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18/02/2024
Les Français de la décadence d'André Lavacourt dans le dos noir du temps

Photographie (détail) de Juan Asensio.
Sur Les Français de la décadence d'André Lavacourt.«Voyons un peu, grand limier des Baskerville, Arsène Lupin des lettres, voyons un peu, jeune Marías, ne prétends-tu pas qu'aucun livre ne peut t'échapper, pour introuvable qu'il soit ?»
Juan Benet à Javier Marías, Dans le dos noir du temps (Negra espalda del tiempo, 1998, traduction de l'espagnol de Jean-Marie Saint-Lu, Gallimard, coll. Folio, 2016), p. 343. Je cite ce texte dans le reste de ma note sans donner pour une rarissime fois les références exactes de la pagination. Les lecteurs intéressés n'auront qu'à se procurer cette édition.
Je crois n'avoir jamais confondu la fiction et la réalité, même si je les ai mêlées en plus d'une occasion, comme tout le monde d'ailleurs, mais jamais encore (si, une seule fois, je l'évoquerai plus loin), jamais encore je n'ai à ce point eu l'impression de m'aventurer dans un domaine moins éloigné, par le temps de marche qui m'a été nécessaire pour m'y rendre, qu'englouti, dont les frontières ne figurent sur aucune carte, ou alors sur des cartes remisées au fond de salles d'archives, que plus personne, pas même les chercheurs, eux surtout sans doute, ne songe à aller visiter pour en tirer, qui sait, du nouveau.Cette impression bizarre, tenace, désagréable pour tout dire et même : inquiétante plus d'une fois car elle vous fait assez vite soupçonner l'existence d'une réalité plus fine et ténue que la nôtre, plus subtile et éthérée aussi, comme si elle en constituait le fragile calque, la doublure presque parfaite, est encore renforcée par le fait que je me suis aventuré dans une époque pourtant toute proche de celle qui est la mienne, hic et nunc, les années 60, rendez-vous compte !, une grosse dizaine d'années avant ma propre naissance, rien du tout en somme, hier à peine, mais c'est alors comme si j'avais pénétré dans une forêt primitive voire primordiale, aux fûts d'arbres contrefaits et colossaux, dont la particularité tiendrait à leur absence de solidité et d'élévation, puisqu'il n'en resterait plus que quelques fragiles empreintes déposées sur les roches, des morceaux d'insectes aussi, ou bien de curieux spécimens miraculeusement conservés, grossis pour l'éternité dans des larmes d'ambre qui, une fois polies, pareraient le cou des femmes qui n'aiment pas vieillir.
Je n'ai évidemment pas connu André Lavacourt, ou plutôt Pierre Couturier, et celui qui aurait pu m'en dire quelque chose, comme il le fit auprès d'un autre lecteur enthousiaste et surpris que si peu d'éléments sur cet auteur soient disponibles, Francis Marmier devenu célèbre là où il vivait dans le sud de la France pour son jardin de cactus, n'est plus en état de le faire, comme j'ai pu l'apprendre en essayant de me renseigner directement par téléphone, et je n'ai pas davantage connu, et maintenant je le regrette même si je sais parfaitement qu'il est sot de regretter ce qui n'a peut-être été qu'une chimère, Vincent La Soudière que j’ai pourtant croisé, peut-être, mais sans bien sûr le savoir, en me rendant, avec ma classe d’hypokhâgne, à une exposition parisienne consacrée au peintre Bram van Velde, Vincent La Soudière qui lui aussi a tracé,qui a tracé, comme l'auteur des Français de la décadence, un sillage de lumière incandescente au moment de se consumer dans l'atmosphère épaisse, le bolide n'ayant même pas eu la masse et la solidité nécessaires pour atteindre la surface du sol et y creuser ne serait-ce qu'un assez modeste cratère, ultime témoignage de sa course erratique.
Mais, Vincent La Soudière, au moins, je l'ai peut-être entraperçu, comme me l'a donc appris, voici quelques années, la lecture du troisième et dernier tome de ses somptueuses et si douloureuses lettres, rare exemple, tout bien pesé, d'un homme qui s'enfonce méthodiquement, consciemment, dans les ténèbres et tente, quoi qu'il lui en coûte, de revenir, peu importe qu'il en rapporte du nouveau. Le cas d'André Lavacourt, pour ce que l'on en sait, est bien évidemment différent car il a écrit, publié un seul roman à prétentions universelles puisqu'il brasse tous les genres, puis arrêté, selon toute vraisemblance, d'écrire, tandis que Vincent La Soudière, lui, ne s'est jamais vraiment arrêté d'écrire, ses lettres me paraissant, et de très loin, supérieures par l'intensité de leur feu intérieur, aux textes, rares, qu'il a réussi à faire publier.
