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23/05/2006

Les voies du Stalker, 1 : Vox Galliae

Photographie (détail) de F. Javier Alvarez Cobb, extraite de la série intitulée Autopsia, en référence à ce blog.

3auop.jpgEntretien n° 1, avec Vox Galliae.

Vox Galliae
Bonjour Juan Asensio. Vous êtes connu dans le petit monde de la blogosphère comme fondateur et animateur du blog Stalker. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?

Juan Asensio
Bonjour et merci, en premier lieu, pour cet espace de parole que vous m’avez accordé. Vous avez bien raison de dire, en dépit des apparences, qu’il s’agit d’un petit monde et même : d’un tout petit monde, avec ses inimitables journaliers, ses exclus pouilleux (dont parfois je fais partie), ses célébrités médiatiques, ses traîtres patentés ou d’occasion, ses putains somptueuses ou décaties, ses «intellectuels» attitrés, ses bouffons aussi, qui sont en très grand nombre alors que le Roi, si tant est que les «netizens» (ou citoyens de la Toile) acceptent d’être commandés, a été décapité depuis des lustres. La catégorie des journaliers est à mon sens la plus intéressante puisque ces derniers essaient, à tout prix, en vivant de leur blog souvent affreusement nul, en interviewant des hommes politiques ou de pseudo-personnalités littéraires, en commercialisant même, comble du paradoxe, une revue payante, Netizen, consacrée à un monde essentiellement gratuit, d’acquérir une simili-célébrité parfaitement ridicule. Je me suis beaucoup amusé en décrivant l’un de ces micro-tsunamis ayant récemment rasé les côtes du royaume nanométrique de Lilliput. Passons.
Moi ? Si j’écris beaucoup, je répugne en revanche à m’exposer [tout de même... voir plus haut...] : il est temps de retrouver, dans ce monde où tout, absolument tout a une façade, le plus souvent ravalée et, donc, un prix, un peu de l’innocence superbe qui faisait que de grands artistes, il y a quelques siècles à peine, estimaient comme une inanité prétentieuse le fait de signer leur œuvre. Comme Antoine Bourgoin, le sculpteur d’un magnifique roman de Paul Gadenne intitulé L’Avenue, j’aspire à disparaître en tant qu’homme, voire, en tant qu’auteur. Seul le livre écrit par le Maître du Haut Château a de l’importance et non sa petite et misérable personne physique. Pour faire court et ne point être accusé de me dérober à votre question, je vous donne tout de même quelques éléments biographiques. J’ai à présent 35 ans et exerce une profession purement alimentaire pour une société de Bourse parisienne. Cursus de lettres modernes et de philosophie en classes préparatoires à Lyon puis à l’Université Jean Moulin de cette même ville. Une thèse sur le diable, jamais terminée puis mon installation à Paris. Le reste est parfaitement inintéressant, à l’heure où chacun d’entre nous se trouve plus orthonormé qu’un classeur Excel.

Vox Galliae
Quelles sont les raisons de la création de ce blog ? Quel est le but du Stalker ?

