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08/02/2011

La crise de la littérature française et la nullitologie horizontale, 2 : la déshumanisation de l'art romanesque

Crédits photographiques : Charles Rex Arbogast (AP Photo).

«In hac Verbi copula
Stupet omni regula
Verbum caro factum est.
»

«Dans la copule de ce Verbe
Toute règle est frappée d'inanité :
Le Verbe a été fait chair.»
Alain de Lille, Rythmus de Incarnatione Christi (in L'homme devant Dieu,Mélanges de Lubac, Aubier, 1964, pp. 126-128, traduction d'Alexandre Leupin).


Le roman français exsude un parfum de charnier : il est rempli de corps en décomposition que quelques habiles embaumeurs maquillent avec les couleurs de la vie.
Beigbeder, Meyronnis, Haenel, Sollers, Binet, Ezine, Claro, Enard, Gaudé, ces noms et tant d'autres ne sont plus portés par des écrivains français. Ils ne sont peut-être même plus portés par des hommes vivants.
Proposition non pas contraire mais strictement équivalente à la précédente, notre époque est celle, pour le roman français, de sa plus parfaite déshumanisation, parce qu'elle n'a été voulue par personne, parce qu'elle n'a été portée en étendard par nul chef de file d'une école esthétique proclamant le refus de la chair et du monde, exaltant, une fois encore, le refuge dans l'art pur, l'art qui oublie le visage de l'homme pour lui préférer le masque des abstractions.
Après la dévitalisation de la langue française considérée comme un organisme vivant malade, sa désincarnation. Ces deux mouvements sont bien évidemment liés puisque, en perdant sa capacité d'évocation et en se figeant dans l'immobilité de la redite bavarde, la langue ne circule plus dans l'organisme, ne l'informe plus, ne saisit pas le monde pour l'homme qui en célébrera la beauté et le mystère.
Avec l'étiolement de la capacité d'admiration de l'homme (puisque, dit le grand poète, elles sont dans l'exultation, les voix de l'homme), la beauté se referme, s'enclot dans la tristesse et le mutisme selon Walter Benjamin, et l'homme se meurt, il traîne derrière lui son désespoir ridicule, qu'il ne prétend même plus chanter comme le faisait, au moins, le Vieux Marin de Coleridge. Un mourant n'a que faire de l'art, et un homme sans parole parce qu'il en prononce trop se moque d'écrire des romans ayant une voix, cherchant leur voie dans l'exultation. Le romancier contemporain n'est qu'un ventriloque mais, s'il est honnête, ce qui est finalement rare, il sait qu'il n'est, au mieux, qu'un commis ou, mieux, un vicaire.
Le romancier médiocre attend le grand romancier et, n'osant s'avouer la nature de son attente, il trompe son ennui en écrivant de mauvais romans et en consumant sa colère de n'être que cela, un nain en lieu et place d'un grand.
Il sera, du moins espérons-le, balayé par le grand, qui ne prendra même pas le soin de se faire baptiser par son prédécesseur.
Le salut ne nous sera pas donné pour autant, mais simplement indiqué et, de nouveau, attendu. Qui oserait prétendre que le grand romancier pourrait faire autre chose qu'être, à son tour, une vigie ? Le salut n'appartient assurément pas au domaine de l'art que ce dernier, lorsqu'il tente de se hausser à une transparence d'icône, lorsqu'il oublie de bavarder pour créer et recréer un monde, ne peut qu'espérer, figurer maladroitement dans ses plus hautes tentatives.
Cette figuration serait cependant, pour nous, une bouffée d'oxygène, parce qu'elle retrouverait, en même temps que le sens de la grandeur, la volonté de redonner quelque consistance à des romans qui, littéralement, ne se tiennent plus.
Le salut viendrait-il, ainsi, d'une réincarnation du roman, proposition qui s'érigerait contre la thèse, remarquable, extrême, du grand médiéviste Alexandre Leupin ?
Nous retrouverons cette question à la fin de notre texte.
Pour le moment, plongeons dans le rêve de l'homme qui fixe, sans s'intéresser à leurs mouvements et à leurs discussions, les figures humaines qui l'entourent dans ce café où il est entré lire un livre dont nous ne voyons pas la couverture.
Il a posé ce livre lorsqu'il a salué, d'une poignée de main, l'homme avec lequel il a ensuite discuté un temps, Jean-Philippe Domecq, un nom qui a fait trembler et continue de faire trembler beaucoup de nains et de mégères.
Le vacarme du Zimmer se referme sur lui comme s'il était tout à coup plongé dans la profondeur d'une eau de plus en plus noire. Il s'enfonce dans une nouvelle songerie.
Chutant comme le dormeur d'Aloysius Bertrand de mauvais rêve en mauvais rêve, poursuivant ma bizarre rêverie sur les possibles raisons d'une crise de la littérature française contemporaine (surtout, je l'ai dit, dans ses productions romanesques, les seules que je connaisse bien), il m'a semblé que le texte de José Ortega y Gasset intitulé La déshumanisation de l'art (1), pourtant publié en 1925 (dans la Revista de Occidente), pouvait ouvrir quelque jour dans l'épaisse muraille de livres médiocres derrière laquelle se cache, peut-être, le Minotaure que j'attends sans relâche depuis des années : un auteur français non point de talent (il y en a beaucoup, fort heureusement) mais de génie, un romancier de race dont l'intelligence et la puissance d'écriture pourraient être réellement comparées à celles d'un Conrad, d'un Balzac, d'un Faulkner, d'un Proust, d'un Broch ou d'un Musil, d'un Penn Warren, d'un Gadenne, d'un McCarthy ou d'un Bolaño.
Ce Minotaure, le monstre du romanesque selon Bergamin, existe sans doute mais il reste invisible, car je n'ai bien évidemment pas tout lu et j'ai peut-être même mal lu certaines œuvres. Du moins, me dis-je pour ne point trop accabler le ridicule empan de mes lectures, du moins aurais-je, dans l'hypothèse où je fus passé à côté d'un grand auteur vivant, sans doute fini par lire quelque article où cet écrivain inconnu ou ignoré de moi eût été considéré, à tort ou à raison, selon l'irrésistible sottise des images journalistiques, comme la version française d'un Faulkner, ou de tout autre grand romancier anglo-saxon. Mais cet article, je ne l'ai pas lu à moins qu'il n'existe tout simplement pas puisque la matière qui serait la sienne serait une absurde vue de l'esprit : un romancier français, encore vivant, de génie, voilà une absurdité à laquelle aucun journaliste, fût-il la crapule la plus lamentablement corrompue, ne nous fera croire.
Il est vrai que les noms de Richard Millet, Pierre Jourde, François Taillandier ont pu être ici ou là associés à ceux d'écrivains nord-américains, même de façon éphémère et irraisonnée, afin d'éviter une étude plus poussée des liens d'écriture et de composition unissant les univers respectifs de ces auteurs, mais enfin, aucune rumeur d'importance, aucune lame déferlante, pas même un tenace bruit de fond qui serait parvenu lécher les premières briques du Haut Château depuis lequel, esclave bien plus que maître, je prêche dans le désert des lettres françaises, ne sont venus rompre ma solitude enchantée. Le sortilège qui m'emprisonne n'est pas facile à délier : je serai libre le jour où je saluerai un écrivain français, de préférence vivant, dont les romans signeront une œuvre de grande importance.
«Le 14 octobre 1924, écrit le grand critique Michel Raimond dans sa Crise du roman (2) Boylesve donnait à la Revue de France son article, Un genre littéraire en danger, le Roman. C'était l'ouverture d'une querelle qui devait occuper toute l'année 1925, et pendant laquelle les défenses succédaient aux réquisitoires.»
Il y a bien peu de chances, je le crains, pour qu'une nouvelle querelle, autour de cette question on le constate ancienne, d'une crise réelle ou fantasmée du roman puisse émerger de son caveau, se défaire des bandelettes avec lesquelles les journalistes ont enveloppé le cadavre et, devant nos regards ahuris et dégoûtés, jette de nouveau quelques pincées de sa chair saponifiée, embaume l'atmosphère de putrides fragrances, nous oblige enfin à considérer avec attention ses révélations sur le royaume des ombres, comme s'il s'agissait de quelque M. Valdemar dont la voix d'outre-tombe eût été miraculeusement préservée de la corruption et de la pourriture, le temps d'une ultime révélation.
Pourtant, le stakhanoviste Richard Millet publie un livre par semestre pour nous expliquer que le roman français ne vaut, dans son ensemble, plus rien du tout et les jumeaux Meyronnis/Haenel, Janus de la médiocrité bavarde et de la fausse érudition, n'hésitent pas à plonger dans le chaos germanopratin pour sortir, tout fumants des indicibles dangers traversés, dans la gloire de l'extase d'une écriture qui aurait enfin triomphé du nihilisme, ce Golem que nul n'a jamais vu se déplacer, lourd et vacillant sur ses pieds de terre, dans les venelles sombres, rôdant pour commettre quelque crime horrible dans les boudoirs du petit monde des lettres. Diable, Sollers aurait-il donc disparu ?
Mais nous avons beau affirmer (réaffirmer) que les concaténations de nos deux études ne s'apparentent qu'au déroulement étrange et pourtant implacable qui est celui des rêves, il ne doit toutefois pas y avoir de place dans notre songe, même celle que l'on réserve aux larves et aux grotesques qui, s'ils sont sur scène, se produisent sur les planches d'un vaudeville dont le scénario miteux a été rédigé par quelque M. Déloyal, Philippe Sollers par exemple tout pressé de flinguer ses plus dignes héritiers en autorisant toutes leurs inepties.
Et puis, déjà, un danger me presse, car je dois faire face aux critiques qui sont soulevées par mes lecteurs, à la simple évocation d'une déshumanisation de l'art romanesque, alors même, me rétorquera-t-on, que le roman français est sorti vivant du piège que lui avaient tendu les laborieux cacographes irénistes du Nouveau Roman, robots poussifs exécrant toute trace de chair qui eût signifié à leurs yeux la présence irrécusable de l'auteur, alors même que notre époque déborde pourtant de romans qui fouillent et fouaillent la chair ou plutôt le corps, parfois beaux, le plus souvent irrécupérablement nuls comme ceux de Yann Moix ou de Virginie Despentes, parfois encore ineptes ou médiocres (avant même qu'ils ne se boucanent d'un vague fumet de mysticisme), louches ou oscillant entre l'éclair de poésie et la répétition maladive et fastidieuse. Oui, ils sont légion, les romans qui évoquent la chair et les transformations de la figure humaine en face ou en masque grimaçant.
Cette quantité qui se drape des atours de la respectabilité, cette pétition de principe que nous pourrions énoncer de la façon suivante : le roman français contemporain est obsédé par le corps, donc il est au centre de la question de l'humain, sont trompeuses. Il y a déshumanisation de l'art romanesque contemporain, mais celle-ci, à la différence de ce qu'Ortega y Gasset affirma de l'art nouveau, n'est tout d'abord pas érigée en guise de manifeste esthétique : elle est, tout simplement, un fait tellement irrécusable que nul ne s'avise de tenter son analyse. En somme, nous ne parvenons pas à adopter le point de vue de Sirius sur les productions romanesques actuelles parce que, aux yeux même de celles et ceux qui les écrivent, il n'y a ni crise ni volonté de faire table rase de formes littéraires héritées du passé. Ensuite, cette déshumanisation est à ce point profonde, inconsciente, instinctive, que nul ne semble s'être avisé que c'est bien la figure véritable de l'homme que les romanciers français n'osent plus mettre au centre de leur texte, fascinant caméléon selon Pic de la Mirandole depuis lequel rayonne l'univers entier.
Les naïfs et les optimistes indécrottables, pourtant, de me répéter, inlassablement : vous vous trompez, l'humain est bien au cœur de l'art romanesque contemporain puisque, voyez, le corps y exulte ! Il me serait en effet aisé de parer à cette double objection, qui n'en est certainement qu'une si l'on admet que le Nouveau Roman, bien qu'abandonné de tous les écrivains sauf de quelques vieux mollusques verdâtres réfugiés aux Éditions de Minuit et qui filtrent leur ennui comme une moule tamise des hectolitres d'eau de mer au cours de sa vie pourtant courte, a tout de même saigné durablement l'art romanesque français, le vidant de ses entrailles, le laissant comme une coquille vide accrochée pour des siècles à son arrête de rocher battu par le ressac. Faisons de plus remarquer que le fait que les romanciers contemporains paraissent de toute leur force chercher la signification du visage, de la chair, du corps humain, ne signifie donc pas qu'ils puissent partir de cette certitude toute simple, non médiatisable, qu'est la réelle présence qui se donne dans et par la figure comme métonymie de l'infini, afin d'en oser quelque oraison (elle aussi, on le suppose, strictement charnelle).
En guise et place de personnages romanesques qui seraient suffisamment incarnés pour hanter, plus féroces que des êtres de chair et de sang, nos nuits et nos jours durant des mois comme le furent pour le jeune lecteur affamé que j'étais, tels des démons torves et remplis d'un souffle infernal, le Popeye ou le Thomas Sutpen de Faulkner, le Nostromo de Conrad, le Consul de Lowry ou l'Alejandra de Sábato, en guise et place de ces créations remarquables qui semblent aisément pouvoir quitter les pages d'un livre pour s'aventurer à la lumière du jour, nous n'avons que quelques pénibles marionnettes jouant le rôle convenu du raté alcoolisé à prétentions littéraires ou celui, tout aussi convenu, du ridicule bad boy à la française qui trompe son ennui entre les cuisses des cocottes littéraires. Lorsque, paraît-il, le sorcier ayant créé ces homoncules est vraiment doué selon les journalistes (comme Jean-Louis Ezine, nous dit-on, est doué), nous nous trouvons en face d'un irrépressible nostalgique qui ne parvient guère à ajointer l'histoire de son enfance et celle de la France et nous bassine des pages durant avec une histoire mort-née qui ne parvient pas à se taire.
Un corps vide, donc, celui des romans français qui pourtant ne cessent de mettre en scène des corps, sans vraiment parvenir à nous persuader qu'ils sont autre chose que de fluets ectoplasmes rhétoriques.
Omne corpus fugiendum est disait saint Augustin. Nous pourrions ainsi répéter avec lui que tout corps est fugace, surtout celui que nous expose le cadavre de la littérature française. Les exemples sont multipliables à l'infini ou presque je crois de ces marionnettes qui s'agitent entre les pages des romans hexagonaux les plus récents sans jamais nous donner l'impression de nous trouver en face de créatures que la seule volonté de l'auteur a rendues vivantes. En fait, il faut peut-être, pour être tout à fait juste envers ces créatures chimériques, reconnaître le fait qu'elles sont tout de même moins creuses que leurs créateurs et qu'elles nous semblent douées de plus de vie que celle qui s'enfuit des veines de nos écrivains.
La déshumanisation de l'art romanesque français contemporain me semble une espèce d'évidence qui, quels que soient les exemples donnés confortant le constat d'un véritable naufrage, est assez difficile à définir, encore plus à expliquer.
