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02/07/2020

Kétamine de Zoé Sagan

Photographie (détail) de Juan Asensio.

«Je te présente comme le meilleur critique français en vie.»
Zoé Sagan à l'auteur, messagerie Twitter, 16 septembre 2020.


Zoé Sagan.JPGMagnifié comme le premier roman glitch par l'éditeur, Kétamine, plus truffé de fautes et d'incorrections que le Paris-Roubaix n'est recouvert de pavés et Gilles de Rais de méfaits, peut se prévaloir d'une double tradition spécifiquement française : d'un côté des productions plus ou moins nulles prenant des airs révolutionnaires alors qu'elles seraient bien en peine de faire trembler une seule virgule, de l'autre un monde éditorial prêt à tout pour espérer vendre.
Il va de soi, selon cette règle universelle que la nullité attire la nullité, que Kétamine a été encensé par la presse française, ou ce qui en tient lieu : une bouche énorme, remplie de vermine putrescente, que tout un chacun, surtout s'il est un auteur, peut s'aviser de conchier, afin qu'un article sorte de cet accouplement aussi répugnant que banal.
Certes, je n'oublie pas que l'éditeur nous présente cet ouvrage comme une version collector et «une esthétisation de l'erreur informatique», «un livre interactif», l'idée étant «pour le lecteur d'aller chercher les glitchs comme le joueur joue à chercher les bugs dans les nouveaux jeux vidéo» mais enfin, une chose est de prétendre jouer avec la sagacité des lecteurs, l'autre de leur faire perdre patience en prétendant, a posteriori, légitimer un texte à peu près impubliable, sauf peut-être par Léo Scheer, dans sa ridicule collection M@nuscrit, compte d'auteur déguisé qui existe peut-être encore allez savoir, pour la plus grande joie de Raoul Petitphion tout ravi de voir son nom imprimé sur une belle couverture de mauvais papier.
Il y a donc, en France, mais ce n'est bien évidemment pas le seul et unique cas, un éditeur, Au Diable Vauvert, pour publier un texte aussi faible que Kétamine. Qu'en dire de plus ? Rien, sinon que cet éditeur publie aussi Nicolas Rey et même Tristane Banon, ce qui vaut tous les lazzis que nous serions en droit de lui jeter, et que c'est tragique malchance qu'il n'ait pas publié Annie Ernaux ou l'inénarrable Cécile Coulon, en attendant les Mémoires d'un ravi de la crèche médiatique d'Augustin Trapenard.
Je parlais d'une autre tradition, si typiquement française, puisque merveilleusement prétentieuse et anodine : le texte à énigme, voire l'auteur sans visage, comme Antoni Casas Ros que je décidai, en biche apeurée qu'il était, de traquer gentiment, ou Karl Mengel.
Je donne ce nom heureusement oublié pour les amateurs de bizarreries fossiles, mais nous pourrions encore évoquer les lamentables Renards pâles de Yannick Haenel ou Les Verticaux de Romaric Sangars (édités par l'indéfectible dénicheur de bouses Léo Scheer, au flair légendaire lorsqu'il s'agit de repérer un filon de merde pure), un auteur qui a paraît-il fini, débité en morceaux grossiers, dans le court-bouillon à base de courge et de navets de L'Incorrect.
Ah, oui, j'oubliais que l'éditeur ne manquait pas de rapprocher Kétamine, qualifié, sans rire je le crains, de «roman post-Debord», «sorte de manifeste fictionnel se réclamant autant de l'essai que de l'autofiction et dont le plan esquisse les contours de ce que devrait être la société post-gilets jaunes», «cocktail imparable de langue de fiel et de satire mondaine» ou encore «première métafiction post-réelle d'une «présence» qui fascine les réseaux sociaux», de Crépuscule de Juan Branco ou même de Glamorama de Bret Easton Ellis et pourquoi pas, pendant qu'on y est, de Manhattan Transfer de John Dos Passos et de Tous à Zanzibar de John Brunner ?
Que pouvons-nous tenter de cristalliser, après une décantation de moins d'une milliseconde, de ce brouet infantilisant qualifié par son éditeur de «critique sociale au vitriol par une Balzac 2.0» ? Rien ou presque rien, une fois évacué le baratin pseudo-dantécien, si ce n'est le bruit qu'un probable pubard parmi des milliers d'autres mais cependant plus malin que ses confrères a su faire autour de son livre moins écrit qu'une publicité pour clé à molette : les riches sont des salauds, les pauvres des péquenots, un sujet comme un autre me direz-vous mais qui, sans la magie d'une langue, bave autant qu'une limace plongée dans un verre d'eau salée. Ceci encore, que j'allais oublier : Zoé Sagan elle-même, dans nos échanges via la messagerie de Twitter, m'a affirmé que je serai sans doute le seul à découvrir que, dans son livre, il y avait en fait, mais caché, un autre livre, ce à quoi j'ai répondu à l'intéressée que j'étais nul en rébus.
Il est vrai toutefois que, avant de prétendre pouvoir découvrir un quelconque texte ésotérique constituant comme un mystérieux arrière-plan sur lequel se détacherait un texte commun voire insoupçonnable, je n'ai pas, à vrai dire, compris quel était le sens du texte exotérique, tout simplement parce qu'il n'existe pas, la bêtise n'ayant aucune profondeur, du moins littéraire.

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