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06/11/2009

Le structuralisme sans son magicien, par Francis Moury

Ce que les Nambikwara sont devenus.


Symphonie de citations illustrant une réelle contre-histoire du structuralisme

«Une série d’ouvrages de G. Dumézil a soulevé le problème de la persistance dans la Rome primitive d’institutions indo-européennes et particulièrement d’une tripartition fonctionnelle entre trois classes, prêtres, guerriers, travailleurs. […] Ces théories reposent : 1) Sur une vaste enquête comparative; 2) Sur l’interprétation des trois dieux romains qui seuls possèdent des flamines, Jupiter, Mars, Quirinus, comme symbolisant les trois classes fonctionnelles. On peut objecter que Mars n’est pas uniquement le dieu de la guerre et qu’on ne sait à peu près rien de Quirinus; 3) Sur les textes de Properce et de Virgile, d’où M. Dumézil tire que les tribus des Tities, Ramnes, Luceres, correspondent aux trois classes fonctionnelles. Dans ces textes je n’aperçois rien de tel. Dans d’autres ouvrages […] G. Dumézil étudie la période royale […]. Les rois symboliseraient, Romulus et Numa deux aspects de la souveraineté, Tullius Hostilius la fonction militaire, Ancus Marcius la fonction du travail. On en dirait tout autant si l’on considérait la succession César, Auguste, Tibère et Claude.»
André Piganiol, Histoire de Rome, Supplément bibliographique, (Éditions P.U.F., 4 édition, coll. Clio, 1939-1954), pp. 529-530.

«L’essentiel de la thèse de Lévi-Strauss repose sur un postulat : l’abréaction du shaman en exercice est identique à celle de l’élève psychanalyste. Nous ne chicanerons pas sur le mot. Toute séquence de comportement est, si l’on veut, une abréaction en ce qu’elle se réfère plus ou moins à une conduite infantile. Mais si l’on a recours à une notion aussi vague et étendue pour rapprocher deux phénomènes dissemblables, on ne peut se dispenser d’examiner ensuite leurs différences. Or elles sont considérables et vont jusqu’à l’opposition terme à terme. L’abréaction du shaman nous est décrite comme un symptôme, il s’agit «d’états spécifiques de nature psychopathologique». Cette conception du shaman médecin-mystificateur-névrosé n’est pas unanimement admise. M. Eliade et Van der Leuw en particulier le voient autrement. Il est vrai qu’ils distinguent avec soin le sacré du social et du psychologique.»
Dr. Francis Pasche, Le Psychanalyste sans magie, in Les Temps modernes, 5e année N°50, décembre 1949, pp. 964-965.

«Les sociologues du XIXe siècle prétendaient que leurs travaux devaient conduire à l’établissement de «lois sociologiques»; ce devait être le couronnement de leurs efforts. Ce n’est pas en vain qu’Auguste Comte empruntait à Hobbes le terme de physique sociale pour définir la sociologie. […] Malheureusement aucune de ces «lois sociologiques» n’a jamais été admise par un seul savant hormis par celui qui l’a établie ! […] Déjà Durkheim, dans les Règles de la méthode sociologique, après avoir critiqué les lois d’évolution de Comte et de Spencer et leur avoir opposé la recherche de Types Sociaux, a recommandé de développer l’étude des «relations causales en sociologie» mais non celle des «lois sociologiques».»
Georges Gurvitch, La Vocation actuelle de la sociologie, I, §1, section (Éditions P.U.F., 6e édition, coll. Bibliothèque de sociologie contemporaine, 1950), pp. 43-46.

«M. Gurvitch, que j’avoue comprendre de moins en moins chaque fois qu’il m’arrive de le lire, s’en prend à mon analyse de la notion de structure sociale, mais ses arguments se réduisent le plus souvent à des points d’exclamation ajoutés à quelques paraphrases tendancieuses de mon texte. Essayons pourtant d’atteindre le fond du débat. M. Gurvitch offre la primeur de ce qu’il croit être une découverte : «Il y a entre le gestaltisme en psychologie et le structuralisme en sociologie une affinité frappante, qui, jusqu’à présent, à notre connaissance, n’a pas encore été soulignée» (Cahiers internationaux de sociologie, vol. 19, 1955). M. Gurvitch s’abuse. Tous les ethnologues, sociologues et linguistes qui se réclament du structuralisme sont conscients des liens qui les unissent à la Gestalt-Psychologie. […] M. Revel m’attaque, mais non sans embarras. Car s’il me reconnaissait pour ce que je suis : un ethnologue qui […] a entrepris de remonter jusqu’aux principes de sa science [...] M. Revel devrait s'interdire de me discuter. Aussi commence-t-il par me métamorphoser en sociologue après quoi il insinue qu’en raison de ma formation philosophique, ma sociologie est une philosophie déguisée. […] Mais je ne suis pas sociologue et je ne m’intéresse que de façon subsidiaire à notre société.»
Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, §XVI (Éditions Plon, 1958-1977), pp. 355 et 371.

«Il semble que nous rejoignons Durkheim; mais en dernière analyse, Durkheim dérive aussi les phénomènes sociaux de l’affectivité. […] Ce principe consiste dans l’union des termes opposés. Au moyen d’une nomenclature spéciale, formée de termes animaux et végétaux (et c’est là son unique caractère distinctif) le prétendu totémisme ne fait qu’exprimer à sa manière – on dirait aujourd’hui, au moyen d’un code particulier – des corrélations et des oppositions qui peuvent être formalisées autrement; ainsi, dans certaines tribus de l’Amérique du Nord et du Sud, par des oppositions du type : ciel-terre, guerre-paix, amont-aval, rouge-blanc, etc., et dont le modèle le plus général, et l’application la plus systématique, se rencontrent peut-être en Chine, dans l’opposition des deux principes du Yang et du Yin : mâle et femelle, jour et nuit, été et hiver, de l’union desquels résulte une totalité organisée (tao) : couple conjugal, journée ou année. Le totémisme se ramène ainsi à une façon particulière de formuler un problème général : faire en sorte que l’opposition, au lieu d’être un obstacle à l’intégration, serve plutôt à la produire.»
Claude Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd’hui, §III et IV (Éditions P.U.F., coll. Mythes et religions dirigée par Georges Dumézil, 1962), pp. 102-128.

De la pensée au mythe de la pensée : la duplicité structuraliste

La pensée peut-elle devenir un mythe ? Peut-être.
Il y a bien un mythe du platonisme qui concurrence régulièrement les études d’histoire de la philosophie platonicienne, y compris celles portant sur les mythes de Platon lui-même !
L’absence de pensée peut-elle devenir un mythe ? Certainement, et bien plus facilement : Lévi-Strauss = la preuve… par sa pensée et la preuve… par sa mort !
Lévi-Strauss s’est intéressé à la philosophie, à l’ethnologie, à la psychologie des profondeurs, à la sociologie, sans oublier l’opéra. Puisque c’est aussi notre cas et celui d’un certain nombre de nos lecteurs et de nos lectrices, penchons-nous donc sur l’étrange cas de Claude-Lévi Strauss, un curieux illusionniste décédé récemment après un siècle d’activités sur la scène intellectuelle !
Nous observons ahuris, étonnés, sidérés – les mots nous manquent – les niaises réactions mondaines et officielles au soir de la mort de celui qu’il faut pourtant bien considérer comme l’un des imposteurs intellectuels les plus insignes du XXe siècle, et dont la néfaste influence ne peut guère être comparée, dans le domaine des sciences sociales qui était le sien, qu’à celle de Lacan dans le domaine de la psychanalyse. Trajet étoilé identique : succès universitaires initiaux à la formation puis purement sophistiques en guise de théorie, une même désinvolture intellectuelle ayant pour grave conséquence des scissions inutiles à des fins personnelles sous couvert d’objectivité, et à l’arrivée une même vacuité finale après des débuts séduisants qui semblaient prometteurs. Et des ministres se lamentent ce soir de la perte d’un grand penseur : on lui préparait des funérailles officielles ! Il paraît que c’est trop tard, que la cérémonie privée a déjà eu lieu. Pas très grave : Claude Lévi-Strauss n’était pas Victor Hugo non plus, question popularité ! Il ne faut pas s’attendre à ce que l’auteur du Cru et du Cuit, de l’Anthropologie structurale ou du Totémisme aujourd’hui – son livre le plus faible jamais écrit tant il est navrant et réducteur ! – soulève les foules parisiennes sentimentales.
Tristes tropiques peut-être, à la limite, demeure populaire parce que les professeurs de l’enseignement secondaire croient bon depuis les années 1975 d’en donner des extraits – toujours les mêmes – à expliquer à leurs élèves. Avec, à l’arrière-plan, la même antienne qui mina l’intellect de leurs élèves en cette fin du XXe siècle : Lévi-Strauss, comme Rousseau qu’il révérait d’ailleurs, a relativisé la portée intellectuelle de la suprématie occidentale, soutenu que la nature était supérieure à la civilisation moderne. Et il a pointé précisément les inconvénients écologiques de cette suprématie, il a conforté le droit à l’existence – pas seulement leur droit à être pensés mais bien leur droit à exister de concert avec nous, sur la même Terre, en compagnie de notre vision du monde rationnelle contemporaine – des mythes, des civilisations parallèles à la nôtre. Des sociétés moins riches, plus anciennes, plus simples, plus primitives mais tout aussi intelligentes et poétiques, nous chuchote-t-on constamment en sourdine. Ah, ces chers indiens Nambikwara étudiés en 1948, leurs recettes de cuisine, leurs mythes, leurs coutumes ! Sans Lévi-Strauss, nous n’aurions pas pris conscience de tout ça. Voilà le catéchisme qu’on nous serine, ce jour encore.
Et pourquoi ne pas leur faire lire, à vos écoliers, du Montesquieu (plus intelligent que Rousseau mais plus difficile à lire et surtout à comprendre), de l’Auguste Comte (dont Lévi-Strauss avait le culot de citer une formule de la 52e Leçon du Cours de philosophie positive en exergue au début de son Totémisme aujourd’hui alors qu’il n’a cessé d’appauvrir et de dévoyer les objets étudiés, préservés dans toute leur richesse singulière par Comte), du Marcel Mauss (dont il se voulait l’élève, lui qui se vantait d’avoir lu l’Essai sur le don, alors que tous ses contemporains l’avaient lu, à commencer par Roger Caillois qui en avait tiré une substance autrement précieuse), de l’Émile Durkheim (que Lévi-Strauss croit critiquer en estimant qu’il se maintient du côté du sentiment alors que lui se tiendrait du côté de l’intellect : on s’amuse vraiment quand on lit cela), du Lucien Lévy-Bruhl (peut-être le plus riche, le plus important de tous ceux qui en France ont véritablement tenté de comprendre la mentalité primitive en maintenant réellement sa substance au lieu de la ramener à des séquences fonctionnelles si segmentées qu’elles sont vides, Lévy-Bruhl qui fut au demeurant l’un des meilleurs historiens de la philosophie classique à la Sorbonne), du James G. Frazer (que Lévi-Strauss ne pouvait supporter en raison de l’influence déterminante des quatre volumes du monumental Totémisme et exogamie de Frazer sur Freud), du Sigmund Freud (dont le Totem et Tabou demeure peut-être le livre le plus authentiquement synthétique sur le totémisme, et qui constitue la définitive négation en acte de la navrante, réductrice et aberrante étude de Lévi-Strauss parue en 1962), du Géza Roheim (anthropologie psychanalytique de la mentalité primitive australienne – et aussi d’autres éléments d’art ou de culture humaine : l’énigme du Sphinx, par exemple ! – encore existante dans les dernières sociétés primitives australiennes où Roheim, autant que Lévi-Strauss, avait voyagé et séjourné), pourquoi, oui, ne point leur faire lire ces auteurs ? Ils n’ont rien écrit là-dessus, ceux-là ? Lévi-Strauss aurait donc inventé quelque chose ? Inventé quelque chose de nouveau, d’original, de réel sur une question quelconque relevant des sciences humaines ? Du vent, du néant, de l’illusion ! Totale et définitive. Il ne fallait rien inventer : juste découvrir. Tout Lévi-Strauss contre une et une seule page des auteurs cités plus haut : je tiens le marché quand vous voulez et je le gagnerai !
Lévi-Strauss avait eu, cependant, les honneurs d’un «Apostrophes» télévisé et d’un interrogatoire en règle médiatisé par le primesautier, si vivant et si fondamentalement niais Bernard Pivot, le bien nommé moyen-moyeu fonctionnel de la structure «crypto-socialo-communiste-structuraliste» du savoir télévisuel en cette fin des années 1970. Il fallait voir ça semaine après semaine, cet abaissement régulier de l’histoire de la littérature ou de la littérature contemporaine tout aussi bien à un niveau digne de celui du Café du Commerce et on s’en souvient comme d’un cauchemar éveillé ! Lagarde & Michard, en comparaison, semblaient le nectar et l’ambroisie de la pensée et de la poésie pures ! Sur Chateaubriand, on se souvient de Jean D’Ormesson et Pivot discutant, éclat de rires graveleux aux lèvres en permanence, pour savoir si Alphonse de C. avait couché avec telle ou telle. Pivot tentant de convaincre Jean Marais, au seuil de la mort, que Typhon sur Nagasaki (1957) d’Yves Ciampi était un authentique navet alors que c’est un des plus beaux films français des années 1950-1960 et qu’il est devenu l’un des plus méconnus ! Marais refusait – avec raison ! – de l’admettre («Non je ne suis pas d’accord avec vous : Typhon sur Nagasaki était un très beau film !» mais l’autre insistait, obscène : «Mais si, voyons, reconnaissez-le : c’est tout de même un navet !». On avait, dans ces moments-là, vraiment envie de cracher au visage de Pivot apparaissant sur l’écran de la télévision. On ne le faisait évidemment pas parce qu’on est logique : un média est innocent et notre écran eût été inutilement souillé par notre crachat. C’est le médiateur apparu dedans qui peut être bon ou mauvais. D’ailleurs soyons juste – sinon on va nous accuser d’être excessif dans nos jugements ! – et reconnaissons de bonne grâce qu’il arrivait tout de même que cela fût riche, en dépit de la chiennerie morale et intellectuelle qui sous-tendait ce «show» ridicule, du moins quand l’interlocuteur pouvait naturellement résister : Pierre Boutang opposé à Steiner, ou bien encore Roger Caillois furent des «Apostrophes» réussis malgré Pivot, malgré la télévision et ses pouvoirs décrits depuis belle lurette par des penseurs bien plus modestes mais bien plus sérieux que Lévi-Strauss lui-même. Bref… revenons donc à celui qui nous intéresse ici.
À la question «Comment souhaiteriez-vous mourir ?», posée par ledit Pivot, voici donc quelle fut la réponse ahurissante de Lévi-Strauss : «En dirigeant Les Maîtres chanteurs [de Nuremberg] de Wagner». Il fallait l’entendre pour y croire. On peut rétrospectivement se dire depuis ce soir que c’est raté mais Wagner ne s’en plaindra pas outre-tombe et nous non plus ! On préfère Wilhelm Furtwängler, Karl Boehm ou Bruno Walter à Lévi-Strauss en matière de direction d’orchestre symphonique wagnérien. Il reste l’idée du structuraliste le plus célèbre de France d’avoir souhaité mourir en dirigeant un orchestre jouant du Wagner : que pouvait-elle bien signifier ?

