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20/08/2012

Histoire et esthétique du cinéma fantastique des origines à 2010, fin, par Francis Moury

Crédits photographiques : Tim Tiebout (Rochester Institute of Technology, Rochester, New York, USA).

Rappel
Histoire et esthétique du cinéma fantastique des origines à 2010, 1.
Histoire et esthétique du cinéma fantastique des origines à 2010, 2.
Histoire et esthétique du cinéma fantastique des origines à 2010, 3.
Histoire et esthétique du cinéma fantastique des origines à 2010, 4.


Les années 1980-1990

Elles ne modifient pas vraiment la donne, et s’avèrent rétrospectivement moins riches que les années 1960-1970 et 1970-1980 du point de vue thématique. On peut même dire que les scénarios de la majorité des films de cette décennie sont moins sophistiqués que ceux de la période précédente : ils signent le retour à une certaine simplicité d'inspiration. La technique cinématographique connaît, en revanche, une série d’innovations qui va en s’accentuant à un rythme haletant jusqu’en 2000 : le montage numérique permet progressivement d’accélérer l’action visuelle, les effets spéciaux devenant numériques eux aussi accèdent à des niveaux de trucages inédits, la définition de l’image chimique et ses différents degrés de propreté ou de saleté deviennent même des éléments de style, signifiant ou référentiels, enfin le cinéma pense d'une manière réflexive son rapport au nouveau médium qu’est la vidéo, comme il avait avant pensé la télévision.
En Italie, Dario Argento a certes connu son âge d’or baroque et onirique, intellectuel et réflexif (L’Oiseau au plumage de cristal, Les Frissons de l’angoisse, Suspiria, Inferno) avant de 1970 à 1980 mais c'est durant notre décennie qu’il signe avec Ténèbres (1982) le plus réflexif de tous les gialli (pluriel de «giallo») jamais tournés et qu’on peut donc éventuellement l’y intégrer. Lamberto Bava, fils de Mario, signe un très intéressant Démons qui prend, comme le fera aussi le cinéaste espagnol Bigas Luna dans son extraordinaire Angoisse, pour lieu de l’action un cinéma. Il signe aussi un nécrophile Baisers macabres dans la lignée de son père tout en étant original et un Demoni 2 dans lequel la vidéo prend symboliquement la place fonctionnelle du cinéma. Lucio Fulci, un ancien du western italien (on voyait encore l’affiche française de son Temps du Massacre tourné vers 1965, affichée à un cinéma de Saïgon en 1970 dans le beau semi-documentaire Hoa-Bin de Raoul Coutard) et du «poliziotti» (Lucas, il contrabandiere [La Guerre des gangs] ultra-violent polar avec Marcel Bozzufi et Fabio Testi en vedettes) signe entre la fin des années 1970 et 1985 quelques œuvres pauvres en budget mais poétiques, très macabres et «gore», ce qu’on lui pardonne mal dans son propre pays, mais qu’on apprécie outre-Atlantique : L’Au-delà (1982) demeure son chef-d’œuvre, Frayeurs [La Paura] et L’Enfer des zombies ont leurs partisans résolus, sans oublier La Maison près du cimetière. Ensuite, le gore (effet spécial sanglant, hérité des films de H. G. Lewis, inspirés et poétiques) semble absorber Fulci presque malgré lui, au détriment du restant, donc de l’essentiel. Le gore et le triomphe des effets spéciaux appauvrissent le genre, d'une manière générale, au lieu de l’enrichir : Fulci incarne presque filmographiquement cette assertion. Le gore finit par le faire virer à la parodie car on était déjà, depuis H.G. Lewis, sur le fil du rasoir à ce sujet et c’est d’ailleurs bien le cas de le dire : c’est presque l’itinéraire suivi par Michele Soavi, qui passe d’un remarquable giallo Aquarius [Bloody Bird] à une sorte de comédie outrancière se passant dans un cimetière dont le titre n’est pas mémorable !
Aux États-Unis, Roger Corman devenu producteur, donne naissance (parmi les divers genres qu'il ne cesse d'illustrer, notamment le film noir) à une belle trilogie de science-fiction durant la période 1980-1985 : Androïd, La Galaxie de la terreur, Mutant [Forbidden World]. Les scénarios sont adultes et novateurs même si les thèmes sont peu originaux. Les idées plastiques sont bien exploitées, les situations mises au point afin d’obtenir un cocktail parfait entre angoisse, terreur, action, suspense. Tentative technique brillante d’utiliser un nouveau procédé technique, le «steadycam», mis au point par Jim Muroe, le Evil Dead [L’Opéra de la terreur] de Sam Raimi est un coup de maître sans postérité. Raimi ne retrouvera plus ensuite son inspiration baroque originale, ni le dépouillement qui lui donnait sa rigueur. Nick (Nicos) Mastorakis se situe dans la grande tradition du cinéma B et donne, comme en se jouant, vers 1985, un film fondamental pour la connaissance de l’évolution du genre fantastique : Heros Boys, «survival» cauchemardesque, partant de la fascination pour le cinéma de la violence pour aboutir aux «snuf movies» (qui étaient aussi le sujet du très remarquable Hardcore de Paul Schrader) posant ses adolescents dans la situation de spectateurs passant de l'autre côté d'un miroir, sans l'avoir voulu, piégés par un destin démoniaque. Le film utilise en outre le rapport cinéma-vidéo d'une manière consciente, réfléchie, lucide et incisive.
