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13/10/2015

111 d'Olivier Demangel

Photographie (détail) de Juan Asensio.

CPsZCClWoAAg6in.jpg111 est un assez étrange, improbable et fort maladroit mélange entre quelque récit post-apocalytique dont l'aboutissement est le dernier roman de Cormac McCarthy, La Route, le très bizarre, assez osé (du moins à l'époque de sa publication) et onirique Le Fils de l'homme de Robert Silverberg et l'étonnant et énigmatique film de Nicolas Winding Refn, Valhalla Rising sorti en 2009, le tout grossièrement maçonné à la truelle d'une envisageable Anthropologie politique pour les nuls. Une sorte de Sa Majesté des mouches au rabais, un Délivrance dont le réalisateur aurait oublié de couper 300 pages inutiles de scénario, encombré de références tellement discrètes qu'elles clignotent en plein soleil, soit une mise en scène pataude et ridiculement didactique de quelques-uns des thèmes majeurs de Giorgio Agamben écrivant sur la condition humaine propre aux camps d'extermination nazis, qu'Éric Chevillard encense dans une tribune strictement paraphrastique parue dans le Monde des Livres, ce qui ne nous intéresse pas et ne saurait même pas nous étonner, tant un lecteur insignifiant est la conséquence logique d'un mauvais écrivain.
Nous nous ennuyons assez fermement durant toute la première partie du roman, méthodique et monotone description des maladies, de la saleté, des pratiques plus ou moins cruelles d'une foule d'hommes (d'êtres, plutôt) sans nom, sans langage, sans amour, sans passé ni avenir discernables, qui marchent sans s'arrêter, sans but dirait-on, sur une terre désolée, observée par une poignée de femmes et d'hommes qui se tiennent à distance de celles et ceux dont ils consignent depuis des années les mœurs frustres, archaïques, révoltantes. La seconde partie du roman d'Olivier Demangel décrit la rencontre entre cette foule puante et errante et une autre horde de femmes et d'hommes tous aussi sales et déguenillés, leurs combats incessants mais ritualisés, cruels dans leur animalité, jusqu'à une étrange fusion sacrificielle, puis la découverte, par les errants, de celles et ceux qui sont chargés de les observer sans être vus, missionnés par la ville de S., dont nous ne saurons rien (cf. p. 81 et 163), et enfin leur méthodique extermination, jusqu'à la surrection d'un couple ô combien symbolique, qui clôturera de ridicule et grandiloquente façon ce livre écrit, nous apprend l'auteur, durant une dizaine d'années.
IMG_9948b.JPGNous nous sommes ennuyés durant la première partie, mais enfin, la sécheresse sociologique, clinique même, avec laquelle Olivier Demangel décrit par le menu, parasites compris, ces êtres dont nous ne savons pas qui ils sont, d'où ils viennent ni bien sûr où ils vont (encore que : «S'ils semblent aller n'importe où, ils ne vont donc pas nulle part», utile précision, p. 19), peut, à la longue, constituer une forme de style, même absent, même taillé dans un silex des premiers âges, farouches comme nous le savons depuis notre enfance. Nous nous sommes ennuyés tout le long de la première partie, et nous avons baillé durant la seconde, car cette sécheresse stylistique de bon aloi, du reste bien adaptée à l'histoire racontée ou, diront les esthètes, à l'absence de toute histoire véritable, sombre alors dans une rédaction laborieuse, soupe indigeste où surnagent quelques forts voyants croutons frottés à l'ail des théories d'Agamben sur la souveraineté et la vie nue (celle-ci explicitement indiquée entre guillemets, cf. p. 27), la nécessaire violence, bien évidemment sacrificielle (et qui ose prononcer, ne serait-ce que penser au terme de sacrifice se voit immédiatement cornaqué par René Girard, moqué par l'excellent René Pommier !) qui doit fonder toute société pré-humaine et, selon toute apparence, post-humaine dans notre livre.