Pour le comprendre, revenons là où il faut toujours revenir : à l’origine !

À l’origine, l’idée que Lévi-Strauss est un continuateur fidèle de Marcel Mauss. Idée fausse puisque Lévi-Strauss critiquera dix ans plus tard Durkheim dont Mauss était le continuateur, un continuateur original et indépendant, un continuateur tout de même. Mauss, c’est tout bonnement le monument devant lequel il s’incline pour faire semblant de lui rendre hommage alors qu’il est à la VIe section de l’École pratique des Hautes Études ! Hommage qui n’avait pas surpris la religion du comité de rédaction des Cahiers internationaux de sociologie, alors dirigés par le très remarquable (et fichtéen, cette remarque étant réservée aux philosophes plutôt qu’aux sociologues) philosophe et sociologue Georges Gurvitch qui préfaça très prudemment les extraits de l’Introduction de Lévi-Strauss au volume de Marcel Mauss, Anthropologie et Sociologie (Éditions P.U.F., coll. Bibliothèque de sociologie contemporaine, 1950, parus sous le titre de L’œuvre de Marcel Mauss dans son vol. VIII, cinquième année, 1950, p. 72), en écrivant : «Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que la pensée de Mauss, les conclusions finales à tirer de son œuvre admettent des interprétations différentes. La rédaction des Cahiers, en s’inclinant devant la mémoire de ce grand Maître de la Sociologie et l’Ethnographie Françaises, est heureuse de publier ci-dessous des extraits d’une importante introduction de M. Claude Lévi-Strauss […] Cette introduction, qui n’a pas pu être reproduite ici in extenso, représente une interprétation très personnelle de l’œuvre de Mauss par un auteur à la fois ethnologue et sociologue.»
Gurvitch a vu juste dans le jeu de Lévi-Strauss à ce moment-là : ce dernier poursuit avec duplicité d’autres fins que Mauss. Il veut créer une anthropologie structurale, ressortissant d’une anthropologie philosophique, laquelle repose sur des bases rationalistes mais surtout matérialistes qui s’avouent assez régulièrement comme telles. Lévi-Strauss ne pardonnera jamais à Gurvitch sa clairvoyance. Une constante de Lévi-Strauss est d’être d’une particulière agressivité lorsqu’il se sent découvert.
Sur la manière dont cette anthropologie structurale se développe, sur les points critiquables de sa méthode, de ses objets et de sa finalité, on ne peut guère lire de texte plus lumineux, plus riche d’enseignement que celui, admirable, de Jean Cazeneuve, La Mentalité archaïque, II, §6 L’Anthropologie structurale et l’anthropologie philosophique (Éditions Armand Colin, coll. C.A.C., 1961, pp. 67-78) qui demeure une critique acérée, fine, pointue, rigoureuse des positions de Lévi-Strauss, et de son infériorité patente par rapport aux maîtres réels que furent Durkheim, Mauss, Lévy-Bruhl. Nous n’allons pas ici citer de passages ni refaire ce parcours : il a été fait et bien fait. Nous engageons chaleureusement les étudiants et leurs professeurs à le découvrir ou à le relire dans son intégralité !
Dieu merci, Cazeneuve n’est pas isolé ! Après Pasche, après Cazeneuve, quelques années plus tard, c’est au tour de Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, II, §6 Mythes et sémantisme (Éditions P.U.F., coll. Bibliothèque de Philosophie contemporaine, 1963, notamment pp. 384-391), de critiquer en règle la méthode et les attendus philosophiques de Lévi-Strauss. Nous nous permettons ici de citer une très belle formule de Durand : «Et d’abord, nous le répétons, nous rejetons la tentation fréquente qu’a Lévi-Strauss d’assimiler le mythe à un langage et ses composantes symboliques aux phonèmes. […] Mais, si le mythe, en dernière analyse, se réduit ou peut se réduire à une pure syntaxe formelle, l’on peut à juste titre alors retourner contre Lévi-Strauss la critique contre ceux qui «escamotent» le mythe au profit d’une explication naturaliste et psychologique. Lévi-Strauss théoricien nous semble bien escamoter le mythique au profit de la logique et de la mathématique qualitative lorsqu’il déclare [in Lévi-Srauss, La Pensée sauvage, Éditions Plon, 1962, p. 255] que nous découvrirons un jour «que la même logique est à l’œuvre dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique» et que, somme toute, «L’Homme a toujours pensé aussi bien». […] Nous le répétons, le mythe ne se traduit pas, même en logique».
Splendide réponse aux élucubrations lévi-straussiennes de 1962 : Le Totémisme aujourd’hui (P.U.F.) et La Pensée sauvage (Plon) !
Freud avait-il dit autre chose que Durand dans Totem et tabou – interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs (Éditions Payot, coll. P.B.P., réédition en 1976, p. 12) lorsqu’il précisait qu’il s’était méthodologiquement opposé, au cours de son «étude spéciale», autant à Wundt qu’à Jung et qu’il ajoutait, avec sa prudence coutumière : «S’il y a des divergences portant sur l’explication théorique du totémisme, on peut dire aussi que les faits dont il se compose ne se laissent guère énoncer à l’aide de propositions générales, ainsi que nous venons de l’essayer. Il n’est pas une interprétation qui ne comporte des exceptions et des objections» ?
C’est ce que Lévi-Strauss n’avait pas davantage supporté et c’est la raison pour laquelle il devait tenter de réduire la psychanalyse à la magie – afin de la rabaisser à une pure technique passible à son tour d’une étude sémantique ! – dans son lamentable article Le Sorcier et sa magie, in Les Temps modernes (mars 1949) auquel devait répondre d’une manière courtoise mais théoriquement cinglante et définitive, le docteur Francis Pasche, futur président de la S.P.P. (et sans doute, on s’en rend compte à mesure que le temps décante les œuvres et les auteurs, le plus grand psychanalyste français du XXe siècle, devant Maurice Bouvet et les autres) dans son article Le Psychanalyste sans magie, inexplicablement pas réédité dans les trois volumes de Pasche parus en 1969 (Payot, coll. Bibliothèque Scientifique Payot), en 1988 et en 1999 (P.U.F., coll. Le Fil rouge) – le volume posthume de 1999 préfacé par Didier Anzieu qui était lui-même en train de mourir lorsqu’il rédigea la préface – mais dont nous avons tenu à citer l’extrait qu’on peut lire supra en exergue dans notre mini-symphonie de citations anti-structuralistes. Lorsque Régis Debray (dans Vie et mort de l’image, I Genèse de l’image, §4 Vers un matérialisme religieux, réédition Gallimard, coll. Folio Essais, 1992 p. 152) avait élogieusement fait référence à la thèse de Lévi-Strauss sur le parallélisme entre psychanalyse et chamanisme, je m’étais empressé de lui adresser un tiré à part, jauni mais encore en parfait état physique, de cet article de Pasche afin qu’il cesse de considérer comme «canonique» (sic) le texte de Lévi-Strauss. Je crois pouvoir dire qu’il produisit l’effet espéré.
Évoquons à présent son idée de mourir en dirigeant les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner…
Le seul opéra dont le fondement ne soit pas mythique, le seul qui soit une comédie, donc le moins wagnérien, en fin de compte, de tous les opéras écrits par Wagner ! Une œuvre charmante, légère, reposant sur la duplicité des héros telle que l’action les expose, duplicité aboutissant au succès. Une forme se développant et jouissant de son développement. Une forme ? Pas au sens noble, platonicien, de ce mot. Encore moins au sens aristotélicien. Simplement une suite de codes dotés d’une forme momentanément tenue pour belle par la civilisation hasardeuse à laquelle Lévi-Strauss pouvait situer hic et nunc son appartenance et qu’il souhaitait intégrer, représenter, comprendre, mais par-dessus tout… réduire. Réduire Wagner à une suite de codes en rêvant de le diriger, abstraction faite du Wagner concret, de l’individu Wagner et des mythes réels, historiques, populaires auquel il voulait rendre gloire. Lévi-Strauss avait soigneusement sélectionné l’opéra de Wagner qu’il souhaitait diriger en mourant. Ce n’était pas innocent : c’était une manière de dire que l’essence de Wagner se tenait en dehors des mythes allemands auxquels Wagner était le plus attaché.
Oscar Levi Strauss invente un pantalon surnommé le «blue Jean» : 1853-1860. Claude Lévi-Strauss invente le structuralisme, du moins le popularise – bien davantage que Jean Piaget, il faut le reconnaître ! – 1908-2009. Au fond, quelle importance ? Dans quelques milliers d’années, le prénom, l’accent, le trait d’union unifieront tout cela en purs phonèmes renvoyant à des fantômes et on aura oublié que l’un passait pour avoir inventé le «blue Jean» entre 1853 et 1860 tandis que l’autre admirait la musique d’un opéra de Wagner écrite en 1868 pour des raisons théoriques absurdes ratiocinées entre 1948 et 1978. On commence d’ailleurs à considérer que le «blue jean» d’Oscar Levi Strauss participe actuellement un peu trop à la pollution en raison de son mode de production réparti sur plusieurs points éloignés de la Terre, induisant des transports de matière première et des dépenses d’énergie inutiles. On pourrait commencer de même à s’aviser de la niaiserie théorique de Claude Lévi-Strauss au moment précis où on clame sa gloire : il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour assainir un terrain, éradiquer une plante toxique. Ces deux-là passeront : ils passent déjà, ils sont passés ! En revanche, l’histoire comparée des religions ne passera pas, le «mana», les totems et les tabous ne passeront pas, la musique de Wagner ne passera pas, les mythes et récits légendaires qu’il a mis en musiques dans la Tétralogie ne passeront pas non plus.