La science-fiction retrouve des sujets classiques mais la technique et l’alliage des genres les modernisent une fois de plus : The Hidden (1987) de Jack Sholder reprend intelligemment le postulat de Jack Arnold et Don Siegel pour décrire une invasion interne à l’esprit humain, menée par des extra-terrestres de deux races différentes venus, par accident, se combattre sur Terre. C’est un étonnant mélange de film policier, de film fantastique, de film d’aventure, de film de SF et de politique-fiction, avec une touche finale de merveilleux et de féerique (la réanimation du héros humain) : le prix d’Avoriaz est amplement mérité mais Hidden 2 est (sans Sholder aux commandes, il est vrai) une nullité sans intérêt. Terminator (1984) de James Cameron est un robot voyageant depuis le futur dans le temps présent pour assassiner un homme dont le descendant combattra un nouvel ordre mondial dominé par les machines qui asservissent dorénavant les hommes. On retrouve sans surprise les paradoxes logiques des anciens philosophes grecs et ceux des logiciens anglais du XIXe siècle à la base de tels arguments «sophistiques». Terminator 2 : Judgment Day (1991) le fait revivre mais le scénario en fait cette fois-ci l’ami des hommes et on lui oppose un Terminator d’un modèle plus récent, plus dur, plus impitoyable, encore moins humain. La série est, dans son ensemble, intelligente. Le procédé psychologique déjà à l’œuvre dans les films Universal et dans ceux de la Toho est à nouveau repris. Le monstre, une fois connu et familier, se voit opposer un nouveau monstre inconnu, donc terrifiant car l’infini du possible est rouvert. Predator (1987) de John McTiernan vient de l’espace en des lieux et des périodes précises : les pays en guerre qu’il apprécie pour chasser l’homme à sa convenance. Predator 2 (1990) annonce intelligemment la rencontre Alien vs Predator (2004) dans laquelle le Predator aidera finalement l’homme contre les Alien.
En Australie, c’est un âge d’or vraiment initié par les grands succès de Peter Weir (Pique-Nique à Hanging Rock, en 1975, La Dernière vague, 1977), Colin Eggleston (Long Week-End qui est un film fantastique écologique discrètement eschatologique et apocalyptique), Richard Franklin (Patrick [Coma] en 1978) qui se transforme en vague de fond : Razorback (une traque cauchemardesque pour abattre un sanglier monstrueux qui enlève les enfants dans le «bush» australien, critique écologique acérée des abattoirs de kangourous en prime), Next of Kin, sans oublier l’admirable Contagion de Karl Zwicki ni le film policier «de prison» atteignant parfois, fugitivement mais d’une manière redoutablement efficace, le fantastique et la SF politique qu’est Ghosts of the Civil Dead (1990) de John Hillcoat. Ni fantastique ni science-fiction mais plutôt film policier ultra-violent situé dans un univers de politique-fiction (au sens où un Peter Watkins entendait ce terme lorsqu’il réalisait vers 1970 en Angleterre ou aux États-Unis des documentaires fictifs mais réalistes tels que La Bombe ou Punishment Park) : ainsi pourrait-on définir la série des Mad Max qui n’a pas très bien vieilli. Calme blanc [Dead Calm] (1989) de Philip Noyce mène à bien, avec un brio technique éprouvé, un projet qu'avait voulu tourner… Orson Welles !
On l’a déjà signalé plus haut : la période est favorable au cinéma asiatique, notamment chinois, ce qui signifie, à cette époque, au cinéma produit et réalisé à Hong Kong par des cinéastes chinois formés dans des écoles anglaises. Après la vague "karaté" démesurée des années 1965-1980, ce sont les thrillers ultra-violents pouvant frôler par cette violence un certain fantastique, des féeries, une science-fiction enfantine ou plus adulte, des serials, de l’heroïc-fantasy au sens américain, des légendes antiques chinoises traditionnelles : Hong Kong fait feu de tout bois et produit à tour de bras pour un marché comprenant aussi bien l’Asie du Sud-Est que les marchés occidentaux avides de nouveaux langages et de nouveaux mondes. Les cinéastes français, anglais, américains, allemands nés en 1960 et s’intéressant au fantastique ont vu les films de Tsui-Hark comme ils ont vu ceux de Dario Argento ou ceux des Australiens : ils les ont considérés comme des films novateurs, au moins formellement.

