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06/11/2007

De la masturbation considérée comme un des beaux-arts : François Meyronnis (plus que jamais) perdu dans le labyrinthe du Consortium

Crédits photographiques :Matthias Schrader (AP Photo).

«La vérité, difficilement acceptable pour les victimes elles-mêmes mais que nous devons pourtant avoir le courage de ne pas recouvrir d'un voile sacrificiel, est que les juifs ne furent pas exterminés au cours d'un holocauste délirant et démesuré, mais littéralement, selon les mots mêmes de Hitler, «comme des poux», c'est-à-dire en tant que vie nue. La dimension dans laquelle l'extermination a eu lieu n'est ni la religion, ni le droit, mais la biopolitique.»
Giorgio Agamben, Homo Sacer (traduit de l'italien [Homo Sacer I : Il potere sovrano e la nuda vita, 1995] par Marilène Raiola, Seuil, coll. L'ordre philosophique, 1997), p. 125.


Rappel
Utile préambule : Nihilisme et littérature : au-delà de la ligne de risque
De la masturbation considérée comme un des beaux-arts, 1.
De la masturbation considérée comme un des beaux-arts, 2.
De la masturbation considérée comme un des beaux-arts, 3.


Lecture de La fabrique de Satan, troisième partie (pp. 109-136) de l'ouvrage de François Meyronnis intitulé De l'extermination considérée comme un des beaux-arts (sans la moindre honte) édité par Gallimard.

Delexter.jpgNous avons vu de quelle minable façon François Meyronnis a osé expédier l'extermination de plusieurs millions de Juifs : au moyen d'un simple jeu de mots prenant prétexte du titre du dernier roman de Michel Houellebecq, La Possibilité d'une île. Cela suffit, j'en ai assez. À dire vrai, j'affirme que De l'extermination considérée comme un des beaux-arts n'est, dans le meilleur des cas, qu'une farce imbécile. Je tiendrai donc pour un sinistre crétin toute personne qui s'avisera de trouver le plus petit intérêt intellectuel à cette pitoyable galéjade qu'est le livre de François Meyronnis. Comment peut-on un instant prendre au sérieux un auteur, pas même, un vague écrivant capable d'écrire puis d'oser publier sans aussitôt mourir de honte une phrase comme celle-ci : «J'évoque une guerre perpétuelle, lardée de paix fourrée» (p. 169) ou bien encore cette autre : «Pas si facile, même pour qui admet comme nacelle l'ampleur démesurée» (p. 171) ? Et, parce que je ne vais tout de même pas gaspiller plus de mots, je me contenterai de donner un solide coup de pied au cul de celui qui osera m'affirmer de vive voix que François Meyronnis est tout autre chose que ce que j'ai montré qu'il était : un imposteur.

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Ayant donc perdu beaucoup de temps avec le livre de François Meyronnis, je suis pressé désormais de conclure cette série de textes consacrés à un ouvrage que nul, à part Aude Lancelin et moi-même, n'a pris la peine de lire. Il n'y aura sans doute pas de nouveau texte consacré à la suite des aventures de notre impavide explorateur dans les sous-sols du Consortium (1).
Pour une fois, je puis écrire, sans exagération je l'espère, que j'ai fait, avec cette série de notes, besogne utile : lecteurs, passez votre chemin et ne gaspillez pas un seul centime dans l'achat d'un livre qui est une imposture intellectuelle de tout petit empan.

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Que dire de ces pages qui sont tout entières le décalque des thèses sur le bio-politique puisées, sans trop de méthode et en les agrémentant d'images ridicules, dans les essais de Foucault et Agamben ? Passons sur les habituels troubles obsessionnels compulsifs qui ridiculisent les prétentions de notre dernier écrivain : «Biopolitique, la Seconde Guerre mondiale – et cela, de bout en bout» (p. 112) et «La race, le sang, le sol – creuses, ces catégories» (p. 115. Bien sûr, notre imbécile ne nous dit pas en quoi ces catégories sont «creuses») et «Profondément périmé, ce volontarisme d'éleveur de bétail [...]» (p. 116) et «Le grand prophète de l'extermination, Hitler» (p. 119) et «Même le ravage, il n'est plus à leur mesure» et «Bannis, les hommes, de toute vie historique [...]» (p. 124) et «Éparpillé de par le monde, le déversoir» (p. 128) et «Éjecté hors du monde, l'être parlant» (p. 129) et, pour finir, un extraordinaire «D'autant plus étanche, le mur, qu'il est maçonné dans le vide» (p. 132). Nous retrouverons plus loin l'étrange conception que Meyronnis se fait de l'espace.
Vous en avez assez ? Moi aussi, n'en doutez pas. Je suis même en colère contre Meyronnis lorsque je constate la pile de livres qui attendent que je les ouvre. Il est tout simplement impossible de tomber sur un livre plus mauvais que celui que patiemment je décortique : ah si tout de même, deux, sous les plumes d'Haenel et de Sollers. Mais, devant tant de stupidité piteusement consacrée, sur le site du Nouvel Observateur littéraire, par la blonde Aude Lancelin qui a sans doute cru qu'elle interrogeait Isidore Ducasse comte de Lautréamont, je ne puis rester silencieux.