Note additionnelle sur Georges Dumézil

On pourrait croire que nous avons une vision un peu négative de l’ancien directeur de l’École Pratique des Hautes Études, Georges Dumézil, puisque le lecteur attentif remarque que notre symphonie de citations anti-structuraliste débute par les critiques d’André Piganiol à son encontre, et s’achève par une citation du Totémisme aujourd’hui publiée dans la remarquable collection «Mythes et religions» qu’il dirigeait alors aux P.U.F. Ce serait une impression fausse que nous voudrions dissiper si par hasard elle se produisait. En réalité, la publication du Totémisme aujourd’hui est le seul volume qu’on puisse reprocher à cette collection fondée par P.-L. Couchoud et qui abrita les œuvres de Marie Delcourt, Louis Séchan, A.-J. Festugière et tant d’autres admirables professeurs. On peut reprocher légitimement à Dumézil d’avoir voulu tout expliquer par sa structure tripartite mais, dans le détail, on sait bien que ses ouvrages demeurent d’une exceptionnelle richesse. Un mot encore : lorsque Dumézil préface Mircea Eliade (Traité d’histoire des religions, Éditions Payot, coll. B.S.P. 1959), il n’hésite pas à affirmer que les idées de structure, de mécanisme, d’équilibre ont supplanté les vieilles interprétations relatives au «mana» des premiers chercheurs en histoire comparée des religions. Dumézil cède donc une fois de plus à son péché mignon, certes, et nous nous inscrivons en faux contre cette tendance. Il faut d’ailleurs se souvenir que les P.U.F. avaient, dix ans avant la stupide remarque de Dumézil, donné naissance à une belle collection qui s’intitulait précisément «Mana – Introduction à l’histoire des religions» qui publia en 1948 comme premier volume de sa section «Les religions de l’Europe ancienne» l’admirable étude de Charles Picard, Les Religions préhelléniques – Crète et Mycènes. Mais il est remarquable que Dumézil y cède concernant un livre de Eliade contenant 405 pages environ, suivies d’un Index nominorum où le nom de Claude Lévi-Strauss n’apparaît pas une seule fois ! Et qu’il y cède, enfin, en concluant sa Préface par un hommage à J. G. Frazer, l’un des penseurs les plus injustement critiqués par Lévi-Strauss. Dumézil vaut mieux que Lévi-Strauss.

Commentaires

L'article me semble juste, dans son ensemble. Vous mentionnez à peine son ouvrage qui a le plus durablement influencé l'anthropologie, et pas seulement en France, à savoir les Structures Elémentaires de la Parenté (dont Laurent Barry offre une critique brillante dans son dernier ouvrage). Mais je partage vos réserves, notamment sur Tristes Tropiques ou sur l'analyse structurale des mythes.

Écrit par : Victor Cova | 06/11/2009

Vous n'aimez pas LS et lui préférez nombre de penseurs cités d'abondance. Vous semblez l'associer à une pensée moderne que vous réfutez. Mais que fait-il en cette galère, lui, spectateur dégagé, "vieil anarchiste de droite, opposé à Sartre et à sa philosophie de l'homme maître de son destin.
Plutôt qu'une énumération fastidieuse des penseurs du siècle dernier, et une litanie de références, j'attendais une analyse critique du structuralisme, dont le postulat, cette sorte de solfège existant dans le cerveau humain depuis toujours, mérite plus d'attention.
Disons, qu'il manque - ou que je ne l'ai pas trouvé - un fil directeur à cet article.

Écrit par : jcladrian | 06/11/2009

Les lettres rouges des commentaires sont si petites que j'ai du mal à lire les noms et prénoms des commentateurs : qu'ils m'en excusent !

Pour le premier lecteur V.C. [que j'arrive à déchiffrer à peu près] :
LES STRUCTURES ELEMENTAIRES DE LA PARENTE est un texte qui a eu son heure de gloire en 1949 à sa parution, qui est très technique, comme vous le savez bien et qui ouvrait d'une certaine manière les hostilités théoriques, c'est bien certain, et bien davantage que celui antérieur sur LA VIE FAMILIALE ET SOCIALE DES INDIENS NAMBIKWARE paru en 1978 d'une manière plus confidentielle. Vous avez absolument raison de le mentionner comme essentiel à une critique historique de Lévi-Strauss qui serait totale et complète : ce n'était pas exactement, vous l'aurez bien compris, l'ambition de mon petit article. Je souhaitais cependant redonner la parole aux critiques d'époque qui sont oubliés du grand public mais dont le souvenir demeure chez une élite universitaire : Cazeneuve, Durand, Gurvitch, Pasche et tant d'autres qui sont supérieurs à Lévi-Strauss et qui avaient fort bien compris, en extension comme en compréhension d'un point de vue logique, en quoi le structuralisme de Lévi-Strauss était néfaste relativement aux objets respectifs dont ils s'occupaient.
En outre, LES STRUCTURES DE LA PARENTE fut un texte qui s'est maintenu dans l'enceinte universitaire et qui n'a pas eu l'ampleur et le retentissement que devaient connaître les textes plus récents de Lévi-Strauss que j'ai cités, notamment ceux des années suivantes de 1952 à 1973 grosso modo, donc de RACE ET HISTOIRE (1952) à ANTHROPOLOGIE STRUCTURALE DEUX (1973).
Cela dit, c'est de ce point de vue la seconde édition des STRUCTURES ELEMENTAIRES DE LA PARENTE, parue en 1967 revue et corrigée, qu'il faudrait prendre définitivement en compte, pas seulement d'un point de vue historique. Je suis au demeurant ravi d'apprendre grâce à vous l'existence d'une critique en règle des STRUCTURES ELEMENTAIRES DE LA PARENTE et je vous en remercie: tout ce qui peut contribuer à dégonfler la baudruche est bienvenu.


Pour le second lecteur J.C. :
La critique analytique du structuralisme que vous réclamez, cher lecteur, je vous ai déjà signalé où la trouver et je me cite moi-même infra à toutes fins utiles:

"Sur la manière dont cette anthropologie structurale se développe, sur les points critiquables de sa méthode, de ses objets et de sa finalité, on ne peut guère lire de texte plus lumineux, plus riche d’enseignement que celui, admirable, de Jean Cazeneuve, La Mentalité archaïque, II, §6 L’Anthropologie structurale et l’anthropologie philosophique (Éditions Armand Colin, coll. C.A.C., 1961, pp. 67-78) qui demeure une critique acérée, fine, pointue, rigoureuse des positions de Lévi-Strauss, et de son infériorité patente par rapport aux maîtres réels que furent Durkheim, Mauss, Lévy-Bruhl. Nous n’allons pas ici citer de passages ni refaire ce parcours : il a été fait et bien fait. Nous engageons chaleureusement les étudiants et leurs professeurs à le découvrir ou à le relire dans son intégralité !"

Relisez mon texte car ce passage y est écrit noir sur blanc mais... vous ne semblez pas l'avoir lu.

Les guillemets dans votre courriel sont placés d'une manière bizarre : je ne vois pas où se termine la citation... et il m'est dans ces conditions, assez difficile d'y répondre.

Prouvez-moi, en outre, que Lévi-Strauss était un "spectateur dégagé" et en quoi il l'était ? Vous pensz que Lévi-Strauss écrivait des traités d'anthropologie qui, à ses propres yeux, n'avaient pas de conséquences et ne devaient pas en avoir ? Vous pensez que le structuralisme était un mouvement de pensée sans conséquences intellectuelles, morales, esthétiques, politiques ?

Quant aux rapports à Sartre, une ligne est un peu insuffisante pour en rendre compte, vous vous en doutez bien.

Mon texte, je le reconnais, s'adresse à ceux qui savent déjà assez précisément ce que sont les enjeux en question ici et qui sont familiers du vocabulaire technique et critique employé à leur traitement. Cela dit, je vous engage à nouveau, le plus vivement et le plus chaudement, à lire les sources critiques de Lévi-Strauss dont je me recommande : mon texte a surtout pour but de donner envie au lecteur novice de les découvrir, à celui qui l'est moins de les relire, aux deux de les méditer. Tout y est mais encore faut-il savoir que cela s'y trouve : je le sais et mon but est de l'apprendre au maximum de lecteurs possible.

