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10/12/2017

Contre-attaque de Philippe Sollers et Franck Nouchi obtient le score maximal au néantomètre

Photographie (détail) de Juan Asensio.

Rappel de l'imposant dossier (avec l'aide de Damien Taelman) réuni contre Philippe Sollers et ses bouffons.

4213302744.jpgPhilippe Sollers et ses bouffons dans la Zone.








469904796.5.jpgLe Mouvement Sollers ou l'Art de dérober les joyaux de la poésie chinoise, suivi du Système Sollers et ses satellites.




1421247987.2.jpgÀ France moisie écrivains rancis.





469904796.4.jpgContre-Attaque de Philippe Sollers fait pschitt...





239282225.jpgLe Dao de Philippe Sollers : Profession de Moi, Tapages et Dérapages.




3037321411.jpgCopinage éditorial à L'Infini au Figaro littéraire.





980715838.jpgPetit précis (illustré) de décomposition de l'éditocratie littéraire, Made in France.




DP9VqQIW0AAswuy.jpgLire un ouvrage de Philippe Sollers, n'importe lequel (je dis bien : n'importe lequel, comme Damien Taelman le sait si bien), c'est être immédiatement confronté à une théorie de fadaises et de lieux communs que l'intéressé, ici plaisamment secondé par un journaliste du Monde, Franck Nouchi, écrit avec une emphase non seulement comique mais grotesque. La particularité de ce type d'entretiens est qu'il obéit au schéma sollersien immuable suivant. Pour que cette scène soit réaliste, il faut bien évidemment imaginer Philippe Sollers, un sourire niais collé au visage, pérorant avec de grands roulements d'yeux exorbités, sa bedaine secouée de rires, comme s'il se félicitait lui-même d'être si spirituel. Saluons au passage l'exactitude d'horloge atomique suisse de Philippe Sollers qui jamais ne s'écarte du canevas dont nous pourrions de la sorte articuler les insignifiantes concaténations (si tant est que l'auteur connaisse ce mot fâcheux, appartenant au répertoire de la logique) : «Oui, la couleur du ciel, qui est bleu. C'est très intéressant, cela, personne ou presque ne s'en est jamais avisé. C'est normal, c'est la question pourtant essentielle, que personne n'a vue. Moi, je dis que le ciel est bleu depuis mon premier livre, aïe !, cachez ce ciel bleu que je ne saurais voir, pas étonnant que l'on me déteste !». En d'autres termes, c'est Philippe Sollers qui, le premier, honneur au roi nu, à moins qu'il ne s'agisse du ravi de la crèche, commence par s'étonner d'une évidence qui faisait déjà lever les yeux aux ciel des hommes de Cro-Magnon lorsqu'un benêt (ou bien l'idiot du groupe puant le rennes) croyait bon de l'évoquer avec des tressautements de terreur sacrée. Il est bien normal, ensuite, de nous faire comprendre que lui seul, Philippe Sollers, roi nu, benêt, idiot du village ou de la bande, a pu être capable d'attirer notre attention, et cela depuis son premier livre ou presque écrit en 1834 il ne manque jamais de nous le répéter, sur ledit énorme secret qui n'est jamais que la plus considérable des évidences, raison pour laquelle tout le monde ou presque, non, disons bien : tout le monde, le déteste mais, surtout, l'envie. C'est tout juste s'il a des dizaines de fois évité de se faire lyncher par une foule ignorante ne lui pardonnant aucune des douloureuses révélations qu'il lui a, magnanime, apportées. C'est bien simple, Philippe Sollers n'a aucune honte à se présenter comme un persécuté, car, vrai, il en est un, «ce dont l'opinion ne se doute pas une seconde» (p. 181), statut que ne manque pas de lui accorder le bon et généreux Franck Nouchi qui questionne son ami avec crainte et tremblement, comme s'il en allait de sa vie de journaliste face au Sphinx.
Tout cela est très intéressant, n'est-ce pas ?
