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09/02/2020

Au-delà de l'effondrement, 6 : Les aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe

Crédits photographiques : Nati Harnik (AP Photo).

Aussi soudaine que féroce et destructrice dans son jaillissement inattendu, l’horreur n’est jamais précédée, du moins dans la vie réelle, d’aucun des signes subtils ou inventés que notre esprit, de toutes ses forces, s’empresse d'y déchiffrer.
Un accident tragique, un meurtre, l'alitement soudain consécutif à l'irruption d'une grave maladie, l'annonce brutale d'une vérité tue depuis des années, autant de masques de l'horreur qui ne cachent aucun visage que nous pourrions regarder, voire questionner. Si l'horreur n'a pas de langue, c'est qu'elle n'a probablement pas de visage.
Ce n'est que fallacieusement, a posteriori, que notre volonté tente d'établir des concaténations entre des événements prétendument annonciateurs que pourtant rien, probablement, ne relie entre eux. Et c'est heureux si je puis dire que l'esprit ne s'avoue point trop facilement vaincu parce que, sans ce travail qui est d'explicitation et de recherche d'un enchaînement causal, donc d'un sens, le surgissement de l’horreur, s’il n’était point précédé de ces signes avant-coureurs déchiffrables, plongerait l’esprit dans le mutisme, peut-être même la folie.
Si, selon Blumenberg qui en a répertorié savamment les métaphores, le monde jouit d'une lisibilité qu'il s'agira de questionner, l'horreur, dont la déhiscence toujours inattendue nous fait soupçonner qu'elle n'appartient pas à notre univers mais à un autre qui redouble le nôtre d'une ombre maléfique, paraît elle aussi ne point faire partie du livre de la nature.
Il faut pourtant, d'une façon ou d'une autre, en rendre compte : par le mythe, par la parole et, contigu à ces moyens immémoriaux, par l'écrit.
La littérature, elle, est supérieure à notre vie quotidienne en ceci qu’elle est le déchiffrement de signes qui toujours annoncent la catastrophe finale, précèdent le déchirement du «rideau blanc tendu» (que l'on retrouvera protégeant le repaire de Kurtz) devant Pym et son infortuné compagnon de voyage, un certain Peters qui ressemble à quelque créature à peine sortie de la sauvagerie.
De quelle sorte est la révélation que Poe cache, comme il le fait dans ses contes, derrière l’horizon des événements duquel nul ne peut revenir, si ce n’est, mystérieusement, son propre pouvoir de vision et de parole qui semble avoir obtenu, du gardien intraitable des Enfers, quelque permission temporaire ? Rien de plus qu’une «figure humaine voilée, de proportions beaucoup plus vastes que celles d’aucun habitant de la terre». La gageure était de belle taille, de tenter d’en savoir un peu plus sur la découverte sans nom faite par l’aventurier : Jules Verne avec Le Sphinx des glaces puis Lovecraft avec Les montagnes hallucinées la relevèrent… et échouèrent à nous en apprendre davantage.
Ou plutôt, ils nous en apprirent beaucoup trop...
Muets devant la révélation finale du conte de Poe, que l’on considérera comme l’absence même de toute révélation ou bien, après la traversée d'un pays totalement noir, la progressive consomption des choses et des êtres dans un univers de pure blancheur qui, significatif silence, a été le grand rêve de Mallarmé, nous devons pourtant ne pas craindre d’affirmer que l’horreur (et son corollaire, la terreur sacrée) sont annoncées dès les tout premiers épisodes du livre bizarre de Poe. Non seulement par le sang (1), à la fois lettre énigmatique et ruse qui permettra à Pym d’échapper à un sort funeste (puisque, à la fin du septième chapitre, Dirk Peters grimera le visage de son ami avec du sang), mais aussi par la vision de monceaux de cadavres entassés sur un brick mystérieux et voguant à la dérive (2) et enfin les actes de cannibalisme, auxquels notre héros se livre.

La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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