Voir l'histoire des religions réduite, comme c'est le cas dans TOTEM ET TABOU, à une forme logique se ramenant à l'union fonctionnelle des termes opposés, constitue une aberration suffisante à elle seule pour indiquer le degré de nocivité de la théorie mise en oeuvre. Mais Lévi-Strauss avait un but bien plus ample encore qui était de réduire le restant du réel à des algorithmes afin d'en nier en profondeur la réalité charnelle. Loin de vouloir sauver la réalité, il voulait la nier au profit d'une abstraction formalisée : de l'individuel, il voulait faire du général, suivant un mouvement inverse du mouvement aristotélicien classique résumé par la formule : "Il n'y a de science que du général, de réalité que de l'individu" et que le Moyen-âge n'a cessé de commenter et de méditer, que Descartes, Kant, Hegel, Comte et bien d'autres encore n'ont cessé de méditer. Il donnait l'impression qu'il voulait sauver l'individuel concret : ses déplacements, ses voyages. Surface trompeuse qui vous a trompé. Sous la surface, le but de l'entreprise était l'avalement, la transformation, la négation.

Écrit par : francis moury | 06/11/2009

Tout d’abord merci de cet article sur Claude Lévi Strauss qui en méritait bien un, même si c’est une critique, peu importe. Ce qui tue, c’est l’indifférence, pas la critique.

Je ne prétends pas être assez calée sur le sujet pour défendre CLS cependant, je lui dois une grande émotion de lecture avec La pensée sauvage (1962), un changement diamétral dans ma façon de percevoir les sociétés dites traditionnelles.
L'idée de base que j'ai retenue et qui m'a tant secouée, c'est que nous jugeons mal les sociétés traditionnelles, nous pensons à tort, qu'elles sont moins évoluées ou complexes que la société moderne occidentale. Par exemple, certaines sociétés des îles du Pacifique, ont interprété les rêves bien avant Freud. Chaque matin, la tribu se réunit, et demande à chacun de décrire ses rêves de la nuit. Les enfants aussi doivent raconter particulièrement leurs cauchemars, s’ils en ont. Le village les écoute, et tente de les aider à surmonter leurs peurs.
Je signalerais aussi, la façon dont les amérindiens traitaient les garçons, leur demandant vers l'âge de 6 ans, de quel sexe, ils se considéraient être. Si un garçonnet choisissait d'être une fille, il recevait une éducation féminine. Les amérindiens tentent d'inclure, d'intégrer. Le monde chrétien est basé beaucoup plus sur le jugement et l'exclusion, ce qui est étrange avec un Nouvel Évangile si tolérant et ouvert (tu ne jugeras point, le plus important est l’amour, etc.).
Bien sûr il y a également la connaissance phénoménale des plantes des chamans. Jeremy Narby est un ethnologue décrié mais pour moi, le plus fascinant (voir sous lien), qui défend lui, la pensée magique. Je suis toujours étonnée qu’un film sur la vie de Jung n’ait pas été réalisé.

Écrit par : AK | 06/11/2009

Cher Francis, je n'ai aucune compétence pour donner un point de vue précis sur votre texte. Je dirai seulement que le dernier § de votre commentaire, votre dernière phrase, en particulier, " Sous la surface le but de l'entreprise était l'avalement, la transformation, la négation", s'accordent parfaitement avec la photographie: ce que les Nambikwara sont devenus. Tristes Tropiques, en effet.

Écrit par : Elisabeth bart | 06/11/2009

2 corrigendum à ma double réponse aux deux premiers commentaires, ci-dessus :
- Lire au premier paragraphe 1948 au lieu de la coquille "1978"
- Lire au dernier paragraphe LE TOTEMISME AUJOURD'HUI au lieu de la coquille "TOTEM ET TABOU"

Pour AK : ce que vous aimez chez Lévi-Strauss, vous le trouvez bien avant lui dans les textes fondateurs de Durkheim, Mauss, Lévy-Bruhl, Roger Caillois, Georges Bataille, et les fondateurs, enseignants et élèves du Collège français de Socilologie, donc dès les années 1900-1935. Sans oublier les travaux admirables de Frazer et de Freud.
Juger est une opération logique, exclure est une opération morale : on ne doit pas les confondre et elles n'ont rien de spécifiquement chrétien : l'homme primitif ne cesse de juger de sa naissance à sa mort, et il ne cesse d'exclure, et bien plus durement que le Chrétien antique ou moderne. Les sociétés primitives sont des sociétés tolérantes ou plus tolérantes que les nôtres sur certains points, mais beaucoup plus intolérantes sur bien d'autres, et d'une manière souvent mystérieuse et inexplicable. Le Totémisme et l'exogamie ne sont pas des systèmes tolérants : ce sont des systèmes classificateurs et séparateurs stricts répondant à une logique primitive qu'on a pu à bon droit dénommer pré-logique car elle n'est pas rationnelle comme la logique d'Aristote.
Quant à Jung, il est intéressant, excitant intellectuellement, comme tous les penseurs contemporains de Freud et proches de lui mais il lui demeure inférieur : le meilleur livre de Jung est, selon moi, celui qu'il avait écrit en collaboration avec Charles Kérényi, INTRODUCTION à L'ESSENCE DE LA MYTHOLOGIE. On peut encore lire de Jung, cela dit, L'HOMME à LA DÉCOUVERTE DE SON ÂME qui contient de suggestives remarques. Mais si Freud a cru bon de se séparer de Jung, c'est pour des raisons sérieuses, cependant. Jung demeure théoriquement très inférieur à Freud.

Pour Elisabeth :
C'est une sorte de hasard objectif, comme dirait Jung, car ma formule finale visait bien, vous l'aviez compris, la pensée de Lévi-Strauss, et non pas du tout l'objet de sa pensée qui fut cette tribue et quelques autres (la nôtre, française, y compris, en dépit de ses dénégations circonstanciées). Cela dit, une image peut-elle suffire à rendre compte d'un devenir ? Un véritable sujet de dissertation, pour le coup ! J'aurais préféré, à la réflexion, pour illustrer cet article, une illustration relative à l'opéra de Wagner que Lévi-Strauss rêvait de diriger en mourant : je demeure persuadé que ce souhait donne sous une forme allusive la clé de voûte des tenants et aboutissants de son système.

Écrit par : francis moury | 06/11/2009

Oui, bon, en même temps (et en oubliant l'attaque contre le Café du Commerce), si vous aviez travaillé un peu plus, vous nous auriez présenté de façon claire ces critiques de Lévi-Strauss, dont j'aurais pris connaissance avec d'autant plus d'intérêt que je ne suis pas lévi-straussien, plutôt que de jouer les matamores contre un cadavre certes bêtement consensuel, mais qui ne risque pas de vous répondre.

Je suis d'accord avec vous sur certains points importants, notamment la réduction par L-S (dans ses pires moments) du contenu des religions à une opération logique, cela ne m'empêche pas de trouver aussi déplorable votre parallèle purement rhétorique avec O. Lévi-Strauss que ce qui n'est qu'une digression sans intérêt, mal argumentée qui plus est, sur les "Maîtres-chanteurs".

Les journaux devaient avoir depuis vingt bonnes années leurs "nécros" de Lévi-Strauss prêtes à remplir quelques pages de leurs torchons ; à vous lire, on a l'impression que vous étiez tout aussi prêt qu'eux, dans votre coin, à attendre que le vieil académicien crève pour cracher un peu de bile sur son corps tout chaud et le consensus qui, c'est la règle, l'entoure.

- Foutre, c'était vraiment trop compliqué d'exposer clairement quelques arguments contre ses théories, au lieu de jouer les chevaliers-d'on-ne-sait-pas-quoi ?

J'ajoute que votre citation de Freud, "prudente" ou non, ne répond guère au propos du "Totémisme aujourd'hui", et que votre diagnostic sur l'attitude de L-S à l'endroit de la psychanalyse ne relève, telle que vous l'avez rédigée, que du procès d'intention. Ceci au cas où des lecteurs impressionnés par votre côté péremptoire pourraient avoir la tentation de prendre pour argent comptant tous vos arguments.

Écrit par : cafeducommerce | 06/11/2009

Une précision sur le texte de Laurent Barry que je mentionne: Oui, il critique Les Structures Elementaires, mais il est élève d'élèves de Lévi-Strauss. Pas vraiment de "dégonflement de baudruche", il est trop jeune pour avoir connu le grand engouement universitaire pour le bonhomme. Mais il montre très clairement le (relativement) peu d'originalité des thèse des Structures Elementaires, assez similaires aux kinship theories anglaises et américaines, et surtout démontre qu'elle n'a de sens que pour une fraction des systèmes de parenté connus (excluant notamment les nôtres, reproduisant ainsi une dichotomie sauvages/modernes dont il ne se départit pas, et qui ne lui fait prendre au sérieux ni "eux", ni "nous"). Et il développe une théorie de la parenté qui prend beaucoup plus au sérieux son épaisseur culturelle et qu'il appuie sur une comparaison systématique avec l'ensemble des systèmes de parenté connus. Le livre est paru en Folio poche, et il est passionnant.

Écrit par : Victor Cova | 07/11/2009

Bonjour.
Je vous laisse discuter entre personnes de bonne compagnie mais, mon cher Francis, tes desiderata concernant mon choix d'illustration, il fallait m'en faire part AVANT la publication de la note je suppose.
Moi, cette illustration me va, je trouve qu'elle illustre tout autant que celle que tu proposais dans ton commentaire le côté "toc" de cette pensée...
Bien à vous.

Écrit par : Stalker | 07/11/2009

@Francis, merci de votre reponse, je n'evoquais que les amerindiens et non pas toutes les societes traditionnelles, cet exemple d'ailleurs ne se situe pas dans un CLS. Tant mieux que d'autres personnes avant lui, aient evoque et compris ces sujets importants. Peut etre CLS a-t-il permis la vulgarisation de cette pensee ou sa clarification.
La divergence principale avec Freud, se situe surtout au niveau de l'occultisme, de l'esoterisme de Jung, ces deux psys si proches dans la vie pendant longtemps, ont tout de meme pris des directions tres differentes. Les personnes en quete de spiritualite se retrouvent plus dans Jung.

Une petite phrase, cafe du commerce, que l'on trouve tout betement dans Wiki, qui montre que Freud ne situait pas Yung si en dessous de lui que cela:
En 1907 Jung décide de s'éloigner de Bleuler, en allant visiter Freud à Vienne. Les deux hommes se rencontrent le dimanche 3 mars 1907, chez Freud, en famille. D'emblée Freud le désigne comme son « fils et héritier scientifique ». En 1910, Freud écrit en parlant de Jung : « Je suis plus que jamais convaincu qu'il est l'homme de demain »

On peut remarquer qu'alors que certaines conceptions de Freud sont remises en cause et s'effritent, Jung est encore a peine decouvert, a peine compris.