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Sautons quelques pages tout de même, à regret, pour nous trouver immédiatement confrontés à l'ultime recès de mystère où François Meyronnis enferme la réelle présence d'une miette d'idée qui, pour paradoxale qu'elle paraisse, n'en a pas moins été mâchée, avalée puis digérée (et, dans quelques cas, expulsée) par nombre d'écrivains et de penseurs d'une tout autre trempe que l'auteur désaxé de L'Axe du Néant. François Meyronnis, grand amateur de brocante, retape des métaphores usées comme des catachrèses et nous les met sous le nez en en vantant la terrible nouveauté. Encore une fois : imposture. Cette idée crépusculaire, annoncée par quelques belles phrases qui, pour une fois, ne sombrent pas complètement dans le ridicule («Nous allons, à l'heure du couchant, vers le triomphe des assassins», p. 123) et paraissent même relativement censées («Les hitlériens opposent le mythe racial à l'élection par la parole», p. 119), tente d'établir que le nazisme est le triomphe (illusoire) de la mort transformée en vivant toujours temporaire (2), l'état d'exception devenant, dans le camp d'extermination, la règle commune ou, pour évoquer certaine thèse abondamment commentée développée par Giorgio Agamben : «Le camp est l'espace qui s'ouvre lorsque l'état d'exception commence à devenir la règle» (Homo Sacer, op. cit., p. 182. L'auteur souligne). Inutile de préciser, nous sommes maintenant habitués, que l'auteur ne tirera absolument rien d'une thèse reprise à d'autres. Rien hormis quelques images je l'ai dit. De sorte que, une fois de plus, nous constatons l'immoralité profonde de François Meyronnis pour qui la Shoah n'est que le prétexte à une broderie littéraire recouvrant malhabilement la nudité de ce mendiant de l'intelligence. N'étant pas intelligent, il déploie la force des imbéciles : la ruse. Une ruse de musaraigne ou, pour le dire franchement, de rat d'égout lorsqu'il se permet, nous l'avons vu, de soupçonner l'intégrité morale de Littell et de Houellebecq à partir de leurs romans.


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François Meyronnis, le penseur mou de la discontinuité, étant parfaitement incapable de la moindre concaténation, de la plus minuscule réflexion sur une matière qu'il a péniblement ramassée dans des livres qui ne sont pas les siens, va se contenter d'affubler le méchant Adolf Hitler de sobriquets censés en peindre la monstruosité. Las, comme ces trouvailles sont, nous nous y attendions tout de même, profondément ridicules, elles rendent le méchant Adolf tout d'un coup sympathique. L'imbécile, drapé dans sa toge de prétention, ne se rend même pas compte qu'il est le plus ardent défenseur de ce qu'il prétend exécrer. Adolf Hitler selon notre auteur est donc un «truand autrichien» (p. 116), un «malfaiteur à croix gammée», un «tordu vociférant» (p. 117), le «grand prophète de l'extermination» (p. 119), le «fanatique des charniers» (p. 120), «le despote à mèche et à moustache» (p. 121) et puis... Et puis, hormis un rapprochement entre Hitler et Napoléon que l'on jurerait bloyen si ce n'était Meyronnis qui l'opère à sa sotte façon, c'est absolument tout car, quelques pages avant la fin de cette troisième partie, François Meyronnis, ayant sans doute estimé qu'il avait réglé son compte au sinistre Adolf, retrouve l'unique sujet qui, quels que soient ses sauts de cabri, l'intéresse, LUI-MÊME, comme il l'écrit en cabotinant bien sûr : «Se résigner – ne jamais prendre cette basse route. Cependant mon esprit et mon cœur, je les tiens à l'écart de l'indignation comme du mépris. Sinon, ça va mal : on se noie vite dans la nausée, on ressemble à une rapière fendue. Et surtout, on cabotine» (p. 131, l'auteur souligne).