D'où nous vient donc cette impression, pour le moins tenace, que, multipliant les scènes entre des corps, le roman français ressemble à une vaste salle de dissection où sont exposés des centaines de cadavres mimant les gestes des vivants ?
Examinant l'art nouveau de son époque, José Ortega y Gasset constatait qu'il prônait la déshumanisation pour deux raisons : «l’art dont nous parlons n’est pas seulement inhumain parce qu’il ne contient aucune chose humaine, mais parce qu’il consiste activement en cette opération de déshumaniser. Dans sa fuite de l’humain, ce qui lui importe, ce n’est pas tant le terme ad quem, la faune hétéroclite à laquelle il parvient, que le terme a quo, l’aspect humain qu’il détruit» (p. 83).
L'art nouveau, selon le philosophe espagnol, ne se contente donc pas seulement de se détourner de l'aspect humain, mais encore il l'exècre et lui fait violence : «Le plaisir esthétique pour le nouvel artiste émane de ce triomphe sur l’humain; c’est pour cela qu’il faut concrétiser la victoire et présenter chaque fois la victime étranglée» (pp. 83-4).
Dans cette victoire de l'art nouveau sur la si vieille lune qu'est la représentation de l'humain dans les arts, Ortega y Gasset lit un geste d'orgueil, qu'il ne condamne d'aucune façon, qu'il comprend même : «La «réalité» guette constamment l’artiste pour l’empêcher de s’évader. Que d’astuce est nécessaire à la fugue géniale ! Il doit être un Ulysse à l’envers, qui se libère de sa Pénélope quotidienne pour naviguer parmi les écueils vers la sorcellerie de Circé. Lorsqu’il parvient à échapper un moment à cette traque perpétuelle, n’interprétons pas mal chez l’artiste un geste d’orgueil, un geste bref à la Saint-Georges, le dragon jugulé à ses pieds» (p. 84).
Comment notre penseur explique-t-il ce véritable dégoût de la chair (3) ? Étrange explication à vrai dire que celle d'Ortega y Gasset, qui tient dans le fait que l'art nouveau n'a pu que se retourner contre celui qui l'a précédé et qui a non seulement consacré le triomphe des corps en littérature (que l'on songe aux romans de Zola) mais qui a exalté la multitude démocratique des corps qui étaient les lecteurs de ces mêmes romans. De telle sorte que naturalisme et romantisme (romantisme surtout) ont été les formes triomphales de l'ascension au pouvoir des foules, alors que l'art nouveau semble avoir trouvé son couronnement singulier dans la figure de Mallarmé à tout prix désireux d'effacer la figure humaine de ses textes (4) : «Le romantisme a été le style populaire par excellence. Premier enfant de la démocratie, il fut traité avec la plus grande considération même par la masse» (p. 67).
Or, puisque toute répétition, en matière d'art, est un échec (5), il faut bien que l'art nouveau se consacre à l'exploration du domaine, infini, de la non-représentation de la réalité, tout en acceptant puis en revendiquant le fait de ne plus s'adresser aux masses qui préfèrent, à la pure désincarnation du style, le grossier spectacle de poupées de cire mimant l'apparence de l'humain.
Étrange retournement, à vrai dire, de la proposition faite par Ortega y Gasset puisque ce sont au contraire, de nos jours, les romans qui sont lus par le plus de lecteurs qui paraissent être les plus déshumanisés mais non point comme s'ils étaient l'application consciente d'un programme esthétique : leur déshumanisation provient plutôt d'un manque essentiel bien davantage que d'une pose artistique ou de la volonté d'une école de faire table rase du passé, manque que j'ai cru pouvoir analyser en évoquant la fatigue de la langue française, vieux corps malade attaqué de toutes parts.
Second retournement ensuite puisque, si Ortega y Gasset pouvait saluer le fait que l'art pur ou nouveau excluait toute forme de pathétisme (cf. p. 104), nous constatons bien au contraire que l'art romanesque contemporain, à de très rares exceptions près (comme Le jour où le ciel s'en va de Jean-Philippe Domecq), suinte de bons sentiments comme une éponge gorgée de sirop, y compris même lorsque le propos du romancier se prétend faussement détaché par la vertu de la distanciation historique (voir Yannick Haenel mais aussi Laurent Binet).
Tout se passe en fait comme si le roman contemporain, parce qu'il est peu désireux de frayer les voies traditionnelles (6) qui furent celles du siècle passé (exception faite, je l'ai dit, de l'aventure sans lendemain du Nouveau Roman, qui tout entier semble sorti d'une phrase d'Ortgea y Gasset), manquait à sa parole, errait comme une âme en peine privée du double refuge de la chair ou bien du Paradis (ou de l'Enfer). Le roman français vit d'une existence atone, fuligineuse, sans doute parce que son lieu d'élection involontaire n'est autre que le royaume sans forme des limbes.
Refusant la représentation de la réalité et de la nature humaine mais sombrant pourtant dans le remugle des corps, exécrant toute forme de pathétisme mais déversant pourtant des tombereaux de naïves banalités, le roman contemporain poursuit, une fois de plus sans le savoir, le projet fou d'accomplir l'ultime travail d'Hercule, qui à vrai dire effraya Ortega y Gasset lui-même (7) : en finir avec Dieu après s'être retourné contre lui-même.
Double échec, de nouveau : car, en se retournant contre lui-même, le roman contemporain n'est point le témoignage, comme l'affirmait Ortega y Gasset de celui de son époque, d'une ironie salutaire (8). Certes, nos petits romanciers font les malins, ils veulent rire puisqu'ils sont de grands enfants. José Ortega y Gasset n'affirmait-il pas, d'ailleurs, que l'art nouveau se distinguait, aussi, par sa volonté d'être puéril ? : «Tout l’art nouveau devient compréhensible et acquiert une certaine dose de grandeur lorsqu’on l’interprète comme une tentative d’insuffler de la puérilité dans un monde vieux» (p. 108). Ce n'est là que la surface d'une mer qui, littéralement, bouillonne dans ses profondeurs. Observez bien ce qu'ils écrivent, nos romanciers qui ne sont jeunes qu'en apparence, qui en fait sont des vieillards ayant non point oublié mais trahi l'esprit d'enfance. Goûtez le ridicule et l'odieux de certaines de leurs déclarations (tout récemment jamais mieux illustrées que par Michel Houellebecq exsudant à grosses gouttes une joie et un plaisir non pas enfantins mais infantiles après avoir reçu le Prix Goncourt) : leur ironie est feinte, leur assurance est fausse, leur joie n'existe pas, c'est une délectation et un ennui morbides qui ont pris la place de la joie enfuie, qu'ils ont même renoncé à poursuivre de livre en livre. Ils savent bien, au fond, que quelque chose est pourri dans le royaume de papier de la littérature française. Ils le savent bien, du moins pour les plus sensibles ou honnêtes mais, comme ils n'ont pas la force de lancer une œuvre qui balaierait d'un souffle la montagne de rinçures, ils continuent d'écrire des insignifiances, vivant à crédit, transmettant leur vide aux générations qui viennent et leurs mots vidés de leur chair, pipés comme des dés truqués.
Ai-je également besoin de préciser que, étant enfin parvenus à se débarrasser de Dieu à si peu de frais puisque ce sont leurs prédécesseurs qui ont lutté de toutes leurs forces contre Lui, ils paraissent ne plus supporter l'horrible solitude qui règne dans leur château désert où, devenus des vieillards guignant vers la chair tentatrice des jeunes, ils mendient un simple geste d'amitié, ils attendent, de l'horrible visage qui se reflète dans leur miroir, un sourire de satisfaction vicieuse, comme nous le montrent Gabriel Matzneff mais aussi Renaud Camus, tous deux tombés dans le bidet de l'auto-contemplation perpétuelle ? De sorte qu'ils tentent de la repeupler de toutes leurs forces, substituant à la certitude de Dieu (qu'importe même qu'il soit invisible, s'il existe) une foultitude de fantômes grimaçants ou, comme l'écrit Ortega y Gasset en utilisant une image pour le moins évocatrice : «Si l’on peut dire que l’art sauve l’homme, c’est seulement parce qu’il le sauve de la gravité de la vie et suscite en lui un état puéril inespéré. La flûte magique de Pan redevient le symbole même de l’art, qui fait danser les boucs à la lisière du bois» (p. 108).
En effet, si la déshumanisation de l'art n'est plus, en aucun cas, un projet artistique mais la triste vérité de notre présent et aussi la forme d'incarnation parodique dans lesquelles le roman français actuel est tombé, il nous semble que ce même roman a remplacé Dieu par le sacré, tout comme il a remplacé la chair par l'excoriation du corps. Je n'ai bien évidemment pas la place de tenter de définir l'indéfinissable concept qu'est le sacré mais sans doute ferons-nous quelque économie de temps en excluant de pénétrer dans le vaste domaine de l'histoire des religions et en remarquant que le sacré lui-même semble s'être vidé de tout contenu, ne laissant plus, en lieu et place d'un symbolisme universel évoquant, sur Terre, la présence des dieux enfuis, que le torve et le louche, le grotesque et le fantastique, comme tel récent roman de Romain Verger l'illustre.
Et c'est ainsi que nous retrouvons le constat plus haut évoqué d'une disparition, dirait-on honteuse, de la chair et de ses tourments alors même que la pornographie triomphe dans les romans comme dans le reste des médias et, partant, dans nos cerveaux harassés par des images orthonormées de désirs immédiatement satisfaits et de créatures dont nous connaissons mieux les cavités que si nous étions des chirurgiens expérimentés. Le refus de la transcendance, qui lui aussi effraya Ortega y Gasset (9), est intimement lié à la métaphore filée de la déshumanisation (10).
Voici ce qu'écrit le penseur sur ce refus de la transcendance, dernière caractéristique à ses yeux de l'art nouveau (11), refus s'exprimant doublement, d'abord par un art qui rejette l'horizon théologique mais, tout autant, n'accorde plus guère d'importance à sa propre transcendante puissance sociale : «L’art était transcendant aux deux sens du terme. Il l’était par son sujet qui était constitué par les plus graves problèmes de l’humanité, et il l’était par lui-même, comme puissance humaine qui octroyait une justification et une dignité à l’espèce. Il fallait voir ce geste solennel qu’adoptaient devant la foule le grand poète et le musicien génial, le geste d’un prophète ou d’un fondateur de religion, la prestance majestueuse d’un homme d’État responsable des destinées universelles» (p. 107).
Nouveau retournement, selon la logique propre à notre époque car, en refusant la chair et Dieu, en refusant le Dieu incarné, le roman contemporain retrouve l'une et l'autre, mais putanisés. Il est de fait assez facile d'avancer que jamais la chair, ses secrets, ses humbles misères et ses répugnantes splendeurs n'aura été plus présente, dans le roman français, qu'à l'époque où le catholicisme exerçait encore une véritable magistrature sur les esprits et, bien sûr, les âmes (12).
Je ne vois pas que nos auteurs soient excessivement fascinés par la très profonde théologie chrétienne de la chair même si, ici ou là, dans les romans de Dantec le récent converti (conversion que j'annonçai comme étant, pour cet auteur, la seule voie logique) comme dans le dernier texte de Michel Houellebecq, j'ai cru déceler une fascination qui emprunte son vocabulaire au christianisme.
De fait, ce sont pourtant les textes hantés par une chair chrétienne déchue (comme avec M. Ouine ou, bien avant le roman de Bernanos, l'ignoble Peredonov de Sologoub), souffrante (le Didier des splendides Hauts-Quartiers de Paul Gadenne) ou même misérable (le père et le fils de La Route de McCarthy), ce sont pourtant ces textes qui nous permettent de penser que l'art sans la réelle présence du corps (exécré, torturé, mortifié, mais corps tout de même) est un art non point déshumanisé mais réduit à sa plus bavarde insignifiance.
Dans un très grand essai à peu près oublié intitulé Fiction et incarnation. Littérature et théologie au Moyen Âge (Flammarion, coll. Idées et Recherches, 1993), Alexandre Leupin cite un très beau poème d'Alain de Lille, le Rythmus de Incarnatione Christi qui, en quelques vers ramassés à l'extrême et contre l'exemple même des Noces de Mercure et de Philologie évoquant la possibilité d'une totalisation du savoir par les mots et les chiffres mathématiques, affirme «l'impuissance des sept disciplines libérales devant le miracle de l'Incarnation» (cf. op cit., p. 136). Je ne puis que me contenter de renvoyer le lecteur intéressé à ce grand essai de Leupin qui développe longuement, au moyen d'exemples précis, une thèse infirmant la puissance du discours antique, thèse que nous résumerons commodément par cette phrase significative : «La grammaire ne peut saisir le Christ incarné, qui est à la fois sujet divin et complément d'objet humain; la dialectique se trouve renversée par l'union des contraires que représente un Dieu fait homme; la rhétorique ne trouve pas, dans ses inventaires, le nouveau trope, la métaphore inouïe de l'Incarnation» (Ibid.).
Loin d'incarner, donc, une présence réelle, eucharistique, la littérature témoignerait en l'illustrant d'un mouvement de désincarnation qui, selon Alain de Lille, ne peut être annulé que dans et par le discours théologique et la poésie chrétienne. Tout autre usage des figures littéraires telles que la métaphore, sur laquelle José Ortega y Gasset a de très belles phrases (13), ne peut être que falsigraphie inspirée par l'hérésie docétiste qui n'admet, dans le corps incarné du Christ, qu'un ectoplasme et vide ainsi l'eucharistie de sa substance.
La vérité de la fiction littéraire se fonde donc sur l'absolu dégoût de la présence réelle, si la littérature, comme l'affirme Leupin évoquant les vers de Guillaume de Machaut, est une «profanation de la théologie» (p. 190).
La thèse de Leupin est peut-être très intéressante et même diablement séduisante, mais elle est assurément extrémiste dans ses conclusions, même si l'auteur, aux dernières lignes de son livre, prend le soin d'élargir le corpus des œuvres qui pourraient bénéficier d'un tel éclairage en évoquant quelques auteurs modernes (notons, au passage, qu'il évoque alors une étude thématique de l'incarnation plutôt que les raisons de l'échec de la littérature à la dire et la figurer) : non plus seulement la littérature antique et médiévale mais «le Racine des pièces dites «religieuses», le Christ balzacien de la paternité, les résurrections de Thomas l'obscur [...] chez Maurice Blanchot, l'Eucharistie perverse de Klossowski» (p. 196).
Mon travail, en tous les cas, a toujours consisté à saluer des romans qui rendaient à l'homme sa figure, c'est-à-dire sa grandeur et sa dignité et ce n'est sans doute pas faire preuve d'un orgueil démesuré que d'affirmer que ce travail critique essaie lui aussi, tant bien que mal, de réhumaniser des livres sans poids ni conséquences, pour paraphraser Jean-Philippe Domecq (14).

