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15/03/2006
Netizen n°2 : portrait du blogueur en jeune con
J'organise un grand jeu-concours. Le lecteur qui trouvera par quel auteur ces lignes ont été écrites (je puis seulement dire : il est mort depuis des lustres et ne fait à l'évidence pas partie du panthéon littéraire des rédacteurs de Netizen), lignes qui me paraissent admirablement évoquer l'impérissable figure du blogueur, gagnera une semaine de vacances dans la Zone, accompagné de la cicérone de son choix, Samantha, Natacha ou Sandra, trois adorables droïdes de dernière génération, plus vraies que nature je le garantis. Ce prix peut bien sûr être échangé, sur simple demande écrite, contre un abonnement à vie au magazine dont il va être traité dans les lignes qui suivent.
Voici l'extrait dont l'auteur est pour l'instant inconnu. J'attends donc, amusé, vos réponses angoissées : «À l’incapacité d’agir se rattache l’amour de la rêverie creuse. Le dégénéré n’est pas capable de diriger longuement ou même un instant son attention sur un point, pas plus que de saisir nettement, d’ordonner, d’élaborer en aperceptions et jugements les impressions du monde extérieur que ses sens fonctionnant défectueusement portent à sa conscience distraite. Il lui est facile et plus commode de laisser produire à ses centres cérébraux des images demi-claires, nébuleusement fluides, des embryons de pensées à peine formés, de se plonger dans la perpétuelle ébriété de phantasmes à perte de vue, sans but ni rive, et il n’a presque jamais la force d’inhiber les associations d’idées et les successions d’images capricieuses, en règle générale purement automatiques, ni d’introduire de la discipline dans le tumulte confus de ses aperceptions fuyantes. Au contraire. Il se réjouit de son imagination, qu’il oppose au prosaïsme du philistin, et se voue avec prédilection à toutes sortes d’occupations libres qui permettent à son esprit le vagabondage illimité, tandis qu’il ne peut pas se tenir dans des fonctions bourgeoises réglées qui exigent de l’attention et un égard constant pour la réalité. Il nomme cela «une disposition à l’idéal», s’attribue des penchants esthétiques irrésistibles, et se qualifie fièrement d’artiste.»
Netizen est assurément, pour quelques heures de célébrité, dans la Zone mais, après la lecture de ces lignes (bien suffisantes, car cette lecture m’a beaucoup coûté) consacrées à leur revue, il y a fort à parier que ses rédacteurs décident que la Zone, elle, jamais ne sera saluée par Netizen. Tant mieux, je le dis sans la moindre ironie ni même déception malgré le fait que, encore naïf, j’ai signalé à plusieurs reprises et sur son propre blog, au responsable de cette revue (je le suppose, puisque je ne dispose point de son adresse électronique personnelle), l’existence de blogs littéraires, dont le mien, pourquoi le cacher, qui méritaient sans conteste de retenir son attention. Il est vrai que je n’avais pas encore acheté Netizen et que je ne pouvais donc pas, d’emblée, condamner une entreprise qui me semble à présent beaucoup plus commerciale que qualitative, si j’en juge par la présence, dans les pages de ce deuxième numéro, d’un Michel-Édouard Leclerc lequel, on s’en serait douté, n’a strictement rien d'autre à dire que de profondes banalités… Et encore, nous restons tout de même, avec Leclerc, dans un domaine peu ou prou apparenté à une forme de discours argumenté puisque j’allais oublier de vous signaler la présence, dans ces mêmes pages, du patron de Skyblog, Pierre Bellanger qui nous livre ses analyses (ici complètes) les plus inspirées : avec ce dernier et malgré une utile réserve exprimée par la rédaction de Netizen quant à la politique pour le moins laxiste de Skyblog à l’égard de ses blogueurs (cf. p. 22), nous quittons la terre ferme de l’insignifiante banalité pour voguer sur l’étendue immense d’un océan de vulgarité sans bornes connues.