Les années 1990-2000

Aux États-Unis comme dans le reste du monde, ce sont des années de mutation technique accélérée paradoxalement concordante avec un appauvrissement scénaristique et un ralentissement de la production à quelques exceptions notables : Martin Scorsese tourne en 1991 un remake-variation en couleurs et écran très large du film mi-fantastique, mi-policier Les Nerfs à vif [Cape Fear] (1961) de Jack Lee Thompson qui approfondit l’original, l’amplifie, lui confère une portée plastique et thématique impressionnante. Freddie Francis signe une photo extraordinaire : notamment certains effets de passage d’une image négative à une image positive, et certaines équidensités. Le montage est admirable de précision. Le film est incompris en France et ses critiques négatives. Seven (1995) de David Fincher se veut une réflexion morale angoissante sur la réalité du mal et des sept péchés capitaux, le pire étant l’orgueil, celui du Satan miltonien, toujours actif en pleine ville. Le générique d’ouverture du film est original : il sera souvent copié, jamais égalé. The Blair Witch Project (1999) de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez confère au thème de la sorcière une nouvelle vie et la technique vidéo dialogue constamment avec l’action elle-même afin d’augmenter l’effet de réalité et d’immersion plastique dans ce voyage sans retour, reposant sur le vol d’une caméra pour assouvir l’orgueil d’une étudiante en cinéma qui pense que filmer la réalité suffit à la comprendre, et qui comprend trop tard que cela ne suffit pas. Anaconda (1997) de Luis Llosa est la preuve qu’un honnête scénario, réalisé par un honnête technicien et servi par quelques acteurs convenables, et une ancienne star (John Voight) peut donner un film B poétique et efficace, qui retrouve fugitivement le parfum des films fantastiques B américains des années 1950.

