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06/10/2015

La peau et les os de Georges Hyvernaud

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Photographie (détail) de Juan Asensio.

CPVVe50WwAARg7O.jpgDécouvrant La peau et les os de Georges Hyvernaud, j'ai pensé que nous tenions là quelque étrange et fort improbable continuateur de Carlo Michelstaedter : radicalité, sécheresse, refus du beau langage toujours suspect. Bien sûr, il n'y a absolument aucune chance pour que l'auteur du Wagon à vaches ait pu lire La persuasion et la rhétorique du jeune philosophe prodige, mais il n'en reste pas moins que cet horrible travailleur, à peu près oublié de son vivant malgré le soutien de Sartre, Martin du Gard et Cendrars, frappe par ce que nous pourrions appeler sa haine de l'ornement, du mot-toc, de la phrase creuse, aguicheuse.
Tout commence pourtant par des mots, comme nous le lisons dans le premier chapitre, intitulé Passé composé : «Ce n'était que des mots, tant de mots, tant de soirs, et pas d'autre avenir que des soirs tout pareils et des mots comme ceux-là, de misérables mots sans force, qui n'accrochaient rien, qui ne ramenaient rien avec eux» (1), hormis, semble-t-il, les souvenirs aigres et douloureux qu'il faut bien dire, sauf à crever de mots gonflés comme des cadavres de noyés. Georges Hyvernaud écrit bien sûr, c'est un écrivain qui peste contre les mots, il y en a tant qui finissent tous par se ranger comme un seul homme, aussi récalcitrant qu'on le voudra mais marchant droit, derrière la bannière éculée, décriée, secrètement honnie, et comment ferait-il, même, pour affirmer qu'il faut savoir se passer de mots, sans utiliser de mots ! Mais demeure en lui, toujours, cette rage, cette colère et sans doute cette déception de ne pouvoir tout dire, de constater qu'une déception est «informulable» (p. 23), qu'un «drame confus» qui s'est déroulé dans un passé pourtant «tout proche» est devenu incompréhensible, car «les ruses du langage et les suggestions de la pudeur, de la vanité ou de la peur» lui ont donné «son visage indéchiffrable» (p. 27).
IMG_9667.JPGLes lecteurs habitués des récits de guerre ou d'emprisonnement dans des camps de concentration ou d'extermination savent que la thématique de la réalité informulable est devenue un lieu commun abondamment évoqué par bien des auteurs, dont l'un des plus célèbres est sans conteste Giorgio Agamben, sans bien sûr évoquer Imre Kertész, à propos duquel je parlais de drame de la formulation. De fait, nous comprenons assez vite que le nœud gordien, le drame donc de Georges Hyvernaud prend racine dans une perte de confiance radicale, non seulement dans les pouvoirs du langage mais, plus profondément, dans ceux de l'homme : «L'expérience de l'humiliation n'est pas grand-chose. Sauf pour celui qui est dedans, bien entendu : celui-là ne s'en débarrassera plus (2). Quand une fois une certaine confiance qu'on avait en soi et en l'homme a été ruinée, il n'y a pas de remède» (p. 31). Et s'obstinent alors ce que Georges Hyvernaud appelle les «souvenirs d'impuissance et de dégoût» qui, écrit-il, «virent par en dessous», car ils ne peuvent laisser en paix ceux qui ont vu, ceux qui se sont vus jusqu'à l'os jauni de la solitude, de la saleté, de la misère d'être homme : «Nous avons touché le fond. Nous nous sommes vus jusqu'au fond. Nous avons vu les autres jusqu'au fond. Ce n'est pas facile à oublier» (p. 33).
