’ai jamais été croyant. Mais ne pourrait-on pas dire que le vrai mystère de la messe, c’est la communion entre les hommes ? […]»
Jean-Paul Sartre, op. cit., supra.

«On peut distinguer, dans l’idée que saint Paul se fait du vouloir humain, deux aspects qui correspondraient assez bien à ceux que nous retrouvons dans notre psychologie vulgaire. Le premier auquel nous pensons, en parlant d’un «homme de volonté», est celui d’un vouloir toujours en acte, en tension d’effort pour atteindre un but. Cette notion est encore peu consciente à la Grèce de l’âge classique […]. On me propose donc le thème de Rom., 7, là où Paul se plaint que l’homme n’ait à sa disposition, pour vouloir le bien, qu’un vouloir affaibli, peut-être blessé. Quelle est sur ce sujet la vraie pensée de l’Apôtre ?»
Mgr Lucien Cerfaux, La volonté dans la doctrine paulinienne (1956) in Qu’est-ce que vouloir ? ([Actes du colloque de Bonneval de 1956], Les éditions du Cerf, 1958).

«Est-à dire que l’État socialiste ne doit jamais recourir à la répression ? Certes non. Condamner la répression injuste, la répression inutile ou la répression fautive, ne signifie pas que toute répression est fautive en toute circonstance et que le seul recours de l’État socialiste est sa force de conviction. […] On peut donc dire que si les deux types d’État comportent leur raison d’État, la nature de la raison d’État de l’État capitaliste est répressive, alors que la nature de la raison d’État de l’État socialiste est de conduire le plus rapidement possible à des rapports de confiance, à des rapports «libérés» d’identification de l’État et des masses.»
Roland Weyl, Réflexions sur la raison d’État, in La Nouvelle critiqueRevue du marxisme militant, n° 151, 1963.

«L’article de Kanapa traite «des rapports entre les intellectuels et le communisme». De ce point de vue – et si nous laissons les anticommunistes de côté – il y a trois sortes d’intellectuels : ceux qui sont inscrits au Parti, ceux qui y songent et ceux qui n’y songent pas. Kanapa est un représentant du premier groupe, il s’adresse au second et lui parle du troisième. […] Colette Audry a pris position avec beaucoup d’autres intellectuels contre la C.E.D. et les accords de Bonn et de Paris, contre le Pacte Atlantique, pour l’ouverture immédiate des négociations en Indochine, pour la défense des libertés démocratiques ; quant aux Temps Modernes, on connaît assez leur point de vue. Or vous tolérez qu’on embarque Colette Audry dans le même fond de cale que Raymond Aron, qui écrit les leaders du Figaro et qu’on brûle dans un même autodafé Les Temps Modernes et «la revue américaine en France, Preuves.» Qu’avons-nous fait ? […] Si je suis un flic, vous êtes des crétins. Et si les communistes que j’ai rencontrés et que j’estime ne sont pas des imbéciles, si, en particulier, le Parti doit être «une source de renouvellement pour les intellectuels» alors je ne suis pas un flic ni Colette Audry une «révisionniste blumiste» et le seul crétin, c’est Kanapa.»
Jean-Paul Sartre, Opération Kanapa (in Les Temps Modernes, n°100, Paris, mars 1954) repris in Situations VII – Problèmes du marxisme 2 (Gallimard, coll. N.R.F., 1965).

«Or quel est ce «principe», si contraire à la nature même des choses, qui fait que le législateur se trompe dans son objet ? Rien d’autre que le principe de la souveraineté populaire, principe commun à Montesquieu, à Rousseau, à Hobbes, à tant d’autres, qui voient dans la société une création, ou mieux, une production humaine, quelque chose d’artificiel (et c’est pour cela que tous les philosophes opposent l’état social à l’état naturel), au lieu de comprendre que c’est la société qui est, en vérité, l’état naturel de l’homme. »
Alexandre Koyré, Louis de Bonald (1946) in Études d’histoire de la pensée philosophique (1961) (éd. posthume Gallimard, coll. Bibliothèque des Idées, 1971).