En lien une critique de L'ame et la vie.

Écrit par : AK | 07/11/2009

Etant tout à fait autodidacte dans tout ce qui déborde un peu la philosophie, nous nous intéressons à tout ce qui peut nourrir une réflexion. D'ailleurs en creusant les références, nous sommes tombés bienheureux sur une explication de Ricoeur sur la difficulté de se comprendre soi-même et l'usage qu'il fait du mythe dans sa tentative de dépasser les oppositions doctrinales. Il ne parle pas des mythes autres que ceux de sa tradition greco-biblique, parce qu'il n'en a aucune connaissance. A contrario, en avoir une connaisasnce : à quelle condition ce n'est pas une perte ? De toute façon, le débat n'est plus de savoir si l'occident est supérieur mais simplement de recueillir les derniers témoignages de peuples qui inexorablement disparaissent sous nos yeux sans avoir laissé d'autres témoignages de leur passage qu'une gracieuse transformation de leur environnement écologique.
Parce qu'il est convenu de considérer le structuralisme comme dépassé, mais le dernier alchimiste a-t-il vraiment disparu ? Vous comparez toujours Claude LS à des non ethnologues ? De plus, les élèves ne le lisent jamais exclusivement et il ressort plutôt des enseignements un consensus autour d es notons étudiées comme celle de la famille en montrant que partout, elle obéit à des règles.
Quant à la référence à Wagner, faut-il comprendre que sans le mythe, l'individu signe sa mort dans la duplicité ?
Pour finir, je précise quand même que je n'ai pas trouvé utile de lire CLS mais j'aime bien son élève Descola !

Écrit par : HGR | 07/11/2009

Attn cafeducommerce :
mes critiques contre Lévi-Strauss sont présentées de façon parfois claires (les citations dans l'ordre chronologique) et parfois plus allusives mais assez claires encore (la seconde partie de l'article). Quant au restant de votre nouveau commentaire, vous lancez de nouvelles attaques sans avoir pris la peine de répondre à mes défenses contre vos première attaques. Dans ces conditions, vous pensez bien que je ne vais pas me fatiguer pour vous une seconde fois... d'autant que vous ne lisez toujours pas ce qu'on écrit. Sauf un point que je vous précise par bonté d'âme et afin que l'image de croque-mort que vous donnez de moi ne s'imprime pas trop longtemps dans les esprits : cet article n'était nullement entreposé "dans un coin" en attendant l'occasion d'une mort soit-disant annoncée. Il a été entrepris le 04 novembre au soir et achevé le 06 novembre.
Encore un autre point mais c'est le dernier car vous ne méritez rien d'autre : "si vous aviez travaillé davantage..." me dites-vous. Eh bien je me fais un plaisir de vous retourner la formule !

Pour Juan :
Tu as raison j'aurais dû mais en fin de compte je trouve aussi que ce n'est pas mal, cette image et c'est la remarque d'Elisabeth Barth qui a fini de m'en convaincre. J'aime les hasards objectif.

Pour HGR :
Durkheim, Mauss, Lévy-Bruhl sont des ethnologues autant que des anthropologues et que des sociologues et ils sont tous de formation philosophique, par-dessus le marché. Les Sciences humaines ont toujours été affaire de multidisciplinarité. Simplement, la duplicité propre à Lévi-Strauss était de repondre sur un terrain en se plaçant toujours sur l'autre, afin de brouiller les cartes en cas de polémique.

Écrit par : francis moury | 07/11/2009

@M. Moury : je ne comprends pas bien votre réponse, qui semble impliquer que je vous ai laissé plusieurs commentaires. Je n'en ai laissé qu'un, en plusieurs points, et attendais bien sagement votre réplique - laquelle se résume à un puéril "c'est celui qui le dit qui y est", au lieu des clarifications que j'aurais souhaitées. Tant pis, j'en serai réduit, comme vos autres lecteurs, à rêver à ce texte apparemment si magistral mais introuvable de F. Pasche - seul Régis Debray a l'honneur de le découvrir, nous autres devons nous contenter d'une citation qui, je suis désolé, ne suffit pas à elle seule à réduire à néant les thèses de Lévi-Strauss sur le shaman et le psychanalyste.

Restons-en donc là, j'irai peut-être jeter un oeil chez Cazeneuve et Durand à l'occasion. Et puisqu'apparemment vous ne pouvez pas répondre à plusieurs objections à la fois, je finis en réitérant ma critique principale : détester Lévi-Strauss est votre droit le plus strict (moi-même je lui préfère, comme vous, Durkheim et Mauss), mais, lorsqu'on veut se le "faire", et avec une telle hargne, il y faut plus que la juxtaposition désordonnée de quelques citations et de quelques critiques décousues. En fait, vous auriez effectivement dû mitonner ce texte pendant des années avant la mort du maître - Dieu sait qu'il vous en a laissé le temps -, il n'aurait pu qu'y gagner en clarté comme en intérêt.

Écrit par : cafeducommerce | 07/11/2009

@ AK: personnellement, je ne vois pas très bien la différence entre Freud et Jung. Certes, ce dernier semble plus proche des traditions religieuses mais, au final, lui aussi rapetisse toutes choses à un "inconscient collectif", c'est-à-dire, au fond, une zone assez inférieure, obscure, de l'être humain. Pouvait-on attendre autre chose d'une époque convaincue de la mort de Dieu? On rappellera que la devise de Freud, pourtant "concurrent" de Jung, était empruntée à Virgile; elle disait à peu près ceci (de mémoire): "Si je ne puis ouvrir la Porte du Ciel, j'ouvrirai celle des Enfers." Dans un cas comme dans l'autre, toute vie intérieure, même les états mystiques, est ramenée à un "inconscient" qui est en réalité un "subconscient". La Porte du Ciel est bien fermée, en effet. Le structuralisme levi-straussien, pour ce que j'en comprends, ne vaut guère mieux que les théories psychanalytiques: à la confusion du psychique et du spirituel, confusion érigée en dogme, s'est substituée une vision totalement négatrice du mystère, mais en mode syntaxique en effet. Pour le dire autrement: à nouveau, le "mystère" est devenu un "problème", un décryptage et rien d'autre. Cette approche n'est que l'avers matérialiste (ou le revers, peu importe) des explorations pas forcément infondées, mais aux motivations douteuses, du psychisme humain. Nous voyons une fois de plus les séductions et les ravages que peut causer un regard dualiste. Les structuralistes ont construit les bobodromes sur lesquels s'égayent ces Nambikwara, et d'autres, sous vos applaudissements. La tragédie, dans tout cela, c'est qu'ils ne comprennent pas que leur dignité s'est fait exploser depuis belle lurette au profit de vulgaires freakshows altermondialistes.

Écrit par : Stéphane Normand | 07/11/2009

Comme le dit Plutarque :
"Une idée est un "être" incorporel, qui n'a aucune existence par lui-même, mais qui confère une forme à la matière informe et devient la cause de la manifestation."
De Placit. Philos

Écrit par : pm | 07/11/2009

Je n'ai pas la prétention de pouvoir vraiment défendre Yung ou CLS, ce que je sais, c'est que ce sont deux auteurs importants à mes yeux, qui m'ont beaucoup apporté, beaucoup appris, et qui m'ont fait du bien à l'âme. Pour le reste, en fait vous avez sûrement tous raison. Je me demande comment vous jugeriez un livre comme le Serpent cosmique de Jeremy Narby, cela m'aiderait à mieux comprendre votre sensibilité dans ce domaine. Voir sous lien.

Écrit par : AK | 07/11/2009

Corrigendum : la seconde réponse de mon dernier commentaire était destinée à Stéphane Normand et non pas à AK.

Écrit par : francis moury | 08/11/2009

Pour Caféducommerce:
Vous avez raison : je vous confondais avec jcladrian !
C'est curieux car la communauté d'argument et le ton ne contribuaient pas à me détromper. Sans lunettes, je distingue finalement mieux les minuscules caractères oranges de ces commentaires mais je dois alors me pencher et approcher mon visage de l'écran d'une manière inconfortable à la longue.
Bref... concernant cette confusion, au temps pour moi !
Revenons-en à votre seul et unique message, donc, avec mes excuses pour cette confusion !

Le texte de Francis Pasche est trouvable si on se donne la peine de le chercher : sa référence est soigneusement indiquée sous la citation. Allez dans n'importe quelle bibliothèque possédant un fond de revues françaises - Bibliothèque Sainte Genevieve à Paris par exemple, ou Bibliothèque de la Sorbonne, et bien d'autres bibliothèques - comprenant la collection complète de LES TEMPS MODERNES et vous l'y trouverez en utilisant les références précisément citées.
Je vous cite au surplus ci-dessous in extenso les titres des 3 volumes de Francis Pasche parus à ce jour, pendant qu'on y est :
- A PARTIR DE FREUD, éd. Payot, coll. B.S.P., Paris 1969
- LE SENS DE LA PSYCHANALYSE, éd. P.U.F., coll. Le Fil rouge, Paris 1988
- LE PASSE RECOMPOSE - PENSEES, MYTHES, PRAXIS, avec préface de Didier Anzieu, éd. P.U.F., coll. Le Fil rouge, Paris 1999
car il fut un brillant ennemi de Lévi-Strauss et du structuralisme dans son ensemble.
Je vous renvoie notamment à son admirable article L'ART ET LE SYNDROME, lu à la Faculté de Médecine de Paris en 1977 et repris dans LE PASSE RECOMPOSE.
Et sur le reste, je ne vais pas réécrire pour vous l'article : prenez-le tel qu'il est. Il est suffisamment riche pour constituer une petit plate-forme permettant de travailler dans plusieurs direction contre l'objet mis en cause.
Content de vous avoir donné le désir de relire Cazeneuve et Durand, au demeurant.