Dès lors, les humanités ne servent à rien, puisque «le latin, le grec et l'agrégation ne suffisent pas à tout», comme le constate l'auteur en parlant d'un de ses collègues de camp, un certain Faucheret : «J'imagine qu'il avait flairé en moi quelque vieux relent de Virgile ou de Tite-Live. Ça l'aura attiré. Lui, c'était quelqu'un d'assez considérable dans l'Université. Agrégé, normalien, une thèse monumentale sur je ne sais quel poète latin de la décadence» (p. 38). Faucheret, pourtant, malgré sa science, a sombré, sans doute même plus vite que de moins savants que lui : «Parce que lui, c'est justement un de ces hommes que j'ai vus jusqu'au fond : comme ces bassins qu'on vide et qui avouent leur boue verte et toutes ces molles saletés» (p. 36), Faucheret représentant (nous n'osons employer le terme symbolisant) l'un de ces hommes charriés par un «immense fleuve de défaite» : «Chacun était un peu de défaite. Tout ce qui rassemble l'homme s'était relâché et rompu. Les volontés se débraillaient. Plus de pudeur. On adhérait à l'abjection. On acceptait la mendicité, la guenille, la crasse. On se battait pour boire un peu d'eau. Des gens nous jetaient des bouts de pain. On se ruait à vingt là-dessus, en une affreuse lutte silencieuse» (p. 37).
Faucheret, revenu à une vie normale, aura vite fait de retrouver la protection que lui confèrent ses chers auteurs puisque, à présent, «devant sa classe de seconde à Janson, il commente d'une voix sans réplique les tragédies de Corneille. «Cette école de grandeur d'âme, Messieurs, comme l'a écrit si justement Voltaire.» Il s'est rhabillé de sa culture, de son autorité» (p. 41), mais le paletot dont il a recouvert sa crasse, sa défaite, ne trompe pas celui qui l'a vu sarclé comme une terre toute pressée de dégorger ce qu'elle aurait dû garder pour elle : la vermine, la misère, la ruine.
Dans le chapitre suivant, intitulé Tourner en rond, Georges Hyvernaud utilisera plus d'une fois la métaphore de l'écoulement, qu'il s'agisse du temps (3), des foules d'hommes ou de la merde (4), au propre et au figuré d'ailleurs, merde bien réelle des prisonniers contraints de chier ensemble et merde ontologique qu'est devenu l'homme emprisonné, rabaissé, humilié : «Quelque chose en nous s'est résorbé, une exigence a cédé, une dureté fondu. Nous voilà débarrassés de tout ce qui nous maintenait et nous contraignait. À présent que nous avons touché la limite inférieure de nous-mêmes, l'existence a pris une fluidité singulière. Inutile de se défendre. On trouve une espèce de douceur dans cette destruction de soi. Il n'est que de s'abandonner, de se résigner à l'avilissement et au pourrissement» (p. 69).
Dans ce dénuement extrême, les mots sont encore de trop, comme Hyvernaud ne cesse de le répéter, à propos d'un refrain niais et paillard que chantonne un certain Chouvin : «La p'tite Amélie. La p'tite Amélie. Ça colle à vous. Ça revient toujours. Saleté, va. On est sans défense contre les mots. On les remâche, on les rabâche stupidement. Les mots de Baude, les mots de Peignade. Les mots de Chouvin» (p. 59), mots qui sont encore, dans leur dérision, une façon de mentir, alors qu'il faudrait, pour pouvoir dire «l'homme humilié, l'homme qui ne compte pas», pour pouvoir tenter de vivre dans un monde où le «temps des phrases» est fini, et où la «vérité, c'est la faim, la servitude, la peur, la merde», parvenir à dire cette cruelle évidence commune aux «pires époques» sans pour autant utiliser des «recettes pour ça, des trucs» comme le «monologue intérieur et le reste». «Seulement, précise Hyvernaud, cela ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est de dire sans tricher ce malheur mou, ce malheur bête où nous pataugeons» (p. 57), et surtout le dire sans truc ni technique.