Notes
littérature,critique littéraire,polémiques,josé ortega y gasset,la déshumanisation de l'art(1) José Ortega y Gasset, La déshumanisation de l'art suivie de Idées sur le roman et de L'art au présent et au passé (traduit de l'espagnol par Paul Aubert et Ève Giustiniani, préface, remarquable soulignons-le, de Paul Aubert, Éditions Sulliver, 2008). Les pages entre parenthèses renvoient toutes à cette édition.
(2) La crise du roman, des lendemains du Naturalisme aux années vingt [1966], José Corti, 1993, p. 128.
(3) «Il me semble que la nouvelle sensibilité est dominée par un dégoût de ce qui est humain dans l’art très proche de celui qu’ont toujours ressenti les hommes supérieurs devant les figures de cire. En revanche, cette macabre farce de cire a toujours enthousiasmé la plèbe» (p. 89).
(4) «Mallarmé fut le premier homme du siècle passé qui voulut être un poète. […] Cette poésie n’a pas besoin d’être «sentie» parce que, comme il n’y a rien d’humain en elle, il n’y a rien de pathétique en elle» (p. 91) et encore : «Que peut faire parmi ces physionomies le pauvre visage de l’homme qui officie comme poète ? une seule chose : disparaître, se volatiliser et être changé en pure voix anonyme qui soutient les mots dans l’air, véritables protagonistes de l’entreprise lyrique» (Ibid.).
(5) «Dans le domaine artistique, toute répétition est nulle. Chaque style qui apparaît dans l’histoire peut engendrer un certain nombre de formes différentes à l’intérieur d’un type générique. Mais un jour vient où la magnifique carrière s’épuise. Cela est arrivé, par exemple, avec le roman ou le théâtre romantico-naturaliste» (p. 75). Aussi : «Dans l’art, comme dans la morale, le devoir ne dépend pas de notre libre arbitre; il faut accepter l’impératif de travail que l’époque nous impose. Cette docilité à l’ordre du temps est l’unique probabilité de succès qu’a l’individu. Même ainsi, il est possible qu’il ne parvienne à rien; mais son échec est beaucoup plus sûr s’il s’obstine à composer un opéra wagnérien de plus, ou un roman naturaliste» (Ibid.).
(6) «Une bonne partie de ce que j’ai appelé «déshumanisation» et dégoût des formes de vie provient de cette antipathie pour l’interprétation traditionnelle des réalités» (p. 103).
(7) «Si maintenant nous regardons de biais la question de savoir de quel type de vie cette attaque du passé artistique est le symptôme, une vision étrange au dramatisme gigantesque nous saisit. Car, en fin de compte, agresser l’art du passé, de façon aussi générale, cela revient à se retourner contre l’Art lui-même, puisque concrètement, qu’est-ce que l’art, sinon celui qui s’est fait jusqu’ici ?» (p. 103, l'auteur souligne).
(8) «[…] l’artiste d’aujourd’hui nous invite à contempler un art qui est une plaisanterie, qui est, essentiellement, une parodie de lui-même. Au lieu de se moquer de quelqu’un ou de quelque chose en particulier – sans victime, il n’est point de comédie –, l’art nouveau ridiculise l’art» (p. 105). Et encore : «Jamais l’art ne démontre mieux son don magique qu’en se moquant de lui-même. Car, en faisant le geste de s’anéantir lui-même, il reste toujours de l’art, et par une merveilleuse dialectique, cette négation est aussi le gage de sa conservation et de son triomphe» (p. 106).
(9) «Pour l’homme de la toute nouvelle génération, l’art est quelque chose qui n’a aucune transcendance. Une fois écrite, cette phrase m’effraie, car je me rends compte qu’elle irradie d’innombrables sens différents. Ce n’est pas que l’homme d’aujourd’hui trouve que l’art est une chose sans importance, ou moins importante que pour l’homme d’hier, mais c’est que l’artiste lui-même voit son art comme une tâche sans transcendance» (p. 107).
(10) Mais aussi au fait que l'art n'occupe plus, dans la société qui est celle d'Ortega y Gasset (et que dire de la nôtre !) la place qu'il y occupait dans le passé : «Tous les caractères de l’art nouveau peuvent se résumer à ce manque de transcendance, qui, à son tour, n’est dû qu’au fait que l’art ait changé de position dans la hiérarchie des préoccupations ou des intérêts humains» (p. 109).
(11) «Si on analyse le nouveau style, on y trouve certaines tendances connexes. Il tend : 1) à la déshumanisation de l’art; 2) à éviter les formes vivantes; 3) à faire en sorte que l’œuvre d’art ne soit rien d’autre qu’une œuvre d’art; 4) à considérer l’art comme un jeu, et rien de plus; 5) à une ironie essentielle; 6) à éluder toute fausseté, et, par conséquent, à une scrupuleuse réalisation. Enfin, 7) l’art, selon les jeunes artistes, n’a aucune espèce de transcendance» (p. 75).
(12) Voir le remarquable ouvrage de Frédéric Gugelot intitulé La conversion des intellectuels au catholicisme en France (1885-1935) (Éditions CNRS, 2010).
(13) Sur la métaphore comme puissance d'extraction hors du réel (et donc force de déshumanisation) et «floraison d'îles sans pesanteur», José Ortega utilise cette très belle... métaphore : «La métaphore est probablement la puissance la plus fertile que l’homme possède. Son efficience va jusqu’à toucher les confins de la thaumaturgie et elle semble être un travail de création que Dieu oublia au sein de l’une de ses créatures au moment de la former, tout comme le chirurgien distrait oublie un instrument dans le ventre de l’opéré» (p. 92).
(14) Artistes sans art ? (Presses Pocket, Agora, 1999), p. 218.

Commentaires

Première lecture, première claque. Je tends l'autre joue, deuxième lecture, je prends la deuxième. Le sang est meilleur après décantation.
Ecrire et servir, cela serait pas mal sur votre blason.

Écrit par : Marie-Angélique | 08/02/2011

Bizarre... Pas un mot de Guillaume Dustan, ce jeune mort qui refleurira quand Jean Dutourd ne sera plus qu'une poussière sur un guéridon.

Écrit par : Bertie | 08/02/2011

Dustan est un écrivant que même les vers nécrophages auraient quelque mal à digérer, si d'aventure ils bouffaient du papier plutôt que de la chair.

Écrit par : Stalker | 08/02/2011

Je retiens deux éléments très intéressants :
-la déshumanisation, soigneusement et très bonnement expliquée,
-le commentaire + texte d'Ortega y Gasset, texte cela dit critiquable au fait d'une vision cyclique de l'histoire littéraire (par exemple cf billet précédent : Rabelais -> Céline)

Écrit par : ruben | 08/02/2011

Vous vous ouvrez les veines et versez votre encre à défendre la Littérature que vous appelez de vos vœux. J'ai beaucoup aimé votre note, vous l'avez compris dans le premier post. Au moins n'êtes-vous pas asservi et l'on ne peut guère penser que vous ne serviez pas la Littérature. Cela dit, n'avez-vous donc pas peur de vous enfermer dans votre fatalisme, chaque note étant une pierre du donjon et de finir seul, entouré de fantômes du passé? Aimeriez-vous tant les grands écrivains français que vous citez s'ils étaient vivants? Ne parlons pas de CMC, il est américain. Fouillons chez les Français! Ne peut-on trouver personne de vivant qui ait plus que du talent, du génie?
L'optimiste forcenée que je suis veut croire que l'Eucharistie reviendra avec son messie transfiguré... Mais alors qui?....

Écrit par : Marie-Angélique | 08/02/2011

Eh bien dans ce cas, quels noms d'écrivains français qui à vos yeux seraient géniaux ET vivants avez-vous à me proposer ?
Je vois de bons écrivains actuellement, ce point est je l'espère acquis puisque la Zone défend et même encense bien plus qu'elle ne conspue, mais nulle part je ne vois ce qu'il était convenu d'appeler, il n'y a tout de même pas si longtemps que cela, un grand écrivain (pour le siècle passé : Proust, Céline, Gide, Claudel, Mauriac, Bernanos, Malraux, Cendrars, etc.).

Écrit par : Stalker | 08/02/2011

J'ai cherché mais je ne trouve pas. Si Houellebecq était mort qu'en diriez-vous? "Mais la même chose enfin!", me rétorquerez-vous. Soit.
Non, je suis aussi affligée que vous sur l'état du "cadavre" mais j'ai terminé mon post en vous indiquant que, bien qu'affligée, j'étais OPTIMISTE POUR L'AVENIR et que cet écrivain viendrait nous sauver de nos péchés;)).
Je ne veux pas perdre mon optimisme.

Écrit par : Marie-Angélique | 08/02/2011

Houellebecq...
Mouais.
Si Houellebecq était mort, j'en dirais ce que j'en dis actuellement : ces romans valent ce que valent ceux d'un Dantec.
Ils sont des foyers où se concentrent quelques-uns de rayons qui finiront par enflammer notre époque.
Il arrivera du reste à MH ce qui est arrivé à Dantec, s'il se laisse happer par le pitoyable cirque médiatique qui désormais l'entoure : une dévaluation au carré, peut-être même au cube ;-)
Alors, tant pis pour ses romans, qui ne vaudront que comme témoins d'une époque et qui jamais ne parviendront à s'en affranchir, ce qui est l'une des marques des grands romans...
Et puis, d'un strict point de vue littéraire (le phrasé, le style, la puissance de l'écriture, sa force d'évocation, etc.) : allons allons !
Vous voyez bien, d'ailleurs : vous avez cherché et n'avez rien trouvé, preuve, sans doute, qu'il nous faut nous creuser quelque peu les méninges pour trouver un nom à peu près digne de considération...

Écrit par : Stalker | 08/02/2011

Juan : dans la famille des écrivains français vivants (et pas encore bouffés aux mythes-dînatoires) je demande Asensio. Que pensez-vous de ce loustic-là, si jamais vous l'avez déjà lu, hein ?

Écrit par : Martin Lothar | 08/02/2011

Procès verbal sur la littérature française dressé par une autorité et un critique compétent. Un regard exigeant sur la production littéraire.
Et finalement, qui aime bien châtie bien.

Cependant, si je réfléchis comparativement avec la littérature russe: du profond Moyen-Age russe, jusqu'à Alexandre Griboïedov (1795-1829) et sa fameuse pièce «Le malheur d'avoir trop d'esprit», presque 1000 ans avec... rien, pratiquement. Puis, Pouchkine et l'épanouissement de la littérature russe... jusqu'à Soljenitsyne. Et maintenant, à nouveau, rien, pratiquement. C'est que la littérature a ses saisons... et que nous sommes en hiver.

Écrit par : Marion | 09/02/2011

Pour qu'il y ait de grands écrivains, il faut vivre une époque intéressante. Nous vivons une époque médiocre, nous avons donc des écrivains médiocres. Il n'y a pas de grande littérature sans arrière-plan tragique. Que serait devenu Céline s'il n'avait pas vécu la première guerre mondiale ? La question se pose. Alors je formule un voeu pour l'avenir : puissions-nous vivre une époque intéressante ! La littérature française s'en porterait mieux.

