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17/09/2013

La Conjuration de Philippe Vasset

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Photographie (détail) de Juan Asensio.

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la-conjuration-de-philippe-vasset-948149073_ML.jpgÀ propos de Philippe Vasset, La Conjuration (Fayard, 2013).
LRSP (livre reçu en service de presse).

Si je n'étais parfaitement assuré de la très profonde honnêteté intellectuelle de Yannick Haenel, cet homme qui a écrit un monceau de sornettes habillées de la plus crasse inculture historique et de contre-vérités flagrantes lorsqu'il a évoqué Jan Karski, si je n'étais assuré de la parfaite intégrité morale d'un auteur qui, naguère, a été confronté devant les tribunaux à Alina Reyes qui l'accusait d'avoir plagié certains de ses romans, si je pensais que Yannick Haenel qui, aujourd'hui, rêve du Grand Soir tout en sirotant des cocktails pour faire la promotion de son dernier livre inepte, pouvait avoir subrepticement développé des pouvoirs extra-lucides qui lui auraient permis, par le biais de son corps astral, de discuter avec celui de Philippe Vasset ou, qui sait, de se transformer en quelque discret passe-muraille venu traîner dans les locaux des éditions Fayard, si je n'étais donc assuré de la plus stratosphérique honnêteté de Yannick Haenel, j'oserais trouver troublante la ressemblance entre le dernier roman de Philippe Vasset, La Conjuration, et ladite cucurbitacée produite par notre faux paysan germanopratin grand consommateur d'engrais sollersien, fumier odorant dont la particularité est qu'il peut s'utiliser sur les courges comme sur les attachées de presse, la différence génétique, me dit-on, étant infime entre ces deux créatures merveilleuses, ce qui suffit à expliquer aisément l'universalité radieuse de l'ardent Philippe Joyaux, né le 28 novembre 1836 (quelle jeunesse !) et qui, depuis sa solaire naissance ou presque, arrose de sa nullité la plus mauvaise collection éditoriale de France et de Navarre, L'infini bien sûr.
J'oserais trouver troublante la ressemblance (j'aime cette phrase toute en assonances), disais-je avant de m'égarer dans les couloirs de Gallimard, entre Les Renards pâles et La Conjuration. Il est vrai que plusieurs éléments communs à ces deux romans, tous deux parus en temps et en heure pour concourir à l'une des nombreuses premières places de la rentrée dite littéraire et qui n'est pour l'heure que strictement commerçante, sont tout de même assez étranges, même s'ils semblent avoir échappé aux plus grands experts es-littérature dont notre pays peut s'honorer, je songe bien évidemment aux savants critiques de la revue Transfuge, qui ont benoîtement interrogé Yannick et Philippe à quelques jours d'intervalle et n'y ont vu que du Haenel et du Vasset ou bien l'inverse, autrement dit rien de plus qu'un peu de bavardage, autre nom, du moins pour eux, de la littérature. Une fois de plus, je ne puis que répéter ce que je répète depuis des années maintenant, et dont l'exemple propre à ces deux romans me fournit la preuve, comme tel autre exemple lamentable, celui d'Antoni Casas Ros m'en donnait également la confirmation : la critique littéraire journalistique n'existe plus, en France, depuis les disparitions d'un Pascal Pia, d'un André Dalmas, d'un Jean José Marchand ou d'un Matthieu Galey, et ce ne sont pas franchement les rinçures mal écrites et truffées de fautes de Pierre Assouline, celles, inoffensives, de la petite coopérative bobo qu'est Transfuge ou celles encore du très intertextuel directeur du Magazine littéraire Joseph Macé-Scarron qui risquent de nous faire changer d'avis.
Revenons aux étonnantes similarités entre les romans de nos deux écrivants. Ainsi, nous constatons, dans les livres de Haenel comme de Vasset, la présence d'un déclassé, personnage principal qui a oublié «toute idée de travail salarié» (p. 25) et qui, tout à coup, une fois mis à la porte de son appartement (cf. p. 26), décide d'arpenter les rues parisiennes où il s'agit d'«inventer des significations secrètes au rébus des rues» (p. 53), tombe sur d'étranges personnages (cf. ibid.) tout en lisant Beckett (cf. p. 24, Molloy chez Vasset, En attendant Godot chez Haenel), se pique de réflexion pour une parole à la fois transcendante et immanente (1) qui serait capable de conjurer «les forces de la désaffection» (p. 24), cette quête qui semble apparemment être devenue la marotte des écrivains parisiens les plus en vue ne pouvant décidément pas être qualifiée d'un autre vocable grandiloquent que celui de mystique, et le sacré de bazar turkmène propre à ces deux auteurs constituant apparemment «un bon cheval de Troie pour ressusciter les angles morts de la ville» (p. 53), voire provoquer un déchaînement capable de «submerger Paris» (p. 71), puisque la réalité n'est pas celle que l'on croit, le Paris visible appuyant ses fondations, c'est bien connue depuis Sue, sur «une ville secrète abritée des regards par des agencements de parois truquées» (p. 95), derrière lesquelles le bon peuple ripaille et s'amuse à se faire peur en invoquant quelques créatures interlopes d'un sabbat de carnaval.