Quelques variantes sont bien évidemment possibles qui s'inséreraient parfaitement dans cette trame d'une simplicité biblique, et nous pourrions sans peine faire acte de création sollersien en remplaçant les termes «C'est très intéressant» par «C'est extrêmement intéressant, non ?» (p. 34), ou bien «C'est tout de même énorme, non ?» (p. 37), ou bien «c'est très intéressant» (p. 71), ou bien «Je trouve cela très intéressant» (p. 75), ou bien «C'est très important» (p. 94), ou bien «C'est très intéressant» (p. 114), ou bien «c'est une formule intéressante, à creuser !» (p. 136), ou bien «il [Marcel Gauchet] écrit ceci, de très intéressant» (p. 140), ou bien «C'est cela qui m'intéresse» (p. 149), ou bien «très intéressant d'ailleurs» (p. 163), ou bien «Oh ! Que c'est intéressant !» (p. 167), ou bien «C'est la question intéressante» (p. 170), ou bien «Et c'est pourquoi c'est si intéressant» (p. 210), ou bien «Le moment est pourtant particulièrement intéressant» (p. 219), ou encore les termes «pas étonnant que...» par «Rien d'étonnant à ce que...» (p. 45), ou bien les termes «que personne n'a vue [la question]» par «mais chut ! Mieux vaut ne pas en parler» (p. 46), ou bien «Je suis étonné de voir tout ça passé sous silence» (p. 183), ou bien «Tout est fait pour détourner l'attention des problèmes fondamentaux» (p. 188), ou bien «Si l'on pense, on tombe là-dessus, forcément. Sinon, on bavarde» (p. 129), ou bien «Tout ça est d'une importance considérable» (p. 224), tel ou tel point que, sauf Philippe Sollers bien sûr, «tout le monde semble ignorer» (p. 150) ou «dont il n'est jamais question» (p. 153), tel texte (ici, de Heidegger] que, sauf Philippe Sollers, derechef, «peu de personnes ont lu, bien entendu» (p. 155), ou enfin «pas étonnant que l'on me déteste !» par «C'est te dire à quel point mon dossier est lourd !» et «Mon dossier s'alourdit encore...» (p. 60), et «C'est d'ailleurs pour cela que j'ai une si mauvais réputation !» (p. 223), et «Tu comprends maintenant d'où vient ma réputation ?» (p. 228).
En voulez-vous encore ? Tout le livre est du même intéressant tonneau, qui ne contient même pas une seule goutte d'originalité ou, à tout le moins, de solidité intellectuelle. Rien ! Tout est très intéressant, mais le problème est que personne ne s'en est rendu compte sauf Philippe Sollers.
Nous pourrions nous arrêter là, publier telle quelle cette critique, puisque nous venons, au moyen de ces quelques extraits de la matrice intellectuelle affligeante de Philippe Sollers, d'extraire l'essence même de l'imposture que ce ventriloque exerce depuis plusieurs dizaines d'années, avec l'aide, comme il se doit toujours dans ce type d'opérations d'intoxication, d'une poignée de journalistes qui sont aimablement récompensés par la publication de leurs inepties chez Gallimard voire, tout simplement, dans la collection que dirige notre ponte autoproclamé, L'Infini. L'exercice est assez simple du reste : toutes les fois qu'un journaliste encense un livre de Philippe Sollers, ayez le réflex de regarder s'il n'a pas été édité chez Gallimard, voire dans la propre collection que dirige Philippe Sollers. Un seul exemple suffira : Mathieu Terence, dernièrement, a crié au génie à propos de la sotte correspondance que Sollers a échangé avec Dominique Rolin. Vérification faite, Mathieu Terence a publié plusieurs livres chez Gallimard, dont un dans la collection L'Infini. L'exercice vaut aussi pour Michel Crépu, autre sollersien transi. Le Prince récompense toujours ses plus fidèles serviteurs, y compris ses bouffons.
