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25/01/2018
Conversion de Romaric Sangars : en route sur le chemin de la Croix-des-Ânes
Si vous n'aimez pas les livres de Romaric Sangars, vous aimerez les deux notes suivantes.
Suffirait-il d'aller gifler Romaric Sangars pour arranger un peu la gueule du journalisme français ?
Les Verticaux.
En amical salut à Marien Defalvard, qui m'a suggéré le titre de cet article.
Nous avions laissé le très vertical Romaric Sangars à quatre pattes devant la mangeoire de Léo Scheer, ce jovial maquignon éditorial qui se targue de distinguer du premier coup d’œil un âne bourbonnais d'un Grand Noir du Berry, et nous le retrouvons à genoux devant un crucifix (1) qui, à la différence du phallus tout gorgé de vigueur que nous montre tel dessin de Félicien Rops, n'a pas la chance d'être planté sur un cerveau pas moins correctement irrigué.
Le crucifix de Romaric Sangars (par chance, nous ne savons rien de son vit), comme son cerveau, ne se dresse sur rien de bien palpable bien que nous l'apercevions de fort loin, vente à la criée oblige, si ce n'est sur une prétention qui n'a besoin d'aucune béquille autre que publicitaire (l'argumentaire de Léo Scheer, quel délicieux poème de sottise consommée !) pour se tenir bien droit, tout gonflé du sang rose du béjaune qui ose tout, car c'est à cela qu'on le reconnaît.
Il faut être aussi surnaturellement illettré et mauvais lecteur de génie, bousilleur infatué de la moindre ligne par malchance tombée, immédiatement flétrie même, sous son regard de pion sourcilleux d'internat, il faut être aussi impavidement mauvais lecteur et lamentable écrivain que Jacques de Guillebon pour oser évoquer dans La Nef (2), en usant des habituels termes ampoulés et ridicules qui sont la marque de ce cultivateur intensif de navets christiques, le dernier spécimen de culture transgénique de Romaric Sangars, qui n'est pas un navet mais une courge gonflée à la vapeur d'encens. Comme si Jacques de Guillebon craignait de ne pas avoir suffisamment embouché l'oliphant criard de la réclame la plus franche et décomplexée en comparant ce cher Romaric à ce non moins cher Pierre (Drieu la Rochelle) qu'il a probablement lu intégralement sur Wikipédia, le voici qui renouvelle le salutaire exercice d'autopromotion éhontée, cette fois-ci avec l'excellent joueur de pipeau qu'est Rémi Lélian, grande perche prétentieuse que nous avons quand même connue moins consanguinement courbée, aplatie même et comme abouchée à la turlute médiatique, pour le compte de L'Incorrect, le magazine de la droite acéphale où Romaric Sangars, pardonnez du peu, est rédacteur en chef culture, Rémi Lélian diacre à tout faire et Jacques de Guillebon premier servi avant Dieu.
En guise de mâle ou verticale vigueur, en guise de vin de vigueur comme disait le poète, Romaric Sangars nous sert un diabolo menthe coupé à l'eau bénite qui sera bu à petites lampées par les dindes à collier de perles au premier rang desquelles nous voyons Eugénie Bastié et au second Solange Bied-Charreton, une galéjade d'adolescent travaillé par ses hormones monté à la capitale parce qu'il s'est fait larguer par sa petite amie (cela arrive aux meilleurs, Romaric (3)), occasion d'une double profession de foi et, pour son lecteur éventuel, de poix, qu'il fait toutefois aller d'un bon pas, chaussé qu'il est de la paire de sandales à crampons évangéliques qu'il a empruntée à son ami Jacques de Guillebon, puisque ces deux-là ne sont pas amis pour le meilleur hélas, mais pour le pire, la prétention à ajouter une virgule à l'immense phrase qu'est la littérature ! : «En revanche, j'aurai mobilisé toutes mes énergies pour être écrivain, et ces deux trajectoires, ces deux tensions, l'une directe, l'autre indirecte, participent du même circuit qui brûle sur tous les degrés du langage. Du Fiat initial jusqu'à ces mots par lesquels je tente de décrypter le texte qui s'écrit à travers moi : une seule ligne à haute tension. Mais combien d'obstacles me fallut-il traverser avant de ressaisir, même très subrepticement, un tel arc voltaïque ?» (p. 22).
