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05/02/2020

L'Homme qui marchait sur la Lune d'Howard McCord

Photographie (détail) de Juan Asensio.

McCordLune.JPGÀ propos de Howard McCord, L'homme qui marchait sur la Lune (traduction de Jacques Mailhos, Éditions Gallmeister, 2008, 2011).
LRSP (livre reçu en service de presse).

Cette note a paru initialement le 4 décembre 2011.


«Les vraies affaires du monde sont les ombres.»
Howard McCord, L'Homme qui marchait sur la Lune.


L'Homme qui marchait sur la Lune est un de ces textes en apparence solitaire, seule intrusion dans le romanesque de son poète d'auteur, visiblement surécrit au sens que Borges donnait à ce terme, truffé de références explicites ou pas (cette solitude était donc fausse, puisque ce livre communique avec d'autres, comme tous les grands livres) (1), qu'il n'est pas rare de découvrir, en guise de résumé fulgurant de l’œuvre ainsi subsumée et portée à son incandescence, dans la bibliographie d'un auteur.
On peut songer très superficiellement, au petit jeu des rapprochements journalistiques, au Doña Faustina de Paul Bowles. L'Homme qui marchait sur la Lune, par son caractère énigmatique, évoque surtout le remarquable Agonie d'Agapè de William Gaddis.
L'histoire, réduite à son épure (un homme, tueur professionnel, part en randonnée sur une montagne du Nevada appelée la Lune, tue un homme qui lui aussi est un tueur, sans doute lancé à sa poursuite par une mystérieuse entité, revient chez lui et tue trois tueurs ayant torturé et exécuté sa logeuse et violé sa petite-fille), n'a pas grande importance tout compte fait, comme n'en a aucune celle du texte de Gaddis.
Ces diamants noirs, miraculeusement engendrés par une gangue à laquelle ils semblent ne plus appartenir par le moindre atome, sont précieux d'être intaillables, inaltérables.
En fait, l'histoire que nous conte Howard McCord (par la fiction d'un tueur qui se serait mis à l'écriture) est si peu intéressante qu'à grands traits résumée elle reprend les détails biographiques de l'auteur lui-même, son goût pour l'escalade et les longues marches dans des territoires sauvages, son expérience du feu étant donné qu'Howard McCord est un ancien vétéran de la guerre de Corée, d'autres éléments sans doute, que je ne puis qu'ignorer puisque je n'ai lu qu'un seul texte d'Howard McCord.
Texte surécrit ai-je dit : bornons-nous à constater les références directes faites à Yeats, les frères Grimm, Dahlberg, Wittgenstein, Tolkien, Schopenhauer, Dante ou Homère, Kierkegaard, d'autres encore comme Jünger ou Ortega y Gasset, remarquons la mention du Rameau d'or de Frazer qui pourrait en partie expliquer le symbolisme élémentaire (singulièrement celui de la lumière par le biais d'une «lueur de bougie» (p. 22) ou des éclairs (cf. pp. 35 et 43) ou même, occasion d'une magnifique et courte description, de la lumière régnant sur Mars (cf. p. 72), lumière qui, notons-le ouvre et ferme le texte de McCord), symbolisme puisant lui-même dans la très ancienne matière de Bretagne celtique avec la présence de la magicienne/déesse galloise Cerridwen et de son séide le chat Palug, dont les origines légendaires se perdent elles aussi dans les plus vieux textes gallois.
La présence, réelle ou fantasmée, réelle et fantasmée , de ces deux êtres au-delà du bien et du mal, donne sa dureté minérale au texte de McCord qui semble hésiter entre la description parfaitement plausible du paysage ou bien les préférences du héros, William Gasper décrit comme un «nihiliste cynique» (p. 102) en matière d'armes, et de brutales intrusions dans le domaine du rêve, dont on ne sait jamais tout à fait si elles ne sont en fin de compte pas plus importantes que la morne réalité d'une ascension de montagne, celle-ci étant, comme il se doit, une voie d'accès possible à une dimension invisible (cf. p. 112 : «Cette nuit, je dormirais [sic] d'un sommeil sans rêves, comme si l'on m'eût accordé un répit pour avoir quitté les hauteurs», p. 112).
Le texte est riche de son ambivalence même, puisqu'il oscille entre un principe de réalité que mille détails corroborent et viennent conforter et de longues plongées dans un décor onirique. Une phrase résume parfaitement de quoi il en retourne : «C'est, pour autant que son narrateur le sache, le récit authentique d'une longue folie lucide, une confession oblique, une apologie pro vita sua, un conte imaginaire tissé dans la froidure de l'hiver ou avec les fils de la nuit» (p. 134, je souligne). Déjà, page 14, le narrateur n'hésite pas à se décrire comme étant un «esprit glacé», un homme «aussi simple que les plats [qu'il] cuisine» (p. 17).


La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
Ce livre peut être commandé directement chez l'éditeur, ici.


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