Comment dire cela qui ne peut être dit, mais simplement, et de façon maladroite et jamais im-médiate, suggéré ? Georges Hyvernaud écrit bien sûr, il ne sort pas du piège antique, mais, bien que son écriture soit d'une extrême sécheresse, d'une étonnante concision, il n'est pas certain qu'à ses propres yeux il puisse échapper à «la bonne vieille hypocrisie littéraire», «le grand secret de l'art d'écrire». Il faut une tout autre sorte de talent, de génie peut-être, que Georges Hyvernaud ne possède pas, comme lui-même le déclare avec une modestie que nous ne saurions suspecter : «On publiera de belles choses sur l'énergie des captifs. Et on ne dira rien des cabinets. C'est pourtant ça l'important. Cette fosse à merde et ce méli-mélo de larves. Toute l'abjection de la captivité est là, et l'Histoire, et le destin. En voilà un bouquin que j'aurais aimé écrire. Bien simplement, bien honnêtement. Un bouquin désolant, qui aurait l'odeur des cabinets et il faudrait que chacun la sentît et y reconnût l'odeur insoutenable de sa vie, l'odeur de son époque. Et que toute l'époque lui apparût comme une mélasse d'êtres sans pensée, sans squelette, grouillant dans les cabinets, comme nous, s'emplissant et se vidant avec gravité, sans fin et sans but. Et que le sens, le non-sens de l'époque fût là-dedans, visible, lisible, incontestable. Mais pour écrire ça il faudrait un gars autrement costaud que moi. Un gars d'un génie féroce, naïf et généreux. Et moi, je ne suis qu'un pauvre type qui écrit pour tuer le temps. Et il a la vie dure, le salaud» (p. 52).
Il faudrait trouver, inventer plutôt, une écriture capable de décrire le plus adéquatement possible l'humanité souillée née dans les camps, qu'ils soient de concentration ou d'extermination, et même ceux où sont parqués de simples prisonniers car, au fond, comme l'a remarqué avec justesse dans sa préface Raymond Guérin, c'est le même homme qui sort de ces prisons si, bien sûr, il a la chance d'en sortir, c'est la même déchéance «à présent étalée devant nous comme un vêtement qu'on a retiré et jeté là» (p. 92) : «On parlait de sa dignité. On se figurait qu'on était à part, qu'on était soi. Mais maintenant on est les autres. Des êtres sans frontières, pareils, mêlés, dans l'odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d'hommes. Remués, brassés, perdus et fondus là-dedans. Égalité et fraternité de la merde. On avait ses problèmes. On était fier de ses problèmes, de ses angoisses. On n'est plus fier de rien, maintenant. Et il n'y a plus qu'un problème qui est de manger, et ensuite de trouver une place où poser ses fesses sur ces planches maculées. S'emplir, se vider. Et toujours ensemble, en public, en commun. Dans l'indistinction de la merde. On ne s'appartient pas. On appartient à ce monstre collectif et machinal qui toute la journée se reforme autour de la fosse d'aisance» (p. 49).
Quel langage exsangue mais encore nerveux, puissant mais sur le point de sombrer dans la démence ou bien la prostration de l'imbécile, pour dire cette vie, ces hommes nus, notre «condition faible et mortelle» si «misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près», quels mots, quel «récit fait par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien» (p. 94), rappel du célèbre jugement de Shakespeare, pour dire une «époque où il n'y a plus de refuge» (p. 100), un véritable «temps des cadavres» (p. 141) ?
Il faudrait trouver, inventer plutôt, un langage qui ne trahisse pas la réalité, dont les explications ne seraient pas seulement vraies dans le «monde des explications» qui est aussi celui des historiens, alors qu'elles sont fausses «dans le monde de l'Histoire» (p. 103), un langage qui colle au monde, comme la saleté colle aux corps étiques, un langage qui soit le monde devenu monstrueux.
Il faudrait, aussi, retrouver la confiance dans notre langue, les puissances de l'écriture, alors que notre époque aura «profondément désorganisé le réel», nous aura «fait perdre notre confiance dans les choses et les êtres, dans la constance, la cohésion, la densité des choses et des êtres» (p. 107). En effet, autrefois, «un homme, quand il était là, c'est qu'il était là : complet, entier, rassemblé. Et de même un événement. Mais aujourd'hui on ne sait plus ce qui est absence, ce qui est présence. On avance en somnambule parmi les apparences, des reflets et des fantômes. L'aventure individuelle et l'aventure collective sont soumises à des transpositions, à des dissociations et à des éparpillements infinis. Voix sans corps, corps sans épaisseur et sans poids, visages sans dimensions, existence sans dates. Une vie, la vie, c'est devenu des signes sur du papier, des sillons sur la cire, du noir et du blanc sur dix mille écrans, des mots tombant en pluie sur cinquante millions de demeures» (pp. 107-8).