Écrit par : Sébastien | 09/02/2011

Martin : c'est à vous de le dire, pas à moi. Je ne revendique quant à moi que la compétence et peut-être le don d'être un critique.
Marion : alors disons que je hâte l'arrivée du printemps et qu'il me tarde de découvrir les toutes premières fleurs des primevères.
Sébastien (retrouvailles) : nous sommes parfaitement d'accord, une grande époque est souvent, pas toujours, synonyme de foisonnement d'art.
Souvent, pas toujours ai-je dit : je ne sais plus quel auteur, pardonnez-moi, affirmait que l'époque de la Révolution française avait été grande dans son exaltation et son horreur même, ce qui avait également eu pour conséquence de... couper radicalement les ambitions artistiques, puisque les uns et les autres étaient en somme bien plus pris par la volonté de survivre.
Je crois que ce type d'exemple pourrait être multiplié.
J'avais du reste évoqué cette hypothèse dans la première de mes deux notes consacrée à cette crise : nous n'avons plus rien à faire, à l'échelle individuelle toutefois, de nos vies qui se traînent d'une maternité hyper-médicalisée à un mouroir, lui aussi hypermédicalisé, avec, entre les deux, quelques frottements de chair, un petit boulot planqué, de petits sentiments écornés et, pour nos romanciers, de petits livres qu'ils "font", comme on fait, à l'abri des regards, derrière une porte cochère.
De plus, je ne suis pas certain que notre époque ne soit pas intéressante : voyez la formidable explosion des sciences et des techniques.
Non, il y a autre chose qui mine la nôtre, et qui est ce que vous savez que je sais que vous savez : l'oubli de Dieu, de la transcendance.

Écrit par : Stalker | 09/02/2011

Bonjour,

Le problème de beaucoup romans actuels à mon sens c'est qu'ils manquent de souffle, d'ambition et surtout de travail. Pour beaucoup ça sent le bâclé, la dactylographie rapide sous word. Un manque d'inspiration flagrant.

Et puis quitte à reprendre les vieilles antiennes, l'écrivaillon français est désespérément nombriliste; il va vous parler du cancer de son père, de son amour de jeunesse. Des trucs à la d'Ormesson-Lévy, toujours les mêmes rabâchages...Les mêmes mièvreries. En tous cas moi ça ne me parle pas, ça ne m'empoigne pas...Si les éditeurs se décidaient aussi à publier de la qualité,a u lieu de tenter des coups marketing à la noix, la littérature en sortirait gagnante...Le problème c'est que , comme pour les maisons de disques ce sont les financiers qui décident. Toujours plus de formatage, de rendement à court terme...Et, au final une littérature qui n'en est plus une car elle a perdu toute audace, toute saveur...

Écrit par : Hars | 09/02/2011

Un creux, juste un creux... habité par des hommes creux... Eniantodromie à venir, si c'est une "loi" (de celles qu'aucune assemblée ne peut voter), que nous ne vivrons sans doute pas, mais que j'aime à vous voir prophétiser ;-) ("Prophétiser, c'est parler de Dieu, non par preuves du dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat")

Écrit par : Loïc Madiot | 09/02/2011

Les Français sont les plus pessimistes au monde.Au moins ils sont lucides.

Écrit par : bob | 09/02/2011

Le mot "Dieu" est mort, depuis, justement, que les sciences et les techniques l'ont vidé de toute pertinence, en en exposant le cœur puéril d'une humanité apeurée.

Je jette ce mot comme on jette un mouchoir en papier après usage. Le corps propre, une transcendance véritable l'inonde, détachée du mental et de toute littérature.

Les mots arrivent toujours après la bataille, toujours avec un temps de retard, c'est la définition même des mots. Ils n'en sont pas moins le seul lien possible.

Alors : lire, ou pas. Ecrire, ou pas. En tout cas, détaché et pas dépendant.

Écrit par : Cédric | 09/02/2011

Les hivers dépendent des pays, M. Asensio, il y a aussi des périodes de glaciation qui ont duré des millénaires, des promesses en souffrance... en littérature, ça doit être pareil, question d'époque, de milieu, question d'hommes et question de nature, mais si une hirondelle peut faire votre printemps, nul doute qu'un livre quelque part existe. C'est aussi à vous de le chercher et de le trouver. Et de nous le montrer. Puisque c'est votre métier.

Écrit par : Marion | 09/02/2011

Merci pour vos bons conseils, Marion, mais saluer de grands livres, c'est essentiellement ce que je fais, non ?
Une erreur : être critique littéraire n'est pas mon métier, car je ne vis absolument pas de mes piges.

Écrit par : Stalker | 09/02/2011

Et je ne vous demanderais pas de quoi vous vivez, rassurez-vous. Disons que si ce n'est pas votre métier, c'est votre... hobby ?
Ceci dit, OUI, saluer les grands livres, c'est... essentiellement... ce que vous savez faire.

Écrit par : Marion | 09/02/2011

Il y a pour moi quelqu'un que j'admire profondément que je lis et relis, dont les livres sont pour moi inépuisables (j'exclus quand même ses trois derniers romans) et qui est bien vivante : c'est Sylvie Germain, hantée par le problème du mal. Et un autre décédé celui-là, Louis Calaferte. Même si je partage certaines de vos vues, vous me semblez voir tout beaucoup trop en noir. Tout est toujours possible.

Écrit par : Annick PERNEL | 09/02/2011

PS : J'ai omis un autre que je tiens pour grand, Claude Louis-Combet. Je pense que vous vous préoccupez un peu trop de ceux qui vous irritent... C'est peut-être nécessaire de dénoncer mais je préfère admirer.

Écrit par : Annick PERNEL | 09/02/2011

Bonjour Monsieur,
La littérature française paie très cher ses pertes de 14/18. Ensuite, se sont hissés au premier rang (à la suite de Proust) deux auteurs représentant deux directions différentes (politiquement et artistiquement): Céline et Barbusse. Après cela: le bon a parfois su se faire une place, par saccades, à travers un épais brouillard (genet, nemirovsky). Puis vint la seconde guerre mondiale et ce fut le bien nommé Minuit, édition soporifère (excusez si l'orthographe n'est pas bonne), de l'Oulipo, de l'autofiction avec quelques éclairs (Calaferte par exemple). Je dis quelques éclairs car cela satisferait tout le monde que la littérature française fût morte. Facile à caser dans une démonstration, comme "l'homme est mauvais", cette assertion servirait les sophistes dont vous ne faites certes pas partie. J'y ajouterais la littérature traduite, qui reste de la littérature française de consolation (egolf, richard yates - écrivain monumental, mon préféré avec rulfo -, pour ne pas citer bolaño, trois fois d'accord, vargas llosa etc).
Il me semble que l'oeuvre d'un Antoine Volodine, exigeante, serait un contrepoint à la sidérante médiocrité de la littérature contemporaine française, de même que Chamoiseau.
Ce n'est plus les écrivains qui manquent (je parle des illustres morts qui sont plus frais que les vivants qui eux sont, comme vous le dites, bien morts) ce sont les lecteurs car tous les grands écrivains mériteraient d'en avoir autant que la Bible et le Coran réunis.
Pardon pour la grandiloquence, mais elle est sincère.

Écrit par : Sylvain Kervinian | 09/02/2011

J'ajouterais une dernière chose, puisque je viens de le lire au dernier post. Madame, avec tout mon respect, j'ai étudié Sylvie Germain que vous conseillez et il me semble ne pas me tromper en disant qu'il s'agit d'une entourloupe de plus de l'édition. Allons à l'essentiel. Son joli brin de plume, partagé par ses contemporains (tous maîtrisent relativement bien leur langue), ne la sauve pas. Car ce n'est plus une question d'habilité, puisque les "fabricants" dont parle Calaferte en ont à revendre, mais de "grâce" et de "vocation". Lady Chatterley ou le Quichotte et Crime et Châtiment sont du point de vue stylistiques parfois extraordinairement approximatifs, mais ce sont des tsunamis, des oeuvres qui ont traversé les siècles et qui continueront de les traverser (si les prévisions mayas sont erronées).
Sylvie Germain a écrit un livre car elle avait déjà écrit une thèse. Cela sent l'artifice, l'absolue non-nécessité. Ce n'est pas l'écriture qui est venue à S. Germain, c'est S. germain qui est venue à l'écriture. Cf. écrivains/écrivants de Barthes

Écrit par : Sylvain Kervinian | 09/02/2011

Madame,
Avec tout mon respect, je vous ai donné mon avis sur Sylvie Germain, mais il s'est effacé. Bon exercice de condensation d'un propos que je vous écris ici en tweet pour ne pas avoir à le reécrire. Calaferte oui. Germain non. Enfin pas pour moi merci. Prétentieux, non-nécessaire, long exercice de rhétorique, d'habilité grammaticale. Thèse de doctorat prolongé sur vingt ans et découpé en petits livres niais. Balthus en écriture. Bête sous couvert de profondeur. N'est traumatisée de rien et pense d'ailleurs faussement qu'il suffit de développer un traumatisme pour écrire. Ecriture catholique. Fabricante (au sens calafertien), c'est-à-dire dénuée de grâce, de vocation.

Écrit par : Sylvain Kervinian | 09/02/2011

J'ai lu votre article une première fois et je me suis trouvé tellement d'accord avec lui que c'en était gênant... Je me suis donc essayé, par exercice, à trouver un nom ; et finalement, j'y suis parvenu !
Il se peut que le doute quant à son propre jugement, le manque à se défier qu'en soi aussi la dernière nouveauté efface la précédente, la peur de se tromper, d'être un brin ridicule, immédiatement ou dans la suite des temps, ou encore la volonté, par-delà même les problèmes de légitimité à le faire, de ne finalement accorder d'"élection" à personne pour continuer de pouvoir confortablement attendre l'"élu", empêchent de lâcher ce nom.
Le seul roman vraiment marquant que j'ai lu ces dernières années, malgré bien des défauts auxquels nombre de gens se sont sentis obligés de s'attacher exclusivement, est tout de même Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Le fait que son auteur soit un Américain écrivant en français, le sujet énorme, démesuré, presque sacré - pour le meilleur et pour le pire, serais-je tenté d'ajouter - dont il traite, le fond mythique qu'il exploite (l'Orestie eschylienne, les Bienveillantes étant ces Erynies, ces Furies une fois qu'elles eurent changé de nom - ce qui devrait empêcher qu'on traite même ce titre de façon anodine), le volume impressionnant sur lequel il se développe, et plus encore que son incontestable succès le profond embarras dans lequel il a jeté la critique formatée, sans compter le refus - relatif mais réel - de la gloriole médiatique par son auteur et le fait qu'il ne se soit pas depuis précipité à nous fourguer un nouvel opus, ou pire, une suite (quelques travaux antérieurs ont été publiés depuis, certes) me laisse finalement penser que quelque chose tout de même, par ce livre, premier roman au surplus, est arrivé à la littérature française.
Personnellement je l'ai lu jusqu'au bout, pour ainsi dire d'"un trait" (en deux semaines, je crois) et je crois me souvenir que les moments difficiles dans la lecture tenaient au fond de l'ouvrage, à son sujet, et non pas à quelque nullité.

Écrit par : Pascal A. | 09/02/2011

Suite. Pour être plus près encore de votre bel article, j'ajouterais qu'il me semble qu'un certain nombre de critiques ont précisément reproché, entre autres choses, à Littell d'avoir trop "humanisé" son personnage. (J'ai même lu, sous la plume je crois de Meyronnis mais je ne suis pas certain, une volonté de prêter le sobre mot dédicatoire de Littell "aux morts" à son personnage de Aüe, ce qui permettait ensuite de confondre odieusement l'auteur et son narrateur, de faire peser sur l'auteur la réprobation que son personnage peut très légitimement inspirer; il y a là je crois un symptôme grave de l'écrasement du narrateur sur l'auteur (ou l'inverse), écrasement dans lequel me semble culminer (oui, il culmine dans l'écrasement) ce cher Philippe Sollers.

Écrit par : Pascal A. | 09/02/2011

Calaferte méritait d'être mentionné, Annick, mais quelle drôle d'idée de l'accoler au nom de Sylvie Germain - qui, à mes yeux, est un des sommets de la raserie néo-oratoire.