Le hasard et l’histoire à la télévision française
Le hasard de la télévision française fait bien les choses, l’histoire chronologique du monde aussi. Cet après-midi, cher Juan, à l’occasion de notre sympathique rencontre avec l’incarnation de ton «lien» Fin de Partie (le blog du Transhumain), tu nous as demandé notre avis tant sur le débat télévisé l’autre soir sur TF1 entre le Président de la République et de jeunes Français (et de moins jeunes «animateurs» français) au sujet de la Constitution européenne que sur le fait qu’à la suite de ce débat, le «non» à l’Europe a statistiquement encore monté d’un cran. Ce soir je songeai pour ma part écrire quelque chose sur ce phénomène en effet intéressant. Or je viens par hasard d’assister à un autre débat, organisé sur I-Télé, autour du Centenaire de Sartre auquel étaient conviés des intervenants divers : M.A. Burnier et un professeur de lettres supérieures qui a supervisé un Cahier de l'Herne sur Jean Baudrillard ainsi que quelques autres participants du même calibre intellectuel. Bien sûr la question «- Sartre eût-il voté «oui» ou «non» au prochain référendum sur l’Europe ?» n’a pas manqué d’être anachroniquement posée par le présentateur et on n’a pas manqué d’y répondre à la place de Sartre. La télévision française sait faire parler les vivants mais elle sait aussi faire parler les morts : cela n’étonne plus personne.
Ces deux débats sont caractérisés par un point commun : l’impossibilité totale de marier tant la pensée (de la politique) que la politique (de la pensée) et leurs médiatisations respectives. Je vais tenter de la repérer et de la penser, cette impossibilité, dans ces deux cas d’espèce, d’autant qu’on a y parlé de l’Europe (notre Président vivant) ou fait parler de l’Europe (un de nos philosophes morts).

Le débat pédagogique télévisé du Président Chirac sur l’Europe
Le Président Jacques Chirac a trouvé en face de lui de jeunes Français terrifiés par le chômage, la crise économique et sociale vécue par les classes moyennes (fourchette haute comme fourchette basse, diraient les parasites technocrates de l’I.N.S.E.E.) toujours sur le fil du rasoir ou bel et bien en voie de paupérisation. Voter «oui» pour l’Europe allait-il leur permettre de trouver du travail, d’éviter de s’expatrier pour ne pas devenir fous à force d’envoyer des C.V. sans succès et de vivre avec 300 euros par mois ? Sa réponse était en substance : «- L’Europe c’est une chose, le chômage une autre». L’Europe allait-elle mieux garantir leur protection sociale ? «- L’Europe garantira les valeurs fondamentales à partir desquelles cette protection sociale s’est construite mais pas forcément la protection sociale elle-même sujette à variation nationale.» L’Europe sauverait-elle nos entreprises ? «L’Europe ne supprime pas l’économie de marché, elle peut atténuer ses effets mais la libre entreprise demeure un risque.» Et ainsi de suite.
«Déception !», comme disait Régis Debray dans un autre contexte à propos d’autre chose il y a quelque temps. Déception d’autant plus vive que le Président leur a dit plusieurs fois qu’il ne comprenait pas pourquoi ni de quoi ils avaient peur. Or, ils ont peur. Et il est normal qu’ils aient peur ! Ma génération est davantage blindée : nous vivons avec la crise et le chômage et l’inhumanité qu’elle engendre depuis 30 ans. Eux ils la découvrent et commencent à en subir les conséquences. Mais avouons que ces conséquences nous horrifient également et qu’on se réveille chaque matin la peur au ventre tout de même : va-t-on en sortant dans la rue voir un «S.D.F.» (ce terme technocratiquement ignoble inventé par un technocrate de l’ère Mitterrand) de plus mourir de faim lentement, recroquevillé sur une bouche de chaleur, devant les grilles des locaux des ASSEDICS de l’Avenue de Clichy ? Tout un symbole tout de même ! Le changement dans la continuité ? Quelle honte pour notre pays ! Comment nos pères qui avaient construit les «trente glorieuse» ont-ils pu laisser s’installer une telle gangrène ruineuse de toute cohésion sociale ? Faute d’une Europe suffisamment forte qui nous a laissés à la merci des affairistes sans scrupules alors que paradoxalement on craint qu’elle ne les favorise. Si nous n’y sommes plus pour vérifier ce qui s’y passe, ils auront beau jeu d’y régner : cela est certain, en revanche.