Nous pourrions en rester là, après avoir obéi, une fois encore, au commandement de Karl Kraus qui, pour ridiculiser ses adversaires (ou plutôt, ennemis), affirmait qu'il fallait se contenter, sans quelque commentaire que ce soit, de les citer, mais ce serait en rester à une certaine mansuétude à l'égard non seulement de l'auteur, mais aussi de Franck Nouchi qui, après tout, tend avec complaisance la cuiller vers les lèvres du vieillard radoteur, qu'il ose même qualifier d'«écrivain considérable que le Spectacle, pour d'obscures raisons qu'il faudra détailler, fait plus ou moins mine d'ignorer», écrivain considérable qui, apparemment, est dans les petits papiers de nos grands morts, Mauriac, Céline, Proust, mais pas Bernanos ni Péguy puisque, toujours selon notre bon gérontologue Nouchi, «Les écrivains, surtout ceux qui sont morts, parlent à Sollers» (p. 10) sans doute parce que ceux qui sont encore vivants, eux, l'écoutent ou sont censés l'écouter religieusement, à moins qu'il ne soit un peu plus difficile de faire dire aux vivants ce que l'on peut sans trop de difficulté ni de gêne placer dans la bouche pulvérulente des morts. Pour le dire avec Franck Nouchi qui n'a pas l'enthousiasme facile on s'en doute, «Dans trente ans, dans un siècle, les lendemains se remettront à chanter» (p. 11), et c'est probablement grâce au si optimiste Philippe Sollers qu'ils pousseront la chansonnette.
Philippe Sollers a toutes les qualités car, non content d'être un optimiste béat (je le qualifierais plutôt de ravi de la crèche), même son opportunisme peut être salué par Alain Badiou (cf. p. 25), il reste, soyons-en bien certains, «avant tout un écrivain», simple mot qui suffit à générer la jalousie et la colère de ses contemporains, puisque les attaques dont Philippe Sollers se plaint, «et qui passent maintenant par la censure», censure tellement énorme que ce malheureux peut non seulement publier ses rinçures où il le désire mais publier celles de ses admirateurs dans sa propre collection paraît-il prestigieuse, puisque ces basses attaques de la part de petits esprits qui ne se sont pas encore complètement (mais cela viendra) pénétrés de la grandeur de Philippe Sollers, visent son absolue «singularité» (p. 26). La parade est classique : tout contempteur de l'indigent Philippe Sollers est, ne peut être qu'un lamentable jaloux et, partant, un écrivain ou un critique littéraire tous deux ratés.
D'ailleurs, au cas malheureux bien que fort improbable où nous ne serions point complètement convaincus de la grandeur de Sollers, le hideux totem de tous les pitres, Roland Barthes bien sûr, la béquille de tous les imbéciles, est appelé à la rescousse, qui déclare que le «scandale sollersien vient de ce que Sollers s'attaque à l'Image, semble vouloir empêcher à l'avance la formation et la stabilisation de toute Image» (p. 29), façon sans doute polie, creuse et détournée c'est-à-dire barthésienne, de dire que Philippe Sollers dit absolument tout et son contraire, ce qui ne saurait aucunement le gêner puisqu'il est un écrivain, pas un intellectuel comme il ne cesse de nous le répéter.
Philippe Sollers est donc un écrivain qui écoute les grands écrivains qui l'ont précédé. Pardon, j'écris n'importe quoi, puisque, selon Franck Nouchi, se sont plutôt les écrivains morts qui parlent à l'oreille de Philippe Sollers, suggestive manière de nous dire que le gotha de l'outre-tombeau se presse de flatter le Prince des vivants et des morts. Proust, ce «juif homosexuel qui révèle la France à elle-même», France, la répétition étant la clé de l'enseignement, qu'il est littéralement impossible de comprendre «sans ce juif homosexuel qui la défend dans ses paysages et ses monuments» (p. 77), mais aussi Céline, «le plus rabique des antisémites», sont heureux de pouvoir parler à Philippe Sollers. Que lui disent-ils ? Ils lui parlent d'eux bien sûr, Sollers n'ayant de cesse de nous répéter qu'il est le seul à avoir compris cette évidence : «Est-ce qu'on pourra un jour considérer calmement le fait que si on dit Proust et Céline, je n'y peux rien, c'est comme ça, c'est juste que ce sont les deux écrivains les plus importants des XIXe-XXe siècles français ?» (p. 103). Nous pardonnerons à Philippe Sollers son expression pour le moins bancale, en la mettant sous le coup de l'émotion provoquée par cette incontestable révélation.