Écrit par : Serge Rivron | 09/02/2011

Annick, parce que, plusieurs fois, j'ai entendu la rengaine que vous me servez (vous êtes dans l'exécration, pas dans l'exaltation), je me suis amusé, comme cela, un jour où je n'avais rien d'autre à faire, à perdre mon temps et à compter, DEPUIS la création de Stalker (en 2004) le nombre de notes fusillantes (si je puis dire) et celles qui tentaient de défendre de beaux textes, ou jugés tels par votre serviteur : devinez donc où penche le plateau de la balance ? Vers les textes d'exaltation bien sûr, et de très loin !
Car enfin, croyez-vous que j'apprécie de passer des heures et des heures à lire du Sollers/Enard/Claro/Haenel/Meyronnis/Binet/Le Guern/Millet et tant d'autres, puis à prendre des notes sur leurs livres, puis à écrire des notes argumentées renvoyant TOUJOURS aux textes commentés, citations à l'appui, puis à mettre en forme HTML, puis à choisir, avec application je vous prie, une illustration, croyez-vous donc que j'apprécie de passer autant de temps sur des bouses ?
Seulement je le fais PARCE QUE, jusqu'à preuve du contraire, je n'ai lu que des dithyrambes sur les nanars de Claro, d'Enard, de Karski, dans la presse officielle et même sur les blogs, et que je suis ainsi, triste privilège, avant même que la querelle ne se déporte sur un terrain historique, le SEUL à avoir osé écrire noir sur blanc, dans Valeurs actuelles du mois d'octobre ou novembre 2010 je ne sais plus, que Jan Karski était non seulement une IMPOSTURE mais un roman NULLISSIME.
Sylvain : lisez donc Guy Dupré (cf. colonne de droite, repères, Guy Dupré dans la Zone) qui tient, sur le dépeuplement calamiteux dû à la Première Guerre mondiale, le même discours que vous.
Une personne m'a effectivement conseillé de lire Sylvie Germain, ce que j'ai commencé à faire, et c'est effectivement pas franchement bon, pour rester dans l'euphémisme de bon aloi...
Pascal : j'ai entendu tellement de choses sur Les Bienveillantes, les blogueurs qui l'ont défendu l'ont, à mes yeux, tellement mal fait, ce bouquin, que j'ai parcouru, est tellement lardé de fautes, d'incorrections, d'anglicismes derrière lesquels je vois la patte du si peu professionnel Richard Millet (le même qui nous emmerde, tous les six mois ou presque, en se plaignant que les romans français ne valent plus rien, romans qu'il contribue, ne serait-ce que par son poste éminent, à défendre pourtant...), bref, que le gros volume de Littell se trouve sur un rayon de ma bibliothèque.
Désolé, peut-être le lirai-je mais, pour l'instant, je dévore à hautes doses du Robert Penn Warren et franchement, hormis les plus grands (Conrad, Dostoïevski, Melville, Faulkner), je ne lui vois aucun semblable...
Je crois que vous confondez avec Haenel, mais il est vrai que même les plus grands spécialistes mondiaux de la gémellité ne sont toujours pas parvenus à séparer ces deux clones rigoureux de Sollers.
Tiens, vous me rappelez qu'il existe encore, celui-là...
Une indiscrétion m'a appris que, chaque matin, l'homme perdait quelques heures, à son bureau de chez Gallimard, à lire TOUT ce qui s'écrivait sur lui, donc...
Qu'il me lise, une fois de plus.

Écrit par : Stalker | 09/02/2011

Je ne vous reproche pas de parler des "nanars" et de les descendre et je conçois que ça ne doit pas être marrant de les lire. Il se trouve que je ne les lis pas. Je ne sais même pas qui est Claro ni Haenel. Sollers oui je connais et ne supporte pas. Par contre, je n'ai encore pas lu Penn Warren et je vais le faire très rapidement.
Pour Sylvie Germain je peux comprendre les critiques mais j'aime ses livres. Pourtant si je devais choisir entre Cristina Campo et Sylvie Germain je choisirais Cristina Campo. Mais je ne suis pas en mesure comme vous le faîtes d'argumenter mes choix de manière savante. Je marche à l'instinct, au pif, comme je le sens.

Écrit par : annick PERNEL | 09/02/2011

Mais bien sûr que Sollers doit lire tout ce qui le concerne non pas par narcissisme mais pour traverser tout cela! Quant à moi ai gagné quelques heures cet après-midi en relisant les 75 premières pages géniales de "Femmes" dans la collection Folio avec en couverture le tableau on ne peut plus Vertical de Picasso, "Les demoiselles d'Avignon"...

Écrit par : Denis Lair | 09/02/2011

Cher Stalker, tous mes voeux pour cette année 2011!
Ces derniers jours, je relisais des articles de Georges Bataille. Je vous les recommande chaleureusement. Quelle plume! Pour moi, après Proust, Céline, le troisième. Une vision, un style.Hélas, trop de clichés à propos de Bataille. Parmi les écrivains français vivants, le dernier qui m'ait intéressé, Mehdi Belhaj Kacem, avant qu'il ne passe à l'écriture d'essais philosophiques amphigouriques. J'aime assez Alain Fleisher: Les Ambitions désavouées. Cela dit, je tombe d'accord avec vous, " La Flore est diverse à peu près/ Comme des bouchons de carafes!" La lecture de votre site est non seulement roborative, mais salubre.
Bien à vous.

Écrit par : DANIEL DIENNE | 09/02/2011

Je tiens à vous remercier de nouveau pour la qualité de cet article, tant pour le nombre de références érudites que pour la « nullitologie » qu’il dénonce (expression définitivement fort bien choisie). Je suis toujours d’accord avec vous sur bien des points, y compris lorsque vous répondez à Sébastien que la médiocrité proviendrait plutôt de ce que l’on nie la transcendance (plutôt que Dieu, qui ne me convient pas) des choses. Comme vous je ne crois pas que ce soit la médiocrité de l’époque qui engendre la médiocrité des oeuvres, mais par contre, je nuancerai ce point de vue en émettant l’idée que la médiocrité de notre époque nous empêche peut-être de les voir. A supposer que la théorie d’Ortega soit encore applicable à l’heure actuelle, et que l’homme médiocre aime à proclamer ses valeurs par dessus tous les toits et sur tous les tons, je crois dans ce cas que Houllebecq correspond en tout point à ce que la médiocrité de l’époque attend de lui (en tant que « grand écrivain »). C’est un auteur médiocre, qui parle de la médiocrité, les médiocres media le relaient, et la boucle est bouclée. Cela ne veut pas dire pour autant que les médiocres époques (dixit Sébastien) comme la nôtre ne sont pas capables de produire des grands auteurs, édités à quelques centaines d’exemplaires, et que les furies médiatiques ne nous donnent bien évidement pas à voir, étant donné qu’elles ne les comprennent pas, ne les perçoivent pas, bref, s’en foutent (Bolaño, lui même essentiellement reconnu après sa mort, évoque magistralement la figure impalpable du grand auteur dans ses deux chefs d’œuvre que sont Les détectives sauvages, surtout, et 2666). Je crois du reste que vous l’avez fort bien compris, tout appliqué que vous êtes à traquer le grand auteur dans le champ de décombres de la littérature contemporaine – mais ne nous leurrons pas, c’est peut-être une quête messianique, combien de génies ont été reconnus bien après leur mort, dans cette époque comme dans une autre, je ne vois pas comment l’intégrité d’un grand auteur parviendrait à le hisser au dessus des autres s’il se prêtait au jeu de la promotion et du marketing contemporain. Houellebecq est au moins autant une image de marque qu’un écrivain – il en joue lui-même dans son dernier roman. Je crois que c’est Nabe qui constatait d’ailleurs cette complaisance toute houellebecquienne à la médiocrité dans son introduction à la réédition du Régal des Vermines (ce qui lui permettait en passant de se hisser, lui, au rang de grand écrivain, ce qu’il n’est probablement pas, mais que la relative omerta médiatique dont il a fait l’objet depuis quelques temps tend à démontrer). Point de grands hommes possibles dans une époque où tout est fait pour exalter la médiocrité. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. Ni qu’ils sont nombreux. Mais de là à parler de science-fiction…
(PS : J’enlèverais tout de même de la liste des grands écrivains évoqués plus haut Malraux (pontifiant dans ses romans), Volodine (beaucoup trop hanté à mon goût par les fantômes de la dictature au vingtième siècle), et bien sûr Sylvie Germain (dont la rencontre hasardeuse dans un désert ouzbek avec l’amant qui lui aurait inspiré le second tome de son Livre des nuits m’en a laissé supposer l’ennui)

Écrit par : alain g. | 09/02/2011

Cher Juan
L‘artiste aujourd’hui, pas plus que le romancier contemporain donc, ne souhaite inscrire sa production dans le livre des âges* (je ne réussis pas à écrire création, production lui va très bien au contemporain). L’élu politique non plus. Il ne peut donc exister de renaissance. C’est ça la posthistoire. C’est pire qu’un Œdipe. Le créatif ne tue plus son père (l’ancien créateur), il s’est déjà crevé les yeux ; quant à le louer, non hein, *parricide l’époque, nous l’avions déjà dit.
La déshumanisation de l’art n’est certes pas un projet esthétique (encore que la question mérite d’être creusée**) c’est un projet politique. Tout impertinent du Spectacle qu’il se présente l’artiste contemporain n’est en fait que l’agent de sa propagande totalitaire et comme académique, qui a formulé le vœu que tout disparaisse. Un nouvel artiste Pompier en somme, sans pinceau, castra sans voix ni chair, toujours prêt à incendier la toile.
Et pourtant je sonde, comme la plupart d’entre nous, que ce projet a une volonté propre, indépendante, qui n’est pas le fait d’auteurs, et ce n’est pas non plus l’histoire qui l’anime. Ils le subissent autant qu’ils s’en font les chantres et qu’ils en sont les chancres. Il faut parler d’ergosphère. Il n’y a plus de saisons mais une seule région. Une ergorégion sous influence gravitationnelle ; un effet de Lense-Thirring-Dantec, si vous voyez ce que je veux dire. Je vous en reparlerai ; en attentdant **je vous envoie un papier que j’ai écrit cet été (qui devrait paraître en mars dans une revue de sciences humaines) dans lequel je dresse rapidement le même constat sur l’artiste contemporain que le vôtre sur l’écrivain. La question du corps et de son effacement, car il s’agit bien de cela, est au cœur du débat. Je ne fais pour ma part et pour l’instant dans ce texte que démentir, que répondre à la soupe théorétique contemporaine qui nous vient entre autre des gender studies et autres américâneries de cet acabit.
Hector

Écrit par : Hector Jalmich | 09/02/2011

Il y a également l'hypothèse que la période en creux que nous vivons étant tout à fait inédite dans ses fondements (et donc la nullité des romanciers contemporains est dans cette hypothèse le symptôme des limites du roman tel que nous le connaissons) qu'elle oblige le grand écrivain à venir d'inventer rien de moins qu'un nouveau style, une manière inédite d'aborder les personnages, le récit, etc... Bref une déflagration telle qu'elle sera comparable à celle de la création du roman (Rabelais, Cervantès, Boccace). L'outil permettant la réelle préhension littéraire de l'époque est à inventer...

Écrit par : Il Sorpasso | 10/02/2011

Ah ! Denis, ne me parlez pas de cette foutaise, "Femmes" ! j'ai moi aussi bien joui et rigolé à la lecture - il y a tellement de temps - de ce machin difficile à situer entre "Jours de France" (que mon papa dentiste refourguait dans la salle d'attente de son cabinet, juste parce que l'éditeur avait eu la bonne idée marketing (avant l'âge du mot) de cibler les coiffeurs, les médecins généralistes et les dentistes) et un remake mal foutu d'autant en emporte Joyce et son Ulysse. Sollers, le trotskyste par qui la jet-set a gagné ses premiers galons ! "Femmes", si j'en avais été - et pas complètement vendue à ce que discrètement alors on savait que personne ne ferait le rapport de notre abjection (merci pour Jlia K.) et nos chiffres de vente (merci l'Université républicaine) - le Sollers aurait été traduit devant les tribunaux de l'inquisition MLF - et pendu, selon une vieille tradition US.
Puisque Juan nous fait espérer qu'il (je vaux parler de Sa Majesté Alcoolique Philippe S.) nous lise, puisse-t-Il mesurer à quel point un "écrivaillon de merde" le conchie. Et depuis longtemps, et même avant (voir le lien).
Persiste et signe.

Écrit par : Serge Rivron | 10/02/2011

J'aimerais poser une question sincère pour avoir une réponse sincère: si vous deviez définir en 3 ou 4 mots le roman, que nous diriez-vous ?
Par exemple Samuel Fuller disait du cinéma: "Action, emotion... and death."
Etes-vous d'accord ? Et si vous deviez ajouter quelque chose, cela serait "complot" ?

Écrit par : Marion | 10/02/2011

Marion, votre question est peut-être sincère mais, franchement, nous ne sommes pas ici sur le plateau dune émission de Marc-Olivier Fogiel, je vous prie. Rien compris quant au complot : je n'en vois aucun du reste, laissons cela aux esprits qui se croient persécutés, il y en a beaucoup.
Serge : moi aussi, je persiste et signe, non seulement sur tout ce que j'ai écrit sur le Doge de la bêtise, mais sur ses encore plus imparablement ridicules épigones. Au passage : Denis Lair, on vous a reconnu, va... !
Il Sorpasso : oui, sans doute, je n'ai exclu absolument aucune hypothèse et ai écrit dans mon premier texte qu'il y avait une foule de raisons qui, en plus, interagissaient les unes avec les autres. je n'en soulève que deux, qui me semblent assez originales.
Alain G : je n'ai jamais affirmé que Dantec ou Houellebecq étaient de grands écrivains. J'ai beaucoup écrit sur le premier, l'ai défendu contre les crachats des connards à l'époque où Gallimard l'a viré, ai disséqué, je crois honnêtement, ses romans. Reste qu'il gagnerait à être relu, une bonne fois pour toutes, par un relecteur digne de ce nom, afin que ses textes soient retravaillés, élagués, débarrassés de cet insupportable et infantile vocabulaire pseudo-science-fictionnesque. Houellebecq : différent du précédent bien sûr, je ne connais pas l'homme, avec lequel j'ai toutefois échangé plusieurs courriels avant qu'il ne cesse de me répondre, à la suite, comme c'est bizarre, de ma note intitulée le Prix Goncourt m'a tuer.
Ces romans sont effectivement un mélange, aussi astucieux qu'habile et, oui, s'insérant parfaitement dans la trame commerciale qui est la nôtre, de médiocrités et de fulgurances.
Quoi qu'il en soit, si je ne me trompe pas, je crois que nous continuerons à parler de ses romans dans quelques années, sans doute du fait même de leur "indécidabilité".
Oui, MEN a bien vu cela. Lui est un écrivain, au sens où il possède évidemment une oreille en matière d'écriture, le sens de la phrase, du rythme, etc., et c'est quand même ce que l'on demande, en premier lieu, à un écrivain n'est-ce pas ?
Ensuite, le bonhomme et même l'artiste ont tous les défauts du monde, un égo surdimensionné, l'insupportable manière de se croire le dernier écrivain d'importance vivant (alors qu'un Védrines, un Capron, un Vuillard, un Michon même, tant d'autres !) qui n'envie rien je crois à ceux d'un Sollers, Matzneff, tant d'autres qui feraient mieux, une bonne fois pour toutes, de dire au revoir à l'Europe aux vieux parapets comme disait Rimbaud, car enfin, il n'y a rien de plus abject à mes yeux que de voir un Matzneff, beaucoup lu il y a des années, s'embourber dans la flache des mièvres descriptions de parties fines avec des idiotes et de ses séances de manucure/pédicure/dîners dans des coins huppés.
La création d'un nouveau style me dites-vous ? Oui, c'est un peu ce que j'ai essayé de dire en reprenant la phrase de Milton, il faut brûler les vérités sacrées, mais je doute que je verrai de mon vivant la création de ce nouveau style, et je doute fort, contrairement à ce que le ridiculement pathétique R2D2 (François Bon) affirme dans son inimitable style d'Algol et Fortran pour débutant, que le salut vienne de la Toile.
Cher Hector : d'accord avec vous, à une réserve près. On reprocha bien souvent à Ortega d'avoir fait de son petit texte un véritable manifeste esthétique qui fut suivi à la lettre par tout un tas d'écrivains et d'artistes. je vous renvoie à l'excellente préface donnée dans l'édition Sulliver du texte de José Ortega. J'attends donc votre texte.
Daniel : Kacem ? Bof bof bof, lu à l'époque où je fréquentai la revue Cancer ! et, hormis un ou deux titres de lui, pas grande impression.
Bataille : à relire, oui, comme tant d'autres !
Merci à vous tous pour la qualité de vos commentaires.