Avançons, car le temps passé à lire ce magazine ne me sera point rendu je le crains. Je ne suis donc pas certain, d’abord, que l’idée de consacrer une revue entière, de surcroît payante, au phénomène des blogs par essence gratuits soit, de prime abord, excellente. Reste ensuite, une fois cette malformation de naissance plus ou moins acceptée par ses parents, à nourrir l’enfant difforme, et pour cela tenter de franchir la barrière altissime d’un ridicule éditorial (signé par Cyril Fiévet, rédacteur en chef) confondant de banalité, entassant les truismes à l’occasion de l'affaire des caricatures du prophète Mahomet, sur la sacro-sainte liberté de la presse, dans un texte se mordant finalement la queue de bien laide façon, qui plus est autoritaire, donc en contradiction flagrante avec le dessein du propos : «A vrai dire, écrit ainsi Fiévet, s’agissant d’un pilier de notre démocratie, elle [il s’agit de la liberté d’expression bien sûr] ne devrait même pas être débattue». Curieux, n'est-ce pas ? Oui, bien étrange argument (qualifié, comme par hasard, d'autorité) consistant à faire taire cette liberté devant l’existence même de la démocratie, critiquable de facto comme n’importe quelle autre réalité historique, de surcroît relative et rien de moins qu'assurée d'être pérenne. Bien sûr, il faut comprendre que, dans l’esprit de Fiévet, c’est bel et bien le système démocratique considéré comme la panacée absolue (qui d’ailleurs me permet d’écrire ces lignes de critique, me fera-t-on assez peu finement remarquer), qui a pris, au ciel des fixes cher à Du Bos, la place de «la multitude des croyances et des superstitions qui abondent en ce monde». Magnifique tirade qui sent (mauvais) son petit voltairianisme de salon car, si notre tolérant et ouvert (cela va de soi) Fiévet avait bien lu ce qui s’est écrit sur certains blogs (ceux, assurément, qu’il ne lit jamais), il aurait remarqué que bon nombre vantaient l’idée d’un respect de ces mêmes croyances. Je l’ai écrit : non seulement, donc, il n’est pas certain que la liberté absolue que réclament nos moutons républicains et laïcs (cela, aussi, va de soi) soit la meilleure garantie de qualité de l’art, de la pensée, de la presse même mais il est en outre parfaitement inadmissible que la crasse ignorance, en matière religieuse, s’étale dans des canards indignes, désireux d'augmenter leurs ventes. Je renvoie Fiévet, sur ce point d'une critique de la liberté totale, à un ouvrage, encore un, qu’il n’a pas lu : La Persécution et l’art d’écrire de Leo Strauss.
Car, dans cette affaire dite des caricatures de Mahomet, nos modernes et invétérés défenseurs de la liberté n’avancent jamais le bon argument, celui-là même qui a pourtant dicté leur conduite bien évidemment au-dessus de tout soupçon, puisqu'ils se proclament citoyens sans frontières de la Toile (le sens même du mot anglais netizen, citoilien en somme). Quel est donc ce point noir, cette écharde dans la chair qui gênent nos petits apôtres répandant, sans souffrir la moindre contestation, la bonne nouvelle de leur épuratrice mission voulant éradiquer tout fanatisme ? Ce n’est tout de même pas le secret le mieux gardé du tout-Paris blogueur, n’est-ce pas ? Le voici, ce secret d'alcôve sollersienne : habitués comme ils le sont à cracher en toute impunité sur les symboles chrétiens, les décisions prises par la hiérarchie catholique, voire sur les pratiquants eux-mêmes moqués dans leurs plus intimes croyances, nos petits Bernard Gui virtuels ne supportent point que des fidèles, ici musulmans, aient clamé avec une violence certes inadmissible que leur foi ne saurait être attaquée par de petits imbéciles bien à l’abri dans leur salle de rédaction. Que ces crétins payent, et non d’autres, innocents, pour l’offense commise, je ne vois rien de bien choquant. Après tout, si, armé de mon seul courage de fier occidental définitivement débarrassé de l'Infâme stigmatisé par l'immonde Voltaire, j’allais, par exemple sur une place de Ryiad à l'heure de la prière, hurler mes moqueries à la barbe du prophète, il y a fort à parier qu'on ne me laisserait pas beaucoup de temps pour terminer mon prêche et exercer démocratiquement l’usage de ma langue, voire celui de ma tête, subitement séparée de mon corps d'infidèle pour avoir clamé mon irréfragable droit à la critique démocratique. Faites donc le même essai, par exemple à l’intérieur touristique de Notre Dame, comme l’ont fait les irresponsables imbéciles d’Act Up : que se passera-t-il alors ? Rien, absolument rien. De bons et placides catholiques, croyant sans doute qu’il s’agit là de quelque manifestation festive organisée par M. le curé pour attirer de nouvelles ouailles, glisseront dans votre poche des piécettes pieusement consacrées, tout heureux de participer à peu de frais à une si caritative manifestation de tolérance.