Juan Asensio
Ce blog est né d’un concours de circonstances, à l’époque, pas si lointaine que cela, où Maurice G. Dantec fut littéralement traîné dans la boue par de petits imbéciles (évidemment, des journalistes…) de gauche (évidemment encore) qui conspuèrent ses prétendues relations avec la droite la plus extrême, à savoir, le Bloc identitaire. Je n’ai sans doute pas besoin de préciser que, n’ayant lu, au mieux, que la quatrième de couverture de ses ouvrages, de pathétiques plumes, comme celle d’Aude Lancelin, se crurent obligées de ridiculiser un des très rares auteurs français, je le dis sans la moindre exagération, présentant un quelconque intérêt, tant littéraire que politique et, mot banni de la bouche de nos petits Sainte-Beuve acéphales, métaphysique. C’est à l’occasion de cette polémique que je fus réellement abasourdi par la puissance perverse des médias et, à l’inverse, notre ridicule pouvoir de frappe m’apparut scandaleusement étriqué, puisque seuls quelques très rares courageux comme l’équipe de Cancer ! (mais aussi Subversiv et la Boîte à berzingue) tentèrent comme ils le purent d’organiser une riposte à la cabale fumeuse. Le mal, bien sûr, était fait, et l’honneur d’un écrivain et d’un homme sali, la vitesse de propagation de la rumeur étant inouïe, comme l’analysait, bien qu’il ne disposât point de la Toile, un Gustave Le Bon dans son ouvrage le plus célèbre, Psychologie des foules.
Entrer dans la blogosphère, à condition de proposer des textes réellement pertinents et impertinents, c’est en somme attaquer nos adversaires sur leur propre terrain, dont ils tentent d’ailleurs à tout prix de conserver la jouissance, prétendant nous reléguer dans quelque jachère stérile dont ils contrôleraient l’accès ou, par pudeur, tairaient l’existence même, comme un centre-ville reluisant écarte ses parias dans quelque Zone mal famée.
J’ajoute qu’avec un blog tel que Stalker lequel, malgré la difficulté des textes mis en ligne, gagne chaque jour de nouveaux lecteurs, si, bien évidemment, je ne puis empêcher les limaces de baver, ce qui est leur droit le plus strict et l’activité principale répondant idoinement à leur être de limace, il faut tout de même qu’elles sachent qu’elles seront punaisées en tant que… limaces justement, et rien d’autre. Je ne puis ainsi empêcher un Pierre Marcelle de nous livrer ses ridicules analyses plus lourdes que bondissantes de style et d’intelligence mais il doit savoir (et il le sait) que je décortiquerai sa rhétorique fallacieuse pour y dénicher par exemple une bien vilaine tumeur : un antisémitisme larvé, bien-pensant puisqu’il s’abrite derrière une palestinophilie à la mode parisienne et, surtout, extrêmement dangereux puisqu’il avance masqué sous les atours de la bonne conscience de gauche. Je le dis en pesant mes mots : les médias, qui presque tous systématiquement depuis des années stigmatisent l’existence même d’Israël, ont une immense responsabilité dans le meurtre abjecte d’Ilan Halimi.
Le but du Stalker est donc d’abord, je le dis sans la moindre forfanterie, guerrier : je deviens pour la cause de quelque Vieux de la montagne absent une sorte de berserker, un fanatique drogué par la crétinerie ambiante qui n’hésitera devant aucune action de sabotage, y compris contre son propre camp, en tout cas selon le jugement des ânes. Cependant, l’intention polémique, si elle s’élance à vide, ne vaut rien de plus qu’un éjaculat nabien, donc pas grand chose. Il faut alors, pour que cette colère soit autre chose qu’un crachat de puceau, comme une source d’eau profonde à laquelle elle puise : la certitude qu’existent encore, quoique très rares, de véritables écrivains submergés par la marée triomphante de merde publicitaire. Voilà bien ce qui me pousse, coûte que coûte, à écrire : le respect du verbe et du Verbe, sans lequel l’écriture, l’art, ne sont rien de plus que des amusements derrido-lacanistes labiles. Je défendrai donc une Sarah Vajda dont l’écriture est hantée par la déchéance d’une France qu’elle a appris à aimer grâce à Barrès, Péguy ou Bernanos et me moquerai d’une Alina Reyes qui ne songe qu’à nous exposer les tribulations de son nombril (j’emploie là une synecdoque, le nombril étant, chez Reyes, la partie d’un organe plus sombre, froncé et caché…), d’une Chloé Delaume, d’une Amélie Nothomb encore et, si je dois exalter l’écriture d’un Jean Védrines, ce sera pour clouer au pilori de l’ânerie congénitale celle, par exemple, d’un Arnaud Viviant, affirmer la vanité et l’absolue vacuité de l’œuvre d’un Sollers. Bien sûr, cette minuscule liste de «Nains et de Mégères» (à laquelle s’ajoute une théorie dolente et interminable de morpions bavards), du reste chaque semaine ou presque enrichie dans la Zone, grossit sans que rien, aucune force dévastatrice, ne puisse dégonfler l’immense baudruche de mots sonores et vides. Je le sais bien. La Zone est donc, n’importe quel lecteur peut s’en rendre vite compte, une terre gaste hantée par la mélancolie, le souvenir de l’idéal saccagé sur lequel pleurait un Bloy par exemple. Tout fanatique est une espèce monstrueuse de marin de Coleridge, errant de port en port ou, dans mon cas, si je puis risquer l’image, égorgeant de porc en porc. Seulement, je sais parfaitement que le troupeau est immense et que je crèverai en conséquence, de fatigue et roué de coups, avant d’avoir sensiblement tondu quelques larges groins de fatuité.

