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11/11/2010

CosmoZ de Christophe Claro : qui croit encore au Père Noël post-moderne ?

Crédits photographiques : Brendon Thorne (Getty Images).

À propos de CosmoZ de Christophe Claro (Actes Sud, 2010).
LRSP (livre reçu en service de presse).

51E-9esasyL._SS500_.jpg«Romans, toujours des romans et deux cent cinquante, trois cents pages, situations et personnages étant donnés, cela paraît s'écrire de soi-même, dans la molle coulée et le demi-sommeil d'une invention relâchée. Comme si les mots ne coûtaient rien. Inutile de chercher «l'écriture automatique» : la voici; c'est le roman «moderne». L'inutile, la chose qui vaut la moins la peine.»
Valery Larbaud, Journal (1912-1935).

«À présent, je ne vois plus trop que ceci qui reste à faire… C’est peut-être ce qu’ils se disent, les jeunes ! Et alors ils se mettent à traduire en incompréhensible les vieux sujets.»
Leconte de Lisle, in Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire [1891] (José Corti, 1999, préface et notices de Daniel Grojnowski), p. 284.


«Open the book to page 99 and read, and the quality of the whole will be revealed to you.»
Ford Madox Ford.


Venant tout juste de commencer la lecture d'Apocalypse bébé de Virginie Despentes, et d'ores et déjà sidéré par la crasse vulgarité des quelques pages parcourues, je dois bien admettre que CosmoZ de l'indigent Christophe Claro est, de loin, le rom... non, le brouet de phrases recyclées le plus mauvais et ridicule qu'il m'a été donné de goûter depuis, peut-être, Brève attaque du vif de François Meyronnis tout juste suivi, sur la table coquettement apprêtée par les éditeurs Gallimard et Actes Sud, par la petite et insipide bluette de Mathias Enard primée par quelques lycéens qui ont réussi à venir à bout d'une copie de Première dite littéraire écrite en très gros caractères et ayant pour thèmes de grands mots majusculés comme l'Autre, le Temps, l'Art, le Pont, le Turc, la Postérité, la Littérature, l'Orient, le Navet, le Lycéen donc.
Je le sais, c'est là commettre un péché, mais perdons toutefois un peu du temps que nous pourrions accorder à de beaux livres en nous penchant sur le fumet peu subtil du dernier roman du bien trop prolifique Christophe Claro (auteur, ce n'est pas rien tout de même, même si ce n'est pas grand-chose dans son cas, de quinze livres parus entre 1986 et 2010; lui se demande «comment finit le monde et pourquoi il ne cesse de recommencer»; moi, je me demande pourquoi Claro continue d'écrire ailleurs que sur sa page Facebook, où il est devenu, quotidiennement, une espèce de Joseph Vermot tombé dans l'encrier de Libération)...) et, non sans avoir renoncé (alors que j'aurais pu si méchamment m'amuser !) à jouer le sale et pitoyable tour que Claro a joué au dernier roman de Houellebecq, ouvrons très exactement, dans une intention post-moderne et peut-être même déconstructrice évidente, le gras CosmoZ à sa quatre-vingt-dix-neuvième page, axe et cœur de tout roman selon le si fin Ford Madox Ford, puisque les dernières pages de CosmoZ, elles, ne nous cachent même pas l'évidence, malgré de ridicules effets de lecture dus à leur auteur, de leur bavarde nullité.

Que lisons-nous, dans ce minuscule cœur saponifié brutalement sorti d'un cadavre de livre se nourrissant d'autres livres (dont celui de Baum bien sûr) sans paraître pouvoir leur rendre un peu de vie ?