Je vous prie de ne point rire ni même sourire, car, en bandant très fort son arc voltaïque, Romaric Sangars, dernier archer digne de ce nom (certes flanqué du mirmidon Guillebon et de sa troupe de cul-de-jattes pseudo-incorrects), officiant dans «un monde amputé de sa caisse de résonance» (p. 29), va tenter de viser en plein dans le mille de la véritable «crucifixion mentale» (p. 32) qu'est Conversion, son troisième livre déjà, hélas. Un tel événement ne peut qu'ébranler les astres, comme Romaric Sangars a bien raison de le supposer, lui qui ne craint même pas de nous entretenir de son cas, après tout absolument banal, tellement banal que Léo Scheer et Richard Millet, ce guerrier imaginaire et ce pestiféré des lettres publiant un livre tous les trimestres, ont cru utile de le publier : «Plus haut, le soleil est en sa gloire : il indique qu'il est l'heure que l'encre coule et que j'avance, maintenant, sur la voie du livre, en martyr céphalophore transportant mon crâne d'une page à l'autre, laissant voir, ainsi qu'un réseau veineux fantastique, toutes les ramifications telles qu'elles se sont répandues jusqu'à ce qu'enfin, dans la nuit d'une ère épuisée, mes yeux s'allument comme deux ampoules» (pp. 38-9). Il est bien certain, à lire ce genre de phrase qui n'est absolument pas unique, que la prétention de Romaric Sangars pourrait, elle, alimenter en électricité toutes les ampoules d'une mégalopole asiatique.
Non content de nous narrer cette conversion pour laquelle tous les saints martyrs ont œuvré sans ménager les peines de leurs inventifs bourreaux, Romaric Sangars s'imagine lui-même en saint Denis, la tête coupée de page en page. La présence d'une tête aurait tout de même permis à l'intéressé de pouvoir se relire, et de ne pas laisser, sans honte, passer chez l'imprimeur plusieurs passages comiques à force d'être bêtes mais, après tout, le ralliement à l’Église visible et invisible de celui qui s'interrogea naguère sur la nécessité d'administrer une gifle au visage perpétuellement bronzé de Jean d'Ormesson ne saurait souffrir aucun principe d'économie, fût-il d'ordre strictement lyrique.
Nous nous ennuyons de page en page mais je connais au moins une lectrice qui, elle, a tout bonnement perdu la tête en lisant le livre de Romaric Sangars : Sarah Vajda, cette polygraphe céphalophore, dont la tête s'est enfoncée dans la boue d'épuration du Cercle Cosaque. En bonne professionnelle de la vacherie enrobée par de ridicules et amphigouriques compliments (ainsi, Beau Sangars serait un jeune Montherlant !), Sarah Vajda exécute Conversion en remarquant qu'elle eût aimé que sa centième page soit sa première. Cent pages de plus et nous aurions pu faire nôtre sa juste saillie : «Aussi, en dépit de mon vif plaisir, j’ai un peu regretté que Romaric S. (dans Romaric on lit Roma qui signifie amor) ne commençât pas son bel ouvrage à la page 100 où il réécrit merveilleusement le fameux «Ce fut comme une apparition» de L’Éducation sentimentale et la rencontre de Mademoiselle de Galais, épaules couvertes de son manteau bleu marial, dans Le Grand Meaulnes, et fait de la jeune fille Estelle, l’étoile de la Conversion» (4). Avoir lu des dizaines de grands écrivains, plusieurs centaines de livres, savoir à peu près écrire un livre qu'il faudra cependant relire durant des semaines pour en expurger l'orthographe disons... glossolalique, et en arriver à proférer de telles âneries, c'est à décourager tous les saints du calendrier, y compris ceux qui ont perdu leur chef ! Il n'est cependant pas étonnant que Sarah Vajda, si fine lectrice qu'elle n'en oublie jamais de louanger les livres de ses amis, apprécie Conversion, puisque ce livre idiot ressemble par bien des égards à son très passable Contamination, une bluette de fond de tiroir électronique pour adolescent fan de Joy Division que son auteur ne m'a jamais pardonné d'avoir moqué et que son éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, semble même avoir oublié, alors qu'on le dit doué d'une mémoire de mammouth.