Pour AK :
AK 47, AKM ou AK74 ? Plaisanterie souriante dont vous ne me tiendrez pas rigueur, je l'espère.
Concernant Jung et son inconscient collectif, je vous laisse examiner sa position sur la religion.
Concernant Freud, il n'a pour sa part jamais prétendu réduire la religion à une production de l'inconscient individuel.
Si vous voulez savoir ce que Freud pensait relativement aux rapports de la psychanalyse et de la religion - et aux rapports de la psychanalyse et de l'art, de la culture, de la philosophie qui y sont traités régulièrement- outre ses propres textes spécifiques relatifs à la question religieuse et assez clairs tels que les TOTEM ET TABOU, ESSAIS DE PSYCHANALYSE APPLIQUEE, DELIRES ET REVES DANS LA GRADIVA DE JENSEN, L'AVENIR D'UNE ILLUSION et MOISE ET LE MONOTHEISME, vous pouvez également lire les trois recueils d'études psychanalytiques de Pasche cités supra dans ma réponse à Caféducommerce car les trois volumes contiennent certaines études de psychanalyse appliquée discutant la question, notamment son admirable FREUD ET L'ORTHODOXIE JUDEO-CHRETIENNE prononcé initialement à la S.P.P. en 1959 et repris dans le recueil A PARTIR DE FREUD et aussi :
David Bakan, FREUD ET LA TRADITION MYSTIQUE JUIVE, préface de Francis Pasche, postface d'Albert Memmi, éd. Payot, coll. B.S.P., Paris 1964
La question n'est pas, comme vous semblez le considérer, d'envisager le mythe comme un problème passible de la recherche d'une solution. C'est une attitude scientifique honorable qui ne préjuge pas de la réponse qu'on donnera à la question, même si Bergson disait qu'un problème bien posé est bien proche d'être résolu. Je veux en somme dire qu'un sociologue, un psychanalyste, un historien des religions, peut étudier avec les outils qui sont les siens les phénomènes objectifs que sont le mysticisme, le sacré, les rites, les mythes. Cela ne préjuge pas du fait qu'il les réduise ou non. Au surplus, on peut étudier la Bible en philologue et pratiquer la critique des textes avec tous les outils sémantiques et historiques sans remettre en question pour autant le sacré inscrit dans ces textes, tout en y croyant, pour le dire simplement.
Freud pensait que devant l'artiste ou le mystique, la psychanalyse devait baisser les bras. Bien qu'elle puisse contribuer à l'explication de certains phénomènes relatifs à certains états psychiques expérimentés par l'artiste ou le mystique, elle ne pouvait rendre compte du fait central de la beauté ou de la foi devant lequel l'honnêteté intellectuelle lui commandait de s'incliner, sans parler de la réserve initiale du rapport divanique. La psychanalyse de Freud tourne autour de ces phénomènes sans y pénétrer ni les réduire ni les transmuer. Elle ne leur retire rien ni ne leur apporte rien : elle les respecte en somme.
D'ailleurs la psychologie classique pré ou para freudienne n'agissait pas autrement : Henri Delacroix sur le mysticisme, Georges Dumas sur certains philosophes comme Saint-Simon ou Comte. L'histoire de la philosophie religieuse, dont les méthodes rationalistes sont parallèles du point de vue de l'établissement des faits et de la critique des textes, non plus : Jean Baruzzi, sur saint Jean de la Croix.

Reconnaissez que cette attitude est bien différente de celle du structuralisme qui transmue allégrement les phénomènes religieux en algorithmes intellectuels, passibles d'une formalisation mathématique ! Décidément, oui, je préfère une interprétation riche mais respectueuse comme celle de TOTEM ET TABOU à une interprétation appauvrissante et réductrice comme celle de LE TOTEMISME AUOURD'HUI. Cet sorte d'empirisme logique était d'ailleurs en partie importé par Lévi-Strauss : l'anthropologue Radcliffe-Brown, le linguiste Jacobson, la Gestalt-psychologie, etc...tout cela a contribué à la construction de l'idéalisme intellectuel structuraliste. L'idée de structure et le mauvais usage qu'on en faisait avait débuté avant Lévi-Strauss : un historien de la philosophie comme Emile Bréhier l'avait bien vu, dans ses THEMES ACTUELS DE LA PHILOSOPHIE, éd. P.U.F, coll. SUP, section Philosophie, Paris 1951, 7ème éd. identique à la première, 1967

Écrit par : francis moury | 08/11/2009

Jung!

Écrit par : AK | 08/11/2009

"Pour AK : ce que vous aimez chez Lévi-Strauss, vous le trouvez bien avant lui dans les textes fondateurs de Durkheim, Mauss, Lévy-Bruhl, Roger Caillois, Georges Bataille, et les fondateurs, enseignants et élèves du Collège français de Socilologie, donc dès les années 1900-1935. Sans oublier les travaux admirables de Frazer et de Freud."

Peut-être mais Lévis Strauss s'inscrit bien dans la tradition anglo-saxon en reprenant le terme développé par Mauss (rappelons toutefois que ce dernier se vantait que l'anthropologie complète remplacerait la philosophie... hmmm...) , c'est-à-dire en se contentant de généraliser, de classer d'où le concept de race (à différencier de l'idée de race). Sa « science sociale de l'observé » descend directe de Frazer ; Lévis Strauss mettait lui aussi en garde contre les théories censées expliquer les coutumes des peuples. Et j'en passe. (Lévis-Strauss a remis en sel la différence entre anthropologie et ethnologie dans la tradition française). Ect.

Pour ceux qui veulent des articles bien plus intéressant que celui de M. Francis Moury lire plutôt les publications de Jean Poirier et de Gérard Lenclud, mais aussi ceux de Descola, ect.

Un article bien plus honorable, notable et qui date : Claude Lévi-Strauss aujourd’hui de Gérard Lenclud : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/38/18/07/PDF/EtudeCEFRES12.pdf

Écrit par : Otton Wann | 08/11/2009

@F. Moury : merci de ces indications complémentaires, j'aurais évidemment préféré que vous nous communiquiez le contenu de l'article de F. Pasche, mais je vais arrêter de jouer les râleurs.

Puisque tout le monde y va de ses références, j'ajoute, sans pouvoir être plus précis, n'ayant pas le livre sous la main, que dans "Splendeurs et misères des sciences sociales" (Droz), Alain Caillé critique de façon pertinente, pour autant qu'il m'en souvienne, L-Strauss.

Écrit par : cafeducommerce | 08/11/2009

@ AK: le livre de Narby me semble intéressant à plusieurs titres. Premièrement, il met en lumière les profondes connaissances que tous les peuples, un jour où l'autre, ont eu de la totalité du Réel. Selon moi, il n'y a aucun doute sur les corrélations établies par l'auteur entre l'ADN et ces visions chamaniques. Elles sont parfaitement valables, à ceci près qu'elles subsistent désormais chez leurs dépositaires dans un état de dégénérescence plus ou moins avancé. Il ne s'agit pas ici de mesurer cette dégénérescence par l'écart linguistique entre le discours de ces peuplades sur le sujet, et le nôtre, dont l'immodestie scientifique autoriserait à n'y voir que superstitions ou coincidences, ou encore psychotropisme sous peyotl (c'est-à-dire, encore une explication "culturelle" qui se résumerait à un gentil et doux mélange d'ethnologie et de pharmacologie). Sans se limiter à l'ouvrage de Jeremy Narby, on constate avec un sourire à peine contenu toute la naïveté (à moins que ce soit encore de l'orgueil) de ces scientifiques devant leurs "découvertes" sur la structure de l'ADN, celle de l'univers, etc. En réalité, ils ne découvrent rien, ils redécouvrent des choses qui se savaient déjà il y a des millénaires, et qui certes se transmettaient sous d'autres formes d'expression que les nôtres. Ces connaissances, précisément, se laissent entrevoir dans le folklore, la mythologie. Les formes ainsi revêtues, en fonction des lieux et temps, perdurent plus ou moins selon que le dépôt qu'elles sont chargées de transmettre (à qui est qualifié pour le recevoir, et à personne d'autre) est plus ou moins compris pour ce qu'il est en réalité: un enseignement qui va au minimum aussi loin, mettons, que la physique quantique (Que penser des légendes amérindiennes sur l'araignée tisseuse de la Création?). En revanche, le discours lévi-straussien, à ras d'intellect moderne, affaibli et prométhéen, a peut-être contribué à la banalisation de conduites dites "à risque", où désormais on ne fume plus l'herbe sacrée afin de recevoir une initiation (à l'origine réservée à très peu d'individus), mais afin de se sentir moins mal, ou afin de se la péter dans des postures "rebelles" où tout ce qui pouvait se trouver d'authentiquement traditionnel dans bon nombre de cultures est aujourd'hui décliné en arguments d'authenticité à charge contre l'Occident. Pas que ce soit entièrement faux, d'ailleurs: ce même Occident, par les représentants "autorisés" de sa pensée universitaire officielle, n'a pas manqué de flinguer Narby à la parution de son livre. Toujours cette vision dualiste que j'évoquais plus haut: l'hubris matérialiste contre l'ombre portée des Castaneda et autres Lobsang Rampa, vrais-faux charlatans du New Age. Maintenant, il n'est peut-être pas besoin d'aller en Amazonie pour s'interroger sur la nature du Réel et ses manifestations: concernant le phénomène OVNI, question à propos de laquelle on ne compte plus les énormités doctement déclamées, on se souviendra que Jung, de son côté, y avait réfléchi (Un mythe moderne), mais pour aboutir, lui aussi, à des conclusions peu convaincantes. Il en va peut-être autrement de Bertrand Méheust dont l'approche non scientifique, va en réalité (selon moi) beaucoup plus loin que tout ce qu'on a dit là-dessus, parce que cette approche, précisément, ne se cantonne ni aux théories sociologiques, psychiatriques ("hallucinations", "états seconds"), pas plus qu'aux hypothèses naturalistes ("vaisseaux venus d'un autre monde"), mais qu'elle prend sérieusement en compte l'élusivité du phénomène, sa plasticité devant l'observateur (renversement complet de perspective par rapport aux hypothèses généralement formulées), c'est-à-dire, entre autres, l'imaginaire de l'époque et du milieu de manifestation. On notera au passage que Méheust, chrétien et philosophe de formation, est un ancien élève de Gilbert Durand.

Écrit par : Stéphane Normand | 08/11/2009

La charge est lourde et surement, effectivement, en décalage avec le funeste évenement. Mais il confirme ce qu'intuitivement, je me faisais des idées fondatrices de LS. L'article commence d'ailleurs sous son meilleur jour en citant l'imposture Lacannienne, tuméfaction heureuse permettant de dévoiler le fondement superstitieux de toute chapelle psychanalytique. Ici, comme elle le ferait pour expliquer la mystérieuse migration reproductrice de l'anguille, elle s'empare de débats éthnologiques, terrain de chasse inépuisable dont le principal intérêt de ses penseurs est de sortir du cloaque sans fin des vieilles névrosées parisiennes. A moins qu'à l'inverse, ce ne soit l'ethnologie qui s'est saisi de ses precepts, surement excitants dans leur application aux sujets illettrés mais conscients, d'Amazonie. Que l'évolutionnisme survive à ces débats...

Écrit par : Eric | 08/11/2009

Pour Caféducommerce :
C'eût été avec plaisir mais l'article d'un mort, conservé en tiré à part ou possédé sur une revue dont on possède un exemplaire n'est pas libre de droits s'il n'est pas encore tombé dans le domaine public, vous savez. Pour recopier un tel article, il me faudrait l'autorisation de ses héritiers qui auraient parfaitement le droit de ma la refuser, préférant par exemple attendre sa réédition à l'occasion de la parution d'un nouveau volume. On ne dispose pas des textes à sa volonté, sauf concernant les citations d'extraits.