Cette réelle présence, de toute façon elle-même parfaitement illusoire, je l'ai cherchée de livre en livre et j'ai même cru, parfois, si rarement, non pas la trouver mais la voir se profiler à tel léger tremblement de feuillage, telle infime variation de lumière ou bien, directement, lorsque je me suis retrouvé face à des écrivains, en petit nombre, à peine une poignée, et pourtant constituant une masse inépuisable de textes, de pensées, de mots, de sourires, de rêves qui sait, ou bien devant des lecteurs, mais alors ces minuscules variations d'atmosphère comme amoindries, reflétées, redites, rejouées en somme et si rarement méditées, encore moins incarnées. Je crois aussi, non, j'en suis certain, avoir perdu la plus petite parcelle d'espoir de voir cette présence rayonner, comme un aleph luminescent au fond d'une cave, qui me donnerait la connaissance finale, mais me frapperait aussitôt et sans aucun doute de cécité ou de folie, de sorte que je ne pourrais absolument rien dire de ce que j'ai vu ou cru voir. Qu'importe, je ne serais vraiment pas le premier à connaître pareille déveine, fumante ironie devant ce qu'il ne nous ait qu'autorisé de pressentir, peut-être même de voir, mais certainement pas d'évoquer directement, selon un principe de censure cosmique qui n'est pas seulement valable en astrophysique.C'est pour cela, comme Javier Marías, un très grand écrivain que je n'ai cessé de lire et de relire, parallèlement à ma méthodique exploration des maigres traces restantes des Français de la décadence, comme si je m'étais mis en tête de procéder à un récolement des indices les plus chiches, afin de tenter de recomposer le puzzle qu'est ce livre, sa non moins mystérieuse disparition, c'est pour cela donc, disais-je et a-t-il écrit, «que toute forme de postérité est peut-être un affront, et par conséquent tout souvenir aussi», puisque nous avons définitivement perdu ce qui est derrière nous, passé, si tant est que nous l'ayons jamais possédé, et que nous ne sommes pas davantage assurés, et peut-être même beaucoup moins sûrs, de ce qui nous attendra demain, existence morose, grise, ridicule, oubli ou bien improbable et ironique gloire.
Nous ne sommes pas à un paradoxe près avec Javier Marías qui, n'hésitant pas à affirmer que la postérité est peut-être une imposture, nous assure quelques pages plus loin qu'il est assurément «plus humiliant de ne pas être un motif d'inspiration que d'en être un, de n'être pas digne de la fiction que de l'être, fût-ce au prix d'une indiscrétion et sous une mauvaise apparence», et qui écrit non pas un livre mais plusieurs, aux trames enchevêtrées complexes constituant un expert motif dans le tapis, qui, parfois, comme c'est le cas avec Todas las almas et Negra espalda del tiempo, se répondent à des années de distance, comme autant d'enquêtes inclassables ainsi que celles d'un W. G. Sebald auquel il m'a plus d'une fois fait penser, chasses au moins aussi subtiles que celles, fameuses entre toutes, de Jünger, tentant de vérifier cette spectrale vérité qu'il importe moins de parvenir au but, dont la réalité est aussi fragile qu'un mirage de chaleur, que de se mettre en branle vers l'inaccessible ville de Carcassonne du conte de Lord Dunsany repris par William Faulkner, s'il est vrai que «tout doit être dit et répété pour ne pas se perdre, jusqu'à ce qu'on ne dise plus rien et qu'il n'y ait plus rien : ce qui ne change pas, ce sont les raccourcis et les chemins tortueux de notre effort».