Écrit par : Stalker | 10/02/2011

Je tiens, et certains pourront me jeter des pierres virtuelles, aucune importance, à sauver des eaux boueuses contemporaines La possibilité d'une île, entamée, certes hier, mais largement lue aujourd'hui. Il me manque la fin mais, paraît-il, elle est la meilleure partie du roman.
Je vous renvoie d'ailleurs à la critique que Stalker en avait faite.

Écrit par : Marie-Angélique | 10/02/2011

Il semble que nous soyons tous en attente d'une résurrection ou d'une visite dans ce monde que nous percevons comme désolé, sans âme qui vive. Nous cherchons des figures de l'humain qui soient autres que celles nombrilistes, crayeuses, insipides, sans consistance qu'on nous sert. C'est donc que l'humain que nous sommes ne présente pas une figure pour laquelle nous battre. Il semble qu'il en soit de même pour notre langue. Elle est sans figure attirante et tout aussi épuisée que celle de nos romanciers. Nous ne créons plus notre langue. Il est même interdit de le faire. Or c'est bien en la créant par tous les moyens, de toutes nos forces, que nous pourrions attraper de nouvelles figures, des morceaux du Réel, lier à nos existences ces signaux du formidable de notre époque, les sciences et techniques et ce refus qui apparaît de ci de là que des humains soient objets de sciences, objets de connaissance. Ce n'est pas un style, c'est une langue vivante qui s'affronte dont nous avons besoin. Peut-être que nous pourrions l'élever, elle est peut-être là, par là, dans un coin, transie, prête à s'éteindre, à moins que ce ne soit encore qu'une allumette. Alors nous mourrons parce que nous ne voulons pas vivre, parce que chacun rit de l'espoir. Notre littérature est morte parce que nous ne rêvons aucune vie. Nous préférons tous notre art de petit propriétaire précautionneux à n'importe quelle incertitude. "Et si on se trompait?" voilà ce qui rôde partout, dans la littérature, dans la philosophie, cette peur atroce d'avoir tout faux. Or, dites-moi si le Réel est un, le faux en fait bien partie?! Qui oserait-dire le faux comme Réel? Qui voudrait donner naissance à une telle langue?

Écrit par : Michel Filippi | 10/02/2011

@ Michel Filippi : en lisant les premières lignes votre courte note, je me disais que votre constat était tout de même bien déprimé, voire dépressif. Certes, on trouve de moins en moins d'inventions ni d'inventeurs de langue française, et certes il est quasiment interdit, de par l'infernale pesanteur qui gouverne nos échanges sociaux et notre pensée, de tenter de lui redonner un soupçon de vigueur. Mais enfin, bon Dieu, quelques-uns essayent !
En terminant de lire votre courte note, par exemple, je jubile d'y trouver ce superbe trope en forme de question, "qui oserait dire le faux comme réel?", qui pointe précisément là où ça me fait mal depuis quelque temps. Et j'espère parvenir à pouvoir bientôt (?) lever le doigt pour vous répondre.

Écrit par : Serge Rivron | 10/02/2011

Donc, le corps est au centre du débat ... Il ne serait qu'entre l'animal divin ou la sainteté. C'est certes toujours un corps qui écrit. Votre idée est que les mots , à force d'être usés et reproduit en mauvaise part, trahissent le corps, et les putanisent autant que ces derniers, semble-t-il, n'attendent ( voir les chiffres de vente des romans ) que ceux qui les absolvent en leur patientes et obscures putanisations.
Mais, alors, ce qu'il faudrait , n'est-ce pas des livres qui laissent la parole au Démon comme réel, proche, quotidien, et montrent qu'il a trouvé voies à travers des corps qui écrivent ?

Écrit par : Dornem Hubert | 10/02/2011

@Serge Rivron, Alors je serais là au bord de la fosse aux ours!

Écrit par : Michel Filippi | 10/02/2011

Non, pas de la toile (c’était une plaisanterie, mon histoire d’avatar de grand écrivain), mais peut-être par le biais de la toile. Comment voulez-vous que les prescripteurs contemporains (journalistes, libraires, éditeurs) parviennent à le remarquer ?... Ils sont le plus souvent à côté de la plaque (et à l’heure actuelle incapables de prendre le moindre risque). Je ne vois pas, par exemple, comment une critique alternative digne de ce nom pourrait se créer en dehors de la toile (vous même vous y trouvez, n’est-ce pas ?... ce n’est probablement pas pour rien…). Du reste quand j’évoque un nouveau style, je ne parle pas de pot-pourri/patchwork de tous ces gadgets (puisque tel est le nom qui vous convient pour affubler le téléphone portable, véritable prolongation de nous-mêmes, désormais – j’ai d’ailleurs vu en passant qu’un designer excentrique s’était fait greffer une clé usb à la place du doigt suite à un accident de moto – édifiant, non ?) que la modernité nous offrent, non, ça c’est Bon pour le François du même nom, je parle d’intégration de ces nouvelles données (flux d’informations, techniques virales, contamination et désincarnation en général) dans le monde des auteurs, ce qui est loin d’être généralement le cas. Les auteurs récriminent, se plaignent de la modernité (sans voir qu’ils ne peuvent rien faire contre), la critiquent et la rejettent, mais ne parviennent pas à l’intégrer dans leurs oeuvres (sauf quelques américains – je n’inclue pas Danielewski dedans, ça justement c’est du patchwork, en dépit de ses plus louables intentions). Vous évoquez Vuillard, moi j’ai commencé Conquistadors, et je ne me peux pas m’empêcher de trouver que son monde abdique, justement, devant la contemporanéité – ça m’est tombé des mains. Trop de création langagière – comme chez Bon– tuent la création véritable – on s’ennuie, on soupire, et finalement on ne voit pas le bout du tunnel. Pour que la création soit digne, il faut qu’elle puise à toutes les sources internationales (et à toutes les époques, bien sûr), et non pas qu’elle s’inspire de la seule «Grande littérature Française», ou d’un américanisme de bon aloi lorsqu’il s’agit d’escompter les retombées commerciales avec les oripeaux d’une littérature djeun’s-cool-branchée. Enfin bref, voilà ce que j’en dis. Mais probablement quand même que de votre vivant… En tout cas s’il y en a un qui doit le trouver, ce sera vous, vu toute la bonne volonté que vous y mettez, et en dépit des quelques auteurs somnifères que vous vous entêtez selon moi à lire ;-)

Écrit par : alain g. | 10/02/2011

Alain : sur Conquistadors de Vuillard, vous vous trompez. Le comparer à Bon est une aberration, une connerie, ou la volonté de faire un rapprochement foireux. François Bon ne sait tout simplement pas écrire, ce qui est l'exact opposé, je crois, du cas de Vuillard avec Conquistadors.
Mais si, mais, bien des auteurs l'intègrent, cette modernité, à leurs oeuvres, sans parler, en effet, de toute cette daube post-moderniste anglo-saxonne dont Claro s'est fait le chantre inculte et le traducteur passable.

Écrit par : Stalker | 10/02/2011

Salut
Semble qu’il y ait méprise, je ne pensais pas à Ortega sur la question de la déshumanisation de l’art, en fait j’entendais ‘dans’ l’art, et sur le ‘projet esthétique’, je pensais plus à ces artistes et ces théoriciens que je critique dans le texte que vous avez reçu ; parce que ceux-là, le conçoivent comme tel ; ils n’ont de cesse de louer la disparition, de la mettre en oeuvres et ne voient pas le létal de ce ‘projet’ car ils en ignorent la lourde paternité.

Écrit par : Hector | 10/02/2011

Je ne les compare pas, je dis qu’ils sont (pour ce que j’en connais) dans une forme de recherche langagière et que cela m’ennuie. Quant à ces auteurs dont vous parlez (et qui intégreraient la modernité – dans ce qu’elle a d’effrayant, de vertigineux et, surtout, d’impalpable), et en excluant la daube postmoderniste (j’ai lu un seul bon Claro par le passé, c’était livre XIX – et encore une fois, ça se passait au dix-neuvième), je ne vois pas. (Je ne sais pas si vous entendez le mot « modernité » comme moi, ce n’est parce qu’on inclue des gadgets et des "faire-valoir" modernistes qu’on intègre ; intégrer, c’est inclure sans forcément en parler, c’est l’avoir dans son monde, dans son univers, en accoucher douloureusement)

Écrit par : alain g. | 10/02/2011

La chair est bien un problème dans la mesure où l'effroyable inertie de notre chute en a abaissé le centre de gravité jusque dans ses humeurs les plus tristes. Cependant c'est bien là que le retournement peut s'opérer; l'écriture est notre phénomène spécifique, elle signe notre élection parmi l'ensemble du vivant sur cette terre. Oui, il est affligeant de voir cet héritage, cette responsabilité, cette intelligence se prostituer, oublieuse d'elle-même, trahie par ignorance où mépris déclaré, dans le claque autogéré des réanimateurs de vits éditoriaux que seule la perspective des rentrées littéraires sait tenir en éveil (sucette party pour tout le monde, et que le meilleur gagne). Oui, et il est urgent de redécouvrir, nous qui sommes des sapiens sapiens ("conscients de penser"), la nécessité d'une conversion (encore un mot qui fâche, ha ha). Exact, dans le monde anglo-saxon, cela va un peu mieux, peut-être parce que de ce côté on sait encore détacher le regard (et les doigts) de ses pudenda pour se porter sur une frontière ou une autre; c'est toujours la même au fond, mais elle se décline indéfiniment; pour sortir du sommeil, reconnaître cet horizon qui nous appelle par notre nom, il suffit, en quelque sorte, d'oser dire "amen" (on est bien en train de parler de vocation, n'est-ce pas?). La même chose en France? Je ne crois pas: la France est destinée à toucher le fond, précisément à cause de ce qu'elle fut jadis, de cet appel (cette frontière) qui est le sien et qu'elle rejette depuis... Oui, au moins. Pourtant, c'est bien un Français, intemporel témoin d'une tradition dont plus personne ne veut, à part quelques fous, qui nous enseigne que l'homme de la Chute, la parole et le texte n'en ont pas fini de leurs noces, bien au contraire: Marcel Jousse avait jadis compris que le Verbe entre littéralement dans le corps, pas seulement sous la forme des espèces consacrées, et que celui-ci répond. Jousse n'était pas un romancier mais un père jésuite (vous étiez prévenus!). Ses travaux forment notre oeil, notre oreille, ils représentent un rappel à l'ordre. Il faut ajouter qu'ils suscitent également une grande joie.

Écrit par : Stéphane Normand | 10/02/2011

Merci à tous: quels beaux échanges!
Sur la question du Faux, du Vrai, du Réel, nous pouvons relire des penseurs tels que Baudrillard (la Réalité intégrale ou le Virtuel comme solution finale du Réel), Virilio (L'Université du Désastre). Aujourd'hui, il y a plus faux que le faux, le mélange du vrai et du faux. Diabolique.
Oui, je reconnais, cher Juan, que j'ai surestimé Kacem. En passant, j'ai oublié d'ajouter que Henri Michaux, Antonin Artaud et Bernanos font partie de mon panthéon personnel. Vivons-nous une époque de bas étiage en matière d'art et de littérature? L'époque est-elle régressive? Je n'en sais rien. En revanche, je suis persuadé que de ce nouveau style, nous sommes les contemporains. Mais ce ne sont pas les média qui nous le révéleront, de cela je suis sûr. Comme s'il suffisait de couvrir la France d'antennes pour le repérer! Ce sont nos descendants qui auront connaissance de ce nouveau style. Il n'est que de regarder l'histoire de la littérature: les tirages de Rimbaud, Baudelaire de leur vivant? quand un Sully Prudhomme triomphait. Dans cette vue, je vous recommande " Le Livre Bouffon" d'Alan S. Weiss, Seuil, Fiction & cie: il évoque la tentative de Baudelaire d'entrer à l'Académie. Je crois que simplement nous ne supportons peut-être pas d'être contemporains de quelque chose de grand, que l'homme du ressentiment l'emporte sur "tout ce qui montre race", surtout dans la culture de mort et de dérision où nous macérons. Et qu'on ne parle pas d'écrivains maudits, cette farce... Des écrivains maudits, qui parlent la langue de la transgression, on en voit toutes les semaines sur les plateaux de la télévision: c'est rentable. Merci à vous, Juan, ainsi qu'à tous ceux que j'ai pu lire ici. Ce site est la preuve que le combat spirituel se poursuit; que des hommes et des femmes sont encore capables de pratiquer l'art difficile de la conversation.