Pour Stéphane Normand :
Ma dernière réponse "à AK" était une coquille : c'était destiné à vous, évidemment, étant donné le contenu. Un point supplémentaire que votre dernière intervention me donne envie de souligner : on a - voir l'article du Figaro sur la mort de Lévi-Strauss - considéré un moment que Lévi-Strauss était le premier à avoir quitté son bureau pour aller sur le terrain. D'une part c'est faux puisque avant lui ou à la même époque, d'autres antrhopologues, diamétralement opposés à Lévi-Strauss, le quittaient de même : Bronislas Malinovski ou Géza Roheim, par exemple ! Un autre paradoxe : je demeure persuadé qu'aller sur le terrain, en dépit de l'aura aventurière qui nimbe de tels déplacements à cette époque, n'apporte aucun avantage par rapport à la qualité de la documentation rassemblée si cette dernière comprends suffisamment de témoignages de première main exploitables. Lévy-Bruhl fournit une théorie de la mentalité primitive qui se tient grâce à elle, et à sa rationnelle exploitation.

Pour Otto Wann : c'est vous qui décernez les médailles d'honorabilité des articles que les autres écrivent ? Je ne vois pas très bien en quoi mon article serait plus ou moins "honorable" que d'autres, à vrai dire. Plus ou moins long, plus ou moins informé, plus ou moins subjectivement intéressant pour vous : admettons. Mais plus ou moins "honorable" : le terme et l'usage que vous en faites sont assez déplaisants.
Au demeurant, vous acceptez une phrase de moi (extraite de ma réponse à Stéphane Normand que j'avais par erreur écrite à AK) que vous citez au début de votre commentaire pour ensuite prétendre la rectifier et la préciser d'une manière détaillée. Souci louable. Mais en le faisant vous assurez que Lévi-Strauss est de la même école que Frazer parce que tout deux travaillent à partir d'observations. A partir de quoi voulez-vous qu'ils travaillent tous, les uns et les autres ? Ce point commun, par le plus petit dénominateur commun, qui vous permet de rattacher Lévi-Strauss à Frazer, vous fait négliger que Frazer ne cesse d'être attaqué par Lévi-Strauss dans LE TOTEMISME AUJOURD'HUI.

Bon pour le reste j'ai réussi à agrandir en utilisant la technique d'affichage préconisée par Juan !

Écrit par : francis moury | 08/11/2009

En effet, on peut bien donner des Ecritures une interprétation psychanalytique, ou marxiste, ou féministe, etc, mais je me demande si, ce faisant, on ne parodie pas le don qu'un texte fait de lettres vivantes nous donne constamment. Je sais que la Bible peut être lue et interprétée de soixante-dix manières différentes (peut-être davantage), mais ni Freud, ni Marx, ni le Women's Lib ne datent de ces époques, à moins de dire que la Bible contient tout l'Univers, dans toutes ses possibilités de déploiement; cela, je peux l'admettre si un rabbin me l'explique. J'aurai plus de doutes s'il s'agit d'un "créateur d'événements", d'un pondeur de "prophéties" qui m'affirme par exemple après coup, dans son "succès de librairie", que la tragédie du onze septembre était déjà prévue dans tel livre ou tel évangile. Ce que je veux dire, c'est: attention, nous lisons aussi ce que nous projetons. Cela fait vendre, entretient chez le vulgaire le goût du mystère à deux balles ou la justification d'une posture scientiste (c'est selon), mais crée des distorsions toutes relatives et insignifiantes par rapport à l'Absolu, mais historiquement problématiques pour nous qui avons vécu ou vivons ici et maintenant. L'humanisme, les sciences humaines ne feront jamais le tour des Ecritures. Rien ne peut contenir l'infini. La Lettre se manifeste en s'incarnant, son paradoxe est de surpasser les barrières de son propre abaissement, par cet abaissement même, dans le cadre d'un projet de réintégration inimaginable (mais pas inconcevable). Aucun structuraliste, aucun psychanalyste, effectivement, ne peut y changer un iod.

Écrit par : Stéphane Normand | 08/11/2009

(...)Aucun structuraliste, aucun psychanalyste, effectivement, ne peut y changer un iod.

Stéphane Normand, je partage entièrement votre vision du monde, je trouve regrettable, la condescendante et la compassion des humains envers nombre de professions et de soi-disant grands penseurs, qui en faites ne sont que des imposteurs ou des ignorants.

Écrit par : pm | 09/11/2009

"Mérite le nom de sacré et de divin ce qui est destiné à l’exercice de la piété et de la religion et ce caractère sacré demeurera attaché à une chose aussi longtemps seulement que les hommes s’en serviront religieusement. En usent-ils pour une fin contraire à la piété, cela même qui était auparavant sacré, devient impur et profane"
Spinoza écrit cela dans son Traité théologico-politique dans le paragraphe intitulé "En quel sens l'Ecriture est-elle sacrée". Ceci dit, une réflexion à partir d'autres écritures peut bien avoir une même fin, à moins de disqualifier complètement la raison naturelle.

Écrit par : HGR | 09/11/2009

Je passe sur ce qui précède (le commenter serait au-dessus de mes forces), pour en venir à l'essentiel : la « science sociale de l'observé » de Lévi-Strauss, vous semblez ne pas trop savoir ce que c'est pour me réponde cet énoncé vrai mais dénué d'arguments : « Mais en le faisant vous assurez que Lévi-Strauss est de la même école que Frazer parce que tout deux travaillent à partir d'observations. A partir de quoi voulez-vous qu'ils travaillent tous, les uns et les autres ? Ce point commun, par le plus petit dénominateur commun, qui vous permet de rattacher Lévi-Strauss à Frazer, vous fait négliger que Frazer ne cesse d'être attaqué par Lévi-Strauss dans LE TOTEMISME AUJOURD'HUI. »

Hmmm... Et dire : Mon texte, je le reconnais, s'adresse à ceux qui savent déjà assez précisément ce que sont les enjeux en question ici et qui sont familiers du vocabulaire technique et critique employé à leur traitement.

"Stéphane Normand, je partage entièrement votre vision du monde, je trouve regrettable, la condescendante et la compassion des humains envers nombre de professions et de soi-disant grands penseurs, qui en faites ne sont que des imposteurs ou des ignorants."

Sur le structuralisme en autre :

- Comment pourrait-on définir en quelques mots le structuralisme ?

CLS : C'est difficile, parce que l'opinion parisienne a construit, sous le nom de structuralisme, une espèce de tigre de papier qu'elle est en train de brûler ou de mettre en pièces, sans s'apercevoir que le structuralisme véritable n'a rien à voir avec le mythe qu'elle s'est créé.

- Eh bien ! essayons de détruire ce mythe ...

CLS : Disons que le structuralisme est un effort modeste pour appliquer à certains aspects de la réalité humaine et de la réalité sociale ? je dis certains aspects et non tous ? des méthodes de simplification des variables ; c'est aussi un effort d'attention aux rapports qui unissent ces variables plus qu'à leur contenu intrinsèque. Tout cela n'est autre que la méthode scientifique utilisée depuis fort longtemps. Ce que nous essayons de faire dans des domaines tout à fait limités, c'est ce que les sciences traditionnelles font depuis des siècles.

Écrit par : Otton Wann | 09/11/2009

Merci d'avoir pris le temps de me répondre. Ce qui m'étonne un peu, c'est que Jeremy Narby en entretien (en lien plus haut), cite en références Jung et CLS.

Or il est docteur en anthropologie et il a dévolu sa vie à l'Amazonie. Je m'interroge donc: JN n'a-t-il pas lu les auteurs que vous citez? Est-ce un manque de culture générale de sa part? Ou est-ce que CLS apporte malgré tout une pensée nouvelle, que l'on ne retrouve pas dans les auteurs que vous appréciez? Je ne sais pas!

Écrit par : AK | 09/11/2009

"Ce que nous essayons de faire dans des domaines tout à fait limités, c'est ce que les sciences traditionnelles font depuis des siècles."

Ne nous querellons pourtant pas avec les grands hommes.
Il leur a fallu remonter jusqu'aux anciens "Dieux de Pythagore et du vieux Kanâda" pour constituer l'essence même de leurs corrélations et de leurs découvertes "les plus récentes" et cela pour suffire à donner bon espoir aux occultistes pour leurs Dieux inférieurs, car je crois à la prophétie de le Couturier au sujet de la gravitation. Nous savons que je jour approche où les savants eux-mêmes, comme l^'a déjà fait Sir William Grove, réclameront une réforme complète des procédé actuels de la science.
Jusqu'à ce moment, il n'y a rien à faire, car si la gravitation était détrônée demain, les savants découvriraient un nouveau mode de mouvement mécanique, le jour suivant*.
La voie qu'à a suivre la vraie science est rude et escarpée et elle est exposée à bien des contrariétés d'esprit.
Toutefois, étant données les nombreuses hypothèses contradictoires qui sont offertes pour expliquer les phénomènes de la science, quelles soient physiques, méta-physiques, spirituelles ou tout autres choses, on a pas trouvé de meilleure hypothèse à leur opposer que celle du "mouvement" - quelque paradoxale que soit l'interprétation que lui a donné le matérialisme.

*Lorsqu'on lit les oeuvres de Sir Isaac Newton, l'esprit libre de toute idée préconçue, on a sans cesse la preuve de l'hésitation qui l'a fait osciller entre la gravitation, l'attraction, l'impulsion, et quelques autres causes inconnues, pour expliquer le cours régulier des mouvements planétaires.
Voyez seulement son Treatise on Color (Vol.III, Question 31).
Herschell nous assure que Newton laissa à ses successeurs le soins de tirer de sa découverte toutes les conclusions scientifiques.
On peut se rendre compte de l'abus que la science moderne a fait de ce privilège, pour asseoir ses plus récentes théories sur la loi de gravitation, lorsque l'on se rappelle combien ce grand homme était profondément religieux.

Écrit par : pm | 09/11/2009

Pour Otton Wann :
J'avais mal lu votre prénom et négligé le "n" final : vous ne m'en tiendrez pas rigueur ?
Un énoncé vrai a-t-il besoin d'arguments pour se soutenir ?
Belle question qui aurait enchanté les orateurs mais aussi les logiciens de l'Antiquité grecque et romaine en général. Elle a probablement passionné aussi les orateurs et les logiciens de l'Orient : comment le contraire serait-il possible ? Elle est si séduisante. Elle persiste jusqu'à nos jours : Wittgenstein doit encore se la poser quelque part. La modernité étant, dans son cas, de reprendre les anciens problèmes, les plus anciens, à la racine de sa modernité logique et mathématique.
Et vous me la posez aussi, d'une certaine manière. Flatté qu'on me la pose. Cela devait arriver. J'y répondrai donc peut-être un jour, mais pas ce soir. Et avant que j'y réponde, vous pouvez toujours méditer sur l'histoire des réponses connues.