Que lui disent-ils encore, le ban et l'arrière-ban de la littérature française ? Qu'il est le plus grand écrivain français vivant, puisqu'ils lui parlent, et que des écrivains comme Péguy, Bernanos ou Rebatet, eux, n'ont rien à lui dire, pas beaucoup plus davantage que Ernst Jünger, sottement qualifié de «spécialiste de la guerre 14-18» (p. 37). De toute façon, Philippe Sollers se moque bien d'écouter ces trois-là. Péguy, ce «pauvre Péguy» selon Proust (p. 36) a écrit de longs poèmes qui sont «illisibles». Rebatet, lui, «n'a aucun intérêt sur le plan littéraire» (p. 43), Sollers s'amusant à raconter une petite scène qu'il a eue avec George Steiner : «Je me souviens qu'un jour, George Steiner était entré dans le bureau de Tel Quel. Il jouissait d'une très grande autorité. Il nous a dit : «Il y a un grand livre dont vous ne parlez jamais, Les Deux Étendards de Lucien Rebatet.» Je l'ai gentiment pris par le bras et l'ai raccompagné dans l'escalier. Il m'en a toujours beaucoup voulu» (pp. 103-4). Bernanos, qualifié de fervent «drumontiste», a eu ce mot extravagant : «Hitler a déshonoré l'antisémitisme»» (p. 48), Bernanos qu'un Étienne de Montety ose implicitement comparer à Dante, dont nous savons tous, Benoît Chantre le premier, que Sollers est le plus grand commentateur mondial, là aussi autoproclamé : «Enfin ! Est-ce que c'est sérieux ?» (p. 64). Cela ne l'est pas, mais je vous rappelle que nous lisons un livre de Sollers.
Il faut dire que tout ce que Philippe Sollers raconte sur Céline n'est pas complètement inintéressant, notamment cette belle et à mon sens juste intuition, qui sauve à peu près de la nullité incontestable sa creuse Contre-attaque, même si nous devons faire comme si nous ne savions rien de la proclamation du génie de Sollers : «Je sais que cela prendra encore un siècle ou deux, mais il faut le débarrasser de ses oripeaux, de ses déguisements de fou vociférant, et, cela va de soi, de son antisémitisme. L'image qui prédominera alors sera celle d'un Céline enfantin, plus exactement dans l'innocence de l'enfant qui perdure. Céline est à tout jamais un innocent dans un monde coupable» (p. 108). Curieuse manie, d'ailleurs, que celle consistant à débarrasser tel ou tel écrivain de telle ou telle de ses insupportables manies : pour un mou ontologique comme le très sollersien Michel Crépu, Bloy doit être débarrassé de ses éructations, et il est donc normal que Sollers, que ce dernier tient visiblement en grande estime au point de lui donner à publier un de ses livres dans sa collection (et puisqu'il s'entretient aussi avec Yannick Haenel sous forme d'une publication électronique en 2010), pense qu'il faille débarrasser Céline de son antisémitisme. Hélas, la littérature n'est pas une usine de saucissonnage et, pour ma part, je préfère un auteur au complet, quitte à ce qu'il soit antisémite, pétainiste ou drumontiste, qu'un auteur émasculé, respectant le principe selon lequel un fauve est un fauve, et que ce n'est qu'une fois mort que les singes osent venir lui faire des grimaces.
Sur Proust, Philippe Sollers remplace avantageusement plusieurs bibliothèques de livres érudits : «Lis Proust. Le temps perdu, le temps retrouvé. Voilà» (p. 156). Voilà. Voilà ce que donne le dialogue entre Philippe Sollers et Franck Nouchi. Voilà. Deux pages plus loin, le pitre sollersien nous régale d'une nouvelle fulgurance : «Parfait. Bataille, Conrad et [Abdelwahab] Meddeb. Ça me va très bien» (p. 158). Voilà. Ça lui va très bien, et cela ne peut donc que nous aller. Nous n'en saurons bien évidemment pas davantage, car il importe qu'un génie littéraire tel que Philippe Sollers se donne des airs de Sphinx impénétrable. Il y a aura de toute façon toujours un imbécile fixant son nez, recueillant avec crainte et tremblement la morve tombant de son auguste appendice, n'est-ce pas ?
