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18/08/2018

Baptiste Rappin contre le Golem, par Francis Moury

Photographie (détail) de Juan Asensio.

IMG_2142.jpgBaptiste Rappin, Au fondement du management – Théologie de l'organisation, volume 1 (Éditions Ovadia, collection Chemins de pensée, 2014).

De l'exception permanente – Théologie de l'organisation, volume 2 (Éditions Ovadia, collection Carrefours de l'être, 2018).

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4239023629.jpgBaptiste Rappin dans la Zone.





«Car il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant, que l'état de la mort est éternel, de quelque nature qu'il puisse être, et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l'état de cette éternité, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.»
Pascal, Pensées et opuscules, pensée n°195 (circa 1655 à 1662) de l'édition Léon Brunschvicg (Éditions Hachette, collection Classiques Hachette 1897, revue et augmentée par Didier Anzieu et Geneviève Rodis-Lewis, circa 1951, nouveau tirage en 1978), p. 424.

«La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n'avons point pensé.»
Louis Antoine de Saint-Just (2 février 1794)

«En premier lieu, pour rendre positive la science politique, il faut y introduire, comme dans les autres sciences, la prépondérance de l'observation sur l'imagination. En second lieu, pour que cette condition fondamentale puisse être remplie, il faut concevoir, d'une part, l'organisation sociale comme intimement liée avec l'état de la civilisation et déterminée par lui; d'autre part, il faut considérer la marche de la civilisation comme assujettie à une loi invariable fondée sur la nature des choses.»
Auguste Comte, Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société (1822) in Opuscules de philosophie sociale (Édition Ernest Leroux 1883), p. 111.

«L'existence de l'homme ― marquée par l'atome. Cette qualification désigne aujourd'hui quelque chose qui peut-être, à l'heure présente, n'est accessible à partir de la «pensée» qu'à un petit nombre d'homme. Pourtant le nom d'ère atomique donné à notre époque atteint probablement ce qui est.»
Martin Heidegger, Le Principe de raison (1957, traduction d'André Préau, Éditions Gallimard, 1962), pp. 92-3.

«La conscience de la possible annihilation du monde rend, seule, nécessaire un ordre universel et – principe fondamental, elle doit suffire. L'arrière-pensée de cette idée de derrière, il faut la voir se préciser dans une sagesse politique qui s'affirme depuis le Leviathan de Hobbes jusqu'à «L'Esprit du monde» de Hegel. Freud, arrivant à New York, confiait à Jung : «ils ne savent pas que nous leur apportons la peste» – les cadeaux intellectuels sont toujours subtilement empoisonnés.»
André Glucksmann, Le Discours de la guerre (Éditions de l'Herne, 1967 puis édition revue et augmentée U.G.E., collection 10/18 en 1974), p. 28.

«Ils veulent créer un système de contrôle global directement neuro-implanté dans chaque être humain. Je pense même qu'ils préparent une sorte de programme-monde d'autocontrôle généralisé, un monde parfaitement stable, sur tous les plans, une écologie homéostatique intégrale, planétaire et individualisée.»
Maurice Dantec, Satellite Sisters (Éditions Ring, 2012, p. 29, cité en exergue par Baptiste Rappin, op. cit. supra, volume 1), p. 231.