Ces ressemblances qui ne peuvent être dues qu'au hasard nous en sommes bien convaincus sont encore renforcées par la construction même des deux romans, que nous pouvons schématiquement scinder en deux parties : la première où nous suivons le personnage principal, la seconde consacrée à un long récit que nous pouvons, dans le cas du roman de Yannick Haenel, plaisamment considérer comme un grossier bavardage et, dans celui de Vasset, comme un bavardage lui-même ésotérisant quoique moins prétentieux et plus maîtrisé que celui de son confrère en gri-gri africanopratins. Dans cette seconde partie, le héros s'est débarrassé de son nom (cf. p. 175) ainsi que de toute forme d'identité et draine derrière lui une foule immense d'initiés, se cachant derrière des masques dogons chez l'un, derrière l'invisibilité du passant chez l'autre, puisque l'humanité «n'accède au sublime qu'en s'évanouissant» (cf. p. 161). Il n'est donc guère étonnant que, dans les deux romans, les marqueurs sémantiques de la singularité, comme l'usage du pronom «je» (2), disparaissent au profit de l'utilisation des pronoms «on», «nous» ou «ils», ou encore au profit de phrases dites infinitives : «S'amalgamer au groupe. Avancer de conserve, tel un cortège de célébrants encapuchonnés. Pénétrer toujours plus profondément l'épaisseur de la ville, forant sans discrimination murs et cloisons» (p. 192).
Les parallèles entre deux romans sont toujours moins intéressants que leurs différences. Ne tergiversons pas et affirmons que c'est l'écriture qui sépare ces deux ouvrages, l'un, ridicule, grandiloquent et qui se prend au sérieux, celui de Yannick Haenel bien sûr, l'autre assez bien documenté, efficace, ironique à souhait à l'endroit du pullulement grotesque des sectes aux noms plus ou moins bizarres (cf. p. 75). Certes, La Conjuration n'est pas un grand roman ni même un roman honnête, pour la raison même qu'il est efficace, d'une efficacité qui semble être devenue l'unique horizon d'attente des éditeurs contemporains français, de plus en plus réticents dirait-on à publier des romans torrentiels, monstrueux, dont les défauts évidents constitueraient les qualités paradoxales.
Nous pouvons tout de même noter quelques belles images et métaphores, comme celle-ci, lorsque le narrateur est tout occupé à observer à la jumelle des bureaux vides dans lesquels il ne tardera pas à entrer : «Le balayage des phares des voitures animait les plantes vertes de lents mouvements aquatiques et, dans les vitres troublées de reflets, les flux de l'économie mondiale semblaient un ballet de créatures marines se frôlant des nageoires» (p. 156), ces quelques mots bien agencés suffisent à affirmer que le roman de Philippe Vasset n'est pas aussi nul que celui de Philippe Haenel, auquel il ressemble tant.
Il y a tout de même, dans le roman de Philippe Vasset, du moins dans sa première partie, deux influences assez discrètes, qui font de ce livre un texte point si lisse qu'il n'y paraît, je veux parler des présences de Michel Houellebecq (sérieux de la documentation, évocation de H. P. Lovecraft, analyse sociologique de la religion) et, quoique plus discrète, de Huysmans, le personnage de Vasset pouvant fort bien être considéré comme une espèce de Des Esseintes qui, plutôt que de s'enfermer dans sa thébaïde coruscante, ferait de la ville de Paris sa demeure secrète, l'esthète des zones les moins frayées de la capitale pour lequel s'introduire dans un appartement consiste à découvrir des «régions inexplorées du cerveau» (p. 117) se doublant, lorsqu'il enquête sur les sectes mêlant les odeurs de soufre et d'effluves humaines, d'un Durtal s'enfonçant dans des territoires secrets jusqu'à se croire possesseur de l'anneau de Gygès. Nous verrons quel piètre usage le personnage principal du roman fait de ce présent inespéré, qu'à vrai dire il n'a guère besoin d'utiliser, puisque sa seule complexion, absolument banale, lui assure la plus parfaite invisibilité.