Une lecture un peu plus subtile prétendrait, à juste titre d'ailleurs, que l'intérêt du roman d'Olivier Demangel ne réside pas dans le fait de savoir si l'action décrite suit un cataclysme dont il ne nous est rien dit, ce qui est sans doute fort probable (1), mais dans celui de parvenir à comprendre que, en décrivant par le menu, jusqu'à satiété même, la vie infâme de cette troupe de semi-hommes ou presque-hommes ou bien alors post-hommes, c'est la condition humaine tout entière, telle que l'a réalisée le siècle passé dans sa nudité meurtrière, qu'évoque l'auteur. Cette lecture est la bonne, mais à vrai dire même Éric Chevillard la privilégie, ce qui doit bien vouloir signifier qu'elle n'était pas très difficile à déchiffrer, au vu des poteaux de couleurs criardes qu'Olivier Demangel dispose un peu partout, au cas où le lecteur s'aviserait de faire fausse route interprétative, et emprunterait un itinéraire qu'il n'aurait pas dûment balisé.
Les défauts n'étaient pas absents de la première partie mais ils restaient, à tout le moins, assez discrets, malgré un recours constant à un vocabulaire appartenant au registre de l'anthropologie du sacré, voire de la religion. Ces êtres sont des brutes, certes, mais des brutes à prétentions religieuses (cf. pp. 17, 20), et rituelles (cf. pp. 10), comme nous ne tarderons pas (enfin si, nous tarderons) à le découvrir dans la seconde partie, qui pousse cette logique jusqu'à son acmé et, faut-il le préciser, jusqu'au ridicule. Nous y reviendrons plus loin, j'ai moi aussi le droit d'emprunter quelques détours et de prendre mon temps, après tout.
Employé à toutes les sauces ou peu s'en faut (2), le vocabulaire religieux est tout de même, plus d'une fois, tenu à l'écart voire rejeté par l'auteur car, moins qu'une réalité, il s'agit pour Olivier Demangel d'évoquer la seule possibilité de cette dernière, la lente déhiscence d'une conscience d'homme, de presque-homme qui ne sait rien du bien ni du Mal, mais lève les yeux au ciel (3), preuve sans doute qu'il n'est pas totalement abruti, ou bien qu'il a lu René Girard : «Mais il n'y a en eux ni dans leur attitude, le moindre élément qui indique qu'ils soient l'objet d'une punition, même d'une punition dont nous ne comprendrions pas les motifs, qu'ils soient dans l'expiation d'une faute quelconque, ou encore que leur marche soit une procession dont le motif soit la supplication d'un pardon, et rien non plus, car l'hypothèse pourrait avoir du sens, qui permette de suggérer leur élection. Ils ne savent pas, s'ils l'ont jamais su, ce qu'est le mal, ni ce qu'est le bien. Ce qu'ils font, ils le font, et cela suffit. Il n'est pas possible qu'il en soit autrement. Ils sont le bien. Ils sont le mal. Ou plutôt ils ne sont ni le mal ni le bien. Tout le fond de leur être est gris» (pp. 21-2), gris oui mais pas n'importe lequel je vous prie, gris nuance de camp d'extermination et, pourrions-nous ajouter, sans pourquoi, comme la rose du mystique rhénan. Je ne suis même pas ironique en écrivant ces mots car, lorsqu'un auteur me force la main ou plutôt le regard, j'emboîte sa logique et la mène à son comble s'il le faut, qui fera sourire ou rire, ou bien bailler, sentiments involontaires provoqués par la lecture de 111. L'exagération didactique d'un auteur est un vilain défaut qu'il est plus que facile de transformer en boomerang démonstratif.
Sans relâche, Olivier Demangel nous répète que les êtres qu'une poignée de femmes et d'hommes (12 initialement, comme qui vous savez bien sûr, puis 11, formant «la troisième communauté d'observateurs de la lande», p. 26) observent minutieusement, sont incompréhensibles, leur marche étant sans but, leurs actes par-delà le bien et le mal donc, le groupe ne devenant rien, mais, seulement, étant (cf. p. 76) : «De la même manière qu'il est réputé impossible de penser l'espace et le temps, parce que leurs limites ne sont pas représentables, de la même manière il est impossible de penser leur marche, parce que ses limites, son origine, sa fin, le territoire même où elle se déroule ne sont ni perceptibles ni conceptualisables» (p. 75).