Ces deux premiers volumes (1) contiennent l'interprétation de fond, historique et philosophique, de la cybernétique du penseur américain Norbert Wiener, considérée comme le père théorique du «management» en tant que philosophie de l'information et de l'organisation. Ils contiennent aussi des pages très intéressantes sur Frédéric W. Taylor, le père du Taylorisme qui était, pour sa part, inspiré par des sectes protestantes mais dont les thèses peuvent relever rétrospectivement, par une ruse typique de l'histoire, du même mouvement. Le «management», issu à la fois de la pensée de Wiener et de celle de Taylor, désigne cette très curieuse sophistique moderne et contemporaine située au carrefour de la science économique, de la science politique et de la philosophie. Il ne faut pas la confondre avec la science de l'administration. On peut déjà en apercevoir poindre des aspects, et davantage qu'en filigrane, chez un penseur français du dix-neuvième siècle tel que Claude-Henri de Saint-Simon dont le jeune Auguste Comte avait été, comme on sait, secrétaire et disciple avant leur rupture.
Cette sophistique, au sens grec classique du terme, tenterait rien moins que de s'approprier l'ensemble des leviers de commande de la société : organisationnels, stratégiques, politiques, épistémologiques. La démonstration est excitante car elle se fonde sur l'histoire des religions, sur l'histoire de la philosophie, sur l'histoire générale et politique (selon ses quatre sections académiques : ancienne, médiévale, moderne et contemporaine) autant que sur l'histoire théorique individuelle de cette science elle-même de l'organisation dont Calliclès n'avait jamais rêvé dans ses rêves dominateurs les plus avérés, tels du moins que le dialogue platonicien du Gorgias nous les rapporte. Calliclès ne songeait certes pas encore à neutraliser la politique par l'information conçue comme exception permanente exigeant de celui qui la pense une réorganisation continuelle, un mouvement en forme de boucle rétroactive modifiant sans cesse l'homme désormais pris dans les filets d'un dynamisme qu'il a lui-même engendré.
De l'histoire des religions, elle souligne les possibles racines théologiques catholiques de la pensée de Wiener ; la métaphysique médiévale nominaliste de Jean Duns Scot est convoquée dans le volume 2 et l'étude classique d'Étienne Gilson sur Duns Scot a évidemment droit à sa référence en note. Elle en souligne aussi les racines dans la pensée mystique juive du seizième siècle et dans le mythe juif du Golem, symbole de la technologie pan-organisationnelle, mythe repris par Wiener dans le titre d'un de ses propres livres (2). Ce sont, aux yeux du lecteur s'intéressant à l'histoire de la philosophie et à l'histoire des religions, les parties inévitablement les plus riches de ces deux volumes mais Wiener est par lui-même non moins passionnant et ils constituent donc, en somme, la meilleure introduction générale à sa pensée.
Le lecteur peu familier avec les théories sociologiques de l'organisation, y seront du même coup initié : Baptiste Rappin les met en relation, lorsqu'il le juge opportun, avec des penseurs classiques antiques, médiévaux, modernes et contemporains, notamment avec Platon, saint Augustin, saint Thomas, Machiavel, Thomas Hobbes, Claude-Henri de Saint Simon, Max Weber, Carl Schmitt, Martin Heidegger. Elle s'appuie sur les connaissances approfondies de Rappin qui a lu attentivement et d'une manière constamment critique, les hallucinantes publications théoriques de cette pseudo-science de l'organisation éditorialement florissante de 1945 à nos jours, des deux côtés de l'Atlantique et un peu aussi au Japon. Il fait bénéficier le lecteur, par de nombreuses citations et de nombreuses notes, d'une bibliographie de première main couvrant les auteurs américains fondateurs et leurs passeurs français. L'ouvrage analyse rigoureusement les origines, le développement, la situation théorique et pratique contemporaine de la cybernétique comme science de l'organisation. On apprend beaucoup de choses en lisant dans l'ordre volume 1 puis volume 2 qui ne répètent pas mais dialoguent, le second volume reprenant en les approfondissant certaines hypothèses ou certains résultats dégagés dans le premier volume. Le point de vue critique qui permet de les penser est souvent – ce qui ne gâte rien, au contraire ! – celui du Martin Heidegger penseur de la technique et critique visionnaire de la cybernétique, à qui Baptiste Rappin avait, notre lecteur s'en souvient sans doute, consacré une belle étude en 2015 dont j'avais rendu compte ici même (3).