Ceci :

«Ce dernier [Sabin von Sochocky] traita l'enfant aux rayons Roentgen, arrosant ainsi sans le savoir la fleur carcinomique qui poussait à l'ombre de ses os. L'anémie dont souffrait Gertrude – et qui n'était sans doute qu'une banale mononucléose – redoubla de vigueur, si l'on peut dire. Entre-temps, Sochocky s'était passionné pour d'autres usages du radium, tels que la peinture lumineuse, et s'en alla aux États-Unis fonder la Radium Luminous Materials Corporation, non sans avoir au préalable confié la fillette aux soins tout aussi radioactifs d'un de ses collègues, le Dr Carl von Noorden, dont il venait de lire dans la Medical Review un article enthousiasmant concernant l'usage de ce curieux élément, le radium :
Les corps radioactifs sont, comme on l'a dit, des porteurs d'énergie. Nous diffusons dans le corps des molécules qui ont une tendance à exploser. Ils convoient de la sorte, dans leur environnement immédiat, une quantité d'énergie gigantesque proportionnellement à leur masse. D'autres molécules et constituants cellulaires peuvent être dissociés et il ne faut pas s'étonner que de nombreuses expressions vitales des cellules soient alors radicalement modifiées. La force la plus puissante qui devient active via les explosions de molécules radioactives est l'électricité. Ainsi, désormais, les substances radioactives nous donnent une méthode pour distribuer les porteurs de l'énergie électrique dans l'intérieur du corps et, là, engagent les fluides, le protoplasme, et les noyaux des cellules dans le bombardement immédiat des explosions atomiques électriques.

En conséquence de quoi, Gertrude fut contrainte d'endurer toute une litanie de traitements dont elle nous fit plus tard le récit. Elle eut droit à des injections intraveineuses de bromure de radium, dut se siffler des litres d'eau de Gastein, inhaler des nuages entiers de radon dans des emanatoria suffocants, appliquer sur son corps toutes sortes de compresses radioactives, et mariner des heures durant dans des sources plus ou moins luminescentes.
À regarder de près la gamine, on avait du mal à souscrire à la philosophie du radium alors en vogue, qui prétendait que ce dernier était «accepté aussi harmonieusement par le système sanguin que la lumière du soleil par la flore». Nul doute que Sochocky, Noorden et sa clique nous auraient concocté une sympathique thérapie pour nous guérir de notre nanisme harmonieux.»

