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07/11/2022

Eschaton de Vincent La Soudière, un recueil de textes composé par Sylvia Massias

Photographie (détail) de Juan Asensio.

788486874.jpgVincent La Soudière dans la Zone.








Eschaton.JPGLa lecture des lettres que Vincent La Soudière a écrites à son ami Didier a constitué, ces dernières années, une découverte que je ne suis pas près d'oublier, tant se donnait, dans ces centaines de textes qui n'étaient pas destinés à la publication, l'image, ô combien douloureuse, d'une littérature n'hésitant pas à explorer les abîmes. Nous avions perdu l'habitude de telles introspections, à la recherche de nouveau selon le commandement baudelairien, depuis Rimbaud, Artaud ou encore Michaux.
Sylvia Massias, la grande ordonnatrice de cette découverte qui est, quasiment, une naissance, la véritable naissance d'un écrivain non pas remarquable par sa production ou son écriture mais par son engagement, sa folle volonté de cultiver, comme son prestigieux prédécesseur, des verrues sur son propre corps, non pas admirable par telle ou telle œuvre, lui qui en publia, de son vivant, une ridicule poignée, mais tragiquement emblématique de ce que l'écriture, portée à une incandescence inhabituelle dans les lettres françaises si éprises de froide raison, doit ou devrait signifier, Sylvia Massias a donc parfaitement raison, par ces quelques mots en présentation à Eschaton. Ici finit le règne de l'homme (1), de placer à cette hauteur insigne la signification de la trace qu'aura laissé Vincent La Soudière : «S'il fallait résumer en une proposition la particularité de cet auteur, je dirais qu'il vécut une expérience intérieure de déréliction radicale rejoignant l'expérience du néant, de l'absurde et de la perte de sens si caractéristique de notre modernité et d'une postmodernité qui la prolonge et la délaye dans une insignifiance généralisée, mais en la portant à son extrémité, au point où, basculant dans une nuit antérieure au chaos, elle ouvrit pour lui la possibilité d'un sens en prenant celui d'une expérience spirituelle et mystique» (p. 9).
VLS.JPGLe propos d'Eschaton est lui aussi bien précisé par celle qui en a constitué l'architecture : Vincent La Soudière, écrivain de la marge et, même, de l'ornière et de l'égout, «psalmiste clandestin» qui «travaille dans l'absolu et devant Dieu» comme il l'écrit à Didier, auteur sans pratiquement aucun livre alors que tant de nos contemporains croulent sous les livres sans en avoir écrit aucun mais en les ayant tous faits, espèce de tragique Bartleby sans compagnie, Roberto Bazlen sans aucun pouvoir éditorial, à la différence de ce dernier qui marqua toutefois les écrivains qui le fréquentèrent, personnage secret voire hermétique, hermétique au sens où fort rares ont été ceux qui ont pu le lire de son vivant, et hermétique aussi au sens kierkegaardien du terme, n'hésitant pas à plonger dans une solitude dévorante, dont le caractère n'a pas été loin d'être démoniaque (2), a vécu entouré d'un silence qui «le confirma dans son retrait du temps des hommes, tout en le projetant dans une dimension décidément eschatologique, comme si ce qu'il attendait de la vie ne pouvait se réaliser qu'après sa mort. Il écrivit dès lors moins dans le temps que dans l'éternité, ou dans cet écart qui ouvre au cœur de l'un l'horizon de l'autre» (p. 20). Sylvia Massias ajoute que Vincent La Soudière, «homme prototype» capable de sonder une «actualité de profondeur» qu'il oppose, comme Sylvia Massias le signale, à une «actualité de surface» (p. 34), «du plus profond de son être», était ainsi «tendu vers l'avènement des réalités dernières qui sont en germe dans la création tout entière, désirant l'ultime embrasement qui consacrera la réconciliation de tous les êtres et de toutes choses dans une création enfin restaurée» (p. 26). De fait, conclut Sylvia Massias, «le sens ultime des écrits de Vincent La Soudière, comme il l'a écrit lui-même, est spirituel» (p. 40), proposition avec laquelle je ne puis qu'être une fois de plus d'accord.