Certains débats contemporains sont convoqués : la question de la sécularisation en philosophie de l'histoire, celle de la souveraineté et du sacerdoce en philosophie politique et en théologie, celle du langage en logique et en poésie, celle du messianisme et du katechon dont Baptiste Rappin avait réservé, il y a quelques mois, la primeur de la découverte aux lecteurs de Stalker-dissection du cadavre de la littérature (4). Sur le plan de la stricte histoire de la philosophie, Baptiste Rappin réinterprète cette histoire de l'antiquité à nos jours, ainsi que l'histoire des sciences et l'histoire de la philosophie des sciences, en pointant les moments charnières annonçant tel ou tel aspect de la cybernétique de Wiener. Les interprétations d'ensemble sont condamnées, en raison de l'ampleur de leur visée, à être discutées sur des points de détail : «le diable est dans les détails» comme dit le proverbe. Je ne suis ainsi pas sûr que Pierre Lévy – un des auteurs cités les plus intéressants par sa clairvoyance, ici aux pages 161 et 162 du volume 2 – ait eu raison en 1985 de considérer le Ludwig Wittgenstein du Tractatus logico-philosophicus comme source historique de la cybernétique de Wiener; cela pour la simple et bonne raison que Wittgenstein n'a eu de cesse, sa vie durant, de renier les positions de jeunesse publiées dans ce livre, y compris leurs formulations (5) mais en 1985 Lévy pouvait encore l'ignorer. Je ne suis pas davantage convaincu par les pensées et recherches citées d'André Neher, de Pierre Legendre et de Giorgio Agamben qui me semblent filandreuses et peu rigoureuses. D'une manière générale, ce qui concerne la pensée médiévale (et les thèses afférentes d'un Pierre Musso) me semble aussi trop rapide pour être réellement convaincant. Autre boucle de rétroaction s'appliquant à l'histoire de l'histoire de la philosophie, Baptiste Rappin étant un heideggérien émérite, j'ai parfois l'impression qu'il consent à l'interprétation heideggerienne de Descartes qui m'apparaît jusqu'à présent (car peut-être serai-je détrompé par la traduction future d'une de ses études d'histoire de la philosophie qui nous manque encore dans la belle collection Gallimard NRF des Œuvres de Martin Heidegger) assez partiale : elle néglige la pensée religieuse de Descartes. Là encore, le diable est dans les détails et même, ici en l’occurrence Dieu lui-même. Je ne crois pas du tout non plus, par exemple, que Descartes manifeste une rupture avec l'esprit médiéval : Étienne Gilson a d'ailleurs suffisamment prouvé le contraire (6). Gilson a également prouvé historiquement que sur plusieurs plans essentiels, il n'y a pas davantage de rupture nette entre l'antiquité et le moyen âge qu'il n'y en a entre ce dernier et la période moderne. Sans oublier la fascinante thèse meyersonienne de la continuité épistémologique qui les traverserait de part en part (7).
Sur le plan méthodologique, puisque l'on parle de pensée médiévale, je remarque que deux techniques très en vogue à cette époque, à savoir l'étymologie et l'analogie, sont assez régulièrement employées par Baptiste Rappin : les résultats de la première me semblent souvent plus dignes d'intérêt que ceux de la seconde dont j'ai tendance à me méfier. Je ne puis pourtant m'empêcher, pendant que j'écris ces lignes, d'en établir une entre la pensée de Wiener et celle des encyclopédistes du douzième siècle, telle qu’Étienne Gilson analysait (8) celui-ci concernant les rapports que ses encyclopédistes et ses théologiens établissaient entre microcosme et macrocosme. On sait, en effet, que la thèse ontologique majeure de Wiener est d'opposer la dissolution entropique (la mort) à la construction