Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Maljournalisme 6 : fin, par Jean-Pierre Tailleur | Page d'accueil | Éric Marty, le dernier des Justes ? Sur Bref séjour à Jérusalem »

28/03/2008

La fadeur des blogs littéraires

Ceci est bien évidemment un nombril (pas le mien toutefois).


Il fallait bien que cela arrive puisque nous sommes dans le Réseau où la liberté est une idole aussi pure qu'une catin de Babylone. C'est donc arrivé, et c'est même arrivé à la vitesse habituelle à laquelle se propagent les ondes qui font doucement onduler la Toile ou bien la creusent de gouffres profonds : très vite.
C'est donc déjà fini.
Cela n'a même jamais existé et cette note évoque un sujet d'aussi palpable réalité que l'était la mystérieuse surrection d'un Dieu qui est un sur-étant-non-être, autant dire, selon Maître Eckhart : rien. Sur la Toile, les nouvelles les plus fraîches sont déjà anciennes, bien plus anciennes que les plus récentes informations des quotidiens, d'une existence encore plus courte que celle de la brève la plus éphémère d'un fil AFP.
Il est en effet difficile de lire à la vitesse de la lumière qui se déplace à quelque 300 000 kilomètres par seconde. C'est en pointant un puissant télescope vers le ciel profond, vers quelque très lointaine nébuleuse de la Vanité, tenant en outre compte de ce fâcheux décalage vers le rouge qui signale ce simple fait, absolument incontestable : l'espace est grand, presque aussi grand que le Réseau qui est peut-être infini, que je rends publiques mes toutes simples conclusions, mes très longues méditations sur ma propre pratique de Zonard.
Lorsque vous lirez ces lignes, leur point d'émission sera déjà affecté par l'effet Doppler. Me lire, c'est donc lire des mots vieux de quelques minutes ou de plusieurs heures, une éternité sur la Toile, des mots qui n'existeront plus.
D'abord, notre sujet.