VLS1.jpgLà où je tique, là où je ne marche qu'avec force précaution, à la suite de cet Orphée jamais remonté des puants souterrains flanqué d'une Eurydice de circonstance ayant suppléé à sa défection, c'est lorsque Sylvia Massias jette dans le tambour de sa machine à laver où elle a remplacé l'adoucissant par une bille d'eau bénite (le progrès ne cessera jamais de nous étonner) quelque 113 textes composant Eschaton extraits de cahiers (au nombre de 9), de carnets (au nombre de 22) et de blocs-notes (au nombre de 3) en leur ajoutant 14 textes dactylographiés (parmi les 350 qui sont connus), puis 7 autres textes écrits sur des feuilles volantes et enfin, nous pouvons souffler (non en fait, pas encore !), un texte joint à une lettre, publié dans une obscure revue lyonnaise, Jalouse pratique en juin 1993, sans oublier 4 extraits de lettres, dont 2 ont été adressées à Didier, les 2 autres étant restées à l'état de brouillon et cela, tout cela, tout cet ensemble disparate, écrit entre 1970 et 1992, afin de récupérer des vêtements plus propres encore que ceux qu'Adam porta le jour où il fut chassé du Paradis ! J'ajouterai, et d'ailleurs Sylvia Massias ne nous le cache point (3), et cela pour tourner notre étonnement en franc scepticisme, que «l'enchaînement des textes ne suit pas un ordre chronologique» (p. 269) ! Je savais qu'il est donné à tout connaisseur et amoureux de l’œuvre d'un auteur, y compris même lorsqu'il n'a pu achever cette dernière, d'en composer puis proposer une lecture méticuleuse voire savante par le biais d'un patient déchiffrement, l'exercice consistant à retenir tel état plutôt que tel autre du manuscrit, etc., mais je ne savais décidément pas qu'il eût été possible de mettre le début au milieu, celui-ci à la fin et cette dernière un peu partout !
Qui ne voit là un problème herméneutique majeur, qui consiste, pour une lectrice et spécialiste d'un auteur, à composer un ouvrage, certes en se servant des dires de l'auteur quant à son incapacité à constituer un livre cohérent et à le faire publier, avec une multitude de textes de provenance diverses, écrits à des moments variés, tenant, donc, compte d'un contexte biographique pour le moins lui-même soumis à de fortes fluctuations d'humeur, Vincent La Soudière ayant été bien des fois plongé dans des phases dépressives et même suicidaires, puis à relier le tout non seulement dans un ordre qui ne respecte aucune chronologie mais qui suppose l'attention et l'intention, disons téléologiques, dudit auteur sensible comme une boussole exposée près d'un des pôles, attention et intention entièrement orientées, l'une et l'autre, vers le but supérieur, ultime, Eschaton donc, qu'il s'agit de faire naître à tout prix, y compris en utilisant de robustes forceps puis en contraignant le rétif bambin à chausser, avant que ses os ne se rigidifient, des mules qui déformeront ses pieds pour lui conférer le galbe, la forme et la taille voulus exigés par une vision supérieure audit enfant qui n'aura rien à dire, et pour cause, comme cela se pratiqua pour les toutes jeunes petites filles en Chine, de manière traditionnelle, il n'y a pas si longtemps que cela ? Je n'aime pas la contrainte, je veux Vincent La Soudière libre, libre de n'avoir pu mener à bien ses propres projets, si du moins ils furent jamais autre chose que des rêves que la si dure réalité qu'il vécut froissa plus ou moins définitivement; je le veux libre de n'être pas parvenu, du moins extérieurement, socialement, à être de son vivant un écrivain connu de plus d'une poignée d'amis.
