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02/04/2018

La Mort a chevauché hors de Perse de Péter Hajnóczy

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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Il est assez difficile de dire quoi que ce soit de bien intéressant sur le second titre traduit en français de cet auteur hongrois mort jeune, qu'un Krasznahorkai déclare être un écrivain très important, appelant même de ses souhaits qu'il soit davantage traduit en France, et dont un Péter Esterházy avait préfacé pour Le Passeur le premier titre paru dans ce même pays, hélas introuvable, Dialogues de ventriloques. Les éditions Vagabonde ont exaucé le souhait de l'auteur de La Mélancolie de la résistance en donnant aux lecteurs français un texte traduit par Charlotte Karady, texte aussi sobre qu'étrange, étrange par sa sobriété paradoxale même, puisqu'il n'y est parlé que d'alcool, de ruses pour en boire davantage et de tous les aléas qui peuvent empêcher un honnête homme, même s'il écrit des livres, de s'adonner à son occupation favorite.
Non pas l'écriture, donc, mais la boisson, même si l'écriture a bien évidemment maille à partir avec celle-ci, comme ne manque d'ailleurs pas de le remarquer ironiquement l'auteur lui-même en évoquant plusieurs auteurs comme Poe ou Lowry, Faulkner ou Kesey, ivrognes notoires ou bien toxicomanes : «Secrètement, il espérait que lui-même ne mourrait pas d'intoxication éthylique, qu'il ne perdrait pas la raison et ne se suiciderait pas; peut-être était-il celui qui avait été désigné par le sort, dont la mission était de vivre et d'écrire, celui dont le bien exclusif était d'être le témoin de ses images et de ses visions d'horreur, afin que d'une voix sèche, neutre, quelque peu dépouillée» nous précise-t-il, et cela «tout en gardant une certaine distance par rapport à son sujet» (p. 124), il puisse les raconter et les décrire dans ses livres.
Non pas la boisson ou bien l'écriture mais ce que la première crée sur les facilités ou l'impossibilité de la seconde, et ce que cette dernière, en retour, peut tirer de l'état de manque de l'ivrogne, ne serait-ce que de cauchemardesques visions dont l'une donne son titre au texte de Péter Hajnóczy, et que je cite intégralement, car c'est le passage le plus marquant du livre, et peut-être celui qui nous donne la clé non seulement de ce texte, mais de tous les autres textes de l'auteur : «Intuitivement, l'homme savait que la ville inconnue avait été habitée autrefois par des Perses et qu'elle avait été détruite par une guerre cent trente ans auparavant. Étincelantes sous le soleil, les ruines des maisons jaune moutarde revêtaient toute sorte de formes géométriques. Tantôt l'homme trébuchait dans la poussière jaune au milieu des pierres jaunes, tandis qu'il essayait de traverser la ville pour rejoindre sa femme, tantôt il dominait à nouveau la ville, et se voyait en train de trébucher dans le labyrinthe des ruines; à ces moments-là, il apercevait au-delà de la ville une bande verte formée par des buissons ou des arbres. Peut-être y a-t-il de l'eau douce là-bas, se disait-il, car ses lèvres étaient craquelées, sa gorge sèche, et il avait très soif» (p. 119), alors que les toutes dernières lignes du texte évoquent de nouveau cette vision, image d'une ruine qui menace et tout autant oasis fragile, qui semble disparaître à mesure que l'on s'en approche, comme si la boisson, décidément, vous faisait entrevoir puis vous ôtait ce que l'écriture aura, ensuite, toute les peines du monde à tenter de reconquérir, non point tant une place à peu près décente dans la société hongroise qu'une intégrité physique et psychique sinon intellectuelle et morale, peut-être parce que l'écrivain brûlé par la soif, et pas uniquement, on s'en doute, celle que n'étanchera qu'un moment l'alcool, est celui qui marche et continue à escalader «les murs aussi longtemps qu'il pourra se tenir sur ses jambes» (p. 120) qui, nous pouvons le regretter, n'auront pas porter bien longtemps Péter Hajnóczy : «Au-delà de la ville, il le savait, coulait un ruisseau d'eau douce, et le vent d'ouest faisait trembler les feuilles vertes d'arbres aux noms inconnus» (p. 128).

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