« Eat shit, billions of flies can't be wrong : Méfiez-vous des enfants sages de Cécile Coulon | Page d'accueil | Cinéma et eschatologie chez George A. Romero, 2 : de 2005 à 2010, par Francis Moury »
02/04/2014
Le Groenland retrouvé d'Isaac de Lapeyrère
Photographie (détail) de Juan Asensio.
Isaac de Lapeyrère, un intellectuel sur les routes du monde de Jean-Paul Oddos.
À propos de Isaac de Lapeyrère, Le Groenland retrouvé (Relation du Groenland (Éditions Anacharsis, coll. Famagouste, 2014, texte établi, annoté et postfacé par Fabienne Queyroux).
LRSP (livre reçu en service de presse).
Utilement postfacée, pour les Éditions Anacharsis, par Fabienne Queyroux, spécialiste d'auteurs tels que Gabriel Naudé, la Relation du Groenland (soit le véritable titre de l'ouvrage) d'Isaac de Lapeyrère est postérieure à sa Relation d'Islande écrite en 1644 mais publiée en 1663, et se présente comme une lettre écrite à Monsieur de La Mothe Le Vayer. C'est dans le cabinet de curiosités du savant danois et ami personnel de l'auteur Ole Worm que Lapeyrère trouva plusieurs traces d'un monde perdu, dont il publia une histoire synthétique en 1647, chez l'éditeur Augustin Courbé, évoquant l'explorateur Jens Munk ou le savant danois Ole Worm.
Isaac de Lapeyrère est un auteur assez fascinant sur lequel Jean-Paul Oddos a écrit un livre très fourni, naguère présenté dans la Zone.
La Relation du Groenland n'intéressera sans doute qu'une minuscule poignée de lecteurs, sans doute des spécialistes de l'auteur ou de son époque, à moins qu'il ne s'agisse de passionnés de récits d'exploration. Il est néanmoins frappant de constater que la façon dont procède l'auteur, décrivant plusieurs expéditions vers le Groenland, mais aussi plusieurs relations et témoignages, qui lui permettent de rejeter certaines hypothèses (par exemple celle de la provenance de prétendues cornes de licornes, ou celle encore émise par Grotius (1), qui railla sa théorie du préadamisme, cf. p. 110) ou d'en privilégier d'autres, est toute moderne, si cet adjectif tant galvaudé possède encore un sens autre que journalistique.
Sobrement exposée, l'histoire de la découverte, ou plutôt de la redécouverte du Groenland par l'Occident semble, parfois, annoncer le Poe des Aventures d'Arthur Godon Pym, lorsque Lapeyrère évoque par exemple les deux mots incompréhensibles (Oxa indecha) prononcés par trois «sauvages» (p. 89), qu'il parle d'une terre où les morts se portent bien, mais où «les vivants y deviennent malades» (p. 94), ou bien encore Arthur Machen lorsqu'il évoque des signes mystérieux comme le «Christianus quartus du roi de Danemark» (p. 100) ou cette «pierre élevée et assez large, sur laquelle était peinte une image qui représentait le Diable, avec ses griffes et ses cornes» (p. 102). Mais c'est peut-être finalement Thomas Carlyle et son histoire des premiers rois de Norvège qu'évoque irrésistiblement le texte de Lapeyrère, un auteur décidément borgésien en diable, qui lut Snorri Sturluson, également auteur d'une Histoire des rois de Norvège.
Note
(1) C'est dans ses Praeadamitae, disponible dans Élisabeth Quennehen, Le Problème de l'unité du genre humain au XVIIe siècle : contribution à l'histoire de l'idée polygéniste (thèse d'histoire, Paris I, 1993) que Lapeyrère réfute la thèse de Grotius, qui put lire son manuscrit, encore inabouti, de ces Préadamites, en faisant remarquer que les populations du Groenland ont vécu sur cette terre bien avant l'arrivée des premiers Norvégiens. Pour la question, pas vraiment nouvelle puisque Lucrèce, Maïmonide ou Guillaume de Conches l'ont évoquée tour à tour, des origines préadamites de l'homme, voir la postface de Fabienne Queyroux, pp. 152 et sq.