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09/07/2019
Diadorim de João Guimarães Rosa
«Ah, je crois que je ne voulais réellement plus rien, tant je voulais tout. Une chose, la chose, cette chose: tout ce que je voulais n'était plus que: ne pas cesser d'être !»
Diadorim*.
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L'excellente préface de Mario Vargas Llosa aurait pu, une fois pour toutes, en si peu de pages pourtant, enfermer Diadorim dans la catégorie de ces romans qui, bien plus que des chefs-d'œuvre classiques dont les vertus épurées sont aussi rassurantes que souvent lassantes, nous inquiètent et nous séduisent par leur caractère monstrueux. L'Anneau et le Livre de Robert Browning, Pierre ou les ambiguïtés d'Hermann Melville, Héros et tombes et L'Ange des ténèbres d'Ernesto Sábato, Autodafé d'Elias Canetti, Le Tentateur d'Hermann Broch, Les Reconnaissances de William Gaddis, Sous le volcan de Malcolm Lowry ou encore 2666 de Roberto Bolaño, voici quelques exemples de romans monstrueux dont le centre de gravité paraît soustrait à nos regards, hors de portée de toute exégèse qui tenterait d'enserrer dans sa trame, fût-elle du plus fin maillage, l'œuvre détricotée sans relâche et, comme la ville de Carcassonne pour Lord Dunsany et William Faulkner, toujours à l'horizon, sans qu'il nous soit possible de l'atteindre.
Pénétrer dans le dédale d'une de ces œuvres, c'est accepter que, la main en visière, l'horizon soit toujours, pour notre regard, un risque scintillant.
Diadorim donc, au titre français trompeur puisque l'original évoque, davantage que le personnage aux yeux verts répandant une lourde fragrance érotique, le sertão qui désigne, au sens le plus large, l'arrière-pays et, dans le roman de João Guimarães Rosa, les régions semi-arides de l'intérieur du Brésil, peu habitées et, quand elles le sont, dans des conditions difficiles, puisqu'elles sont presque uniquement riches d'immenses troupeaux de bétail. C'est faire du mystérieux et inquiétant compagnon du narrateur, l'un de l'autre «proches comme les doigts de la main» (p. 35), le centre d'un roman qui n'en a pas ou plutôt, qui se fait et se défait, puis se refait, à mesure que parle, sans relâche, le narrateur, qui jamais ne semble céder à ces facilités humaines que sont les instants où se restaurer ou simplement se taire, reprendre souffle avant de continuer l'histoire sans fin, aux milliers de facettes, aux ramifications sans nombre, que Riobaldo semble construire à mesure même qu'il parle, parle et parle encore, sans hâte ou pressé de conclure, notre tête bourdonnant de ses mots répétés, splendides, versicolores, bien après que nous avons refermé le livre du Brésilien. Les grands romans sont constitués par cette tension, cette note sourde, basse, sur laquelle le reste de l'édifice mélodique appuie et répète son motif savant; ils sont redevables de l'urgence de dire, avant que le monde (c'est-à-dire le sertão, cf. pp. 90 ou 304) ne se défasse parce qu'on n'est plus là pour le raconter (cf. p. 595), avant que les choses ne tombent pour ne plus se relever ainsi que l'écrit William Butler Yeats dans The Second Coming, ou que la réalité ne s'inverse, comme retournée par le fracas des batailles et des guerres (cf. pp. 320-1), la trahison des traîtres, le seul mot, l'unique geste, l'infime parole oubliés et qu'il ne fallait justement pas oublier, avant que l'univers ne se déracine, toute solidité se dissolvant (cf. p. 333), mots et choses retournant à leur boue originelle. L'anarchiste est ainsi l'exact opposé du créateur, son ennemi le plus acharné même et j'ai plus de respect pour le plus infâme demi-solde grappillant quelques miettes de pouvoir comme un vivandier crapuleux de grande armée se nourrit de restes sordides que pour le plus échevelé des Érostrate.
Diadorim, construction unique, achevée et pourtant pleine de trous qu'il appartient aux lecteurs de tenter de combler, épopée monumentale et éphémère du sertão n'hésitant pas à remuer les terres gorgées d'eau et pourrissantes de l'érudition botaniste la plus délirante, labyrinthe foisonnant, aux mille pièges, de portraits et de figures innombrables (celles de Quelemén, Medeiro Vaz, Joca Ramiro, Sô Candelário, Diadorim bien sûr, Norinha, Rose'uarda, tant d'autres, tous mémorables), tour (tours ?) de Babel formant une très dense canopée linguistique constituée de milliers d'arbres se perdant dans les brumes chaudes d'une forêt délirante ou véritable satanologie picaresque, se demande Vargas Llosa sans trancher véritablement entre ces trois pistes interprétatives (la première, tout de même...), qui s'enfoncent dans la luxuriante végétation de Diadorim et semblent, plutôt que nous désigner, de façon sûre, la forêt insaisissable, buter sur l'arbre.
La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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