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François Meyronnis qui d'ores et déjà risque de prendre la première place de ma liste de tartuffes cacographes, est donc un caboteur inculte qui n'éprouve aucune difficulté à passer de Michel Houellebecq à la Shoah puis à lui-même en tant que chevalier à la comique figure seul à même de triompher du Rien-Tout-Consortium-Moulin-Sollers, ce dernier étant à la fois, comme l'écrit notre éminent cacographe monté sur le bardot de la sottise, «précurseur et complice» (p. 133, l'auteur souligne).

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Pauvre Philippe Sollers. S'entourer d'alliés tels que François Meyronnis ou Yannick Haenel, de relais aussi insignifiants et béatement admiratifs tels qu'Aude Lancelin et Josyane Savigneau dit assez en quelle piètre estime nous pouvons et devons tenir ce Sun Tzu de la rue Sébastien-Bottin. «précurseur et complice» : ces trois mots suffisent, plus que n'importe quelle charge menée doigt sur la gachette nucléaire, à raser jusqu'à ses certes peu profondes fondations le peu de sérieux avec lequel le Doge vénitien cachait ses pudenda. Il est vrai que Meyronnis, en citant Gérard Guest, a répandu sur les travaux estimables mais bavards de ce dernier le lisier malodorant dans lequel lui-même patauge.

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Voici à présent une des pages les plus stupides qu'il m'a été donné de lire. Il s'agit peut-être même, je dis cela avec la modestie et la prudence caractérisant une découverte scientifique majeure dont je n'aimerais absolument pas être dépossédé, de la page la plus stupide de la littérature française.
Je défie QUICONQUE sur cette planète (mais sans doute nous faudrait-il le concours d'une intelligence extraterrestre pour venir à bout de pareil objet ronflant non identifié) de m'expliquer ce qu'elle signifie, de me montrer en quoi ses métaphores ont la moindre valeur, de vertement me rabrouer lorsque j'écris qu'une telle page est la preuve de la définitive crétinerie de celui qui a osé l'écrire, de ceux qui ont osé la relire sans l'amender ou, tout simplement, la barrer au feutre rouge. Je la reproduis telle quelle, car elle me semble être le cratère d'imbécillité pure dans lequel se précipite l'ouvrage entier de François Meyronnis :
«Une pensée de ce temps, si elle se rejoint, part de la fermeture. Elle ne s'accroche pas à la fable d'une responsabilité humaine qui entraînerait encore la décision.
Ce qui ferme verrouille sans appel.
Nous sommes déjà de l'autre côté de la limite. Aucun au-delà ne perce plus. Détresse ? – Sans doute. Mais pas d'affliction. – Ce ne serait que le négatif d'un espoir infondé, le contre-pied saturnien d'une baliverne.
Gare, aussi, au sentiment panique. Se heurter au ravage, tout en se défendant contre l'affolement.
Une pensée qui se rejoint commence par la fin. Cela ne signifie pas qu'elle s'y installe. Au contraire, elle cherche l'accès.
Elle fait mieux. Elle le trouve.

À partir de la fermeture, un dégagement s'annonce – car ce qui ferme n'a pas la consistance d'un amas. En effet, ce qui cause l'obstruction s'apparente davantage à un trou.
D'autant plus étanche, le mur, qu'il est maçonné dans le vide [nous y revoici !]. En apparence, il empêche la moindre infiltration d'air. Sauf que c'est le vide qui obture.
Le plein, irrespirable à force de faire barrage, ne vient que de l'ampleur de la lacune. Dans l'élément de cette lacune, nous sommes déjà admis; et pourtant nous devons apprendre à lui correspondre sans angoisse, au lieu de nous y précipiter à reculons» (p. 132).

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Après un tel morceau de bravoure carnavalesque, on aurait pu estimer que François Meyronnis avait dépassé toutes les bornes du ridicule. Non. Apparemment désorienté par ces sataniques mélanges confondant la fin et le début, la porte et la fenêtre, la sortie et l'entrée, la fermeture et l'ouverture, le néant et son propre style... (vous me dites que c'est la même chose ? Je m'y perds à mon tour...), ainsi lamentablement errant, notre cicérone-derviche, après s'être payé un tournoiement «dans l'illimité», nous assurant qu'il ne se «referme pas sur [lui]-même», poursuit de plus belle, écrivant : «Or, si je rebrousse de ce qui ferme à ce qui ouvre, c'est depuis une telle lézarde. À partir de cette brèche, s'établir dans la fermeture permet de rejoindre l'accès; et d'échapper de la sorte au règne de LA mort [...]» (p. 134).