L'événement est le suivant, aussi aisément analysable que le cerveau d'une grenouille : à peine assurées de leur existence et surtout leur pérennité, voici que les blogs se penchent sur leurs propres mystérieux abîmes introspectifs. On murmure que le nombril de Philippe Sollers, un aven de prétention que le spéléologue chevronné François Meyronnis n'a exploré que très partiellement, est aussi profond qu'un dé à coudre si on le compare à la suffisance de nos écrivains virtuels, vrais scribouilleurs tout de même. La pêche sera miraculeuse, n'en doutons pas : quelques jetons de supérette que l'on exposera comme s'il s'agissait de galions d'or.
L'événement, bien que visible, est discret : les blogueurs spécialisés en littérature se plaignent d'ailleurs d'être peu visibles sur les écrans où les attachées de presse, en riant, lisent les dernières nouvelles du couple présidentiel ou bien les chutes médiatiques de Beigbeder, un vrai écrivain celui-là, dans une poudreuse d'une blancheur immaculée.
Les blogs littéraires ou prétendus tels sont donc, à la fois visibles et invisibles, les éclaireurs de cette armée bruissante de mots, parfois bons, le plus souvent dramatiquement nuls : ils avancent témérairement sur le théâtre des opérations purement virtuel où les gars de l'Arrière (les Assis, disent les mauvaises langues) règlent leur lunette de visée et ajustent leur cible. La première ligne n'est pas pour eux; il serait tout de même scandaleux de sacrifier les forces vives de la nation n'est-ce pas ? Un léger claquement, une faible pression sur l'épaule, un peu de fumée s'échappant du canon, voilà tout ce qui distingue leur épique participation au conflit. Des centaines de mètres devant la bouche fumante, le projectile a atteint sa cible : le corps s'affaisse, un emmerdeur de moins.
Alors donc que les journalistes ou prétendus tels (Anne Crignon, Nicolas Michel pour Le Monde du 29 et 30 septembre 2006, quelque autre pigiste pour Le Magazine littéraire dont j'ai déjà oublié le nom) dissertent très vaguement sur l'extension du domaine de la pute, cette immense marée de bruits et de mots, de rots et de pets, cette ondée du sous-langage pour le dire avec Armand Robin, cette épaisse galette de rhizomes qui se nomme la Toile, jamais avare de ses millions de bouches, de mains et de sexes, en avançant, l'air idiot, les sempiternelles fadaises sur la liberté de ton extraordinaire des blogueurs, sans jamais se pencher sur la richesse critique de quelques-uns desdits meilleurs blogs, ceux d'Olivier Noël, de François Monti entre autres, richesse que l'on opposera aisément à la misérable nullité des bluettes du Nouvel Observateur ou du Monde des Livres, les blogueurs littéraires paraissent donc céder, les uns après les autres, à une épidémie qui, dans la réalité, mit au moins quelques bons siècles avant de pourrir les corps les plus sains de la littérature.
La Toile découvre, pas même stupéfaite mais bien plutôt déjà lasse d'un événement vieux d'une nano-seconde, qu'elle n'est rien de plus que ce qu'elle est et sera toujours : la Toile et, comme le pauvre ordinateur de Kubrick, de sombrer ipso facto, corps et cerveau, dans une fosse des Marianne de spécularité bougrement solipsiste. Good afternonn, gentlemen... I am a Hal 9000...
Ils se grattent leur plaie préférée, nos petits bavards, ces accrocs de la poudre blanche qui, après quelques heures de déambulations dans les sentiers qui ne mènent nulle part du Réseau, envahit les écrans les plus perfectionnés, puis leur crâne. Comme de petits Héautontimorouménos volages et éminemment susceptibles, ils reluquent, la main tripotant le caleçon, l'infime égratignure dégorgeant les précieuses gouttelettes d'un saint chrême ayant pour vague saveur acidulée l'épice de leur douloureuse auto-flagellation.
Il n'y a pas de cilice assez rugueux pour excorier la peau mystique de nos Athanase du désert électronique.
Fermez les yeux, tendez l'oreille... Vous entendez ? Ce léger bruissement que font les feuilles lorsqu'elles tombent sur le sol, signe que l'hiver se rapproche ? Les blogueurs littéraires s'interrogent sur la spécificité de leur écriture, de leur réflexion, parfois même de leurs critiques littéraires et, ma foi, je crois qu'ils font moins de bruit qu'une aiguille de pin s'enfonçant dans un matelas d'aiguilles de pain, un soir de grand vent, à 1 200 mètres d'altitude. Ils succombent, l'un après l'autre (concaténation illusoire : il n'y a pas d'Originie sur Internet, nulle ascendance illusoire dans cette contemporanéité aussi absolue que vaine) au prurit du byzantinisme naguère dénoncé par l'imprécateur rentré qu'est Julien Benda. Tous (ou presque, j'en oublie donc forcément, qu'ils me pardonnent ou pas), Anne-Sophie Demonchy, François Bon, Léo Scheer, ce dernier pourtant rose nouveau-né de la blogosphère et pas le moins silencieux, grattent cette drôle de plaie, d'où ne suinte aucun sang frais mais juste un peu de pâle lymphe, même les plus grands, un Dominique Autié auquel je réponds dans ce texte.
Je n'écris pas comme un journaliste : aussi, nul ne me reprochera de ne point livrer dans cette modeste note de précieuses petites pistes, de redondantes problématiques, de creuses annonces et de molles conclusions, ni d'analyser les subtilités des siphonophores, ces organismes-essaims qui fascinent les experts de l'intelligence artificielle, ni même, comme le fait désormais Léo Scheer à longueur de note d'une finesse jésuitique, les iréniques modalités de la prise de parole(s) sur la Toile qui en regorge, qui risque même de finir par en crever, comme une bulle spéculative. Je n'ai même pas illustré, je manque décidément à tous mes devoirs, le titre de cette note. Espérons qu'en décevant de la sorte le lecteur pressé, je lui ferai comprendre qu'elle est mon intention véritable.
Disons aussi, tout simplement, que je préfère me plonger dans les venelles tortueuses et pauvres (celles où des centaines de femmes sont violées, torturées puis tuées, l'auteur évoquant méthodiquement chacune de ces malheureuses), elles-mêmes irréelles, d'un roman tel que 2666 de Roberto Bolaño, une œuvre qui n'a bien évidemment aucune espèce de rapport concevable avec les lilliputiennes auto-fictions que bien trop d'éditeurs osent faire passer pour des livres, voire de la littérature dans les cénacles parisiens.
Et les experts en spectralité autophagique auront beau jeu de me faire remarquer que le livre du Chilien multiplie jusqu'à l'étourdissement les fausses pistes, creuse des galeries de glace qui nous paraissent illimitées, s'amuse à citer Pedro Páramo de Rulfo, parangon du réalisme magique, roman dans lequel les morts parlent, les revenants dénoncent la triste misère que fut leur vie grise. Rien de plus vrai mais, allez savoir pourquoi, les souterrains de Bolaño qui prolongent ceux qu'avaient imaginés Cervantes, Potocki, De Quincey, Faulkner, Borges et Sábato, nous permettent d'accéder à une réalité infiniment plus précieuse, puisque charnelle, que la caduque et irréelle présence que la Toile offre à nos fantasmes et notre ennui immémorial.