« Profession de foi du vicaire savoyard de Jean-Jacques Rousseau : comment connaître Dieu par cœur, par Gregory Mion | Page d'accueil | L’Amérique en guerre (7) : Sartoris de William Faulkner, par Gregory Mion »
28/01/2017
Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, par Francis Moury
Fiche technique succincte
Réalisation : Louis Malle
Production : Nouvelles Éditions de Films (Jean Thuillier)
Scénario et adaptation : Roger Nimier et Louis Malle d’après le roman de Noël Calef, pré-adapté par Calef lui-même
Dialogues : Roger Nimier
Directeur de la photographie : Henri Decae (image format 1.66 N&B)
Montage : Leonide Azar
Musique : Miles Davis
Décors : Rino Mondellini et Jean Mandaroux
2e ass.réal. : François Leterrier
1er ass.-opér. : Jean Rabier
Casting succinct
Maurice Ronet (Julien Tavernier), Jeanne Moreau (madame Carala), Lino Ventura (inspecteur de police Chérier), Georges Poujouly (Louis), Yori Bertin (Véronique), Jean Wall (Simon Carala), Elga Andersen (Madame Becker), Sylviane Aisenstein (secrétaire de Carala), Micheline Bona (Geneviève), Jacqueline Staup (Anna), Marcel Cuvelier (le gérant du motel), Gérard Darrieu (Maurice), Charles Denner (second inspecteur de police), Hubert Deschamps (le substitut du procureur de la République), Ivan Petrovitch (Horst Bencker), Félix Marten (Suberville), Jean-Claude Brialy (jeune joueur d’échec), Gisèle Grandpré, Jacques Hilling, Marcel Journet, François Joux, etc.
Résumé du scénario
Paris, 1957 : alors qu’il vient de tuer son patron l’homme d’affaires Simon Carala, en maquillant le crime en suicide, l’ancien parachutiste Julien Tavernier se retrouve coincé dans l’ascenseur desservant ses bureaux. Impossible pour lui de se rendre au rendez-vous qu'il avait avec sa complice, l'épouse de Carala ! Elle erre dans Paris toute une nuit à la recherche de son amant. Cette même nuit, un couple d’Allemands est assassiné dans un motel par Louis, un jeune dévoyé qui avait volé la voiture de Julien pour impressionner Véronique, sa petite amie fleuriste. Au matin, Julien est arrêté par la police... qui l’accuse du crime de Louis. La situation, en apparence inextricable, sera dénouée de la manière la plus noire par le destin.
Ascenseur pour l’échafaud (France, 1957) de Louis Malle était son premier long métrage de fiction : ce coup d’essai fut son coup de maître car on peut le considérer aujourd’hui, avec le recul que donne la connaissance intégrale d’une filmographie achevée, tout bonnement comme son meilleur film. Précisons qu’il devance de peu le très beau Le Feu follet (France, 1963) interprété également en vedette par Maurice Ronet, l’un des meilleurs acteurs français de cinéma au XXe siècle.
Est-ce dû à la perfection glacée du scénario adapté par Noël Calef lui-même de son propre roman, ensuite adapté et dialogué par l’écrivain Roger Nimier et Louis Malle ? Est-ce dû à la perfection non moins sophistiquée de la photographie de Decae ? À la mise en scène à la fois classique et novatrice de Malle, à sa direction d’acteurs et d’actrices tendue et nerveuse, donnant à Jeanne Moreau son meilleur rôle, celui où elle était au sommet de sa beauté et de son érotisme, mais accordant aussi à tous les autres acteurs (jusqu’au plus petit rôle) une attention particulière ? Au soin global de la direction artistique et technique, au choix des décors et des extérieurs ? À l’ensemble de tout cela, bien sûr ! On note que deux futurs grands cinéastes furent assistants sur ce film : François Leterrier (futur réalisateur d'une intéressante adaptation du livre de Jean Giono, Un roi sans divertissement) et Jean Rabier (directeur de la photographie des meilleurs films de Chabrol, par la suite). Ascenseur pour l’échafaud est bien né sous une bonne étoile : talent collectif comme individuel s’y sont exprimés librement, authentiquement.
Ascenseur pour l'échafaud possède aussi une curieuse qualité historique : alors que son auteur voulait, selon ses propres termes, se démarquer de la tradition de «la vieille qualité française des années 1950», il peut tout au contraire apparaît rétrospectivement comme son aboutissement ! Les quelques échappées vers les années 1960 et 1970 qu’il contient, non moins rétrospectivement d’ailleurs, ne doivent certes pas être négligées. Mais Louis Malle a beau vanter la modernité des décors (le motel, l’immeuble de Carala et son ascenseur) il ne faut pas oublier l’admirable intérieur de l’immeuble parisien ancien, vétuste, rescapé de la Seconde Guerre mondiale, où se trouve le misérable studio du jeune couple criminel «nihiliste-romantique». Ascenseur pour l’échafaud a pour principal mérite de restituer une vision exacte de l’année 1957 et pas d’une autre année : politiquement, socialement, architecturalement, sociologiquement comme psychologiquement. Il est à la lisière du classicisme et de la Nouvelle vague. Malle présente «deux marginaux», nous dit-il, et ce thème de la marginalité, il l’aura exploité toute sa vie jusqu’à la corde, avec parfois un mauvais goût et un désir de provocation à la limite du ridicule. La Nouvelle vague est friande de marginaux : À bout de souffle de Godard, La Drogue du vice [Le Concerto de la peur] de Benazeraf. Mais ce sont peut-être bien les marginaux malliens les plus anciens (ceux d’Ascenseur pour l'échafaud et de Le Feu follet) qui nous semblent aujourd’hui les plus sincères car ils sont bien de leurs temps : ils expriment leur temps tout en se rebellant contre lui. Le miracle, dans le cas du Feu follet, est que cette expression se soit produite à partir de l'adaptation d'un roman écrit bien avant sa transposition dans le Paris de 1963, ce qui n'était pas le cas de l'adaptation du roman de Calef par Calef lui-même, Roger Nimier et Louis Malle en 1957.
Bref, Ascenseur pour l'échafaud est bien un chef-d’œuvre du film noir français dont la période 1950-1960 apparaît toujours davantage comme étant une des plus originales et des plus riches de son histoire. Par la suite, la filmographie de Malle ne retrouva jamais cette perfection absolue atteinte ici du premier coup, par un effort et une tension tous deux remarquables, mais aussi par une inspiration donnée là, d’emblée, absolument. Bien que presque aussi abouti, le drame psychologique Le Feu follet souffre de certaines ruptures de ton bien qu’il suive admirablement la lente marche à la mort du personnage principal du roman de Drieu la Rochelle dont il était une adaptation transposée dans la France contemporaine de 1963. En somme, Ascenseur pour l'échafaud présente ce cas, finalement assez rare, dans la filmographie d’un cinéaste : débuter par un coup de maître.