Puisque nous en sommes aux références plus ou moins avouées, plus ou moins littéraires d'ailleurs, disons que Conversion se place tout entier sous la bienveillance de celui que Sangars, et Lélian aussi, et sans doute Guillebon s'il a toutefois appris à lire depuis la lointaine époque où il étala son inculture littéraire souveraine dans les colonnes d'Immédiatement, et peut-être même Sarah Vajda qui, totalement incapable d'égaler le talent de tous les grands noms qu'elle ne cesse de citer et auxquels elle voue une secrète et tenace rancune, les a lus à tout le moins à la différence de l'autre inculte, puisque nous en sommes donc à évoquer les patronages plus ou moins littéraires auxquels Conversion doit sa poussée de tige de pissenlit noir, nous ne pouvons que rappeler la mémoire de Maurice G. Dantec (cf. à partir de la page 134). Nul ne s'étonnera je l'espère que je n'évoque point telle autre figure tutélaire de Romaric Sangars, le stellaire Jacques de Guillebon qui, malgré «ses prestigieux ancêtres» (p. 156) ou peut-être à cause d'eux, jamais n'a su et jamais ne saura écrire une ligne valable. C'est ainsi, et Dieu Lui-même n'y peut absolument rien : les prières montent vers le Ciel et Jacques de Guillebon ne sait pas écrire, comme je l'ai établi plus d'une fois.
Je l'ai beaucoup lu, Dantec. Je crois même avoir tout lu de ce qu'il a publié. Je l'ai aussi, mais bien plus rarement, relu, et je l'ai défendu en tentant de le sortir, contre sa propre volonté labile, de tel récent cirque mégalomaniaque où il exécuta sans filet son numéro d'acrobate apocalyptique. Jamais pourtant je n'oserais affirmer, comme le fait tranquillement Romaric Sangars, que son Laboratoire de catastrophe générale est un «monument littéraire« (voir son entretien pour L'Incorrect plus haut cité). Écrire cela, oser même le penser à l'abri des oreilles ou des yeux, c'est tout bonnement ne pas savoir lire et passer pour un idiot auprès de tout lecteur simplement honnête, sans même paraître s'en apercevoir, puisqu'il le braille fièrement sur tous les panneaux publicitaires étalant leur réclame jusque sous la gueule délicate des ours de Laponie.
Maurice G. Dantec est le fantôme qui hante les pages du livre de notre dandy converti, appelons-le danverti (ou danverty pour faire décadent), livre qui est une véritable maison hantée. Le fantôme bien plus que le poltergeist car, si l'auteur nous bassine avec un ésotérisme de cour d'école qui ferait passer les traités de Stanislas de Guaita pour des modèles de savoir rigoureux (5), son style n'a pas vraiment l'inquiétante puissance d'un esprit frappeur, et cela alors même qu'il accumule les termes appartenant à plusieurs registres de vocabulaire qui, tous, renvoient à l'élan, à l'énergie, à la tension, à la décharge, à l'explosion, à la propulsion, à la trajectoire, à la machine forcément, mais attention, à la machine dans sa dimension deleuzio-divine (6). C'est bien simple : lisant Conversion, nous passons notre temps à nous harnacher pour tenter de résister aux écrasants effets de l'incroyable accélération du bolide mais, pourtant, jamais le plus minuscule friselis stylistique ne s'aviserait de faire onduler la chevelure la moins récalcitrante ! Dantec semble même avoir écrit le passage qui suit en prenant le contrôle de son petit élève appliqué, tirant comiquement la langue sur sa page pour affirmer, sans même se rendre compte de l'emprunt, que : «Le Verbe s'était fait lumière, celle-ci clignotait, hachurant la nuit athée» (p. 107). Il ne manque plus que la rafale de pisto-laser pour authentifier l'évangélique pistolero ! Maurice, veux-tu bien sortir de ce corps, et le laisser à sa bécasserie pré-pubère lorsqu'il grandiloque sur telle aube de sa vie d'homme, éclairée par un soleil rouge (cf. p. 108), lorsqu'il décrit la «liturgie amoureuse» qu'il a établie avec Estelle au moyen d'un banal échange de leurs deux salives (cf. p. 109) qui sera cependant revivifié par tel cérémonial grotesque de «magie sexuelle» qui parviendra quand même à provoquer un orgasme assimilé dare-dare à un éclair et, parce que l'on aime Dantec et que l'on écrit comme lui, à «un court-circuit animalo-divin» (p. 110) ?