Alors mes chers lecteurs ? Allez-vous céder à la facilité honteuse qui consisterait à vous exclamer que cet extrait vous semble dénué du moindre sens, voire, d'un peu de poésie et même, pourquoi pas puisque l'on nous assure que Christophe Claro est un écrivain, de style ? Cédez-y et, surtout, n'ayez aucun remords, car cette quatre-vingt-dix-neuvième page est tout ensemble le reflet et le fidèle résumé des près de cinq cents autres pages qui composent le parpaing de crotte bêlante de chèvre pseudo-maquisarde qu'est CosmoZ, un livre point victime de la crise apparemment, puisqu'il est ventripotent et pansu comme un Vollmann diarrhéique qui aurait oublié qu'un livre commence par une majuscule et se termine par un point (sauf qu'Enard, encore lui, nous a prouvé le contraire !).
Christophe Claro, qui, encore tout récemment (le 20 septembre) rêvait tout haut qu'il voulait, sur son livre, le même type de critique assassine que celle que j'avais écrite sur la dernière bluette de son ami Mathias Enard, voit ici son souhait exaucé, en partie seulement.
En partie seulement car son livre étant d'une indigence bien supérieure à celle du roman de son ami qui, au moins, a fait, comme on fait tout un tas de choses parfois peu reluisantes et comme on fait, aussi, après un trop copieux repas, un petit texte parfaitement paramétré pour concourir au Prix du Roman le plus Surestimé de l'Année, je n'ai pas eu le courage d'écrire une trop longue note, qui du reste n'aurait pu que détailler une nullité exposée d'emblée, sans la moindre pudeur, en guise de paillasson où Claro s'est frotté les pieds, par sa lamentable traduction de la première strophe du grand poème de T. S. Eliot, Les Hommes creux (1).
Que notre vague traducteur, dont il faudrait peut-être pour le coup traduire en bon français les romans (une nouvelle idée de subvention demandée au CNL, peut-être ?), me pardonne cette involontaire reconnaissance de son flagrant manque de talent et, surtout, de l'incontinence verbale qui lui a fait commettre un roman de près de 500 pages qui, dès ses premières lignes, m'a tout simplement prodigieusement ennuyé, tant on y sent, à l'œuvre ou plutôt au désœuvrement, la langue pâteuse perçant entre les grosses lèvres en signe de grande concentration, toutes les fadaises d'un post-modernisme qui n'est qu'empilement de métaphores ridicules (les «radars de la raison», un épouvantail décrit comme étant la «version aéroplanesque du divin empaillé», p. 31), jeux de langue et de typographie dignes d'un numéro de Martine découvre la bande dessinée, obsession trouble, zolienne presque, de la tuyauterie du corps, images inutilement compliquées («Planté au croisement de quatre chemins qui n'en sont logiquement que deux mais néanmoins quatre puisque le choix se fait trèfle dès que déplié», p. 34) ou ridicules («à la lueur de la lune que ne parvenaient pas tout à fait à bâillonner les nuages»; p. 40, «un frisson entre les fesses comme un fil à couper le beurre», p. 42), incapacité viscérale, flagrante, étonnante, prodigieuse, de rendre crédible, à tout le moins touchant, un seul de ses personnages. Le comble du ridicule et de l'insignifiance est probablement atteint avec celui, en carton-pâte, pour le coup véritable épouvantail, de Dorothy qui, allongée sur la table de dissection sur laquelle Claro mène ses petites incubations et fais régulièrement germer des poulets à huit pattes, a moins de naïve grâce qu'une seconde du film tiré du livre de Baum, alors même que notre docteur Frankenstein a injecté au pauvre corps qui n'en peut mais une bonne vingtaine de litres du sang de Pynchon.
Le post-modernisme littéraire, dont Claro, ne serait-ce que par son travail de traducteur qu'il faudra un jour examiner très attentivement à la loupe, est un des chantres les plus incontestables en France, privilégie, depuis la mort des grands récits, les petits, le jeux et, pour le dire avec Baudrillard, le simulacre. Dans les différentes critiques que j'ai lues consacrées à CosmoZ, ces termes reviennent souvent, ainsi que le champ lexical de la subversion, du piratage : Claro, dans son livre, subvertirait, piraterait les textes dont il s'inspire, rendez-vous compte de la formidable liberté de mouvement dont fait preuve le Capitaine Crochet du livre post-littéraire.
CosmoZ subvertit ? La grande affaire ! Comme tout bon livre, aurait-on dû s'empresser d'ajouter, puisqu'un livre n'est que le reflet d'autres livres, parfois jusqu'au vertige jubilatoire d'un Sterne avalant la littérature par la gueule d'un livre monstrueux, Vie et opinions de Tristram Shandy, d'une façon génialement discrète avec Borges ou torve comme un énigmatique texte du trobar clus remis au goût du jour avec Locus Solus de Roussel.