Il n'y a pas que sur les écrivains, pardon, certains écrivains, comme Kafka dont nous apprenons, aussi bouleversés que fascinés, qu'il écrivait en allemand (cf. p. 218), que Philippe Sollers nous montre l'étendue de son intelligence et de sa culture, à vrai dire toutes deux universelles puisque «Tout est dans tout, et réciproquement», et que c'est bel et bien ça «le coup de vieux» (p. 171). Ce génie pléthorique et généreux s'exerce dans d'autres domaines, comme l'histoire, et il faut voir ce pauvre diable radoteur s'échiner à nous répéter que lui seul (ou presque, mais le presque est déjà une impolitesse ou, au mieux, une concession) a compris le sens de la Révolution française qui «continue», car «elle est beaucoup plus forte qu'on ne croit. C'est pour cela qu'elle vieillit tous ceux qui ont essayé de la récupérer, de la bordurer au cours de cinq Républiques. Voilà la très bonne nouvelle que j'annonce. Je comprends que ça puisse surprendre» (p. 172) alors que non, Philippe Sollers, ignoble cancre se prétendant génie solitaire, parasite-organisateur de toute forme de colonie de lamellibranches tout occupés à picorer les miettes de nourriture rejetées par le gueule de ce vieux mérou de la superficialité, alors que non, tout le monde s'en contrefiche, et à raison, de ce que vous prétendez avoir découvert de toute éternité et répété depuis pas moins de temps, et qui traîne dans le premier manuel d'histoire pour élève entrant au collège.
Qui aura l'intelligente idée de ne pas trop gaspiller son temps à lire cette fadaise prétentieuse qu'est Contre-attaque, nouveau miroir déformant (dans le sens d'un embellissement opportuniste cf. p. 25) le clown en chef des lettres françaises lira, utilement je crois, tel ou tel chapitre fourre-tout, le neuvième par exemple (cf. pp. 161-77) où Nouchi et Sollers sautent d'une idée à l'autre, passent d'un auteur à l'autre, sans qu'il nous faille jamais supposer la plus petite étincelle d'une correspondance éclairante, une quelconque virtuosité, l'établissement de correspondances fulgurantes, ni même un fil directeur autre que le seul plaisir, pour le petit valet courbant une échine que l'on devine admirablement souple, de tendre le crachoir à banalités à son maître. C'est très intéressant, pas vrai, que de voir l'éternel spectacle d'un valet pliant l'échine devant son maître ? Quelques pages plus loin (cf. p. 194), nous passerons sans beaucoup plus de réussite de la nécessité de bien nous pénétrer de cette formidable découverte, «La vie est une expérience», à laquelle il ne faut pas oublier de raccrocher le fait que, «pour savoir écrire, il faut savoir lire» (p. 192), au jugement de Bataille sur les peintures de Lascaux, et nous n'aurons pourtant pas encore trouvé l'ombre d'une idée à quoi raccrocher un paletot pourtant fort léger, car aussi élimé que celui du Juif errant : Sollers, depuis des années, répète les mêmes idioties qu'il considère comme autant de traits de génie, et il y a toujours quelques crétins (j'en ai nommé plusieurs) pour accorder une nano-seconde d'attention à ce singe moins savant qu'il n'y paraît, mais vieux, si vieux qu'il est effectivement capable de grimer n'importe quelle attitude, y compris celle d'un véritable maître, qu'il n'a jamais été, qu'il n'est pas et jamais ne sera.
D'ailleurs, je m'en avise, c'est plutôt Judas (3) qu'il faudrait convoquer à propos de Philippe Sollers et non le Juif errant, car plus d'une fois notre écrivant tire gloire du fait qu'il est un homme absolument libre, et même l'homme le plus libre de France, puisqu'il est traître «à sa classe ou à ses origines», ce qui lui permet mieux qu'à tout autre de «savoir ce qu'est la singularité de la France» (p. 39).