Conversion n'est point tant le récit de la transformation d'un jeune homme (enfin, d'un homme jeune plutôt, ce qui est moins excusable) assez banalement romantico-rimbaldien (cf. p. 56) en Christ 2.0 que le constat, apparemment assumé et même revendiqué, que ce que d'autres ont appelé l'erreur spirite n'en finit pas de tarauder l'auteur, qui a tout de même compris que l'«on écrit, en fait, du côté des morts, tentant d'allumer des mots à l'attention des derniers vivants« (p. 60). Dès lors, l'apparition de Dantec, qui est il me semble, à vrai dire et bien que mort, l'auteur réel de Conversion, ne peut qu'entraîner, outre de consternantes facilités stylistiques dont le maître jamais ne parvint à se tenir durablement éloigné, outre le baratin si peu original sur «l'art comme technologie intérieure pratiquée sous la forme d'un rite opératoire» (p. 84), le jaillissement de l'une des thématiques les plus évidentes des livres de l'auteur des Racines du Mal, qui n'est autre que le langage et l'écriture considérés comme prolifération rhizomélique, arme de destruction massive. Pour notre plus grande malchance de lecteur pourtant peu suspect de partialité, Romaric Sangars, une fois converti, n'en finit pas de nous répéter qu'il a compris quelle était sa nouvelle mission : lancer ses textes comme des sagaies, certes en bakélite, contre l'ignoble monde moderne tout agenouillé devant la «Religion Nouvelle, individualiste, réticulaire et libérale» (p. 53), farce consumériste issue «des prétendues «Lumières»» (p. 19), remplie de «camelots de l'utopie» (p. 134) : il s'agit ainsi d'arpenter «tous les degrés de l’Écriture, toutes les fonctions du langage» (p. 158) pour, comme dans une cathédrale, se rendre à l'évidence qu'ici, c'est-à-dire où l'on voudra sauf dans le livre de l'intéressé, «tout est verbe, harmonie, réverbération« (p. 159), «extraordinaire intensification du langage» (p. 170) qui aura permis au pèlerin Romaric de croiser l'Agneau, enfin, un agneau sur pattes, un vrai, un doux, auquel, rationnel jusqu'au bout de ses antennes spirites, il demande toutefois de ne pas parler (cf. p. 169), et qui lui aura aussi permis de démêler la trame confuse mais signifiante de plusieurs rêves, et de nous jeter dans «la mise en abyme d'une mise en abyme» (p. 172) devant laquelle un Ernest Hello en personne aurait craint, même solidement harnaché, de s'aventurer.
Tous ces enfantillages, que ne parviennent pas à sauver du ridicule le plus prétentieux une poignée de lignes à peu près correctement rythmées (7), c'est donc au compte de la conversion d'un adolescent frotté d'ésotérisme qu'il a dû découvrir en cachette dans un numéro de Pif Gadget que nous devons les mettre, car ce don (le signe de la croix que trace sur le front de l'impétrant un évêque), croit-il, «contribua à éclairer [s]a vue et à délier [s]a langue» (p. 173). Pour notre plus grande malchance, nous aurions préféré que Romaric Sangars continue de ânonner sur scène de vagues mantras improvisés en se prenant pour la version grenobloise de Genesis Breyer P-Orridge. Hélas, il faut maudire Estelle qui, en larguant ce nouveau saint Paul des lettres françaises, l'a fait se mettre en chemin vers la Croix de tous les ânes qui passent actuellement, en France, pour des écrivains catholiques, Croix qu'il finira bien par recouvrir de ses textes, avec l'actif soutien de ses amis de L'Incorrect, de la Revue littéraire dirigée par son ami Richard Millet chez son éditeur Léo Scheer, et par la probable publicité que les lombrics translucides de bénitier comme Laurent Dandrieu ne manqueront pas de lui faire dans Valeurs actuelles.