VLS2.jpgSi Orphée est incapable de parcourir en sens inverse le chemin qu'il a emprunté pour descendre aux Enfers, aucune Eurydice au monde, fût-elle la plus aimante, la plus souffrante, la plus compatissante au sens étymologique du terme, nulle personne au monde à vrai dire n'a le droit, j'allais écrire le droit moral, intellectuel, spirituel, de l'extraire de son cachot, car c'est pure vanité, bien davantage que volonté de secours et acte d'espérance, que d'arracher Georg Trakl, Paul Celan et, donc, Vincent La Soudière, trois grands noms que bien des points relient entre eux, à leur destin ténébreux, embrassé du reste plus ou moins volontairement; c'est même, sur le cadavre encore chaud, appliquer une oreille capable de percevoir les chuchotements de l'au-delà, et rendre signifiante cette ventriloquie morbide. Je préfère être sourd aux confessions ectoplasmiques et lire et relire tout ce que Vincent La Soudière a pu écrire, sans pouvoir ou vouloir l'ordonner en un livre.
C'est condamné que je veux lire Vincent La Soudière, allant «seul vers le Seul» (p. 260), non par louche délectation morbide ou par goût d'une quelconque torture souverainement retorse, mais parce que c'est ainsi, muettement désespéré, qu'il peut avoir une réelle et très profonde influence sur ses lecteurs qui, s'ils l'ont bien lu, intimement lu, généreusement lu, moralement et spirituellement lu et pratiqué, auront, ou pas, la volonté de suivre sa trace le plus loin possible, avant qu'elle ne se perde dans les eaux boueuses de la Seine qui a accueilli plus d'un poète dans sa fange, et je ne veux en conséquence qu'aucune lectrice, même la plus érudite et connaissant le moindre détail de la vie de celui qu'elle a magnifiquement servi en publiant sa correspondance, je ne veux qu'aucun lecteur, y compris même tel «lecteur jusqu'à en souffrir», selon le mot si juste que Michaux adressa à Vincent La Soudière, je ne veux pas que le lecteur ultime qui est par essence impossible, tout aussi savant en soudiérologie que Dieu le Père sondant les derniers recès de nos pensées, ne me le ramène du Gouffre, non, pas même Didier (qui n'y songerait certainement pas), son seul ami, son seul confident pourtant, je ne veux pas que cette cohorte de hardis spéléologues animés des meilleures intentions philologiques possible me le ramènent, homme nouveau devant les choses inconnues qu'il aura, lui, connues, lavé et rasé de près, avec dans sa besace orphico-christique des alléluia sautant allègrement dans l'air et y pétant comme des feux d'artifice.
Je pèse mes mots, je pourrai les répéter à l'occasion. Bien évidemment, il faut tenter d'aider Vincent La Soudière, prendre «la corde [qu'il nous] lance dans la nuit et [qu'il nous] prie de saisir de toute [notre] confiance retrouvée» (p. 268), car à sa figure si douloureuse, nul homme, nulle femme, nul lecteur d'un peu de consistance, de cœur, d'esprit et de tripes ne peuvent demeurer insensibles : s'il faut ici tenter de toucher la corde sensible de l'homme actuel, si naturellement lacrymal selon Georges Bernanos, je ne cacherai pas que j'ai pleuré lorsque j'ai terminé de lire les trois volumes de lettres de Vincent à Didier, parce que j'ai eu l'impression d'avoir perdu mon propre grand frère dont la vie épouvantablement noire m'aurait été cachée, frère malade et fort, téméraire et faible, duquel j'aurais été mystérieusement séparé et que j'aurais