Sans aucun doute sur TF1 : reportages sur le mal français
Comment ne pas avoir peur, comment ne pas être terrifié en voyant une émission hebdomadaire comme l’admirable Sans aucun doute sur TF1 qui a le mérite de brosser en temps réel un tableau exact (ô combien davantage que celui dressé statistiquement par l’I.N.S.E.E. !) des atrocités juridico-administratives et socio-économiques dans lesquelles se débattent nos concitoyens ? «Cela peut nous arriver demain» pense-t-on. Et on a raison de le penser : un rien suffit, dans la France actuelle et en Europe, pour basculer des classes moyennes dans les classes pauvres puis de celles-ci dans la mendicité, la folie ou la mort. Vendredi soir le cas aberrant de cette mère d’un enfant handicapé classé «de 50 à 79%» de taux de handicap alors que l’indemnisation débute à un taux de 80% ; ces taux ne veulent strictement rien dire : un taux d’intérêt veut dire quelque chose mais pas un taux de handicap ! Ce scandale administratif que connaissent très bien les dizaines de milliers de séropositifs français sous traitement lourd depuis des dizaines d’années (certains se sont même vus rétrogradés de 80% à 79% par la COTOREP de tel ou tel département, car cela varie d’un département à l’autre) semble (cf. infra – vous verrez qu’on reste prudent) en voie d’être résolu. Mais il aura fallu qu’ACT-UP PARIS (dont on doit saluer l’inlassable combat, depuis près de vingt ans en l’occurrence, contre cette ignominie administrative) envahisse les locaux parisiens de la COTOREP plusieurs fois au cours de son histoire associative, que des rapports soient amassés sur bien des bureaux administratifs et ministériels, que des histoires dramatiques comme celle-ci et tant d’autres surviennent et que les pages Google consacrées à la COTOREP soient de plus en plus nourries de critiques justifiées et de témoignages hallucinants pour qu’enfin un tel scandale soit en passe – on dit bien encore une fois «en passe» : on demeure d’autant plus prudent que la loi réformant cette aberration faite institution vient paraît-il d’être votée – d’être du domaine du passé. Une économie libérale déréglée et mortifère, tueuse d’emploi et de santé, une administration parfois paranoïaque ou kakfkaïenne achevant par la mort sociale et la marginalisation financière les personnes précaires ou handicapées, une administration parfois heureusement plus humaine mais dénuée de moyen : chaque Français est pris dans l’étau. Qu’il commence à s’ouvrir, on respirera mieux.

Pourtant…
Pourtant le point de vue du Président était, est et demeure rationnel. En effet, ces maux pèsent sur nous : il le sait et comme il n’est pas un tyran antique, il ne peut pas tout changer brusquement par sa seule volonté. Face à lui, existent des intérêts, des pesanteurs, des forces obscures qu’il doit prendre en compte. Comme il sait que davantage d’Europe ne peut qu’améliorer notre situation, pas l’empirer. S’il y a un mal français, on peut tenter de le guérir mais un remède européen plutôt que national paraît plus radical. C’est peut-être parce que nous n’avons pas fait cette Europe plus tôt que ces maux nous accablent encore autant. On peut raisonner en effet à l’inverse : c’est même probablement d’un déficit d’Europe dont nous souffrons ! Et il est évident qu’une organisation européenne renforcera notre puissance nationale comme internationale. L’histoire veut des structures puissantes : malheur aux faibles et aux isolés. Les relations diplomatiques et financières internationales sont des relations – Jean-Baptiste Duroselle l’écrivait noir sur blanc en 1974 et tous les diplomates le savent depuis des siècles – qui reposent sur le chantage, le rapport de force, jamais sur la morale.
Si le Président veut rassurer les jeunes Français, il faut qu’il leur garantisse qu’ils pourront vivre «sans aucun doute» décemment quels que soient les aléas de leurs vies. Il faut, de toute évidence, organiser au niveau national un système permettant à chacun de nos citoyens de disposer de 1 000 euros par mois. Avec ces 1 000 euros, on consommera, vivra décemment et on fera tourner la machine économique. Cela créerait un cycle économique vertueux. Ford savait qu’il ne servait à rien de fabriquer des voitures si ses ouvriers ne pouvaient pas se les acheter eux-mêmes, faute d’argent. On a oublié cette leçon qui venait du pragmatisme anglo-saxon le meilleur, le mieux compris : c’était la voix du bon sens. Simple suggestion qui en vaut bien d’autres et qui n’est pas irréalisable financièrement puisque la France est un pays riche. D’ailleurs c’est au niveau européen qu’une telle mesure devrait s’appliquer progressivement, à mesure que la richesse globale générée par notre puissance commune serait redistribuée.
Dans ce débat-ci, c’était donc «La Vie quotidienne dans le monde moderne» contre la «nécessité formelle». Points de vue irréconciliables par nature et que même un expert en communication ne pouvait réconcilier. On a passé son temps à comprendre qu’on n’était pas en train de parler de la même chose. Signer un traité n’est pas trouver du travail. Mais pour l’homme de la rue, cela devrait être lié.
Cette contradiction savoureuse étant entendue et analysée, reste que le débat, la pédagogie du débat furent un bel effort présidentiel. Il était voué à décevoir puisque la réalité est décevante. Seule la peur d’une pire réalité a modifié finalement un peu la donne : c’est l’argument qui porte le mieux en ce qui concerne la masse. Il fallait le lui asséner. Mais la colère étant une passion, la peur en étant une autre, on verra quelle passion l’emporte le jour du vote. Il ne faut pas espérer d’une masse démocratique qu’elle vote majoritairement pour des raisons : la raison est le privilège d’une élite raisonnablement pessimiste mais courageuse.