Apparemment donc, même un Dieu ne pourra pas nous sauver des prochains livres de Romaric Sangars, ce très vertical combattant des temps veules et nouvelle coqueluche des salons beiges ou même roses qui, «afin de porter le deuil d'époques plus exaltantes, pour afficher une posture minimale de radicalité, d'intransigeance, d'insolubilité dans l'optimisme obligatoire, et pour faire rayonner, enfin, à [s]a manière, toute la charge de négativité que [s]on époque prétendait nier» (p. 54), s'habille en noir. Nous voilà de la sorte amplement rassurés sur l'avenir des lettres françaises, en constatant de quelle hautaine et radicale audace métaphysique est capable la génération montante des pseudo-écrivains français, dont Romaric Sangars illustre à merveille l'arrivisme décomplexé, la pleurnicherie touchante passant pour de l'introspection et, en fin de compte, la radicale nullité se grimant en virilité.
Non, Beau Romaric comme t'appelle la chevrotante Sarah Vajda, cette pathétique sage femme qui n'aura décidément jamais réussi à accoucher un seul futur écrivaillon, fût-il de droite, malgré ses innombrables tentatives, non Romaric d’Arvycendre comme pompeusement tu te surnommas, godelureau conchiant Jean d'Ormesson tout en en grimant l'affectation de dandy melliflu : jamais ta niaise relation de conversion pour petit minet journalistique jouant devant la glace quelque gothique Melmoth de soirée parisienne branchée, jamais cet enfantillage sans pesanteur ni grâce, et dont le style aurait quelque difficulté à faire fondre un seul grain de sucre candi, jamais cet appeau pour bécasse énamourée ne convaincra un lecteur sérieux, ce qui certes exclut la presque totalité de la presse française, catholique ou pas, de droite comme de gauche.
Tu pourras donc, comme c'est ton habitude et comme tu en as désormais pris le si vilain pli si visible, faire ton petit malin, au sens que Péguy que tu cites donnait à ce terme mais, pour ma part, je moque cet exercice creux et vaniteux comme j'ai moqué les précédents, exercice vain que, si j'étais ton confesseur, je qualifierais de pollution nocturne, et te laisse méditer sur les univers de force et d'effroi qui séparent ta mièvre bluette des affres que la poésie de Gerard Manley Hopkins a immortalisées dans ses sonnets terribles qu'il faudrait même rebaptiser terrifiants. En voici un extrait qui, je l'espère bien que je nourrisse quelque doute quant à ta conversion à l'intelligence véritable, celle de l'humilité, te fera prendre conscience du fait que ta prétendue nuit obscure est éclairée par les néons les plus vulgaires, ceux de la prétention femmeline, de la faiblesse lacrymale et du copinage à ciel ouvert, et que, sandales guillebonnesques ou pas, la voie que tu prends, certes peu étroite et où à l'évidence tu ne seras pas le seul mouton entouré d'ânes, ne te mènera jamais ailleurs que dans une salle de rédaction ou dans une maison d'édition où tu publieras tes petits copains.
Finalement, Romaric Sangars est affreusement moderne dans sa superficialité jouissive, vu qu'il représente incontestablement le plus pur produit de cette époque superficielle, et je préfère encore, à ce genre de fat converti qui me fait regretter que la déchristianisation que le pitoyable Richard Millet stigmatise dans son dernier livre illisible (chez Léo Scheer bien sûr), n'importe quel athée qui eût pu écrire un seul mot des vers que voici :
«Ô l’esprit, l’esprit a des montagnes, des parois de précipices
Affreux, à pic, par-homme-jamais-sondés. Les tient pour rien
Qui n’y fut accroché. Et notre endurance maigre
Ne peut longtemps soutenir tel abrupt ou abîme.»
Notes
(1) Conversion (Éditions Léo Scheer, 2018).