rencontré, qui sait, sans le reconnaître, une seule fois (4) dans ma vie avant qu'il ne me soit arraché définitivement; mais, non, je ne puis décidément l'imaginer sauvé des eaux, flottant à leur surface comme une Ophélie pleine de mots d'outre-tombe, car c'est à mes yeux forcer son destin implacable, le baptiser post-mortem, l'ériger en témoin, voire en martyre, d'une position impossible, intenable, folle dans sa hardiesse ou son inconséquence; en bref, c'est rejouer le geste du Christ commandant aux ténèbres de relâcher leur emprise sur Lazare, et je ne suis pas le Christ, et il n'aura échappé à personne que Sylvia Massias n'est elle-même pas le Christ, malgré la possibilité qui est la sienne bien davantage que la mienne, davantage que celle de quiconque d'ailleurs, résidant dans le fait de pouvoir, à loisir je le suppose, consulter n'importe quel texte écrit de la main de Vincent La Soudière, avoir fait de cet horrible travailleur citant plus d'une fois Rimbaud le Voyant dont il veut poursuivre la marche après qu'il s'est effondré (cf. p. 178), un ami intime, aussi VLS3.jpgintime qu'il serait possible de l'imaginer mais, lui aussi, comme vous et moi, comme tout lecteur de Vincent La Soudière, ne pouvant qu'aller jusqu'à ces derniers mots, bouleversants, écrits à Didier bien sûr, le 5 mai 1993, un jour avant de s'engloutir dans la Seine : «Toutes les issues me sont fermées. J'ai donc décidé de me suicider. Tu connais ma vie; tu sais comme elle était invivable. [...] Je te demande seulement de prier pour ton pauvre Vincent qui n'en peut plus et qui espère embrasser le Christ par la voie la plus rapide. [...] Pense que je vais être en présence de mon Dieu qui ne me jugera pas. [...] D'immenses pâturages devant moi. ma vie peut enfin commencer» (lettre 797 et dernière, tome 3 cité, pp. 436-7). Je prie, j'essaie tout du moins de prier pour Vincent, je l'ai servi, le sers et le servirai à la mesure de mes propres forces, j'irai aussi loin que je le pourrai dans la nuit, je suis assez bon guide mais, comme Virgile, je devrai renoncer tôt ou tard à l'accompagner vers sa remontée, car je n'en ai la force ni même la permission.
Vincent La Soudière a écrit qu'il gisait «au fond d'un puits», mais qu'il apercevait «les étoiles en levant la tête» et que sa condition était «celle d'un prisonnier contraint aux travaux forcés pour une durée indéterminée» (Lettre 706 du 14 juillet 1990, tome 3 de ses Lettres à Didier, op. cit., p. 283). Eschaton, un titre apparaissant dès le mois de mai 1978, juste après la parution des Chroniques antérieures, avec d'autres comme Sans ou Géhenne (5) est, sans doute, mais sans doute seulement, cette lumière, après l'épisode de la descente aux Enfers que devait évoquer un autre texte que Vincent La Soudière fit tout de même paraître, intitulé, significativement, La Jérusalem d'En Bas (voir Argile, n° XXIII-XXIV, printemps 1981, pp. 123-27). C'est du reste Vincent lui-même qui affirme, à propos de ce texte entrevu, que «Rien ne saurait se faire, bien sûr, sans ma propre coopération et mes efforts», car «il existe une sortie du tunnel; je la trouverai avec la grâce de Dieu, si je le veux bien. Cela prendra du temps, mais un jour la lumière brillera à nouveau sur ma terre catastrophée. Dès cette terre, la perdition n'aura pas le dernier mot» (l'auteur souligne, Lettre 629 du 2 avril 1984, tome 3 de ses Lettres à Didier, pp. 129-30).