C'est en effet, moins qu'une conjuration, la soif de toute-puissance qui est le sujet réel du roman de Philippe Vasset, la belle occupation qu'est l'«érotique de l'effraction» (p. 143) à laquelle le narrateur cède, initiée par une mystérieuse femme lui ayant appris toutes les techniques d'intrusion, épousant les contours de telles anciennes passions de lecture (3) qui le pousseront à tenter sa «première expérience véritablement spectrale» (p. 148), lorsqu'il s'introduit dans des bureaux vides puis, enhardi par sa capacité à passer inaperçu, dans des appartements où il se met à frôler des corps, «enivré par [un] sentiment d'invisibilité» (ibid.), cette première expérience aboutissant, on s'en doute, à une forme d'extase spirituelle (4) et même de jouissance divine, puisque le «dessin [des] indémêlables enchevêtrements» de la ville de Paris n'est «visible que de [lui] seul» (p. 151) et que, à la fin du roman, c'est la foule des conjurés qui semblera omnisciente (cf. p. 196), bien que sa puissance ressemble plus à une forme volontaire de molle dissolution (Haenel dirait : de nihilisme, alors qu'il ne cesse, croit-il, de le combattre, de mol en mol livre) qu'à la toute-puissance divine classiquement conçue.
Hélas ! La seconde partie du roman, je l'ai dit, délaisse la minutieuse exploration balzacienne de Paris, qui n'était point désagréable, ainsi que la satire houellebecquienne d'une spiritualité devenue commerce très profitable, au profit d'un discours haenélien, autrement dit parfaitement creux, confus et ridicule, rempli de phrases vagues, qu'eût d'ailleurs pu faire siennes l'auteur des Renards pâles, comme celle-ci : «À mesure que nous perdons consistance, c'est le reste de l'humanité qui devient fantomatique» (p. 187) ou bien encore, évoquant le thème du langage qui, nous nous en souvenons, n'était pas le moins important dans le roman de notre jeune premier sollersien :"Nous avons glissé hors de la langue. Nous ne faisons qu'entendre les mots, les phrases adressées à d'autres, sans jamais véritablement élucider leur portée» (pp. 175-6) ou bien enfin ce concentré d'haenélisme qui est un acnéisme de bêtise : «Les citadins ne nous intéressent qu'en tant que spectacle. La ville n'est plus, pour nous, qu'une scène où s'exhibe la présence, un ciel infiniment gribouillé de trajectoires hasardeuses. Seuls les rôdeurs et les vandales ont nos faveurs : on protège les couples s'exhibant sur les boulevards de ceinture, et on prête main-forte aux fauteurs de troubles, n'hésitant pas, si besoin est, à lancer la première pierre, à proférer la première insulte. Si la situation s'envenime, en queue de cortège, en fin de soirée, on exfiltre les perturbateurs vers des repaires de nous seuls connus» (pp. 195-6).
Cette seconde partie est d'ailleurs insipide, et n'est à nos yeux qu'une pitoyable chute qui signe l'incapacité de Philippe Vasset à parvenir à maîtriser de bout en bout un roman qui n'était qu'efficace mais qui, au moins, durant ses premières pages, semblait pouvoir nous assurer le simple plaisir du lecteur, finalement si rare, celui qui est mieux étanché par une aventure de Rouletabille ou quelque feuilletonnesque plongée dans les mystères de Paris d'Eugène Sue plutôt que par cette conjuration qui ne sera même pas parvenue, toute palote et surjouée qu'elle est, à comploter contre notre ennui pour le renverser durant quelques heures.

Notes
(1) «Écrire avait, pour moi, quelque chose à voir avec l'invisibilité : c'était disparaître pour n'être plus qu'une parole qui suinte des murs, un bourdonnement mêlé aux bruits de la ville, un goût de fumée affleurant soudain sur les lèvres. Écrire, c'était les nerfs sans le corps, le trajet sans l'identité [tiens !], la feinte, le vol et l'effraction [tiens tiens tiens !]» (p. 19).
(2) «Il a fallu cesser de dire «je» [...]» (p. 192).
(3) «[...] les Fantômas, Arsène Lupin et autres Rocambole dont les aventures avaient constitué mes premières émotions de lecteur et qui, trente ans après, étaient toujours une sorte d'idéal littéraire tant le mouvement de cette littérature désuète était de dévoiler la ville, chacun de ces personnages manipulant monuments et immeubles comme de vulgaires boîtes, y cachant trésors ou otages et reluquant sans vergogne l'intérieur des appartements» (pp. 145-6).
(4) Comme nous invite à le penser l'exergue placée au début de la troisième partie du roman, empruntée à Benoît de Nursie.