Le centenaire de Sartre sur I-Télé
Quant au beaucoup plus court débat sur le Centenaire de Sartre, c’est l’inverse qui s’est produit : tous parlaient en connaissance de cause de la même chose, enfin de la même personne, du même penseur, de la même œuvre et de la même vie. Le présentateur avait lu son Sartre par lui-même avant de venir animer le débat : il était honnêtement au courant. On trouvait un compagnon de Sartre de l’époque maoïste ultra-communiste finale des années 1970-1975, on trouvait un M.A. Burnier (c’est lui qui a le mieux parlé, qui a parlé le plus justement tout compte fait), on trouvait d’autres sartriens émérites, témoins ou commentateurs autorisés et tous d’ailleurs intéressants d’un pur point d’histoire de la philosophie française. Mais aucun n’a dit que «Sartre politique» a souvent fait les pires choix : compagnon de route des communistes, pro-viêtcong, anti-européen, j’en passe et des pires… On l’a en revanche critiqué comme philosophe hégélianisant en osant ironiser sur la précision de ses citations de Hegel dans le texte : quelle outrecuidance, quel irrespect pour cet ancien normalien agrégé d’avant-guerre ! On l’a critiqué comme résistant avorté ayant inventé en 1945 l’idée de l’intellectuel devant vivre «en situation» en guise de compensation. À l’issue de cette sympathique discussion, Sartre était donc finalement et respectivement «un grand acteur politique» alors que ce fut précisément son point faible, un «philosophe intéressant mais inégal» alors que c’est son inégalité même qui le rend intéressant, un romancier dont seule une partie de l’œuvre peut parler à la jeunesse d’aujourd’hui mais on ne cite pas La Nausée, son meilleur roman et la matrice comme le résultat de son œuvre philosophique antérieure et postérieure (mise à part la Critique de la raison dialectique, ce texte ahurissant qu’il faudrait exposer au musée des Khmers rouges ou sur la tombe des fondateurs du Sentier Lumineux péruvien), tout autant. En 30 minutes Sartre était donc démonté, reconstruit, défiguré et restitué en morceaux : chaque partie n’était pas fausse mais il manquait le restant et aucune n’était à sa place. Et cela nullement du fait d’une partie ou de la totalité des participants au débat qui tentaient tous pour leur part bravement de verser leur fragment de la vérité de cette totalité au débat. Simplement par le débat lui-même dans sa conception : on ne parle pas de Sartre en trente minutes car c’est impossible sans le trahir. C’est une insulte à l’intelligence que de prétendre restituer la vérité d’un penseur tel que Sartre en trente minutes. Le drame est que personne ne voulait ce résultat : ni l’animateur du débat, ni les participants. C’est un résultat structurel : sui generis. Il y a malheureusement quelque chose de pourri au royaume de la télévision du fait de la nature et des moyens mêmes de ce média. Encore une fois il faut relire d’urgence les textes médiologiques de Régis Debray. Il faut aussi relire, car ce n’est pas mal même si antérieur et écrit d’un point de vue différent, La liberté de notre temps de Raymond Polin qui posait assez bien le problème d’une logique folle des médias en tant que médias absorbant le réel pour s’en nourrir et le restituer sous forme de signes auto-suffisants et définitivement substitués à leurs référents réels.

Triste médiologie : synthèse syllogistique avortée
D’où le problème global qui se pose à nous à l’issue de ce double événement télévisuel : ni l’Europe et ses enjeux, ni Sartre (vie et pensée et création littéraire) ne peuvent être discutés, argumentés, compris et restitués à la télévision, que ce soit en quatre heures ou en trente minutes. Or la télévision est le média primordial de la démocratie. Donc… ?

Épilogue en forme d’apologie désabusée
Donc… après avoir écrit cela, nous allons visionner soit The Amityville Horror (Amityville la maison du diable, États-Unis, 1979) de Stuart Rosenberg, soit L’Armée des ombres (France, 1969) de Jean-Pierre Melville, afin de nous détendre et de nous ressourcer à l’essentiel : la peur représentée dans un cas, le courage représenté dans l’autre. Et nous reviendrons ensuite plus courageusement au monde réel et à son histoire effective immédiate. Il faut régulièrement passer par le monde des valeurs esthétiques afin d’avoir le courage d’affronter le désespoir subjectif engendré par le monde historique et politique. Heureusement qu’ils s’alimentent et se réfléchissent réciproquement : le fil rouge de leur dialogue est aussi celui qui nous permet de vivre en vérité et de tenter de penser la vérité. Une telle tentative a une valeur bien plus ontologique que politique : on sait qu’aucun débat télévisé ne lui sera jamais consacré puisque la parole télévisée n’est justement pas une parole mais un flux sémiologique qui s’oppose à l’idée de parole, qui réduit la parole à une parenthèse entre deux autres «choses-programmes» vendues (télévision privée) ou taxées (télévision publique) : il y a du réel rusé dans la télévision. Mais c’est un réel rusé qui n’est pas raisonnable car pas tout à fait réel même si lui-même est justifiable d’une analyse raisonnée.