VLS4.JPGAu-delà même du forçage performatif, pour le dire en une expression un peu rude mais éloquente, qui consiste, pour un lecteur, à organiser dans un texte dont le but est, dès le départ, donné : l'éclatement eschatologique de la Vérité, une multitude pour le moins complexe, variée, voire contradictoire, de textes rassemblés à la diable et qui, au moment où ils ont été écrits par leur auteur, n'avaient pas forcément pour point de mire cet horizon transcendantal, au-delà même de ce tour de force, j'avoue que m'avaient frappé ces mots durs écrits par Vincent lui-même, pointant quelque tendance qu'il jugeait assez méchamment être féminine, et qu'il repoussait avec véhémence. Voici le texte, qu'écrit l'auteur à Didier, où il commente une lecture, «typique de la manière féminine de lire un texte littéraire» : «Les entrailles s'émeuvent au moins autant que la sensibilité poétique. [...] Ces réactions me font comprendre que je n'écris pas pour les femmes; elles ne seront jamais mon public. En dépit des apparences», poursuit Vincent qui précise que c'est là «un paradoxe que seuls peuvent dénouer les initiés», il «vise à l'impersonnalité dans l'écriture», et «cherche à échapper à la biographie, à la transcender vers une instance plus haute, plus stable, plus universelle», alors que «les femmes piétineront toujours dans le remugle des moites confessions» (Lettre 407 du 28 mars 1977, dans le tome 2 Cette sombre ferveur. Lettres à Didier 1975-1980, 2012, p. 207). On aura beau jeu de me rétorquer que Vincent La Soudière a pu fort bien changer d'opinion, lui qui avait bien compris, selon le bon mot de son ami Didier, qu'il ne serait jamais qu'un écrivain posthume, mais j'avoue que l'insistance avec laquelle Sylvia Massias plaide pro domo m'amuse, elle qui déclare, sur les brisées de celui qu'elle est à deux doigts d'accuser de misogynie : «Le tiers dont il a besoin aurait pour tâche de prolonger son geste, qui reste chez lui en suspens ou comme avorté, de porter à son terme ce que lui-même ne parvient pas à extraire de soi pour l'ordonner et le donner» (6) cette défense et illustration, en somme, du travail qu'elle-même aura réalisé en accouchant La Soudière de son œuvre, se poursuivant tout au long de la page 507 de la biographie de l'auteur, évidemment écrite par celle qui connaît le plus intimement sa vie et son œuvre, et qualifié d'histoire d'une âme, Vincent La Soudière, la passion de l’abîme.
VLS-Argile.jpgQu'en est-il, maintenant, du texte proprement dit que nous proposent les éditions de La Coopérative, que j'ai pu évoquer plusieurs fois, en parlant par exemple de Béatrice Douvre ou de Hugo von Hofmannsthal, et dont il faut saluer, je n'y manque pas, l'exigence ? Je serai bref car on trouvera, dans ce volume, ce que Sylvia Massias a bien voulu qu'on y trouve, une radiographie de l'homme moderne réduit au rang de coquille vide qui m'a bien des fois fait penser à l'art, de colère et de visions, d'un Armel Guerne, homme misérable, triste et seul qui, «comme un serpent tronçonné», sera vu par l'auteur se repliant «vers une genèse sans espoir», alors même qu'il «n'y aura plus de Dieu pour souffler sur la boue» (p. 51), puisque, tous, «nous sommes pris dans la nasse technique de l'histoire» et que «nous buttons dans le cul-de-sac» (p. 60) auquel nous ont contraint le culte effréné du progrès, «du progrès indéfini et irréversible» (p. 91) mais aussi la raison, qui «aura livrée de Dragon dévastateur» et qui «aura arraisonné l'esprit, assaisonné l'homme d'huile bouillante et de poix...» (p. 105). Apparaît aussi, assez vite, du moins en raison de l'effet de miroir propre au choix éditorial opéré par Sylvia Massias, le thème de la souffrance rédemptrice, la souffrance et la solitude, «elles au moins, [qui] frappent toujours le vieux tambour» (p. 162), la souffrance, grandissante selon La Soudière, ne pouvant que nous reconduire «toujours à nos racines de toujours, nos racines d'hommes» (p. 161), les «souffrants, malades, humiliés et piétinés» pouvant ainsi à bon droit être considérés comme les «cobayes du laboratoire cosmique» (p. 167), ici finissant toutefois (l'un de ces paradoxes dus, je le suppose, aux principes éditoriaux plus haut évoqués) «le règne de l'homme» ou de «l'homme historique» (p. 130), là commençant «celui de l'Homme véritable, le Christ» (p. 128) autrement dit, l'homme nouveau qui constitue le troisième temps d'Eschaton. C'est alors que la «dissolution actuelle des structures humaines», et cela si tant est qu'on «lui suppose une fonction positive», ne pourra que «préparer une Révélation eschatologique» que Vincent La Soudière suppose pouvoir être «reçue par tous», et qui «coïncidera avec la clôture de l'histoire» (p. 226), alors que la progression, ordonnée par la martiale Sylvia Massias que rien ne saurait distraire de son but qui me semble plus syncrétistes que réellement christique (voir les dernières pages du recueil, notamment un texte comme Sans défense et la bouche pleine de terre), côtoie de plus en plus près la personne du Christ, dont il est dit, d'ailleurs superbement, qu'il n'a pu être reconnu, une fois ressuscité, parce qu'il «s'est incorporé tous nos visages humains auxquels Il communiquera sa propre résurrection» (p. 247).