Il faudrait encore dénicher l'imposture de certaines écritures, et cela lorsque c'est d'autant plus nécessaire que celui qui parle et écrit est considéré comme un maître. Les actuels thuriféraires de Charles Péguy, nains juchés sur les épaules d'un géant qui, selon Georges Hyvernaud, n'est point si grand que cela, feraient bien de lire les pages que l'écrivain consacre à l'auteur de Notre jeunesse, intitulées ironiquement Leur cher Péguy. Hyvernaud reproche à Péguy d'être un auteur, aussi doué qu'on le voudra, qui ne s'en paie pas moins de mots, qui joue au pauvre (5) alors qu'il ne l'est pas vraiment, pour preuve «ces calembours trop appuyés. Ces façons de mal parler exprès, ces vulgarités d'expression qui sont l'innocente débauche des agrégés de grammaire» (p. 131). Péguy, comme pas un, s'entend «à brouiller les choses et les mots, à imposer aux mots de tout le monde un sens qu'ils n'avaient que pour lui. Ça sert quand même d'être passé par Normale» (p. 122).
Ainsi, puisque le «monde où il nous faut vivre désormais est dur» (p. 123), puisque le «temps de la rhétorique est passé» (p. 134), jugement qui prouve que notre homme est un naïf, tout «est à inventer, le combat et les armes, les mythes et les dieux», tandis que «Péguy nous invite à retourner vers un passé clos et chaud, sans problèmes, où l'on serait bien enfermé, bien tenu, bien relié aux vivants, relié à la terre et aux morts» (pp. 123-4), et ce rêve n'est aux yeux de Georges Hyvernaud pas autre chose que la «tentation tenace au cœur des hommes qui ont longtemps vécu dans la peine quotidienne, dans la douceur soucieuse des vieilles résignations» (p. 124).
En tout cas, les «formules de Péguy qu'on plante partout comme des panneaux-réclame» laissent Hyvernaud froid, il n'y voit que «des façons de travestir en courage et en révolte des faiblesses et des acceptations» et cela ne mord pas sur lui, il «ne marche pas» (p. 128), il connaît la musique jouée par l'enchanteur.
Ainsi peut-il conclure : «L'expérience de la faim, de l'humiliation et de la peur donne aux choses leurs dimensions exactes. On voit clairement que les débats de Péguy avec quelques pions, ça ne compte pas. Ça se passe hors de l'action, hors de la vie. Dans cet univers arbitraire et sans résistance où la pensée scolaire mène ses jeux dérisoires» (p. 132). Georges Hyvernaud n'hésite même pas à soupçonner l'engagement de Péguy dans la guerre, qu'il trouve finalement aussi faux que sa rhétorique pour pion, son verbe qui n'est que «monologue démesuré» et «ronronnement professoral», discours en chaire au fond, «bien assis, bien calé, pas pressé» (p. 130) : «Les discours belliqueux de Péguy ne pèsent pas davantage. Il voyait venir la guerre. Il la guettait comme un autobus au coin de la rue. Pourvu que je ne rate pas ça – cette occasion de grandeur, d'héroïsme, d'Histoire. Avait-il assez peur de ne pas la prendre, son inscription historique comme il disait. Il l'a eue, il n'a pas à se plaindre, et quelques millions de pauvres types avec lui qui n'en demandaient pas tant. Il y a laissé sa peau. Des littérateurs qui avaient su préserver la leur l'en ont loué en beau style. Je ne sais rien de la mort de Péguy. Personne ne sait rien de la mort de personne» (p. 132).