Je disais qu’il fallait déjà, pour tenter de parcourir cette revue, franchir le massif pratiquement himalayen d’une crétinerie auto-satisfaite, pieusement confite dans quelques lieux communs dont n’osent même plus se servir les journaliers décérébrés des Inrockuptibles ou de Technikart. La suite vaut toutefois son poids d’encens (malgré la pertinence de certains articles purement informatifs : par exemple sur les moteurs de recherche, sur le blogging structuré ou encore sur la naissance d’une blogosphère juridique française), et ne m’a pas vraiment poussé à faire preuve de plus d’aménité. Une fois de plus, c’est l’un des articles de ce même Cyril Fiévet, décidément pilier friable de la rédaction, que j’ai punaisé sur la planche des lieux communs les plus incroyablement sots. Dans le dossier racoleur consacré aux blogs d’ados, la double page rédigée, sans doute à la hâte, par Fiévet peut ainsi justement apparaître comme le modèle absolu de l’article auto-suffisant, incapable de proposer une dialectique rigoureuse (pour preuve, les laborieuses transitions censées cheviller ses différents paragraphes), liant ses nombreuses maladresses en un pitoyable bouquet de mauvaise foi, à moins qu’il ne s’agisse réellement du credo imbécile de notre malhabile libre penseur. Je résume son propos, qui sous ma plume gagnera je l’espère en clarté : certes, la grande majorité des adolescents sont absolument incapables d’utiliser un vocabulaire d’un niveau à peine simiesque. Certes encore, lorsqu’ils y parviennent au prix de minutes intenses de concentration douloureuse, c’est pour ne strictement rien nous apprendre de plus que la couleur des ongles de pieds de Patricia ou la marque de la nouvelle tire du voisin vachement cool, Raoul. Mais, nous affirme Fiévet qui fait preuve, pour l’occasion, d’un remarquable sens de l’enchaînement dialectique, «est-ce là le plus important ?». De peur que nous ne suivions plus son argumentaire, il va même jusqu’à nous demander de nouveau, quelques lignes plus loin, visiblement inquiet d’avoir raté son impeccable démonstration : «Mais là aussi, est-ce le plus important ?». Vous vous doutez dès lors de la courageuse réponse que nous donne notre imparable logicien : non bien sûr, ce n'est pas le plus important car il apparaît au contraire «légitime – et souhaitable – que le monde adulte s’intéresse très sérieusement à ces blogs, et aux jeunes qui les animent» puisque, dans le cas contraire nous assure, sans rire, notre bon maître es-logique, ce «serait non seulement dommage mais, probablement, coupable» ! Fichtre, mon optimisme en a pris un mauvais coup. J’ai en tout cas ri de bon cœur, quelques minutes durant tout de même, devant cette baudruche qui, à peine gonflée et aux prix de quels efforts, échappe à notre anxieux souffleur et se propulse au travers de la pièce en lâchant un bruit suspect de dégazage.
Voyez d’ailleurs, semble nous dire Cyril Fiévet dans ces lignes qu’il n’a même pas écrites, estimant sans doute qu'il en avait suffisamment dit, voyez d’ailleurs tous ces admirables jeunes en colère qui, durant des semaines, ont récemment mis à feu et à sang les banlieues de la France entière, sans doute parce que nul ne les écoutait. Voyez encore ces autres jeunes que l’on moque, frères nantis des défavorisés parqués dans les zones citadines où ils ne peuvent que rouiller, auxquels on promet un avenir de précarité absolue (je demande à ces imbéciles et à leur preux défenseur : qu’ils contestent donc, s’ils le peuvent, le caractère absolument précaire de n’importe quelle vie d’homme), voyez-les donc, ces courageux morveux enturbannés dans leur crasse, leur kéfié, surtout dans leur inculture prodigieuse et leurs préjugés idéologiques, prendre d’assaut les universités, vandaliser la Sorbonne et, bons démocrates qu’ils sont, demander l’abrogation non-démocratique d’une mesure qui les gêne, peut-être mauvaise d'ailleurs, là n'est pas mon propos, mais en tout cas votée au Parlement, ayant donc force de loi.
Vous en voulez encore, chers lecteurs ? Pardon mais je dois vous avouer que mon exemplaire unique de Netizen, en fait non point acheté mais ramassé par terre comme le dernier livre houellebecquien naguère critiqué par Angelo Rinaldi dans un ridicule papier, a gagné quelques centimètres de hauteur en rejoignant le fond de ma poubelle de bureau. Allez mes amis, gardez le sourire ou, comme le disent les jeunes : LOL pour Laughing Out Loud, je traduis pour les nuls.
Effectivement, il y a de quoi rire…