Écrit par : Daniel Dienne | 10/02/2011

Daniel : sans doute, oui, avez-vous raison. Celles et ceux qui viennent, du moins jugeront-ils, aussi, mes textes et verront-ils si je me suis trompé tant que cela quant à certaines fausses gloires décriées. Mais affirmer cela est encore trop prétentieux, je le sais. L'oubli peut-être, ou le salut sous une forme inespérée ? Nous le verrons. Non, d'autres le verront pour lesquels j'écris.
Stéphane : Jousse, un grand nom, que je connais mal. Je crois comme vous que la France doit toucher le fond avant, peut-être, de retrouver sa vocation historique qui est de lancer le feu aux quatre coins du monde, et tant pis pour les imbéciles qui se plaindront que tout cela manque singulièrement de partage, de diversité, de lien social, de non-amalgame et je ne sais quelles autres fadaises qui vont finir par faire exploser pas mal de cervelles, qui commencent d'ailleurs à en faire exploser quelques-unes, il suffit de lire les faits divers de temps à autres, pas franchement réductibles à quelque pitoyable cause sociologique.
Alain : non, je ne crois pas que Vuillard soit dans une recherche si langagière que cela.
Pour le reste : c'est bien pour cette raison d'ailleurs que ce qu'il est convenu de nommer un livre classique est d'une "modernité supérieure à n'importe quel nanar tout bardé d'antennes et de membres scrofuleux...
Hector : ok.

Écrit par : Stalker | 10/02/2011

Vous avez raison, le terme "langagier" ne correspond pas à ce que fait Vuillard. J'ai d'ailleurs d'abord dit que c'était le fait qu'il ne se confronte pas à l'époque qui me dérangeait, mais peut-être le fait-il davantage dans ses autres ouvrages, que je ne connais pas...

Écrit par : alain g. | 10/02/2011

du grand écart des blogs clarossiens à ceux asensiossiens.
Par Millet tous les blogs....
Par Gass l'école d'inculte à FFC.
Il y avait un intérêt à détester J Littell et les Bienveillantes,ceux qui l'ont aimés étaient des cancres au dessous du grand écart...
Pourtant ce livre est avec les détectives sauvages et 2666 le meilleur roman des dix dernière années.
Mais les bienveillantes attendront encore...et tant de dire!!De rivalités!!(Gass et les Clarossiens qui se trompent de guerre avec RilKe et protègent Gass les yeux fermés),la non lecture des romans de Millet et Millet et son fauteuil chez Gallimard si confortable malgré tout, les auront souillées!
Pourtant Littell vise juste avec le Junger du travailleur,à celui des falaises et la manière Aue du Junger des journeaux de guerre!!!Et Sardine le fou...
peut-être ce livre unique est mort par ses propres célibataires non objectifs à jamais,les non lire Littell...
Il faut savoir que bien sur Bolaño,crédite le contemporain dans 2666 en Junger!!
Bolaño venant d'ailleurs ne gênait personne, sauf Claro ce livre lui tombait des mains,surement un problème de traduction disait-il...
Les Bienveillantes attendront...trop tard...
Pas encore mais déjà... disait Virgile mourant chez Hermann Broch

Écrit par : bob | 10/02/2011

Si l'on s'en tient aux romanciers et si Calaferte était injustement oublié, il y a encore Jean Malaquais, qui était vivant au début des années 90 et qui ne faisait plus de romans depuis 1953...
Michel H. vraiment! Il n'est plus un écrivain après ses deux premiers livres. Il devient un littérateur de sociologie plus ou moins putassier...
Deleuze disait qu'il se pourrait qu'on manque le nouveau Beckett pour la bonne raison qu'on n'en a pas besoin.
On peut légitimement supposer que les écrivains d'exceptions, à notre époque, n'écrivent pas, pour d'évidentes raisons... qui concourent à assombrir les temps...

Écrit par : regis d. | 10/02/2011

@ Marion:
Eh bien moi, je comprends ou pense comprendre ce que vous voulez dire. Votre question à autant à voir avec la littérature qu'avec la réalité. Sans doute ce que vous appelez «complot», c'est ce goût de la machination, du jeu dans le langage, et la consistance psychologique, n'est-ce pas ? Ce complot, c'est Balzac, Hugo, Dostoïevski, Mac Carthy, Sabato, Borges, Bernanos, Lowry, Conrad... des anti-existentialistes, anti-Nouveau roman, contre des auteurs comme Moravia, Sartre, Chevillard, Beckett et... Editions de Minuit ? Chez Dostoïevski, Balzac, Bernanos, Lowry... il y a des conversations, et des contenus de conversations. Dans les romans de Echenoz, ou de Gailly... il y a des conversations mais semble-t-il pas de contenu: le sens est à lire entre les lignes. Les personnages disent des choses plates. Et les événements, ils les subissent. Et il n'y a pas de complot.
Ma chère petite, langage Asensien, le complot est totalement démodé. Il n'y a plus de consistance psychologique non plus. Il se trouve que moi aussi je suis contre la convention psychologique... mais le «complot»... la «complexion» psychologique... Oui. Et je crois, avec vous ?, qu'une littérature fondée sur une intrigue et des caractères sera toujours plus moderne qu'une littérature dédramatisée et a-psychologique.
C'est cette littérature à bout de souffle et franchement "dégueulasse" que dénonce âprement ce site, Stalker, et cette note brutale est nécessaire. Mais apprenez à lui poser vos questions, que diable ! On dirait une lycéenne trop attardée... devant son écran de télévision !
Et ne confondez pas avec J. Asensio avec Stalker: il en aurait des boutons.
Alors, disons pour le roman: "Action, Emotion... Complot et Mort." Et puis dans émotion mettez-y aussi l'amour et son poison, si vous êtes douée, Mignonne. Lisez bien, Petite fille,... qui lira le dernier... ?
Mais pour vous, je suis rassuré et plein de confiance, puisque vous êtes fidèle lectrice du Stalker. Continuez, vous saurez vous défendre... dans une librairie.
Et achetez «La Chanson d'Amour de Judas Iscariote». A lire avec attention, chaque mot a son poids... de... «complot».
Pardon, Juan, de m'immiscer dans cette conversation. Tu as horreur du bavardage des gamines, celui-là m'a amusé.
Marion, quand vous voulez !

Écrit par : Alexandre | 11/02/2011

Je me fous des explications causales, de la Grande Guerre à la rapacité des éditeurs, un peu comme Evard (mais là, je ne suis pas sûr d'avoir tout saisi) se fout de la prétention des historiens à vouloir de leurs archives tirer une philosophie de l'histoire.
Ce que j'espère, c'est que cette époque, ce creux ne pouvant désormais plus être comblé (pathétique de l'autofiction, que peut une baudruche face à cela ?), ce creux qui s'impose à nous, dans et hors la littérature, soit Oeuvre, appel, ouverture à ce qui nous... fonde ? (en ce sens, le sacré, au sens de dilution contemporaine de l'idée de Dieu, soupe syncrétiste, complicité avec la désincarnation, i.e. effacement des formes, ne serait qu'un symptôme) ; ce que je crains, c'est que toute tentative de dire soit prématurée, que vouloir écrire ne soit actuellement que diabolique, faustien, impatient (de cette impatience de Judas, mais je n'ai pas lu votre ouvrage), et que seul le silence soit possible...
Une explication qui n'en est évidemment pas une, puisque irrationnelle :-)
Mais ce que j'en dis...

Écrit par : Loïc Madiot | 11/02/2011

Le seul livre digne d'être écrit est celui qu'on écrit soi-même.
Le seul livre digne d'être lu est celui qu'on pourrait prétendre avoir écrit.
La seule rencontre littéraire possible se produit quand les mots qu'on a déjà écrit intérieurement correspondent à ceux qu'on lit.
Les mots ont toujours un temps de retard et ne traduisent que ce qui peut l'être et ça fait peu.
La vérité est un temps sans mots.

Écrit par : Cédric | 11/02/2011

Pardon, Juan, de m'immiscer dans cette conversation. Tu as horreur du bavardage des gamines...
J'en sais rien j'avais compris que bavardage de gamine était une figure au sens de Junger chez Juan comme bien des mots qu'on juge comme des insultes.Vous parlez beaucoup pour Juan,il sait parler et dire seul.
cette note n'est ni brutale ni nécessaire au sujet en soi bien connu.Elle répond profondément à Juan même,elle se défend,règle des règles pour ceux qui ont écrit sur le blog,elle a plus de hauteur que sont sujet,c'est une question de survie.Un art poétique...c'est une réponse à trop vite se change en juge...elle se suffit entièrement dans sa défense.Peu des attaques du premier article des principaux acteurs se sont manifestés et peu dans les peu ont été convaincants!Et là il faut parler sans philosophie,il faut parler et dire ou on est maintenant juges.Il faut donc dire... ceux qui...

Écrit par : bob | 11/02/2011

Bob : mon irremplaçable lecteur !
Cédric : alors écrivez-le, qu'attendez-vous donc !
Loïc : oui, le risque existe que la plus authentique parole soit immédiatement engloutie par l'ondée du sous-langage si merveilleusement analysé par Armand Robin. Mais cette parole haute et claire, je veux croire en son triomphe final, car sinon en effet, à quoi bon ?
Alexandre : bravo et jolie petite leçon de lecture administrée à la "gamine" Marion ;-)
Régis : je ne crois pas, non, que, s'il existe comme vous le pensez (et je le pense aussi) des écrivains d'exception, ils refusent d'écrire, en tous les cas de publier, ce qui n'est pas la même chose.
Car, s'ils ne le faisaient pas, ils manqueraient à leur parole et, ainsi, ne seraient que des exceptions inversées, diaboliques.
Qui a quelque chose à dire se lève et le dit bon sang, avant que nous ne soyons complètement recouverts par cette marée de merde montante.

Écrit par : Stalker | 11/02/2011

Le coup de la "marée de merde montante", Flaubert nous l'a déjà fait. Mesdames et Messieurs les blablateurs, au lieu de passer votre vie à faire des phrases ronflantes sur la littératue, cette merde, vous feriez mieux de d'abandonner vos ruminations pour essayer de découvrir le traitement enfin efficace contre la sclérose latérale amyotrophique et autres douceurs... Bref, vous feriez mieux d'être utiles.

Écrit par : Bertie | 11/02/2011

Juan, votre "final" n'est pas empêché par mon "actuellement"... Mais sans doute avez-vous raison, y voyant à l'oeuvre un sale moment dans un temps (trop) long (non braudélien, celui d'une... "histoire sainte" ? - oups, dans mon milieu, de tels propos me vaudraient d'être séance tenante "psychiatrisé", disons alors "mythique", cf. le retour du roi Sébastien, ou la "Réponse à Job" de Jung -), la partie "au noir" de l'oeuvre des alchimistes (pour ses prolongements dans la littérature du XXe, je ne saurais que trop vous conseiller "Philosophie de l'alchimie. Grand Oeuvre et modernité" de Françoise Bonardel, le temps vous manque je sais, mais ce ne fait que 700 p. fort denses ;-), et la conclusion y est laissée à Celan : "Silence, cuit comme de l'or, dans des mains carbonisées, carbonisées"), je désespère de notre temps, erreur du chronologique, là où il faudrait guetter la venue d'un roman aussi vif et brutal que notre monde, matière où viendrait enfin prendre forme tout ce qui a consistance et veut s'incarner, et où serait englouti le reste, enantiodromie disais-je plus haut, renversement de ce qui nous arrive (c'est ce qu'a tenté je crois, Dantec).
Je reste inquiet cependant, ne crois pas voir ça de mon vivant, vais essayer de transmettre la lumière à un enfant :-), car si créer ne puis, transmettre dois...

Écrit par : Loïc Madiot | 11/02/2011

Tiens, un malin (Bertie), cela faisait longtemps.
Au lieu de raconter des conneries, relisez-vous, vous feriez mieux de nous être utile, si l'on en croit le nombre de fautes disséminées dans votre maigrelette composition.
Mais peut-être avez-vous quelque problème médical et/ou psychologique digne de notre onctueuse sollicitude qui vous empêcherait de préciser votre pensée que l'on devine fine ?

Écrit par : Stalker | 11/02/2011

@ Bertie, agacé : je suis utile, à des endroits et à des moments que vous n'oseriez pas affronter, petit homme... (Juan sait) et c'est ce pourquoi je me permets de dire ici quelques mots. Le "blabla" c'est vous, vous venez là et n'avez pas compris cela ?