Écrit par : francis moury | 10/11/2009

Je suis désolé si mes remarques ont déjà été abordées dans les idées qu'elles contiennent, mais je dirai qu'il me semble réducteur d'assimiler les mythes à des fonctionnements simples du cerveau humain. Mais je trouve le rousseauisme de Lévi-Strauss plutôt sympathique, et l'opposition entre pensée magique et pensée scientifique me paraît fréquemment plus un point d'honneur qu'une réalité ontologique facile à percevoir. Son idée qu'elles sont semblables me paraît donc plutôt amusante. Il est cependant certain que la pensée magique s'enracine dans une perception intériorisée du réel, tandis que la pensée dite scientifique s'appuie sur les observations extérieures seulement. Néanmoins, la recherche de la vérité est toujours la recherche de la vérité, et malgré le point de départ d'ordre intuitif de la pensée magique, celle-ci se confronte aussi à l'expérience. D'ailleurs, la science elle-même, même subrepticement, même brièvement, part souvent dans une direction à partir d'une intuition.Cela dit, comme je l'explique sur mon blog, ici : http://remimogenet.blog.tdg.ch/archive/2009/11/06/claude-levi-strauss-et-les-souvenirs.html , je suis dans le même cas que Juan Asensio, je n'ai pas réussi à aller jusqu'au bout de "Tristes Tropiques". Il m'a semblé que Lévi-Strauss s'intéressait plus aux concepts qu'il pouvait retrouver dans les mythes exotiques qu'aux mythes pris en eux-mêmes. J'ai eu le sentiment qu'il regardait ceux-ci de façon intellectuelle et froide. Mais c'est un défaut général aux savants, aux universitaires, je pense. Ils cherchent dans les mythes le sens exprimable sous forme de concepts. Or, la pensée magique s'appuie aussi sur l'idée que la poésie mène vers le vrai, dans le sens où le disait Descartes, que les poètes parvenaient par leur intuition à des vérités auxquelles lui voulait parvenir par la voie plus sûre et plus aisée à suivre - parce que plus mécanique, reproductible - de la raison. J'ai eu aussi le sentiment que Lévi-Srauss voulait jouer à l'écrivain sans avoir lui-même une vraie puissance poétique, une vraie capacité à saisir par l'inspiration l'essence de l'univers. Mais je me trompe peut-être. Cependant, il a contesté devant Breton l'idée que la poésie devait être spontanée et inspirée : pour lui, tout était travail. A cet égard, on ne peut pas prétendre que la pensée magique relève d'un travail aussi rigoureux que la pensée scientifique occidentale : elle dépend bien de l'intuition, et n'est pas élaborée par l'intellect pur, à l'occidentale.

Écrit par : R.M. | 14/11/2009

Un jour, lisant ce fameux chef-d'oeuvre, Tristes tropiques, j'ai lu soudain les mots : "ma femme". Le type qui écrivait ce truc ne cessait de parler de son courage à lui, de la difficulté de son enquête à lui, de ses petites idées à lui ; et dans ce périple difficile, l'accompagnait pourtant (mais il n'en avait dit mot tant cela lui semblait négligeable), cette entité additionnelle, "ma femme", que le grand homme n'avait pas jugé utile de mentionner plus avant.
J'ai compris en un éclair que tout Lévi-Strauss était là : dans ce mépris, cet aveuglement, cette manière royale de mépriser autrui et de le tenir comme quantité négligeable. Un homme capable d'un tel conventionnalisme ne pouvait rien pour moi. j'ai fermé le bouquin et j'ai été heureuse de trouver, bien des années plus tard, Bertrand Hell ou Evelyn Reed qui ouvraient à une tout autre ethnologie, infiniment plus crédible et passionnante.
Mais ce n'est pas la première fois que des imposteurs se font passer pour des figures culturellement incontournables...

Écrit par : Anne Larue | 05/05/2010

J'avais oublié de signaler l'assez savoureux article de Georges Bataille, L'ENIGME DE L'INCESTE qui est une critique des STRUCTURES ELEMENTAIRES DE LA PARENTE de Lévi-Strauss, éd. P.U.F., Paris 1949. Critique insérée en tant qu'étude IV dans la seconde partie de L'EROTISME de Georges Bataille, éd. de Minuit, Paris 1957, puis retirage en format poche U.G.E., coll. 10/18, Paris 1965 mais sans les illustrations de l'édition originale. J'aurais pu - je m'en rends compte seulement maintenant car je suis en train de relire L'EROTISME - en tirer une citation qui n'aurait pas dépareillé ma symphonie en exergue.

Écrit par : francis moury | 24/02/2011

Jean-Luc Evard, dans la seconde partie de son autobiographie intellectuelle, parue cette dernière semaine de mars 2011 au fronton de Stalker, semble curieusement créditer Lévi-Strauss du mérite d'avoir établi l'universalité de l'inceste. Du moins la lecture de son texte pourrait-elle laisser cette impression. C'est évidemment faux.

Cf. : Dr. Sigmund Freud, INTRODUCTION à LA PSYCHANALYSE, trad.Dr. S. Jankélévitch, éd. Payot, réédition coll. P.B.P., p. 312 :
"[...] Mieux que cela : dans une étude sur les commencements de la religion et de la morale humaines, que j'ai publiée en 1913 sous le titre TOTEM ET TABOU, j'avais émis l'hypothèse que c'est le complexe d'Oedipe qui a suggéré à l'humanité, dans son ensemble, au début de son histoire, la conscience de sa culpabilité, cette source dernière de la religion et de la moralité. [...]"

Et on peut rappeler que Freud lui-même fut un grand lecteur du mythologue James G. Frazer, pour ne citer que lui.

En 1949, Lévi-Strauss venait assurément un peu tard pour qu'on puisse avoir l'air de le créditer de l'invention de l'inceste comme règle culturelle universelle.

Écrit par : francis moury | 27/03/2011

Lisant les NOTES DE TRAVAIL annexées à la suite de LE VISIBLE ET L'INVISIBLE de Maurice Merleau-Ponty, éd. Gallimard, Bibliothèque des Idées, Paris 1964, réédition Gallimard collection Tel, Paris 1979, p.260, je tombe sur ce fragment que j'ajoute à ma liste des critiques célèbres de Lévi-Strauss :

"(...) [reproduire ici ma critique de l'explication de la gestaltung chez Lévi-Strauss par la mise en commun des "chances", par la rencontre - oui il faut rencontre, mais ce qui s'élabore par cette rencontre, la matrice symbolique de l'Occident n'est pas un produit de la causalité] (...) "

Claude Lefort, l'éditeur posthume du livre [*] , précise en note qu'il n'a pas retrouvé dans l'oeuvre publiée de Merleau-Ponty la trace de cette critique, "sans doute formulée dans un cours ou une note personnelle" précise-t-il derechef.
Il a retrouvé et nous cite, en revanche, le passage de Lévi-Strauss, RACE ET HISTOIRE (1952), éd. de l'Unesco, pp.34-49 auquel Merleau-Ponty fait allusion. Une fois qu'on lit les pp.258-260 des NOTES DE TRAVAIL consacrées à la critique de la définition phénoménologique de la notion de Gestalt et à ses conséquences ontologiques, on saisit assez bien le sens du résumé fourni par Merleau-Ponty lui-même de sa critique de la conception de la naissance de la forme culturelle selon Lévi-Strauss, pour qui une telle naissance était scandaleusement assimilée à des gains obtenus à la roulette, par plusieurs parieurs associant les gains de plusieurs roulettes.
Une telle comparaison éclaire assez sur le niveau de la vision chez un Lévi-Strauss, comparable ici à celle de l'image de l'orange chez un Léon Brunschvicg dont se moquait - si justement - Pierre Boutang dans un séminaire magistral de doctorat ou une leçon d'agrégation, donnés tous deux en 1983-1984. Inutile de dire que ce "pari à la roulette des civilisations" n'a guère de points communs avec le Pari de Pascal...

[*] Editeur s'étant aquitté de sa tâche honorablement sauf sur trois points pouvant aujourd'hui clairement donner lieu à trois reproches :

- avoir opéré une sélection arbitraire dans les NOTES DE TRAVAIL au lieu de les avoir publiées dans leur intégralité, quitte à exiger de Gallimard un volume supplémentaire à l'édition originale de 1964

- ne presque jamais avoir traduit les très nombreux termes techniques et critiques de philosophie allemande cités en allemands, ni les termes grecs anciens, ni les termes latins, ni les autres termes d'autres langues étrangères, supposant que le lecteur est multilingue. Ce reproche est particulièrement lourd concernant les termes allemands techniques de phénomonélogie et il témoigne d'un pan-germanisme de la Sorbonne que Pierre Boutang avait, au moins une fois, dénoncé durant un de ses séminaires ou un de ses cours dans cette même Sorbonne, auquel nous assistions et dont nous avons les notes. Qu'on sache comment se dit "Histoire", "Raison", "Essence" en allemand chez un Leibniz, un Kant, un Fichte, un Schelling, un G.W.F. Hegel, un Martin Heidegger, à la rigueur, certes, il faut le savoir. Mais on n'est pas tenu de connaître l'ensemble du vocabulaire phénoménologique des années 1925-1955, husserlien et post-husserlien, Heideggerien et post-heideggerien, sans oublier Brentano et les psychologues de la Forme, comme Merleau-Ponty les connaissait. Ces NOTES DE TRAVAIL n'étaient certes pas destinées à publication mais puisqu'on a choisi de les publier, il fallait traduire dedans tout ce qui n'était pas écrit en français afin que n'importe quel jeune lecteur français puisse lire ce texte passionnant sans se heurter à d'innombrables trous de signification. Soit dit en passant...

- l'absence d'un index des très nombreux noms cités au cours des 400 pages environ très serrées et denses constituant ce beau volume. Nous sommes en train de remédier à cette dernière lacune en en préparant un à notre usage, sur notre édition de poche annotée sans remords, puisque nous possédons aussi l'édition originale héritée de notre cher parrain le Dr. Francis Pasche à qui Merleau-Ponty avait d'ailleurs dédicacé un exemplaire de l'édition originale de sa PHENOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION en 1945. C'était à l'époque où Merleau-Ponty, Sartre, et Pasche s'intéressaient tous trois - les deux premiers en philosophes de formation, le troisième en médecin psychanalyste - au problème psychologique de l'hallucination.

Écrit par : francis moury | 05/05/2011

Maurice Merleau-Ponty, LE VISIBLE ET L'INVISIBLE, suivi de NOTES DE TRAVAIL, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Idées, Paris 1964, retirage éd. Gallimard, coll. Tel, Paris 1979, p. 260 :

"(....) [reproduire ici ma critique de l'explication de la gestaltung chez Lévi-Strauss par la mise en commun des "chances", par la rencontre - oui il faut rencontre, mais ce qui s"élabore par cette rencontre, la matrice symbolique de l'Occident, n'est pas un produit de la causalité] (...)

Cf. ; la note additionnelle de Claude Lefort, p. 260 infra citant le pssage de C. Lévi-Strauss, RACE ET HISTOIRE, éd. de l'Unesco, Paris 1952 pp.34-49 auquel Merleau-Ponty fait allusion. Lefort a tort d'écrire qu'il n'a pas connaissance d'un telle critique pusique Merleau-Ponty l'a justement résumée dans cette note de travail et que Lefort en est l'éditeur posthume ! Sa remarque doit s'entendre au sens qu'il n'en a pas connaissance dans l'oeuvre publiée de son vivant par Merleau-Ponty.

Écrit par : francis moury | 10/05/2011