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Il me semble que François Meyronnis, à un stade aussi précis de décomposition, peut être tout simplement déclaré fou. Reste à savoir s'il est dangereux. Dans le doute et pour que notre toupie sollersienne, de rage, ne se mette à tournoyer sur elle-même jusqu'à creuser un tunnel qui le conduirait de l'autre côté du globe, je recommande de l'enfermer dans un lieu hermétiquement clos : le boudoir très privé et tout aussi modeste de Philippe Sollers, sis au premier étage d'un bâtiment rose longeant le Traghetto San Marcuola, quartier du Cannaregio, à Venise bien sûr. François Meyronnis, en regardant fixement, derrière une fenêtre grillagée, la monotone danse du Canal Grande, pourra ainsi utilement déverser le trop-plein de ses pensées bizarres qui finiront, avec un peu de chance, par servir de plancton à d'improbables animalcules.

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À force de lire, concluant chacune des piètres envolées de François Meronnis, le terme néant, mon regard a fini par acquérir une étonnante acuité, proche de celle de l'aigle qui déniche un lapin alors qu'il plane à un bon kilomètre d'altitude : le mien repère ainsi toute présence du vide dans un titre de livre, et ce à une distance fort respectable d'au moins 800 mètres. Pas mal non ? C'est ainsi que j'ai découvert ce terme, bien caché il faut le dire dans le titre du dernier vrai roman (puisqu'il nous le dit) de Philippe Sollers comme dans celui, quoique particulièrement concis, de Yannikk Haenel, Cercle. Pourtant, je ne savais rien de ce livre dont Gabriel Matzneff (que je remercie) m'a recommandé la lecture : L'Homme du néant de Max Picard (éditions de La Baconnière, coll. Les Cahiers du Rhône, Neuchâtel).

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La lecture de cet ouvrage a été une surprenante et très agréable découverte, comme le fut celle de Klemperer, de Musil, de Broch, de Kraus ou de Canetti, qui tous ont consacré d'admirables pages au nihilisme contemporain dont le nazisme n'a été que le surgeon le plus monstrueux... pour le moment. François Meyronnis, qui n'a probablement rien lu de ces auteurs, tirerait toutefois grand avantage, avant de se lancer dans la rédaction de son prochain savant ouvrage, logiquement intitulé De l'éjaculation considérée comme un des beaux-arts, de se procurer le très beau livre de Max Picard, dont les pages évoquant le visage d'Adolf Hitler sont tout simplement saisissantes (3). En voici quelques lignes : «J'ai dit du visage d'Hitler qu'en lui le néant total avait trouvé son expression. Mais ce visage n'en est pas une image, car il ne peut y avoir d'image du néant; ce n'est qu'une expression du néant, ce n'est que l'extérieur du néant, le néant retourné, la face externe d'une sphère vide. Le visage d'Hitler est la face externe du néant. C'est ce qu'on n'avait encore jamais vu dans l'histoire. Dans le monde du plein, dans le monde de la continuité (4) et de la durée, le néant est immergé; il y a tant de plein et de durée que le néant n'a pas lieu de se montrer, le plein occupe tout, et le néant doit se tapir dans le néant, il ne peut apparaître» (op. cit., p. 63).


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Bon prince, et certain, surtout, que les revenus fort maigres que Meyronnis tirera de la vente de son dernier ouvrage ne lui permettront pas de s'offrir le livre, épuisé, de Max Picard, je livre à sa sagacité ce dernier extrait : «On se trouve ici en présence d'une dégradation du meurtre lui-même, le tableau et le meurtre sont ensemble dégradés. Ce qui remplit l'instant importe peu : meurtre ou Bach, four crématoire ou Hölderlin; la main d'Himmler, qui caresse avec tendresse le bras d'un enfant, un instant après se posera sur le levier qui va déclencher le gaz asphyxiant dans la chambre de mort. Tout n'est que «remplissage» de l'instant, toutes choses sont juxtaposées sans le moindre lien entre elles; n'importe qui peut faire n'importe quoi successivement, discontinuement [sic].
La structure est ici la même que dans le chaos : ni ordre, ni hiérarchie, mais discontinuité partout. L'homme est comme un récipient où l'on prend et où l'on jette tantôt ceci, tantôt cela, tantôt la musique, tantôt le meurtre; l'homme n'est que l'entonnoir du chaos» (p. 55).