Ce clown qu'est Philippe Sollers, qui cependant trouve encore plus clown que lui, une sorte de sous-clown qui par ses cabrioles laisserait la vedette au sur-clown, se prétend, comme Manet, Cézanne ou tant d'autres, lui aussi un aventurier absolument, résolument singulier, et c'est à lui qu'il pense (et non aux peintres que je viens de citer, et non aux écrivains que j'ai cités plus haut) lorsqu'il semble redécouvrir le fil à couper le beurre fondu en affirmant que tant «qu'on n'aura pas rétabli des hiérarchies, non pas sociales, mais intellectuelles et artistiques, pour évaluer ce pays qui s'appelle la France, on nagera dans la bouillie» (pp. 41-2). Pardon ? Mais qui d'autre que toi, imposteur, a-t-il confondu à dessein les hiérarchies, en faisant passer un Haenel ou un Meyronnis, un Chantre ou un Crépu, pour des écrivains méritant plus d'un mot, et encore, de dédain ?
Le plus triste, le plus comique, le plus grotesque, ce n'est point Philippe Sollers qui, depuis Le Parc et Une curieuse solitude, publiés voici exactement 89 ans, n'a pas écrit un seul bon livre, mais celui qui lui sert de marchepied, Franck Nouchi, qui jamais n'hésite à rappeler qu'il est un ami du premier qui, sans l'aide d'aucun miroir, semble avoir inventé le principe de la réflexion, au sens premier du terme : Philippe Sollers ne se reflète que dans son propre regard ou dans celui, servile, embué de fanatisme et d'adoration, de ses houris et de ses rétiaires en guimauve qui, parole d'homme, n'hésiteraient pas comme tel Père de l’Église à se débarrasser expéditivement, sans doute pour les greffer entre les jambes de Yannick Haenel et de François Meyronnis (qualifiés de «camarades de combat», p. 92), de leurs viriles attributs pour encore mieux servir et adorer leur idole solipsiste. Il s'y reflète pour pouvoir se contempler en train de déclamer les plus consternantes banalités («Si l'on ne s'aime pas soi-même, comment pourrait-on se faire aimer de quelqu'un ? Je pose la question» (p. 73) et les truismes les plus sots, pour s'enduire du saint chrême de la gloriole germanopratine ne consacrant aucun autre rite que celui d'une masturbation à vrai dire de plus en plus difficile, qui n'arrachera, au prix de terribles efforts d'un poignet perclus, que quelques gouttes devenues presque complètement transparentes, contenant quelques bestioles étiques bien incapables de pénétrer le début d'une idée valable, déjà mortes avant d'avoir pu s'introduire dans tel ou tel cerveau aussi étroit que flaccide.
Mais rien n'arrête notre clown supérieur bien davantage, selon ses dire, qu'esprit frondeur (cf. p. 101) lequel, mais nous nous en foutons, était «un adolescent extrêmement au courant des choses dites physiques», lequel, très tôt, est «allé voir sur le terrain» car il est bien entendu qu'il n'a pas «ce genre de pieuseté renfermée due à un refoulement de jeunesse» (p. 126, à propos de Mauriac), qui se grise en s'imaginant jouir d'une «identité qui s'affirmerait comme heureuse» (p. 44) à la différence de celle d'un Houellebecq, dans lequel se reconnaît «une société tout entière [qui] dit son désir secret de se soumettre» (2), qui nous répète comme un perroquet devenu fou qu'il a «tendance à vouloir connaître surtout l'envers des cartes» (p. 104), proposition je l'imagine complémentaire de celle consistant à «aller voir ce qui se passe dans les trous noirs» (p. 107), qui se déclare être un homme vivant «dans une tranchée, certes très agréablement aménagée, mais tout de même» (p. 68), qui, comme il se prend pour un écrivain, n'hésite pas à prétendre que «la vie d'un écrivain est, doit être, un sport de haut niveau», pratiquant donc, lui-même, «un sport physique qui implique une multitude de références» (p. 87), qui