Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Vous aurez la guerre : Loïc Lorent, Michel Crépu et Guy Dupré | Page d'accueil | Un peu de langue pour prier : réponse à Dominique Autié »

11/06/2008

Maudit soit Andreas Werckmeister !, par Henri Du Buit

Photographie de F. Javier Alvarez Cobb (intitulée Venta del corazon de la literatura), extraite de la série intitulée Autopsia, en référence à ce blog.


Rappel :
Cette note critique d'Élisabeth Bart contient une revue de presse consacrée à mon livre.
Sur les ouvrages d'Henri Du Buit : Tu n'écriras pas mon Nom et Ce qui est écrit est écrit.

Au début on a autant de mal à lire l’ouvrage de Juan Asensio qu’à prononcer son titre : Maudit soit Andreas Werckmeister !
La difficulté vient du sujet. Il s’agit en effet de la description du cadavre de la Littérature.
Étudier le vivant est chose difficile, ne faut-il pas endormir le sujet ou le tuer ? Chacun a déjà disséqué une grenouille ou un rat. Ce qui est gênant c’est surtout l’odeur du chloroforme. Sous le scalpel d’Asensio l’odeur est terrible et va s’amplifiant : l’odeur de la mort n’a pas les yeux de Brad Pitt mais bien ceux de la décomposition.


La différence avec les affirmations de Bloy dans Propos d'un entrepreneur de démolitions, ce n’est pas tellement le style. Asensio a aussi la plume acérée. La différence c’est qu’il n’y a plus rien à démolir. La Littérature est morte. «À moins que la littérature ne soit plus composée que de mauvais romans, cette espèce bâtarde et prolifique, végétant dans les profondeurs noires et se nourrissant des déchets tombant sans fin des hauteurs inatteignables, sans qu’il nous soit, là encore, possible d’établir la date du décès» (p. 31).
On pourrait penser à la fin de l’Empire Romain, ce ne serait pas faux mais ce ne serait pas nouveau.
Ici le cadavre bouge de son affaissement sur lui-même donnant l’illusion du vivant.
Et là, quand les morts-vivants sont appelés : leurs seuls noms font déjà peine à entendre.
C’est vrai que le genre de l’ouvrage peut faire penser à Edgar Poe, à quelque La Chute de la maison littéraire mais c’est surtout au grand Japonais Akutagawa que le lecteur songe. Peut-être simplement car il s’agit d’une littérature encore héroïque.
Cependant, deux hypothèses, dans la dernière partie du livre, poussent vers le genre fantastique de Poe. Asensio propose deux universaux fantastiques. Vico a rappelé contre le rationalisme naissant que le fantastique produit aussi du vrai et que c’est pour cela qu’il est universel. Bergson plus tard dira «logique de l’imagination», comme Poe avait écrit «Rationale of Verse», c’est-à-dire logique de la poésie.
La première hypothèse est quelque chose approchant la Communion des saints : «je crois en fait que les livres communiquent entre eux» (p. 91) et «Je demeure convaincu qu’un lien unit ces romans».
Mais l’auteur qui semble ne pas être dans la métaphore nous offre une seconde hypothèse : le trou noir des livres. Comme en astrophysique le trou noir aspire des masses considérables, de manière invisible certains livres aspireraient le monde. Il ne veut pas suivre la métaphore de Steiner, il pense que ces trous noirs sont réels. Et pour le coup, le livre prend une autre dimension : on est très proche de la néguentropie chère à Boutang même si Asensio ne conclut pas avec autant de clarté que le Forézien. En effet, pour Boutang, ce n’est pas une certaine littérature qui est «une constellation ou plutôt une communauté de trous noirs» mais l’écriture elle-même.
Finalement Maudit soit Andreas Werckmeister ! est un livre plein d’espoir puisque le cadavre de la littérature est dévoré par des «trous de vers» qui sauvent «in extremis du néant» (p. 86) toutes ces informations «bien au-delà de la seule littérature».
Cet au-delà est rassurant car il indique chez l’auteur une littérature qui pour le coup est une métaphore du monde réel, pour ne pas dire le suaire qui l’enveloppe. Ou mieux si nous voulons appliquer les conseils d’Asensio, retrouver «la force des mythes originels où l’écriture était encore fille cadette d’une parole imaginale», elle est la voûte céleste, l’antique passoire posée sur le monde, laissant passer la lumière de Dieu.
Le silence du cadavre de la littérature laisse place au «murmure de la vox cordis», au murmure de Dieu.