Plus loin, c'est Aristote qui est convoqué sans être nommé, par le biais de l'évocation d'un «premier moteur immobile» : «C'est pourquoi il n'y a chez eux ni faute, ni culpabilité, ni remords : bouger et ne pas bouger sont des états qui leur conviennent autant qu'à la pierre» (p. 135), référence assez inutile qui ne sera pas moins inutile (ou utile) que l'intrusion du fantastique vers la fin du roman (cf. p. 265).
Nous parvenons ainsi, après 140 pages monotones durant lesquelles Olivier Demangel aura tout de même réussi à planter son décor, à vrai dire fort sommaire, et à nous décrire sa troupe de créatures errantes jusqu'à satiété et, ne l'oublions pas, à nous suggérer que ladite troupe pourrait bien avoir quelque rapport avec celle, misérable au possible, des camps d'extermination nazis (4), nous parvenons enfin à la seconde partie, plus condensée que la première.
C'est dans cette seconde partie que l'auteur abat ses cartes anthropologiques si je puis dire et, assez grossièrement et sans plus aucun souci de l'atmosphère étrange et mystérieuse qui caractérisait la première partie, ne s'embarrasse d'aucune subtilité et dissémine tous les termes qui lui feront obtenir une bonne note (mais uniquement de la part des mauvais lecteurs) à sa rédaction poussive. J'en donne quelques-uns, piochés dans un seul ou bien plusieurs volumes de la fameuse collection Que sais-je ?, à moins que l'auteur n'ait décidé de lire, durant ces dix années de rédaction de son roman, les principaux ouvrages d'Émile Durkheim, Marcel Mauss, James George Frazer, Max Weber, Claude Lévi-Strauss, et, bien sûr, le plus célèbre d'entre tous, cité par tous les ânes de France et de Navarre, René Girard. Cela donne, heureusement en accéléré : «naissance d'une pensée symbolique» (p. 185), «souveraineté marquée par la désignation ou l'autoproclamation d'une reine, chef du pouvoir sur sa meute» (p. 204), la thématique de la souveraineté, de sa naissance dans une meute semblant constituer, du reste, la principale préoccupation d'Olivier Demangel, qui ne cesse d'y revenir (cf. pp. 206, ) mais encore «catharsis» (p. 208), «sacrifice» (p. 217), «rituel» (p. 226), «pouvoir sur le monde» établi par «le premier homme» (p. 231), «cité sociale hybride» (p. 256, l'auteur souligne) et, bien sûr, consécration ultime de ce galimatias socio-anthropologisant, la si fameuse «théorie du bouc émissaire» (p. 257).
J'aurai fini cette critique peu amène (si peu amène qu'elle enfreint la règle sacro-sainte du premier roman devant toujours être épargné par les lecteurs, on se demande bien pourquoi !) d'un livre aussi laborieux et insipide qu'un texte à thèse en évoquant la dernière subtilité narrative d'Olivier Demangel, qui décide de faire rencontrer deux groupes distincts de ces créatures sans pensée (mais qui finiront par en avoir une), sans langage (mais qui finiront par en avoir un), sans conscience sacrée ou religieuse (mais qui finiront par en avoir une), sans savon (mais qui finiront par...) et de les faire se massacrer, à grand renfort de cruauté primitive ou primale, de pénis coupés, de femmes violées et d'hommes égorgés ou bien l'inverse, éviscérés, brûlés, et, conséquemment, en affirmant qu'il est bien évidemment impossible de décrire une telle horreur mais, surtout, en montrant que la poignée d'observateurs, elle aussi méthodiquement exterminée, se confond de plus en plus avec les créatures qu'ils observaient : «Nous voilà chassés par des êtres sur lesquels, il y a quelques jours encore, nous avions toute-puissance, droit de vie et de mort» (p. 251). Avec l'obstination méthodique que nous lui connaissons désormais, Olivier Demangel ne va cesser de mettre en scène ce parallélisme aussi subtil que le reste de sa démonstration, et nos observateurs en seront eux aussi vite réduits au dépouillement de l'homme nu, revenus à l'animalité, oui, mais à l'animalité susceptible de faire naître une conscience souveraine chez autrui : «Nous pensons de moins en moins, nos sentiments s'évaporent. Dans notre tête, nous voulons manger, boire, fuir, et nous savons que demain, une autre lutte commencera pour ces mêmes raisons, tout recommencera à zéro» et, quelques lignes plus bas, un tonitruant et hélas pas conclusif «Nous devenons ce qu'ils étaient» (p. 259). Notre groupe d'exterminateurs en haillons commence, par la violence symbolique et tout un tas de meurtres sacrificiels que les si maigres ressources du langage nous empêchent de décrire (cf. p. 289) selon Olivier Demangel, à acquérir une pensée digne de ce nom, quoique primitive, donc sauvage, donc cruelle, donc symboliquement riche, donc girardienne : «Alors de la pensée les vestiges d'une intelligence arrogante se dressent, opiniâtres, ravagés par la nécessité d'être en vie, cette nécessité qui nous fait oublier que nous sommes hommes, et femmes, animaux sans doute, peut-être bien pour la première fois lucides, malheureusement, sur ce que nous avons passé des années à chercher, et que nous ne pouvions comprendre qu'en le devenant à notre tour» (pp. 259-60).