Seulement, CosmoZ n'est pas un bon livre, et, même s'il se veut aussi coupant qu'un laser de neuf térajoules, ce ne sont que quelques petits confettis de saucisson corse qui tombent dans notre assiette de lecteur affamé.
La littérature est bien évidemment (ou alors, comme dit Bataille, elle n'est pas), par son essence, subversive, du moins celle qui a la modestie de ne point se prétendre trop vite subversive, d'une de ces subversions sans tripes véritables faisant les délices consommables et aussi rapidement jetables de collections telles que celle de Laure Limongi chez Léo Scheer.
Comment expliquer que quelques vers de La Chanson d'amour de J. Alfred Prufrock de T. S. Eliot ou des Cantos d'Ezra Pound, quelques réflexions étranges et savantes de Thomas De Quincey, comment donc démontrer que la trilogie d'un Ernesto Sábato, qu'un roman de Cendrars tel que Moravagine, que le Sartor Resartus de Carlyle, que Sous le volcan de Lowry, Nostromo de Conrad, Absalon, Absalon ! de Faulkner et tant d'autres textes me paraissent infiniment plus subversifs que ne l'est CosmoZ se voulant parodie, forcément intertextuelle, de l'histoire (littéraire) du XXe siècle, «anti-féérie en forme de livre des métamorphoses qui se joue des frontières entre imaginaire et réalité» (4e de couverture), alors même que jamais leurs auteurs n'aurait eu l'audace (ou la bêtise) de les prétendre au-delà d'une modernité du reste si difficilement définissable ?
Claro est ce que j'appelle un joueur de pipeau. Il faut reconnaître qu'il en joue avec assez peu de talent (parfois, comme page 60 lorsqu'il se contente de narrer, avec un tout petit peu) et même s'il en avait montré, ce ne serait que cela, un joueur de pipeau, et cela n'est pas grand-chose. Jamais on ne trouve dans CosmoZ, ce roman sans muscles et qui dispose d'une cervelle d'emprunt, ce qu'on pourrait appeler un squelette. De l'action décrite dans son écoulement sans cesse déformée par les enroulements torves de l'ironie mais surtout pas de portée. Claro s'est sans doute amusé en écrivant son livre qui, moi, ne m'a pas fait rire, ni même sourire. Je dois avoir le muscle de l'allégresse atrophié, à la différence de celui des Munchkin (cf. p. 70), qui lui est toujours bandé.
Ce gros roman indigeste, sans queue ni tête, sans esprit ni chair qui ne soit tavelée et fatiguée comme une rosse conduite au-delà de ses forces sur une montagne de livres mâchonnés par un lecteur barbouillé d'encre qui nous fixe d'un regard vide, ce livre brouillon que l'on dirait avoir été écrit par quelque Gulliver déboussolé et incapable de trouver sa propre voix à force d'avoir traduit en français (il faut du moins l'espérer) tant de phrases prononcées par d'autres voix, pèche par la base ou plutôt il n'y a pas de base du tout. Claro n'a pas de voix. Il n'a même pas le talent de parvenir à organiser en un ensemble cohérent la multitude des voix qui doivent douloureusement résonner dans son crâne en lui répétant qu'il n'a jamais été, qu'il n'est pas et qu'il ne sera jamais un écrivain. On se demande même s'il y a une tête composant cette baudruche sonore. Le cœur, lui, comme je l'ai écrit... Dans un temps comme le nôtre où l'effarante complexité du monde laisse à peine le temps de lire, vous m'accorderez qu'on a le droit de demander à un écrivain fût-il médiocre d'être autre chose qu'un esprit fumeux qui nous fait oublier dans des livres oiseux et byzantins qui ne sont, au mieux, que de petits mécanos privés de vie et de grâce, que nous pouvons être envahis d'un instant à l'autre par l'inouï d'une guerre, d'un attentat, d'un cataclysme majeur, d'une lecture bouleversante, que sais-je encore, de la remise prochaine et probable du Prix Nobel de littérature à Virginie Despentes.
Je sais que c'est blasphémer contre la Sacro-Sainte École de ce que ces plumes minuscules appellent l'Art pour l'Art ou littérature débarrassée de ses ridicules idoles que sont l'auteur, les lecteurs, les autres écrivains et même, le livre en tant qu'objet mais à notre époque, où la littérature continue de s'écrire devant le bourreau, il y a des tâches plus urgentes que d'agencer des mots d'une façon si peu harmonieuse et surtout, de continuer probablement à le faire durant le demi-siècle qui vient, puisque Claro, comble de notre malchance, aime visiblement produire au-delà de toute prudence médicale, comme s'il était lui-même un de ses propres personnages aussi irradiés que stochastiquement pressés de se livrer, de parler, de bavarder plutôt et donc, hélas, d'écrire.