C'est dans le dernier texte du livre, intitulé Le beau métier, que Georges Hyvernaud donne chair et vie à l'une des figures les plus belles de ce que nous pourrions appeler, avec Carlo Michelstaedter, la vraie vie, c'est-à-dire la persuasion, en évoquant Gokelaere, qui fut son élève : «Gokelaere a grandi du côté de Liévin ou d'Hénin-Liétard, parmi la véhémence des paysages métallurgiques qui proposent de la condition humaine une image simple et terrible. Il appartient à tout ce qui est dur et sans espoir, aux foules, aux violentes banlieues, aux fraternités dangereuses de l'esclavage et de la colère. Il est du côté de la révolte. Pas tellement à cause des bouquins d'économie politique qu'il se contraint à lire; mais par un mouvement de fidélité venu du profond de son enfance et de sa race» (p. 151). Gokelaere écrit parfois à Georges Hyvernaud, des choses toutes simples, «des choses de fatigue et de solitude» (p. 154), des «poèmes qu'il [lui] envoyait, quelquefois, recopiés en hâte, avec des fautes d'orthographe. Mais Gokelaere a été fusillé, il a été pris un matin, «on l'a entraîné dans un bruit de grosses semelles» : «Il aura lu sur la peinture brune d'un couloir quelque inscription obscène, et c'était le dernier signe que lui faisaient les hommes», car le voilà «parvenu à la pointe extrême de l'humaine solitude» et il est évident que nous ne pourrons jamais savoir ce que «ce moment-là put contenir de désespoir ou, qui sait, de paix» (pp. 156-7).
Les dernières phrases du livre sont d'une noirceur absolue, et l'on se demande par quelle ironique inattention Georges Hyvernaud a pu oser en écrire d'autres, et publier d'autres livres : «Tout est trop embrouillé, on n'arrive pas à s'expliquer. Ou bien tout est trop simple. Tout n'est plus qu'une question d'arithmétique. Comme pour le feldwebel là-bas, avec ses papiers et son cigare. L'homme dit : Gokelaere. Sans étonnement, parce qu'on n'arrive plus à s'étonner de rien. C'est l'époque qui veut ça, on en a trop vu. Gokelaere. J'écris son nom, c'est tout ce que je peux pour lui maintenant. Gokelaere. Un nom qu'ils ont mis dans les journaux, qu'ils ont dû afficher dans les couloirs du métro. Un nom qui ne parle guère plus qu'un chiffre. Les cadavres, c'est des cadavres, et il y en a trop pour qu'on calcule ce que chacun portait dans la vie de rêve, de volonté et de tristesse. J'écris son nom, Gokelaere, comme on écrit un nom sur une croix. Mais personne ne lit les noms sur une croix. Et il n'y a même pas de croix. Il n'y a rien».

Notes
(1) Georges Hyvernaud, La peau et les os [1949] (Préface de Raymond Guérin, Le Dilettante, 1995), pp. 16-7. Sans autre mention, les pages entre parenthèses renvoient à notre édition.
(2) Ce propos ne peut que nous rappeler ce que Jean Améry écrivait à propos de l'expérience qu'il avait subie de la torture, dans Par-delà le crime et le châtiment.
(3) «Le temps ici est une matière vaine, une continuité abstraite, où il n'est pas possible d'inscrire une figure, de sculpter un acte. On est pris dans je en sais quelle substance glissante, fondante, fleuve de brume ou de boue où passent des morts sans visage» (pp. 76-7).
(4) Thématique de la pétrification, de la promiscuité, du grouillement intolérable «de vies collées ensemble» (p. 58) : «De l'homme partout. Le frôlement, le frottement continuel de l'homme contre l'homme. Les fesses des autres contre mes fesses. Les chansons des autres dans ma cervelle. L'odeur des autres dans mon odeur. C'est de cela que nous sommes captifs, plus que des sentinelles et des fils barbelés. Captifs des captifs – des autres» (p. 60).
(5) «Un corps de pauvre, c'est comme une chemise de pauvre. Ça trouve toujours un lambeau de force pour la tâche immédiate. Après, on verra. Bon pour les riches, les projets. Un pauvre, quand il a cassé la croûte, il se dit qu'en voilà pour une bonne journée. C'est comme la vieille chemise» (p. 117).