(2) Amusons-nous à remarquer l'étrange url de cette note, contenant les termes nouvelle traduction du pater, ce qui ne favorisera certes pas la diffusion de cet article indigent à la gloire de Romaric Sangars sur Google. Les compétences informatiques des sacristains, y compris les plus impénétrables, sont aussi impénétrables que les voies du Seigneur.
(3) Rupture qui aura à tout le moins provoqué l'écriture d'une notation point invinciblement sotte et même touchante dans sa justesse douloureuse. Qui n'a pu faire siens les mots de Romaric Sangars ? : «J'avais perdu une chair qui n'était pas substituable, une chair qu'avait efficacement divinisée le grand rite amoureux, et j'avais beau accepter la rupture, en admettre toutes les conséquences, demeurait cette incrédulité physique, sensorielle, animale, de ne plus retrouver en aucune femme la chair liée à ma chair» (p. 35).
(4) Nous aurons remarqué la très discrète allusion à L’Étoile de la Rédemption de Rosenzweig, auquel Romaric Sangars doit dans son esprit confus probablement ressembler.
(5) Voir le chapitre 2 intitulé Des mots et des morts, mais aussi le reste des chapitres qui suivent celui-ci, où le parcours de Romaric Sangars vers le Christ semble à grand-peine seulement pouvoir se débarrasser de tout un fatras ésotérisant franchement ridicule, comme le montre par exemple la longue description (cf. pp. 85-6) d'une des performances scéniques de Romaric Sangars, toute remplie de «champs planétaires correspondant aux étapes successives de la réalisation du Grand Œuvre alchimique, notre expérience recroisant les plans artistiques, cosmologiques et spirituels«, «opération comparable aux rituels des hiérophantes, visant l'invocation d'un être invisible, l'acquisition d'un pouvoir occulte ou bien notre propre métamorphose». Plus loin, «il ne restait plus qu'à découvrir les révélations de l'oracle», puisqu'il ne s'agissait pas «d'abolir le surréalisme, mais de l'accomplir et, pour cela, de renouer avec Delphes» (p. 94), ou bien à interpeller tel mort «par des mantras rudimentaires» (p. 103). Je ne résiste pas au plaisir de citer ce passage qui à la relecture me semble encore plus abominablement sot et comique que lorsque je suis parti d'un grand rire en le lisant et en imaginant le si vertical Romaric Sangars qui, «afin de pratiquer ces invocations dans des conditions idéales», a «recyclé un kimono blanc autrefois porté en cours d'aïkido» et en a «décoré la veste de runes tracées à l'aide d'un épais feutre noir, dessinant celles-ci au niveau des organes qui leur étaient liés. Ainsi vêtu», notre mage en carton-pâte dort donc «pieds nus dans le grand jardin entourant la maison de [s]es parents, muni du traité, d'une boussole et, parfois, d'un joint [qu'il fumait] assis sur la pelouse pour dilater davantage [s]es sensations avant de procéder au rituel» (p. 104). Finalement, c'est Romaric Sangars qui résume le mieux ces inepties par le moyen d'un remarquable exercice de cadavre exquis lui donnant le sens exact et la formule de ses petits amusements ésotériques : «Qu'est-ce que toi et moi ? Un étrange hélicoptère» (p. 95).
(6) Ainsi, parmi des dizaines d'autres termes possibles : «arc voltaïque» (p. 22), électrisation progressive de tout l'être» et «manifestation explosive d'une vérité cachée» (p. 99), «réflexe de projection» (p. 101), «flash initial» et «réseau signifiant» (p. 106), électricité qui passe en l'auteur et le magnétise «par l'intuition de forer au bon endroit« (p. 133), etc.
(7) Avouons quand même que le peu de métier de l'auteur se voit bien plus d'une fois, par la présence d'assez grossières chevilles reliant divers épisodes (cf. pp. 79, 137, 139, 171). Gageons que Léo Scheer accueillera avec un enthousiasme non feint les prochains textes de Romaric Sangars qui, au bout du cinquantième de ses livres inutiles et prétentieux, parviendra à fondre l'un dans l'autre plusieurs strates de la réalité mais aussi, tout autant, plusieurs couches narratives. Le passage assez justement écrit s'étend de la page 141 à la page suivante, et commence par «En dehors de ces occasions grenobloises...».