Les incultes et les lecteurs de Claro, deux appellations pour une seule réalité décérébrée, me reprocheront vertement de ne pas tenir compte du fait, capital à leurs yeux, que circule dans les pages des livres de Claro, tout particulièrement dans le dernier, le sang vaillant de la contre-culture, l'esprit du samizdat ou de l'underground, bref, tout ce qui fait vibrer nos plus benoîts pigistes tout mielleux de bonnes intentions rebello-artistiques. Seulement, si l'Inquisition autorisait, comme l'a suggéré Tocqueville (in De la démocratie en Amérique bien sûr), une parole vraie et forte obligée, pour s'exprimer, de se cacher, l'empire de la majorité, lui, c'est-à-dire la démocratie (je sais, je sais, pour Claro et ses lecteurs, la France est une geôle dirigée par un odieux tyran liberticide), a ôté jusqu'à la pensée d'en publier. Dans notre pays, pas totalitaire, pas tyrannique, pas même unidimensionnel selon Marcuse mais simplement démocratique, «diversifié, plurivoque, aéré de courants multiples s'ignorant les uns les autres et tolérants les uns à l'égard des autres» comme l'écrit Henri Raczymow dans La mort du grand écrivain (2), dans notre pays où le droit à la différence, c'est-à-dire «l'ouverture à l'indifférence n'est qu'un prétexte pour permettre à n'importe quelle sorte de vulgarité d'entrer en scène et d'y demeurer sans opposition» (3), dans notre république des arts et des lettres, la subversion n'existe plus puisqu'il n'y a plus rien à subvertir, surtout pas les grands récits, pas même les textes bouffons d'une caste strictement parisienne qui joue au rebelle en tentant de faire peur aux bourgeois lesquels, abominable méprise, n'aspirent qu'à une seule chose : quelques minutes à la télévision (ou l'odieux visuel selon Jean-Pierre Enard), quelques lignes d'un pigiste de trentième colonne saluant le petit livre de poésie qu'ils auront écrit en cachette.
Un livre comme CosmoZ est donc frappé d'une double inutilité : inutilité due à son échec proprement littéraire, inutilité quant à ses vues souterraines se voulant subversives et critiques à l'égard d'un monde et de personnes creux. Une telle parole, pour utiliser un grand mot que certains mages de pacotille emploient pour saluer leur boulangère, CosmoZ ne parvient pas à s'extraire de la gangue du nihilisme.
Car enfin, je lui dois cette confidence, à notre travailleur stakhanoviste et brouillon, infiniment plus à l'aise lorsqu'il s'agit de traduire des textes anglo-saxons tout juste passables que lorsqu'il lui faut (mais heureusement, nul ne lui a rien demandé; espérons qu'il ne nous prépare pas un volume entier de ses traductions de poètes !) s'attaquer à des textes qu'on appelle des classiques : Mathias Enard, avec lequel j'ai échangé quelques messages à l'occasion de mes critiques de ses ouvrages, écrit avec une certaine ambition même si, désormais happé par le ventre mou dans lequel ont sombré toutes celles et tous ceux qui ont copiné à la mode parisienne (raouts entre journalistes, amis écrivains, prix littéraires, ce que Jean-Paul Aron ramassait en une formule définitive dans ses Modernes, le «clan culturel de Paris»), il n'a strictement plus aucun intérêt d'un point de vue littéraire.
Un écrivain donc, du moins son fantôme, possédant une vision et une ambition bien éloignées de ses dons littéraires réels mais enfin, nul ne peut reprocher au comédon de se vouloir montagne himalayenne.
Claro, lui, commet l'erreur de se croire écrivain ou plutôt recycleur bavard du roman de Frank L. Baum, Le Magicien d'Oz, alors qu'il n'est que traducteur et traducteur, pour les livres que j'ai lus par son biais, assez médiocre. Un traducteur s'efface et c'est dans cet effacement qu'évoquait bellement Jaccottet, qu'il en dévoile infiniment sur lui-même.
Un écrivain aussi finalement devrait essayer de s'effacer, au rebours de bien des tentatives actuelles où, avec les vieux maniaques ridicules que deviennent le mirliflor Gabriel Matzneff et Renaud Camus, nous n'en finissons pas d'être tenus au courant de la plus petite éclosion de sébum. On murmure même que Renaud Camus, grand amateur de pilosité festive et simiesque, aurait livré à son éditeur un tapuscrit de 1 800 pages qui nous narre par le menu la naissance et la mort d'un seul poil, dont la politesse et surtout les très strictes interdictions judiciaires pesant sur ce texte ultra-secret m'interdisent de mentionner la provenance peu aérée bien que gersoise.
Mais il est vrai que Claro, à la différence de Matzneff et même de Camus n'étant pas un écrivain, il ne lui reste plus que le paraître, à tous les sens de ce terme : s'afficher et afficher, dans le même geste de promotion purement commerciale se voulant subversive, ses productions (la dernière, dûment subventionnée par le CNL à hauteur de 14 000 euros, CNL qui nous dit tout le bien qu'il pense de ce «vertigineux travail de [sic] la langue») et prétendre ainsi que CosmoZ, s'il n'est pas grand-chose, est au moins une «puérile pierre sur laquelle édifier le grand bunker» (p. 49) où crève la littérature désossée.
Cette note, bien sûr, est un échec, car il est toujours infiniment plus difficile d'évoquer justement un livre nul que d'écrire un texte, même passable, sur un grand roman.