Les années 2000-2010

On a moins de recul sur cette période récente et il faut donc être prudent par principe.
Aux États-Unis, deux phénomènes se détachent apparemment : une production considérable de remakes et de variations à partir de films des années 1970 et 1980 devenus des classiques du genre et le retour du fantastique à destination des enfants plutôt que des adolescents ou des adultes. Mais cependant quelques très bonnes surprises, thématiques et/ou plastiques.
Les «remakes, les «prequels», les variations : Renny Harlin qui a pourtant réalisé le très beau Le Cauchemar de Freddy (le plus beau de la série des Nightmare on Elm Street du point de vue plastique) signe en 2005 un médiocre L’Exorciste : au commencement débuté par Paul Schrader. La Nuit des fous vivants [The Crazies] de Romero est refait en 2010 par Breck Eisner, Dawn of the Dead [Zombie] de Romero est refait en 2004 par Zack Snyder sous le titre français d’exploitation L’Armée des morts : notre critique en était initialement négative à sa sortie mais le film, il est vrai, passe mieux en vidéo qu’au cinéma et c’est en le revoyant plusieurs fois sur une télévision que nous avons changé positivement d’avis à son sujet. The Texas Chain Saw Massacre [Massacre à la tronçonneuse] (1974) de Tobe Hooper est refait-varié en 2003 par Marcus Nispel sous le titre subtilement modifié de The Texas Chainsaw Massacre. Amityville la maison du diable [The Amityville Horror] (1979) de Stuart Rosenberg est refait en 2005 par on ne sait plus qui. La crise d’inspiration des scénaristes est telle qu’on voit sortir des remakes qu’on n’attendait pas du tout : le portrait étonnant du flic psychopathe de Ordure de flic [The Killer Inside Me] (1975) de Burt Kennedy refait par Michael Winterbottom encore en 2010 d'après une série noire de Jim Thompson.
Alien vs Predator (version Director’s cut et version exploitée diffèrent juste par l'ajout d'une séquence pré-générique sympathique et celui de quelques plans supplémentaires dans la continuité au demeurant identique pour le restant) est une belle variation qui approfondit les séries respectives auxquelles il appartient en y introduisant un thème mythique qui reprend discrètement l’idée du génial Les Monstres de l’espace [Quatermass and the Pit] (1967) de Roy Ward Baker : l’humanité instruite par une race supérieure, inhumaine, qui lui communiqua peut-être ses premiers mythes et ses premiers rites. La décadence de la Universal avait engendré des rencontres entre monstres appartenant à des histoires différentes : le phénomène se reproduit 60 ans plus tard : Jason vs Freddy. Plus cohérent : les rencontres entre monstres animaux issus ou non du génie biologique humain. Boa, Boa vs Python, Komodo vs Cobra sont tournés à l’économie mais ils veulent servir un genre avec modestie et les enfants prendront beaucoup de plaisir à visionner leurs affrontements assez bien montés, dotés d’image numérique suppléant la faiblesse des budgets et des intrigues, malgré tout suffisamment nerveuses pour pouvoir être visionnées par des adultes.
Au rayon des bonnes surprises novatrices : Resident Evil (2002) de Paul W.S. Anderson est plastiquement très beau, très bien monté et son sujet (les dangers du génie génétique et / ou biologique) surfe sur l’ancienne vague de The Andromeda Strain adapté de Michael Crichton par Robert Wise en 1971 mais en apportant de nombreux éléments narratifs novateurs. La femme devient l’héroïne du film : le phénomène est accentuée depuis la série des Alien. Bien entendu, le succès de Resident Evil donne naissance, comme d’habitude à Hollywood, à une série de variations intéressantes ou honnêtes. Autre bonne surprise : Open Waters (2003) de Chris Kentis et Laura Lau. Ce n’est pas un film fantastique par son argument, comme Jaws de Spielberg ne l’était pas non plus. Mais c’est bien un film fantastique par son traitement thématique et esthétique, qui renouvelle son approche par l’usage remarquable des caméras numériques légères, portées à l’épaule ou montées sur les comédiens eux-mêmes, qui ont pris des risques relatifs et sont tous deux excellents. La perception ontologique du rapport de l’homme à son environnement a rarement été aussi bien captée et aussi bien transmise : cet affinement perceptif est par lui-même une forme d’avant-garde qui renforce l’impact de la peur. Au moment où nous rédigeons ces lignes, nous attendons impatiemment la sortie vidéo du film australien The Reef (2010) inspiré lui aussi d'un fait réel et qui pourrait bien être le troisième très grand film d'horreur biologique ayant pour thème le grand requin blanc. Enfin The Descent (2005) de Neil Marshall est, outre une prouesse technique aussi impressionnante que Open Waters, une prouesse filmée classiquement sur pellicule chimique, doté d’un thème intelligemment traité : un groupe de jeunes femmes spéléologues se retrouve confronté à une nouvelle race créée accidentellement par l’homme lui-même, une race dégénérée et cannibale survivant sous la Terre dans le silence des ténèbres... avec l'aide de l'une d'entre elles qui est en réalité leur mère, complice de leurs crimes.
Au rayon des mauvaises surprises : Minority Report (2002) de Steven Spielberg dont le scénario semble avoir été écrit par un ordinateur plutôt que par un être humain, en dépit de la référence littéraire d’origine. Tout y est ennuyeux et prévisible en dépit d’un budget considérable et de lourds effets spéciaux. Spielberg confirme, au moment où nous écrivons ces lignes, qu’il ne fut que le cinéaste de deux films réellement originaux (Duel en 1971 et Jaws en 1975) avant de devenir un technicien sans intérêt particulier sauf exception ponctuelle d’une séquence ou deux, par la suite. Du côté anglais, un seul film frappant (c’est le cas de le dire) : The Last Horror Movie (2003) de Julian Richards qui semble l’ultime possibilité cinématographique en matière de serial killers à cause de l’écriture raffinée, à la cruauté acide, de son scénario. À rebours de cette originalité plastique, on peut lui opposer le classique mais très bon The Zodiac [The Zodiac, inspiré de faits réels] (2003) d’Alexander Bulkley, film méconnu qui gagnerait à être comparé au «mainstream» Zodiac de David Fincher. On se souvient que le scénario de L’Inspecteur Harry [Dirty Harry] de Don Siegel s’était inspiré (sans le dire) des mêmes faits.
Les meilleures surprises (thématiques comme esthétiques) fantastiques de la première décade du XXIe siècle viennent du Japon, du moins en ce qui nous concerne.
Kiyoshi Kurosawa (né en 1955 à Kobe – aucun lien de parenté avec Akira) est l’auteur de près de 25 films. Ce cinéaste cinéphile admire Terence Fisher, Mario Bava, Roger Corman, Nobuo Nakagawa, Georges Franju, Tobe Hooper et John Carpenter. En matière de maîtres, qui dit mieux ? Rien d’étonnant à ce qu’il pratique un cinéma fantastique réfléchissant sincèrement sur le rapport ontologique des ténèbres et de la lumière. De Cure (1997) qui est son premier scénario personnel, à Doppelgänger (2003) – qu’il ne faut pas confondre avec le titre original alternatif du Danger : planète inconnue [Journey to the far side of the sun / Doppelganger] (1969) de Robert Parrish – et Loft (2005) en passant par Charisma (1999), Seance (2000) et Kairo (2001), on trouve dans son œuvre une même attention maîtrisée (bien qu'un peu froide) au rapport du réel et de l’imaginaire provoquant, par la grâce d’une mise en scène toujours plus précise, la plus noble des émotions : la peur. Ringu [Ring] (1998) de Hideo Nakata inaugure presque en même temps cette nouvelle école fantastique japonaise. Kakashi (2001) de Norio Tsuruta, adaptation d’une manga de Junji Ito, s’inscrit dans la tradition du «kwaidan-eiga» (film de fantôme) à la perfection; Tsuruta avait d’ailleurs tourné Ringu 0 : Baasude [Ring O : The Birthday] (2000) qui était la «préquel» (terme barbare désignant une suite se passant avant le film de référence) du film de Nakata. Ju-on [The Grudge] (2002) et Ju-on 2 (2003) de Takashi Shimizu adaptent également le conte fantastique traditionnel à la société japonaise contemporaine. Il ne faut pas oublier ici un cinéaste passionnant et prolifique bien qu’inégal : Takashi Miike qui donne aussi, à l’aube de la nouvelle décade, un Odishon [Audition] (1999) dont la première partie est admirable et fait très peur mais dont la seconde partie est ensuite gâtée par des excès gore inutiles.
La Thaïlande dont la cinématographie connaît un renouveau dynamique (simultané à celui de la Corée du Sud plus orientée, pour sa part, vers le thriller et le film de guerre que vers le fantastique) a donné un film fantastique remarquable : Sibna kharvi doan sibsong / Khuen 15 kan duen 11 [Mekong Full Moon Party] (2002) de Jira Malikul où le surnaturel traditionnel est constaté au cœur d’une réalité contemporaine dont la description sociale est, par ailleurs, nette et précise. Il faut simplement oublier son débile titre international anglais d’exportation, qui n’a au demeurant strictement aucun rapport avec son contenu ni avec ses titres originaux.