Reste à se demander si mes lectures, si celles d'un Queneau, d'un Déon, d'un Rebatet ou d'un Paul Morand et aussi le refus de lire Les Français de la décadence tel que l'exprima Jacques Chardonne à Paul Morand dans une lettre qu'il lui adressa le 21 septembre 1960, altèrent le roman de Lavacourt d’une quelconque façon, alors qu'aucune ne le réécrit, comme s'il s'agissait de le modifier ou même de l'orienter dans un sens que n'aurait pas supposé celui qui l'a écrit, bien conscient, lui, que c'est écrit et voilà tout, épouvantable menace immémoriale comme le dit Javier Marías, oui, c'est écrit, mais, sans personne pour se soucier de savoir que cela a été écrit, c'est comme si cela n'avait pas été écrit, comme si personne n'avait rien su du livre imaginé des années durant par celui qui l'a écrit, et nous pouvons alors admettre l'existence, toujours avec notre amateur de paradoxes littéraires et de jeux de miroirs entre les prestiges de la réalité et ceux de la fiction, les seconds ne pouvant pas vivre sans les premiers, les premiers assurément plus solides que les seconds, les uns et les autres façonnant, qui sait, une réalité secrète lovée dans les replis du temps, ni tout à fait être ni tout à fait non-être, de cette negra espalda del tiempo que Javier Marías, se souvenant d'un vers mystérieux de Shakespeare, essaie de définir à plusieurs reprises dans son roman, comme le lieu d'une intrication indémêlable entre la fiction et la réalité, l'apparence et la certitude, l'oubli et la mémoire, un texte introuvable devenu le dernier refuge de noms qui, sans lui, n'auraient jamais été portés à notre connaissance et n'auraient donc en fait jamais existé, ou bien d'auteurs sans l'existence desquels ce seraient les livres qui jamais n'auraient vu le jour : «Sans les livres, ce serait presque comme si aucun de ces noms n'avait jamais existé; sans les libraires qui sans cesse récupèrent et mettent en circulation et revendent les silencieuses et patientes voix qui cependant refusent de se taire à tout jamais et tout à fait, des voix infatigables parce qu'elles ne pâtissent pas de l'effort d'émettre un son et de se faire entendre, des voix écrites, des voix muettes et résistantes comme celle qui maintenant remplit ces pages jour après jour tout au long des nombreuses heures où personne n'a de mes nouvelles ni ne me voit ni ne m'épie, et c'est comme si je n'étais pas né», conclut l'écrivain par une affirmation qui rythmera son roman tout entier. Il se débat pourtant, il souffre d'avoir aimé et d'aimer encore une femme qui ne l'aime plus, vivant, comme si cela jamais ne devait se terminer, vivant «un temps de deuil ou de douleur où ce souvenir [le] faisait beaucoup souffrir, mais parce que du côté de cette personne le lien se rompit dès les adieux ou dès [sa] perte, et quand enfin il se rompit aussi de [son] côté, après de longues années d'effort stérile et songeur et de soliloques ou d'adieux superflus auxquels personne ne répondait», comme si, en somme, Javier Marías ou peut-être simplement le narrateur avec lequel il ne faut pas le confondre alors que tout nous y invite, était «resté prisonnier de la toile d'araignée qu'elle ne tissait pas», alors, poursuit l'auteur, «tout ce qui était arrivé, tout ce qu'il y avait eu devint soudain lointain et étranger, comme c'est le cas avec le passé quand il ne languit ni ne lambine, quand on ne lui permet pas une seule fois de s’infiltrer dans le présent, pas même sous ses formes les plus apaisées et les plus inoffensives, ou réconfortantes» et, en remémorant cet amour perdu qui, visiblement, a perduré d'un côté alors que de l'autre, celui de l'aimée, de l'effacée et non oubliée, il s'est éteint une fois le dernier geste esquissé ou le dernier mot prononcé, en se remémorant telle cicatrice sur je ne sais plus quelle partie (le haut de la cuisse ?) du corps de la femme aimée, il lui redonne vie, un temps du moins, le temps de sa remémoration, le temps de l'écriture et le temps, les temps plutôt des innombrables lectures et relectures de son livre, Dans le dos noir du temps comme si, effectivement, le pire pour les vivants était le sillage imparable, nous dit l'auteur en en citant un autre, «comme une cicatrice blanche» et vorace sur l'océan, «la trop visible manifestation du temps qui n'attend jamais et va plus vite que la volonté, qu'elle soit de trêve, de salut ou d'attente, et qui de la sorte fait que tout reste inachevé; et l'imparable conscience que la seule façon de perturber le temps est de mourir et de sortir de lui», mais aussi, peut-être, comme semble l'avoir pensé et surtout illustré Javier Marías, en refusant de laisser à tout jamais s'engloutir les derniers vestiges d'un écrivain oublié.