organisationnelle (la vie, résultat d'une exception permanente). Thèse ontologique parce que Wiener l'applique, en mathématicien logicien et en philosophe autant qu'en sociologue, à tous les niveaux de la réalité, non seulement à la société humaine mais encore à l'univers. Cette intuition métaphysique dont Wiener n'est évidemment pas l'inventeur mais un simple adaptateur (presque au sens électrique contemporain du terme, sinon au sens thermodynamique original auquel Baptiste Rappin le rattache à bon droit), vient de loin. Baptiste Rappin a bien sûr raison de remonter jusqu'à Empédocle mais on peut même remonter un peu plus haut : à Parménide (identité, unité, permanence, être) et à Héraclite (altérité, multiplicité, changement, devenir). Et on peut ensuite redescendre chronologiquement un peu plus bas : les dialogues métaphysiques les plus ardus de Platon (Parménide, Le Sophiste, Philèbe) s'intéressent en profondeur au rapport qui peut unir les deux thèses de Parménide et d'Héraclite. Depuis Platon, les études classiques d'histoire de la philosophie de G.W.F. Hegel, de Friedrich Nietzsche et de Martin Heidegger les ont aussi étudiés, ces rapports. L'homme nouveau de Wiener devient, quoi qu'il en soit de cette filiation et d'une certaine manière – c'est tout l'avantage du livre de Baptiste Rappin d'étudier les tenants et les aboutissants de cette manière, de cette métamorphose, chez Wiener comme chez ses précurseurs et comme chez ses disciples – comme le microcosme de cette thèse macrocosmique, par elle-même, on le voit bien, éminemment dialectique.
Ce qui nous amène à une question qui me semble inévitable: Norbert Wiener avait-il lu G.W.F. Hegel ? Et si oui, précisément quels ouvrages de Hegel ? J'aimerais le savoir. Norbert Wiener n'est d'ailleurs pas le seul, au vingtième siècle, à être inspiré par l'opposition d’Éros et de Thanatos : sur les plans ontogénétiques et phylogénétiques, la psychanalyse freudienne classique remet à l'honneur cette dualité sur les plans de la psychologique mais aussi de la métapsychologie. Autres questions non moins intéressantes : Norbert Wiener avait-lu Freud ? Et si oui, précisément quels ouvrages de Freud ? J'aimerais aussi le savoir. Parlant ici de Freud et de Wiener, je ne puis m'empêcher de signaler le fait que mon cher parrain le docteur Francis Pasche (9) avait d'ailleurs préfacé, durant la période de sa présidence de la Société psychanalytique de Paris, la traduction du célèbre livre américain de David Bakan, Freud et la tradition mystique juive (Éditions Payot, Bibliothèque scientifique, coll. Sciences de l'homme, avec postface d'Albert Memmi, 1964) dans lequel les études de G. Scholem (citées à juste titre par Baptiste Rappin relativement à l'influence mystique juive sur Wiener) sont abondamment discutées.
Sur le plan matériel, le volume 1 et le volume 2 sont esthétiquement dépareillés pour plusieurs raisons.
Ils ont été édités par le même éditeur mais dans deux collections distinctes. La table des matières du volume 1 est placée, à l'anglo-saxonne, en tête du livre alors que celle du volume 2 est placée, à la française, à sa fin. La fin du volume 1 ne comporte ni index des noms cités ni index des thèmes alors que celle du volume 2 en est munie. Le volume 2 est, en outre, esthétiquement infiniment plus mignon que le volume 1 non seulement à cause de la belle photographie catadioptrique de notre ami Juan Asensio qui illustre sa couverture mais encore à cause de la qualité et de l'épaisseur de son papier, de sa mise en page et de ses belles polices de caractères. Souhaitons que la parution future du volume 3 soit l'occasion de leur unification matérielle et esthétique au sein de la collection Carrefours de l'être des éditions Ovadia.
L'index des noms cités du volume 2 est utile mais cependant très lacunaire : certaines occurrences n'y figurent pas (Descartes est bien mentionné à la page 139 mais il faudrait aussi rajouter ses mentions aux pages 271, 426 et 456) et certains noms cités en sont absents (Henri Bergson devrait être mentionné à la page 245). On pourrait donc le compléter de plusieurs dizaines de mentions lors d'une réédition. Le Golem ne figure, alors qu'il est étudié à plusieurs reprises dans les deux volumes (notamment volume 1 pages 139 et suivantes, volume 2 pages 508 et suivantes), ni dans l'index des noms cités ni dans celui des thèmes : il eût fallu l'insérer, au moins, dans l'un des deux.