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Pour terminer de ridiculiser François Meyronnis, je précise que l'ouvrage de Max Picard a paru en 1945 en Allemagne, une année plus tard en France.
Personne ne pourra donc m'objecter que notre cuistre grandiloquent et impuissant n'a pas eu le temps de se documenter sur un sujet qu'il prétend être le seul, le premier, à envisager dans sa banale horreur.

Notes :
(1) La dernière partie, aussi abondamment fournie que les autres de pitoyables métaphores et de platitudes consommées, attaquant de nouveau l'attitude de l'écrivain Houellebecq plus que ses livres, vaporisant quelques vagues gouttelettes gnostiques, védiques, bardotodoliques, musulmanes, très rarement chrétiennes sur la face plate d'une culture littéraire et philosophique pour le moins peu abondante, s'intitule Le suicide occidental appliqué au sexe. Cette partie tente de nous démontrer que, face au ravage, au nihilisme, aux milliards de ventouses du Consortium, seul l'amour peut nous sauver. Qu'est-ce que l'amour selon François Meyronnis ? Pas bien difficile : ce n'est pas le sexe, ce n'est surtout pas la piètre idée que s'en fait Michel Houellebecq. C'est en revanche le saut dans l'événement qui lui-même est la pure ouverture à ce qui sauve dans l'horreur banalisée. Seul l'amour, ô puissante nouveauté, seul l'amour aimant et pas strictement sexuel, donc consommable, nous empêchera dorénavant de considérer les corps comme un combustible aussi économique, voire plus, que le charbon.
La conclusion quant à elle de cet ouvrage affligeant s'intitule l'Ampleur du sauf. Elle consacre l'étrange virevoltite aiguë qui démembre le corps de Meyronnis puisqu'il s'agit, par exemple, de «virer soi-même à l'intérieur d'un mouvement qui tourne» (p. 166) ou encore d'opérer un «retour revenant sur soi» (p. 179); je cite in extenso le passage tant il me semble profondément grotesque : «Retour revenant sur soi, le corps amoureux se donne à lui-même la vie. Par le contact d'un autre corps, il devient sa propre mère, trouée vers la Souche du vide.
L'acte ne s'enlise plus dans le plaisir d'organe, il contient une spire [...].
Voilà ce qu'oblitère la croyance sexuelle. En l'assignant à l'organe, elle refuse que, vrillé dans l'événement, tournant sur lui, le coït pense.» Comme si de pareilles stupidités ne suffisaient décidément pas à faire de ce livre l'une des plus bavardes impostures intellectuelles de la décennie, François Meyronnis nous laque son canard décérébré d'une nouvelle couche synesthésique en écrivant : «Car elle écoute, la parole.
En tant que l'œil de l'événement, la parole voit l'invisible – ce qui se dérobe à nos yeux. Et elle entend aussi ce qui se dérobe à nos oreilles» (p. 185), sans oublier un truculent «Celui que la parole aime reçoit l'œil de l'événement» (p. 186). Que l'on ne s'étonne pas si les dieux de la littérature qui selon Roberto Calasso nous ont délaissés se mettent dans une terrible colère en recevant l'aigre fumet de semblables sottises cuites à petit feu !
(2) Dans un article datant de 1974, Willard Gaylin a évoqué le spectre des corps – qu'il appelle neomorts – qui auraient le statut légal de cadavres, mais qui pourraient conserver, en vue d'éventuelles transplantations, certaines caractéristiques de la vie (W. Gaylin, Harvesting the Dead, in Harpers, 23 septembre 1974).
(3) Le style de Max Picard dans ce livre m'a rappelé certains des portraits les plus étonnants (par exemple celui de l'avare) brossés par Ernest Hello.
(4) Max Picard analyse le nihilisme comme étant la trace la plus manifeste de la discontinuité dans laquelle le monde moderne a tout entier basculé : «Seul le monde de la totale discontinuité pouvait voir un néant, un Hitler, faire figure de chef; lorsque tout est discontinu on perd l'habitude de comparer. Simplement, le néant Hitler se trouvait là; puisque tout change d'un instant à l'autre, on était heureux qu'il y eût au moins le néant Hitler. Un monde hiérarchiquement ordonné l'eût de lui-même projeté dans le néant, un tel néant n'eût même pas pu paraître. Hitler était l'excrément d'un monde démoniaque qu'un monde authentique et ordonné eût de lui-même évacué» (p. 15).