Oublié ? Rien ni personne ne semble vraiment pouvoir jamais être complètement oublié, et cela en dépit même du fait qu'événement, chose ou être remarquables ne soient ou ne puissent être consignés (la faute à la malchance) dans le grand Livre du monde, qui est le temps, le monstre du temps dit Shakespeare, ou plutôt son dos noir, sa negra espalda, l'inépuisable réserve de ce qui a été mais aussi de ce qui n'a été que fugacement, ou même de ce qui n'a jamais pu être, car, nous assure Javier Marías dans une somptueuse page dont je ne cite que quelques lignes, «ce n'est pas seulement que tout peut arriver de nouveau, c'est que je ne sais pas si, en réalité, rien n'est passé ni ne s'est perdu, j'ai parfois la sensation que le cœur de tous les hier bat sous la terre comme s'ils refusaient de disparaître tout à fait, l'énorme cumul des choses connues et inconnues, de ce qui a été raconté et de ce qui n'a pas été dit, de ce qui a été consigné et de ce qui n'a jamais été su ou n'a pas eu de témoins ou a été caché, formidable masse de paroles et d'événements, de passions et de crimes et d'injustices, de craintes et de rires et d'aspirations et d'ardeurs, et surtout de pensées, qui sont ce qui se transmet le plus d'un intrus et d'un usurpateur à l'autre, et entre les générations usurpatrices et intruses, ce qui survit le plus longtemps et ne change presque pas et ne finit jamais, comme une ébullition permanente sous le sol mince où sont enterrés ou éparpillés en nombre infini les hommes et les femmes qui sont passés par là la plupart du temps, en se consacrant aux pensées passives ou oisives et les plus communes, mais on trouve également parmi ces dernières les plus énergiques, celles qui donnent un peu d'élan à la paresseuse et faible roue du monde, les désirs et les machinations, les attentes et les rancœurs, les croyances et les chimères, la pitié et les secrets et les humiliations et les querelles, les vengeances ourdies et les amours repoussés qui arrivent trop tard au rendez-vous et celles qui n'ont pas été flétries, chacune d'entre elles accompagnées de ses pensées individuelles, senties comme uniques par chaque sujet pensant réitératif et nouveau venu.»Certes, à l'instar de Javier Marías, je peux, moi aussi et à l'occasion, faire preuve de «l'esprit d'un détective, et par conséquent [de] celui de déduction, mais bien entendu il n'est jamais journalistique ni érudit» : «Je me rends compte que je ne cherche ni ne fouille beaucoup ce qui provoque ma curiosité ou m'intéresse, je me contente plutôt de l'enregistrer ou de le classer puis je reste tranquille et j'attends, comme si je croyais que seul ce qui viendra de toute façon, indépendamment de mon effort, vaudra la peine ou sera mérité» mais, pour Les Français de la décadence, j'ai fait une exception, aidé, je dois bien l'avouer, par l'évidence selon laquelle, dans mon cas aussi, les livres ou plutôt des lecteurs (chercheurs, simple amateurs ou passionnés) sont venus à moi et m'ont apporté des indices parcimonieux pour me permettre de résoudre, si je le pouvais, l'énigme qui m'avait été indiquée par un autre lecteur et ami, qui me donna le gros roman de 626 pages d'André Lavacourt en me demandant, tout bonnement, de le lire, et sur un ton, bien évidemment aimable mais pas moins ferme bien qu'amusé, qui me rappela celui qu'employa Pierre-Guillaume de Roux lorsqu'il fit mine de se scandaliser du fait que je ne savais rien des Fous du roi de Robert Penn Warren, et qu’il me fallait donc, et cela quasiment séance tenante, combler cette lacune qui était plutôt une véritable aberration à ses yeux.