Est-ce la chute, enfin ? Hélas non, car, nous le savons, Olivier Demangel aime que sa leçon ne souffre aucune ambiguïté, au cas où nous n'aurions pas compris que, finalement, depuis le début même, nous, nous les arrogants, nous les observateurs fiers de leurs techniques d'observation et de leur savoir sociologique, anthropologique et médical, nous les nantis et, pourquoi pas, les gardiens du parc humain, sommes des créatures aussi viles que celles qui ont été décrites par lesdits observateurs, comme s'il s'agissait d'animaux. Devenues, à tout le moins, des animaux cruels mais doués d'une pensée (cf. p. 262) capable de faire émerger «un système de gouvernement» (p. 263), ayant formidablement accéléré «les mécanismes de l'évolution sociale» (p. 276) pour les besoins d'un scénario de documentaire esthétisant, pourchassant des observateurs qui sont eux-mêmes devenus des bêtes sans pitié mais qui se sont tout de même mis ou remis à prier et croire en Dieu (cf. p. 273) et, ô béate révélation, ont pu assister «à la naissance d'une société» (p. 282), nos créatures n'étaient que le prétexte d'une parabole laborieuse, qui tient pour une fois en quelques mots : «Oui, nous voudrions qu'ils soient exterminés. Les populations pauvres, errantes comme elles, avec leur violence archaïque, leur sauvagerie inexplicable et écœurante (5), n'ont pas et ne peuvent avoir leur place sur cette terre» (p. 290). La messe (qui est un sacrifice répété, commémoré, comme le sait peut-être l'auteur) est dite, et tous les grands cœurs pleurant sur la situation des Juifs, des Roms, des migrants et de toutes les minorités pourchassées en ce bas monde sentiront tressaillir leur corde compassionnelle, si délicatement pincée par Olivier Demangel !
Mais ce n'est fini, pas encore, il manque, pour clôturer ce rébus qui sera au programme des cours de l'année prochaine de l'EHESS si Olivier Demangel se débrouille bien ou si Éric Chevillard insiste vraiment et nous répète tout le bien qu'il pense de ce livre, un final en apothéose herméneutique. Non, ce n'est pas fini, pas encore, voyons, le sermon simpliste n'a pas livré ses dernières richesses, puisqu'il faut à toute force nous faire comprendre que c'est le sacrifice de la troupe d'observateurs qui a permis la naissance d'une «souveraineté collective» (p. 296), communauté future qui ne tardera pas à considérer, du moins faut-il le supposer, qu'elle est née en martyrisant «onze dieux sacrifiés de leur panthéon primitif» (p. 309) et que, fondée sur cette violence initiale, plus aucune ne devra être acceptée mais bien plutôt, comble de la sottise, c'est bel et bien le «mot araméen qui signifie Amour» (p. 316) qui devra signifier la naissance d'une nouvelle ère de paix. Araméen et pas sumérien ou amérindien, cela doit sans doute vouloir signifier quelque chose, n'est-ce pas ?