Signalons aussi de démoniaques (et hélas pas si exceptionnelles) coquilles : absence de numéros au bas de certaines pages (les pages 515 et 516 du volume 2), interversions de lettres («l'artillerie qui tonné [qui tonnait]» in volume 1, page 220 ou bien encore un mémorable «Innovent III» [Innocent III] » in volume 2 page 511) voire de mots («la nouvelle de Wiener insultée [intitulée] Un savant réapparaît» in volume 2 page 506), lacunes de mots qu'on doit mentalement combler («la disparition progressive [de] la notion de bien commun» in volume 2 page 512).
Le style est parfois original et savoureux : au lieu de l'attendu [Poursuivons] ou d'un pléonastique mais classique [Poursuivons plus avant], Baptiste Rappin écrit assez souvent un rabelaisien et, en tout cas, bien vigoureux «Poursuivons plus outre» ! Au lieu des simples verbes [distinguer] ou [séparer], on lit volume 2 page 536 une formule qui les remplace d'une manière inutilement longue : «il [Max Weber] en vient à assurer le départ entre [c'est moi qui souligne] plusieurs formes de domination». Pourquoi une formule si compliquée alors qu'un verbe tout simple suffisait ?
Un mot encore sur les notes bibliographiques de bas de page : elles citent, en général, l'édition la plus récente mais négligent de remémorer au lecteur, ne serait-ce qu'entre parenthèses, la date de l'édition originale. Le livre de Carl Schmitt, Terre et mer, un point de vue sur l'histoire du monde, est cité in volume 2 page page 545 muni de la référence : éditions Pierre Guillaume de Roux, 2017, avec une introduction par Alain de Benoist et une postface par Julien Freund (1921-1993). Il me semble qu'il eût fallu mentionner entre parenthèses, par exemple juste après son titre, la date de l'édition originale allemande (1942) et celle de sa première traduction française (éditions du Labyrinthe 1985) afin que le lecteur ait une idée exacte de la vie du livre.
Vous me répondrez, non sans raison, que la mention de l'édition la plus récente suffit, que ce genre d'informations est trop lourd pour une note de référence et qu'il aurait davantage sa place dans une bibliographie. Certes, assurément, bien sûr mais c'est alors l'occasion de déplorer l'absence non seulement d'une simple date d'édition originale mise entre parenthèses (qui n'alourdit pas excessivement la mention de l'édition la plus récente ou de la traduction la plus récente) mais encore celle d'une bibliographie générale reprenant et complétant les informations dispensées au fil de ces riches notes référentielles. Elles eussent été d'une précieuse utilité à l'étudiant comme à l'honnête homme cultivé. La parution du volume 3 sera peut-être l'occasion de leur établissement ?
Ces remarques matérielles sont, inutile de le préciser, secondaires rapportées à l'ampleur du sujet d'un livre qui s'achève sur rien moins que des considérations géopolitiques contemporaines opposant ce fameux concept de la guerre entre Terre et Mer selon Carl Schmitt et celui, non moins fameux, du nouvel ordre mondial américain selon Robert Kagan (10). Dans ces considérations finales, le management apparaît rien moins que comme la nouvelle option géopolitique par rapport à l'ancienne option classique de la guerre. Occasion de relire un absent bibliographique, à savoir André Glucksmann, Le Discours de la guerre (11) pour faire bonne mesure – sinon même réelle contrebalance ? – car ce dernier y montrait en quoi le concept même de la guerre, depuis ses premières énonciations modernes allemandes par Carl von Clausewitz et G.W.F. Hegel, avait précisément évolué philosophiquement en Amérique d'une manière, somme toute, authentiquement «managériale», notamment par le biais des théories du jeu de John Von Neumann et Oskar Morgenstern (12), théories contemporaines de la cybernétique de Wiener et que ce dernier connaissait bien.