Notes
(1) Le texte original de T. S. Eliot est le suivant :

«We are the hollow men
We are the stuffed men
Leaning together
Headpiece filled with straw. Alas!
Our dried voices, when

We whisper together
Are quiet and meaningless
As wind in dry grass
Or rats' feet over broken glass

In our dry cellar
Shape without form, shade without colour,
Paralysed force, gesture without motion;
Those who have crossed
With direct eyes, to death's other Kingdom
Remember us – if at all – not as lost

Violent souls, but only
As the hollow men
The stuffed men.
»



Voici la traduction donnée par Pierre Leyris (Poésie, édition bilingue, traduction de Pierre Leyris (Seuil, coll. Le don des langues, 1992 puis La Terre vaine et autres poèmes, Seuil, coll. Points Poésie, 2006) qui, sans être absolument fidèle au texte original, en conserve la musique et, surtout, se justifie de ses choix :

«Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.

Silhouette sans forme, ombre décolorée,
Geste sans mouvement, force paralysée;

Ceux qui s’en furent
Le regard droit, vers l’autre royaume de la mort
Gardent mémoire de nous – s’ils en gardent – non pas
Comme de violentes âmes perdues, mais seulement
Comme d’hommes creux
D’hommes empaillés.»



Voici, enfin, la traduction de Christophe Claro, donnée en exergue de son roman :

«Nous sommes épouvantails
Tout faits de faille
Et tous nous penchons
Tête aux quatre vents. Hélas !
Nos voix sèches, quand
Ensemble nous murmurons
Sont silence et dépourvues de sens
Tel le vent dans l'herbe sèche –
Cavalcade de rats sur verre brisé
Dans cave sèche.

Silhouette informe, ombre sans nuance
Force arrêtée, geste figé;

Ceux qui sont allés
Le regard droit dans l'autre royaume des morts
Se souviennent de nous – qui sait – non telles
Des âmes errantes, mais seulement
Comme des êtres tout en failles
De simples épouvantails.»



Inutile de nous attarder sur cette traduction proprement indigente (deux exemples, parmi tant d'autres, alas ! : «hollow men» traduits, sans la moindre raison valable, par «épouvantails», le membre de phrase «lost/Violent souls» traduit par «âmes errantes»...), dont on ne peut même pas prétendre qu'elle est bellement infidèle. Et que l'on ne vienne pas me parler de licence poétique quand, en plus d'être un mauvais écrivain, Christophe Claro est un si patent piètre traducteur.
(2) Henri Raczymow, La mort du grand écrivain (Stock, 1994), p. 139.
(3) Allan Bloom, L'Âme désarmée, essai sur le déclin de la culture générale (Julliard, 1987), p. 42.