Vox Galliae
À travers le titre (Dissection du cadavre de la littérature) de votre blog, doit-on comprendre que selon vous la littérature est morte ? Comment voyez-vous le monde littéraire en ce début de XXIe siècle ?

Juan Asensio
Oui, la littérature est morte. Elle est morte ou… presque et ses voix les plus tonitruantes sont également, dans le même temps, les plus beaux exemples de charognes animées par des mots trompeurs. Je ne sais si le cadavre bouge encore mais il est en revanche sûr que, comme le Valdemar de Poe, seul le pouvoir de quelque prestidigitateur l’empêche de se transformer en pourriture liquide. Parfois aussi, comme Thibault de La Jacquière, le Stalker baise de belles femmes tentantes qui ne se révèlent être rien de plus que des cadavres aguicheurs. Je songe par exemple à Pogrom de Bénier-Bürckel.
Le monde littéraire, que je ne vois pas mais renifle avec un réel dégoût à des kilomètres de distance, est une infection, que voulez-vous donc qu’il soit d’autre ? Car enfin, vous me lisez, n’est-ce pas ? Croyez-vous vraiment que je sois exactement le genre d’auteur auquel un éditeur va proposer une montagne d’or à la signature de son mirobolant contrat ? Non, non, je reste modeste : mon rôle, et il est déjà bien suffisant, est de purger quelque peu la fosse de Babel putride que creuse la littérature française contemporaine. Parfois, j’ai la chance de pouvoir exposer au public d’étranges et monstrueux poissons capturés dans les profondeurs où nulle lumière ne pénètre.

Vox Galliae
Mis à part votre blog, à quels autres projets participez-vous actuellement ?

Juan Asensio
Mon troisième essai va paraître dans quelques jours [c'est à présent chose faite], publié par les éditions du Rocher. Il s’agit d’un recueil de critiques littéraires faisant suite à un ouvrage assez difficile, publié par Matthieu Baumier chez A contrario, La Littérature à contre-nuit, qui évoquait plus explicitement les liens complexes que la parole entretient avec le Mal. Je participe aussi, suivant mes humeurs et, bien sûr, les propositions qui me sont faites, à plusieurs revues comme Contrelittérature, Libres, L’Atelier du roman, Nunc, Liberté politique ou encore La Presse littéraire [collaboration récemment suspendue]. J’ai également contribué à plusieurs ouvrages collectifs, parus ou à paraître et, enfin, collabore à Ring que vous avez tout récemment évoqué avec son fondateur, David Kersan.

Vox Galliae
Quels sont les auteurs contemporains qui vous intéressent ?