Nous ne voulions pas conclure cet article sans préciser que ce que nous écrivons de Kyoshi Kurosawa vaut pour de jeunes cinéastes français, de la même génération que lui ou parfois plus jeunes, en train de s’essayer au genre ou s’y étant essayés récemment, avec des fortunes qui nous ont semblé être très variées et diverses. Le chef de file de ce nouveau courant est bien sûr Christophe Gans : Le Pacte des loups adapte avec une belle richesse plastique l’histoire bien réelle de La Bête du Gévaudan, qui avait été admirablement racontée sous la forme d’une angoissante chronique historique très documentée, à la forme subjective d’autant plus angoissante, par l’écrivain Abel Chevalley (édition originale Gallimard, 1936 puis réédition chez J’ai Lu, collection L’Aventure mystérieuse, 1970). À l’autre extrémité du spectre budgétaire et esthétique, Thierry Lopez a rendu hommage à F. W. Murnau dans son court-métrage Symphonia Horroris (2000) dont l’atmosphère fascinante et cauchemardesque n’est pas indigne de celle de l’original auquel il est dédié. Il était inévitable que la popularité grandissante du genre en France (popularité dont l’histoire heurtée et complexe a été récemment narrée sociologiquement par le beau livre de Nicolas Stanzick, Dans les griffes de la Hammer – La France livrée au cinéma d’épouvante, édition revue et augmentée, BDL, Paris 2010) suscite de telles vocations.