déclare avoir «mis en harmonie, avec Julia Kristeva, [ses] convictions et [sa] vie» (p. 144), ce dont nous nous moquons comme de la première ligne écrite par Philippe Sollers, qui répète à l'infini qu'il est un rebelle, un clandestin (cf. p. 147), car, bien sûr, «devenir écrivain, c'est découvrir l'état d'urgence» (p. 171), pitre confondant manque absolu de profondeur, absolue profondeur de sa propre superficialité, avec complexité capable «de faire en sorte que l'aiguille se perde» (p. 182) alors qu'elle nous indique au contraire le Grand Nord de la connerie autosatisfaite, pion se prenant pour un roi et nous assurant tranquillement qu'il a «trente ou quarante ans d'avance» (p. 232), mais sur quoi, grands dieux ?, professeur de néant qui, sans la moindre trace d'ironie, affirme que «le néant néantise», ce qui signifie, ouvrez donc grands vos yeux qui n'avaient rien vu et vos oreilles qui n'avaient rien entendu, «qu'on a, ou pas, affaire au néant» (p. 155), et qui conclut (hélas temporairement) son délire histrionique en pensant que «les gens sont sollersiens, mais sans le savoir...» (p. 123). Bernard Pivot peut-être, Bruno Frappat peut-être, Benoît Chantre, Michel Crépu, Mathieu Terence ou encore l'inculte et servile Guillaume Basquin, la queue toujours battant un gras derrière dès qu'une promesse de caresse se profile à l'horizon de sa rampante soumission, pions perpétuels, soumis qui rêvent de grandes actions, sauver le monde par la beauté et encensent, défendent, propagent, commentent un écrivain qu'il serait d'urgence nationale que de faire évacuer par quelque conduit vers un cloaque, serviles servants dont la marche est une reptation qui ne savent pas lire mais pratiquent remarquablement le cirage de chaussures et, si on les ravit d'un sucre, peuvent même proposer des services beaucoup plus personnalisés, selon le terme convenu, en matière de copinage (cf. pp. 237 et 139 respectivement).
Oui, vraiment sans le savoir, Philippe Sollers, nous sommes tous sollersiens, et moi, en ayant parfaitement connaissance de cette bizarrerie qui jamais ne me permettra de publier chez vous, je suis un anti-sollersien viscéral, principiel, depuis la première ligne que, jeune adolescent, j'ai lue de vous, et nous comprenons tous, rassurez-vous, mais autrement que vous, à vrai dire exactement à l'inverse de vous, que non seulement vous avez eu affaire au néant bien des fois (il suffit, pour cela, que l'un des jumeaux phocomèles, Yannick ou François, passent la porte de votre bureau), mais que vous en êtes l'une des plus prodigieuses incarnations, à tel point que, au néantomètre que vous êtes fier d'avoir inventé (cf. p. 155), l'aiguille s'affolerait en direction des chiffres les plus hauts.

Notes
(1) Philippe Sollers et Franck Nouchi, Contre-attaque (Grasset, 2017).
(2) La suite de ce passage contient sans doute le seul jugement intéressant dans les plus de 230 pages du livre : «Lui-même tente l'aventure de Dieu; mais Dieu, dit-il, n'a pas voulu de lui. Au fond, Houellebecq est moins reconnu comme écrivain que comme porteur d'une dépression profonde». Non, je suis injuste, cette notation n'est pas complètement sotte, qui prétend que «l'expérience directe, vécue, sensible, d'un écrivain qui s'est mêlé de décrire son époque autrement que sous commande réaliste ou naturaliste qui ne fait qu'obturer la question, il n'y a rien de mieux» (p. 99). Les pages les plus intéressantes de cet ouvrage aussi sot que prétentieux sont encore celles où un extrait d'un article de Marcel Gauchet sur le fondamentalisme islamique est reproduit (cf. pp. 141-3).
(3) Il va de soi qu'en évoquant les figures de Judas et du Juif errant, je ne saurais être rangé d'une quelconque façon dans la petite cage, tellement commode, d'un rabique drumontiste.

Photographie de Juan Asensio