Juan Asensio
Il y en a beaucoup, heureusement : George Steiner bien sûr qui, se contentant à présent d’exploiter dignement sa carrière, ne publie plus que des articles honteusement présentés (comme vient de le faire Arléa) comme étant des livres. Michel Houellebecq encore, Maurice G Dantec, Jean Védrines, Sarah Vajda je l’ai dit, mais aussi Renaud Camus, Alain Finkielkraut, l’excellent et trop tôt, hélas, disparu, Philippe Muray. J’ai aimé Gracq avant de constater, tout de même assez vite, que son œuvre romanesque (celle consacrée à la critique résistera mieux je crois à la maladie) était affligée d’une paradoxale flatulence : sans lâcher la moindre odeur, signe tout de même d’une politesse rare, la baudruche se dégonfle dès la deuxième lecture d’Un beau ténébreux ou du Rivage des Syrtes. Il y a, au moins, une écriture, superbe mais derrière… Rien. Sollers lui aussi écrit depuis des années pour ne strictement rien dire mais son style n’est probablement plus goûté que par la redoutable et intemporelle Josyane Savigneau. Chez les étrangers, Ernesto Sábato, Imre Kertész, Eugenio Corti, Roberto Calasso, W.G. Sebald, mort il y a quelques années à peine. Beaucoup d’autres qui ne me viennent pas immédiatement à l’esprit (comme des romanciers américains par exemple : Selby, Tosches, etc.), dont les préoccupations littéraires et l’ambition parfois réellement prométhéennes, sont tout de même à des années-lumière des velléités ridicules des écrivains français qui se réfugient, par peur de la grandeur sans doute, dans le minimalisme, voire le lettrisme de Marie Darrieussecq. C’est tout de même une affreuse banalité que d’écrire que nous avons, actuellement, un milliard de petits Zeller pour un Céline hypothétique, comble de malchance parfaitement absent. La comparaison devient pour le coup parfaitement comique lorsque nous songeons à l’extraordinaire période que connut notre littérature au tournant du XXe siècle et jusqu’à l’immédiat après Deuxième Guerre. Où sont, à l’heure où je vous parle, les Bloy, Valéry, Massignon, Barrès, Huysmans, Gide, Péguy, Bernanos, Claudel, Mauriac, Drieu et tant d’autres ? Heureusement me direz-vous, nous avons Florian Zeller. Même constat concernant la poésie de langue française, inepte si on ose la rapprocher des grandes œuvres contemporaines de langue anglaise, ridicule même si on fait l’exercice de lire tel recueil accablant après quelque belle page ample de Saint-John Perse. J’imagine, n’étant pas spécialiste en ces domaines, que le même constat alarmant pourrait être fait à propos des arts picturaux et musicaux.

Vox Galliae
Quel est le dernier ouvrage qui vous a impressionné ?

Juan Asensio
Il y en a plusieurs, là aussi, et j’allais écrire : heureusement. Amnésie de Sarah Vajda. La ruine de Kasch de Roberto Calasso, Outrepas de Renaud Camus. J’ai évoqué dans la Zone ces trois ouvrages. Il y a encore Les yeux d’Ézéchiel d’Abellio, récemment relu, bizarre roman grondant de secrets politiques et de collaborations souterraines, plongée inavouable dans notre société devenue folle, miraculeusement annoncée il y a de cela des années par l’auteur de La Fosse de Babel. Je dois vous dire que je relis beaucoup plus que je ne lis : toujours les mêmes auteurs d’ailleurs, Bloy, Bernanos, Shakespeare, Conrad, Dostoïevski, Faulkner, Kraus, Canetti, Kierkegaard, Broch, Maistre, Hello, Poe, etc.

Vox Galliae
Au-delà du blog, pourquoi ne pas faire une revue papier ?

Juan Asensio
Je l’ai déjà fait, il y a quelques années : la revue s’appelait Les Brandes. Je préfère à présent me contenter de près ou de loin de participer à des revues qui existent déjà car en diriger une est certes une expérience extraordinaire mais vraiment difficile, qui plus est dévoratrice de temps et d’argent.

Vox Galliae
Quels sont vos projets à venir ? Vos objectifs à moyen terme ? Envisagez-vous d’écrire ?

Juan Asensio
Je vous le demande : faire œuvre de critique, je veux dire, de critique littéraire véritable, n’est-ce pas déjà, pleinement, écrire ? Je n’ai jamais dissocié l’acte critique du plaisir d’écrire et toutes les grandes œuvres critiques sont, presque toujours il me semble, des monuments de style : voyez Harold Bloom, Weidlé, Claudel, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Blanchot même, plus intéressant lorsqu’il fait œuvre de critique que lorsqu’il joue au romancier hypothético-déductif. Même Derrida, à petites doses, peut être passionnant.
Je me moque des objectifs à court, moyen ou long termes, n’étant pas carriériste pour un sou. Le travail que j’accomplis dans la Zone, pour l’instant, suffit à remplir une bonne partie de mes journées.