Aspects d'Afrique du nord, petite nouvelle sous-titrée Morales, nous permet de cerner quelques-unes des préoccupations exprimés par Lavaucourt/Lavacourt dans son roman, mais exprimées à mots couverts par le biais de dialogues entre deux amis dont nous ne faisons que soupçonner les penchants de l'un, et plus directement abordées dans ce texte de quelques pages (au numéro cité, pp. 28-36 de la revue Arcadie) évoquant l'industrie de l'amour à laquelle se livrent, dès leur 5 ans et jusqu'à la date précoce de leur mariage, les petits garçons du lieu où discutent entre eux quatre amis, André, Michel, Paul et le narrateur, celui qui développe une théorie de l'homophilie (jamais le mot d'homosexualité n'est écrit) comme signe de vitalité des populations et gage de maintien de la paix sociale. Voyez cet exemple précis illustrant un propos
Léo Scheer, 2011). Francis Moury y écrivait : «Coïncidence, Les Fantômes de M. Bill sera dans les librairies pour les anniversaires des morts de Jeanne d'Arc et de Dominique Thirel, l'entraîneuse de Pigalle brûlée vive par Georges Rapin, alias «M. Bill» que Mathis a choisi comme sujet du troisième volume de sa seconde trilogie», et aussi : «La couverture des Fantômes de M. Bill nous livre d'emblée la photo essentielle du livre (elle provient des archives de l'auteur qui n'a pas pu publier toutes celles qu'il possédait, l'ensemble constituant une belle collection) et celle pour laquelle, peut-être, Rapin a vécu puisqu'il avait tenté d'être acteur sous un troisième pseudonyme : son aspect provocateur, son esthétique au carrefour du classicisme documentaire du reportage et de la nouvelle vague au baroque tapageur peut rappeler une autre couverture noir et blanc : celle du livre de Herbert P. Mathese, José Benazeraf. An 2002. La caméra irréductible (Clairac, 2007) qui montrait les jambes d'Eva Christian dans le film noir Les Premières lueurs de l'aube [Plaisirs pervers] (R.F.A.-Fr., 1967) de J. B. Elle a donc l'avantage de situer l'action en en constituant elle-même l'un des moments-clés. Il n'existe d'ailleurs peut-être pas de photos couleurs de M. Bill.»Ainsi déclare-t-il vouloir «donner le moins de prose possible à Rivarol», ce titre où il a fait paraître son article élogieux sur Les Français de la décadence, «de plus en plus absurde et sénile» (p. 81), peut-être par ce qu'il semble être dégoûté de tout durant ces années-là : «Qui m'eût dit en 1943, même en 1950, que les approches de la vieillesse seraient pour moi un tel tunnel que je me retrouverais à 55 ans passés, aussi sceptique sur mes dons, aussi déboussolé, livré à l'ennui (faute d'un projet capable de me soulever et de me tirer) qu'aux moments les plus creux, les plus fades et les plus stériles de ma première jeunesse ?» (12 janvier 1960, p. 87).
Il n'y a ainsi probablement rien de plus à dire, hormis l'article que nous connaissons, sur l'impression que fit le roman d'André Lavacourt sur Lucien Rebatet, dont l'acuité intellectuelle est si implacable qu'elle semble parfois être inhumaine, pas davantage qu'il n'y a à dire sur celle qu'elle fit sur Roger Nimier, comme me l'a confirmé son meilleur lecteur, Marc Dambre, l'auteur du Hussard bleu n'ayant a priori écrit qu'un seul article, que nous connaissons aussi, sur le grand roman qu'il s'efforça cependant de faire connaître à d'autres auteurs, et c'est ainsi qu'aussitôt publié en 1960, Les Français de la décadence disparaît, comme englouti par d'autres parutions, de Chaque homme dans sa nuit de Julien Green à La Route des Flandres de Claude Simon, en passant par Nord de Louis-Ferdinand Céline ou Le Balcon de Jean Genet, emporté, pour ainsi dire, par des dizaines, des centaines d'ouvrages eux-mêmes promis à une histoire notable ou ridicule, éphémère, pas même digne de figurer au registre mystérieux, qui pourtant note tout et n'oublie rien, du dos noir du temps.
Notes
(2) La photographie de presse de Georges Rapin, prise le 4 juin 1959, m'a été transmise aimablement par Alexandre Mathis par l'intermédiaire de Francis Moury. Qu'ils en soient tous deux remerciés, ainsi que l'éditeur.
(3) Lucien Rebatet, Journal d'un fasciste. 1959-1962 (éditions de l'Homme libre, sans date), 30 septembre 1962, p. 368 : «Un seul livre de lui que j'ai lu à Clairvaux, Le Hussard Bleu, n'était encore qu'un assez adroit article de mode, attachant de la part d'un garçon de 26 ans, mais derrière lequel rien n'est venu. Aucun besoin réel d'écrire, pas de persévérance, des convictions cotonneuses où il n'a jamais eu le courage de s'exprimer franchement. En somme, un raté du type brillant, qui faisait surface, remuait de l'argent, mais n'avait rien réussi. Un Lucien de Rubempré d'aujourd'hui.»




























































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