Laissons à Sylvia Massias le plaisir et le soin de nous donner, autant qu'elle le pourra, Vincent La Soudière mais au Christ celui de nous le redonner.

Notes
(1) Vincent La Soudière, Eschaton. Ici finit le règne de l'homme (texte établi et présenté par Sylvia Massias, La Coopérative, 2022). La copie de ce texte a été particulièrement bien relue, puisque je n'ai relevé que deux petites erreurs, l'une de ponctuation, des guillemets fermant devant le mot Élégie, dans la note 2 de la page 28, l'autre sur le troisième volume publié des lettres de Vincent La Soudière à Didier, s'étendant de 1981 à 1993, et non de 1975 à 1980 comme indiqué (cf. note 2 p. 9). Remarquons aussi qu'au moins une fois, en ne donnant pas, comme titre de tel ou tel texte, ses premiers mots, Sylvia Massias contrevient au principe éditorial qu'elle s'était elle-même fixé (cf. Dévorons le temps qui commence par «Béton, béton, béton», p. 78).
(2) Hermétisme démoniaque vécu par Vincent La Soudière qui, à la suite de la lecture d'un article écrit par le théologien allemand Wilehlm Maas sur la descente aux Enfers du Christ (Jusqu'où est descendu le Fils, publié dans le numéro de janvier-février 1981 de la revue Communio et reproduit en appendice du tome 3 des lettres de Vincent La Soudière, Le firmament pour témoin. Lettres à Didier, 1981-1993, Le Cerf, 2015, pp. 439-57), a pris la décision de tenter l'impossible descente : «Mais parce que le Christ lui-même s'est avancé jusque-là, parce que, par cette descente, il a ouvert la voie d'une coopération, d'une alliance avec l'homme qui vit des états de souffrance, de désolation, d'abandon inouïs, la flamme d'une espérance indestructible brille et continuera de briller au sein des plus profondes ténèbres» (pp. 32-3).
(3) Toutes ces précisions figurent dans sa Note sur la composition de l'ouvrage et l'établissement du texte, p. 269 de notre ouvrage.
(4) J'ai évoqué cette anecdote dans l'une de mes notes : c'est en 1991 que Vincent La Soudière est allé voir une exposition de Bram van Velde à Paris, à laquelle je me trouvais aussi, avec tous mes collègues de khâgne.
(5) Ces titres, Vincent La Soudière les mentionna dans plusieurs lettres à son ami Didier, alors qu'Eschaton figure dans une note sur ses projets en cours jointe au dossier de demande de bourse qu'il envoya au Centre national des lettres.
(6) Cette très riche et fort méticuleuse biographie a été publiée aux Éditions du Cerf, coll. Cerf Patrimoines, en 2015. Je cite la page 507.


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