Araméen ou primo-caucasien, l'énigme se creuse car, bientôt réduite à un seul de ces observateurs qui, comme il se doit, ne cesse de se rapprocher de la condition primitive de ceux qu'il a observés et devient, comme il se doit aussi, «partie prenante de cette horreur» (p. 295), la troupe des sacrifiés, comme celle des sacrificateurs, finit par s'éteindre, non sans observer l'ultime naissance d'un couple on le devine (il est facile de tout deviner, avec Olivier Demangel) fermement procréateur, et qui, gorgé d'horreur mais fort heureusement repu des principales notions de l'anthropologie politique et appuyant sa descendance sur l'impératif de l'Amour araméen, ne pourra bâtir qu'une société aussi prometteuse que l'arbre ayant grandi et verdi en une seule nuit (p. 318).

Notes
(1) Plusieurs indices nous sont donnés qui laissent penser qu'une catastrophe a eu lieu, dont cette troupe de créatures errantes est peut-être la conséquence, aux pages 38 ou encore 125 : «Nulle trace de plomberie ou de dents en or, comme il va de soi, ce qui prouve s'il le fallait leur inexistant artisanat et le fait qu'il est difficile, voire impossible, de les relier à des communautés passées». Ailleurs, nous en apprenons davantage : «Cela prouve que notre population, si l'on peut parler ainsi, n'était peut-être à l'origine qu'une communauté humaine parmi les autres. Comme s'il s'était produit ensuite quelque événement, dont nous ne savons rien, mais dont on pourrait savoir quelque chose s'ils venaient à en témoigner un jour» (p. 131).
(2) Bornons-nous à relever quelques termes issus d'un champ lexical double, à la fois sacré et religieux et même, nous le verrons, spécifiquement christique, parmi une multitude d'autres comme : «aura» et «créature surnaturelle» (p. 34), «l'esprit des flammes», «le dieu des âtres, leurs Lares dérisoires» (p. 42), «la providence» (p. 57), «la mise à mort du prophète» (p. 76), «linceul» et «voix qui semblera annoncer sa rédemption» (p. 82), «un messie» montrant le chemin à suivre mais que personne ne suit (p. 86), «le don d'un Veni foras quelconque» (p. 89), «celui qui fit, en d'autres temps, traverser la Mer Rouge à un peuple certes moins dépourvu que le leur» (p. 99), «un culte au dieu du feu» (p. 133), «la persistance, chez eux, de certains rites qui pourraient témoigner d'un reste de sacré dans leur communauté» (p. 134) ou encore l'«arche d'alliance» (p. 300), sans oublier le «buisson des lois» (p. 306) qui, comme tout buisson vétérotestamentaire, se doit de brûler (cf. p. 304). Le Christ est nommément évoqué aux pages 174 et 282, dans une scène qui est un monument de ridicule.
(3) Plusieurs fois répétée, la scène décrit un de ces êtres qui, sans explication, décide d'interrompre sa marche sans fin : «Celui-là poussera le hurlement d'une bête sauvage, mimant ceux qu'au lointain, parfois, nous entendons, lèvera les bras au ciel, ou pliera les genoux et comprendra non pas qu'il ne veut pas, ou qu'il ne peut pas, mais qu'il ne faut pas aller plus loin» (p. 75, voir encore p. 140, où est évoqué le Sauveur, en somme, que nous retrouverons à la toute fin du roman). La thématique de la naissance de la conscience est tout aussi prégnante, laquelle s'explique en partie par la «mise en œuvre des possibilités du corps interne» considéré comme «l'ultime refuge de la vie» (p. 118). Ajoutons que cette thématique est voisine de celle de la naissance du langage, ou du moins d'une forme de langage, puisque la population de créature n'en possède point (cf. pp. 44, 167 et, surtout, p. 297, où l'auteur se demande quel sera le premier mot que prononceront les créatures devenues pensantes : «Tuer. Guerre. Sacrifier. Mort. Mourir. Il n'y a pas d'autre solution. Attaquer. Piéger. Violer».
(4) La ficelle, là aussi, est peu fine, avec une citation de L'Espèce humaine de Robert Antelme en exergue ou encore l'évocation, chère à Primo Levi, de la «zone grise où même les poux et les acariens n'ont pas réussi à pénétrer» (p. 137). Nous avons déjà évoqué Giorgio Agamben et sa «vie nue» (p. 27).
(5) Mais qu'Olivier Demangel n'a pourtant jamais cessé de nous décrire, jusqu'à la nausée en effet.