Notes
(1) Ces deux premiers volumes devraient être suivis par un troisième axé sur la question du transhumanisme, selon la note 1059 du volume 2 page 523.
(2) Concernant la référence (in volume 2 page 509) au film Le Golem (All. 1920) de Paul Wegener, il eût fallu préciser deux points : d'abord cette version est la troisième filmée par Wegener qui en avait auparavant réalisé deux autres; ensuite l'analogie entre le Golem et la créature de Frankenstein, rapidement suggérée par Rappin est certes fréquemment rencontrée mais elle n'est pourtant fondée ni sur le plan de l'histoire littéraire ni sur celui de l'histoire du cinéma. Il y a certes un inévitable parallélisme mentalement possible mais finalement pas de rapport de modèle à copie. Mary Shelley avait d'ailleurs intitulé en 1818 son livre Frankenstein ou le Prométhée moderne. Cf. Louis Séchan, Le Mythe de Prométhée, éditions P.U.F., collection Mythes et religions, 1951. Sur la troisième version du Golem réalisée par Wegener en 1920, cf. mon article de 2006 revu et augmenté en 2009.
(3) Francis Moury, Heidegger contre les robots (2016).
(4) Extraits qui gagnent naturellement à être remis en situation au sein du volume 2 dont ils proviennent et qui étaient parus ici.
(5) Francis Moury, Wittgenstein par lui-même (2017).
(6) Étienne Gilson, La Liberté chez Descartes et la théologie (Éditions Alcan 1913), Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, (Éditions Vrin 1930) sans oublier les indispensables instruments de travail que demeurent Étienne Gilson, Index scolastico-cartésien (Édition définitive Vrin 1979, seule dorénavant autorisée par l'auteur) + édition critique de René Descartes, Discours de la méthode (1637), avec commentaire historique par Étienne Gilson (Éditions Vrin 1925 in-8°).
(7) Francis Moury, Introduction à la philosophie des sciences d'Émile Meyerson (1859-1933) (Éditions Ovadia, collection Carrefours de l'être, 2018). Que le lecteur pardonne ce plaidoyer pro domo car il me semble ici pertinent.
(8) Étienne Gilson, La Philosophie au moyen âge, chapitre 5, section V, (Éditions Payot, Bibliothèque scientifique Paris 1922 puis édition revue et augmentée avec bibliographie mise à jour en 1944, retirage 1976 en deux volumes in Petite bibliothèque Payot), pages.
(9) Francis Moury, Souvenirs philosophiques sur Francis Pasche (2018).
(10) Donald Kagan, père de Roger Kagan et de Frederick Kagan (Donald et ses deux enfants font partie des universitaires signataires en 2000 du manifeste sur la nécessité de reconstruire une nouvelle défense américaine) est un philosophe politique et un historien d'une belle profondeur. Cf. Francis Moury, Les Deux visages de Périclès (2008).
(11) André Glucksmann, Le Discours de la guerre (Éditions de l'Herne, 1967 puis réédition augmentée U.G.E., collection 10/18, 1974).
(12) Baptiste Rappin étudie brièvement les rapports théoriques de ces deux penseurs avec la cybernétique de Norbert Wiener au volume 2, pp. 385-6; André Glucksmann analysait en 1967 leur théorie du jeu d'une manière détaillée dans le contexte de ses applications stratégiques et tactiques par les polémologues américains des années 1955 à 1965 contre le bloc soviétique communiste rouge et chinois maoïste rouge, notamment durant la guerre anticommuniste menée par l'Amérique et ses alliés contre l'invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord puis durant la crise des missiles à Cuba puis, enfin, durant la guerre anticommuniste menée par l'Amérique et ses alliés en Asie du Sud-Est, au Vietnam, au Laos et au Cambodge de 1955 à 1975.

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