Écrit par : Loïc Madiot | 11/02/2011

Un roman plat, sans consistance. Le hic est qu’une absence de consistance peut-être validée comme étant un parti pris littéraire, avant même qu’une pensée philosophique ou autre ne s’immisce dans le contenu littéraire. Opter pour ce qui n’a aucune consistance est un choix pessimiste avant même d’avoir écrit quoi que ce soit. S’il y a déjà des écritures et des livres dans la tête avant même de les avoir créés, c’est qu’il y a une soumission à l’esprit du temps, qui ne se porte pas sur un labeur de patience. Kafka en a chié de patience, et cette impatience le rendait fou. Si l’impatience ne rend pas fou, il y a un degrés d’exigence, consistant dans ses ambitions, qui est perdu, un attachement charnel et sanguin qui ne révèle pas une littérature de charlatans mais d’hommes qui écrivent avec des mains privées de sang-froid, qui peuvent penser mais pas créer, et créer exige d’y laisser de sa peau.
Je n’ai pas écris de roman, et ma vue sur la littérature est assez restreinte, vision courte. Le premier objectif d’une vision courte et innocente est de capter la manière dont se présente la sensibilité d’un auteur, et sa « méthode », son mouvement, et sa cohérence, que ce soit terre à terre ou pas, dans le déroulé des idées et les bonds de visions.( visions simples, pas dans un sens prophétique). C’est un travail d’observation, ou de lecture. Cette sensibilité à la lecture peut s’affirmer ensuite dans celle de l’écriture.
Il n’y a personne d’assez qualifier pour justifier un besoin précis en littérature, et qui puisse exprimer le profil type de l’écrivain nécessaire ou nuisible à la société d’aujourd’hui.
Il y a des impulsions à créer qui s’esquissent sur trois cents pages, et se contentent de ça, puisque l’esquisse est devenue un parti pris à part entière. Mais en littérature, elle ne présente aucun intérêt. Si un écrivain ne suffit pas à créer du poids, qu’il s’allie avec un autre pour créer une unité chargé de sens.
Après s’être posé la question de savoir ce que je fais là, le plus souvent possible et en tout lieux, je me demande combien de personnes ai-je rencontrées qui soient réellement vivantes. Sur quelles braises dansent-ils, si ils dansent. Vanité.
( autofiction etc...blablabla. Céline a beaucoup parlé de lui et c'est surement pas le seul)

Écrit par : damien | 11/02/2011

Loïc, comme tous les commentaires stupides, celui de Bertie n'a strictement aucune importance.
Damien : "Si un écrivain ne suffit pas à créer du poids, qu’il s’allie avec un autre pour créer une unité chargé de sens." Pas bien certain de comprendre ce que vous voulez dire, connaissant fort peu d'écrivains dignes de ce nom qui sont obligés de "s'allier"... En revanche, oui, le système des affinités électives, tel grand nom hanté par l'oeuvre de tel autre grand nom...
La patience : voilà bien une des vertus essentielles propre au mûrissement de toute oeuvre d'art, qui nous fait de plus en plus dramatiquement défaut.

Écrit par : Stalker | 11/02/2011

Cher Juan, oui, la Parole haute et claire, voilà qui me plaît:cette Parole, je la trouve dans la Bible, dans les textes des mystiques, chez Bataille, Artaud, Rimbaud et bien d'autres. Quant à votre entreprise, elle sera saluée; elle n'est pas inutile. " Tiens ton esprit en enfer, et ne désespère pas", disait je ne sais plus quel Père spirituel orthodoxe.
Petite réflexion en passant: la faible qualité du style de bon nombre d'auteurs contemporains n'est-elle pas tout simplement l'effet d'une méchante maîtrise du français? Une anacoluthe de Rimbaud, un brouillage syntaxique de Lautréamont, des anaphores de Péguy, des échos rythmiques de Céline, ce sont des créations de maître. " La musique savante manque à notre désir", écrivait Rimbaud. Quelle science chez Angot? Chez Gailly? Chez tous ces graphomanes des émois du moi? C'est parce qu'il avait une parfaite maîtrise de sa langue que Rimbaud a pu en créer une? Aujourd'hui, on peut être écrivain avant de savoir lire. Qu'on veuille bien me pardonner en ces temps d'égalitarisme morbide, mais j'ai assez vite senti que le style est d'essence aristocratique, et cette essence aristocratique du style, c'est au prix d'un "horrible travail" (Rimbaud encore) qu'elle s'acquiert, soit un stock formidable d'études. Relisons Rimbaud, mal lu et récupéré, "kitschifié", il est toujours devant, tandis qu'Angot, arrogante, veille sur ses anciens parapets. Salut à tous.

Écrit par : Daniel Dienne | 11/02/2011

à seule fin d'assister à la naissance d'un homme ou d'un génie des hommes, il faut savoir faire naître et savoir procréer, mister stalker

Écrit par : ruben | 11/02/2011

C'est bien ce que je m'efforce de faire avec Stalker depuis mars 2004, non, Ruben ?

Écrit par : Stalker | 11/02/2011

@stalker: je suis tout prêt de me ranger à votre avis parce que je dois convenir, modestement, qu'étant venu très tard à la littérature (26 ans) et je n'ai pas la moindre idée de ce qu'est une enfance vouée à la lecture et à l'ambition de devenir écrivain. A huit ans Orwell lisait Wells, Kipling, à quatorze, Butler, Reade, Swift, Hobbes....

@ Daniel Dienne: Ne m'en veuillez pas de vous reprendre sur un seul mot alors que je n'ai rien à objecter à l'ensemble de votre intervention qui en certains points me semble d'ailleurs érudite. Mais quel égalitarisme? Si vous voulez parler de la proclamation spectaculaire de l'égalité, vous ne pouvez pas ignorer que son contraire est toujours à l'oeuvre. Angot n'est pas publiée et largement médiatisée par un souci d'égalitarisme. Elle l'est à la fois pour donner cette illusion et la prolonger et la dériver, avec toutes sortes de spectacles télévisés (nouvelle star, reality show etc...), sur la croyance stupide et trompeuse que chacun est, à tous moments, en mesure d'accéder au plus crétin des désirs, induit par le règne de l'image, la notoriété du néant. Seulement pour cela il convient de faire allégeance, totale allégeance, avec le règne absolu du spectacle. Que propose véritablement le spectacle? Il travaille en opposition progressivement complète à ce que définissait admirablement Romain Garry en ces termes "Dès que cette part d'irrationnel et de poésie est bannie, tu n'as plus que de la démographie du numéraire, rigidité cadavérique et cadavre tout court. Il n'y a plus que l'homme économique (...) Toutes les notions de fraternité, de démocratie, de liberté, sont des valeurs de convention, on ne les reçoit pas de la nature, ce sont des décisions, des choix, des proclamations d'imaginaire auxquelles souvent on sacrifie sa vie pour leur donner vie. (...) L'homme sans mythologie de l'homme, c'est le néant, et le néant est toujours fasciste, parce qu'étant donné le néant, il n'y a plus aucune raison de se gêner. Les civilisations ont toujours été une tentative poétique."
Est-ce une affirmation prétentieuse de dire, qu'en définitive, Angot et consorts, travaillent contre la littérature et que c'est la raison de leur médiatisation. Elle n'est probablement pas assez intelligente pour en avoir une conscience intime, je veux dire que son ambition, sa satisfaction enfantine et son narcissisme certainement démesurés éteignent, chez elle, toutes possibilités de l'évaluer. On peut dire de son dernier livre qu'il constitue une propagande si grotesque de sentiments vils qu'il participe d'une façon très caricaturale à la fameuse injonction "diviser pour mieux régner" et c'est précisément une fonction du livre particulièrement prisée qui s'alimente à l'infini, dans tous les rapports qu'entretiennent le quotidien et le spectacle.
Quand Raphaël Sorin compare Houellebecq à Baudelaire il participe, à l'évidence, au règne sans partages de l'argent qui a pour corollaire l'acculturation.
Mais M.Sorin a fait très opportunément coïncider ses "goûts" vers toujours plus de dévoiement à mesure que "l'analphabétisme" réclamait des éditeurs de plus franches dévotions au marché. Orwell disait le plus effrayant dans le totalitarisme n’est pas qu’il commette des ‘‘atrocités’’, mais qu’il détruise la notion même de vérité objective : il prétend contrôler le passé aussi bien que l’avenir ». (Et voilà Houellebecq au milieu de Baudelaire et Novalis...!) Il écrivait encore, dans 1984 : « Dire des mensonges délibérés tout en y croyant sincèrement, oublier tous les faits devenus gênants puis, lorsque c’est nécessaire, les tirer de l’oubli pour seulement le laps de temps utile, nier l’existence d’une réalité objective alors qu’on tient compte de la réalité qu’on nie, tout cela est d’une indispensable nécessité. »
L'intervention de Bertie n'est pas innocente. S'il s'était trouvé entre Joë Bousquet et l'un de mes amis, atteint par une SLA, ils l'auraient simplement étripé. L'intérêt vient de ce lieu commun, très opportunément repris par les esprits les plus paresseux, quand il n'en est pas plus sournoisement fait usage , "tout a été déjà dit" et l'on entend sourdement "mieux dit". Ce lieu commun qui vise à la prééminence totale de l'économique saura tôt ou tard définitivement établir que tout est plagiat: du seul fait d'utiliser les mêmes lettres de l'alphabet que tous les textes littéraires et critiques assimilés par la société; étant donné le néant toutes les compositions "utiles" (c'est son mot) des spécialiste scientifiques, financiers, politiques etc.. ces compositions sont égales à toutes littératures. La preuve la plus indiscutable que peut produire l'homme sans mythologie c'est une citation (Flaubert ici), en niant le mot de Pascal (si il l'a jamais connu) ("ceux qui disent les mêmes choses ne les possèdent pas de la même manière").

Je vous prie de bien vouloir m'excuser cette interminable intervention... "Raseur un jour, raseur toujours"...

Écrit par : régis d. | 11/02/2011

"Si un écrivain ne suffit pas à créer du poids, qu’il s’allie avec un autre pour créer une unité chargé de sens."

Je ne sais pas, s'il y a eu par exemple plusieurs auteurs qui ont écrit un roman ensemble. C'est ce à quoi je pensais. Est-ce que vous en connaissez?

( Justification pour : "je me demande combien de personnes ai-je rencontrées qui soient réellement vivantes. Sur quelles braises dansent-ils, si ils dansent". Ca concerne uniquement la littérature, et non la vraie vie, sans mauvaise foi.)

Écrit par : damien | 11/02/2011

Cher Régis, surtout ne vous excusez pas! Votre intervention n'est pas interminable, et encore moins "rasante". Bien au contraire, elle nourrit la pensée en l'étoilant. Merci pour cette belle citation de Gary que j'avoue mal connaître. Les rapports de la télé et de la littérature, à l'ère de "l'homme calculable", méritent qu'on s'y attarde. Je me rappelle un pamphlet contre Pivot, un texte de Muray également, "Pivot et son peuple". Je me souviens de ces émissions, Apostrophes, Bouillon de Culture: les écrivains attendant sagement leur tour: une minute, monsieur le micro! Dans cette perspective, Angot est peut-être une nouvelle étape, un nouveau stade de la tentative de domestication de la littérature, de sa dilution dans les images
du spectacle", pour mieux dire, de l' idée que se fait le spectacle de la littérature, soit une idée misérable de la littérature. Or ce que vivifie le Stalker à mes yeux est irréductible à une telle misère. Le Stalker est "outlandish" comme la baleine de Melville. Aussi je ne puis être qu'en désaccord avec le propos de Ruben.
Merci pour le texte consacré à H. Broch. Salut à tous.

Écrit par : Daniel Dienne | 12/02/2011

Stalker : Que mon corps me l'ordonne ! Pour l'heure, il balbutie des aphorismes.

Écrit par : Cédric | 12/02/2011

Cédric : le corps a ses raisons...
Daniel : Outland, un vieux film de SF avec Sean Connery... J'aime bien ce mot, il convient à la Zone je crois.
Damien : allons allons, les oeuvres écrites à quatre mains, du moins les romans, je me demande si une telle aberrante connerie a jamais pu donner un exemple autre que monstrueux. Une oeuvre romanesque est unique, ou alors elle n'est pas.
Qu'il y ait, ensuite, des centaines de textes écrits à plusieurs mains, bien des exemples historiques nous le prouvent mais des romans, hormis, sans doute au Moyen Age et encore après, je ne vois pas trop.
Les trucs participatifs à la con contemporains, cela, franchement, m'est systématiquement tombé des mains.
Régis : Sorin... Les quelques textes lus de lui m'ont toujours fait suspecter un personnage (une pensée ?) d'une insurpassable vulgarité.
Je pars demain pour quelques jours de repos, sans possibilité de me connecter véritablement. Si donc vous avec quelques ultima verba à déposer ici, ce devra être fait avant demain midi.
Merci à tous (sauf l'exception abrutie qui se reconnaîtra) pour l'intelligence et la finesse de vos commentaires.

Écrit par : Stalker | 12/02/2011

Gracq copieur se moquant des authentiques que furent Bernanos et Céline parce qu’il se sentait inférieur.
Puis du nouveau roman qui lui doit énormément, qui l’a copié et qui a dévoilé sa vraie nature : écrivain copiant par jeu (Verne, Chateaubriand, Chr. De Troyes, … Jünger (si Jünger ne bénéficiait pas du privilège d’être étranger, l’estimeriez-vous autant ?), par ennui et par prétention des motifs dont l’idée ne pouvait pas lui venir.
Comme une autre postérité s’est « vengée » de Céline et de Bernanos en les caricaturant et en cherchant à annuler leur exception (Céline gâché par Miller et Bukowski, en France par Nabe, Bernanos par Mauriac).
Chez Houellebecq, exaltation du travail, de la technique et de la technologie. Nombreuses remarques élogieuses sur le catholicisme.
Matzneff ; il chercher sa caution 'théologique' dans les figures de Bloy, assimilant le sexe féminin au St-Sacrement (cf. Carnets de captivité de Levinas). C'est aussi la vraie origine des eucharisties de Klossowski et de Bataille.
« Dans le domaine artistique, toute répétition est nulle » -- pour Guillaume de Machaut : toute littérature est profanation de la théologie. = L’expression rêvée en art est donc pour G. de Machaut… la musique, la seule variation gratuite qui n’annule pas la liturgie mais entretient la nouveauté de la parole, grand privilège de la musique... qui lui aussi s'épuise.

Écrit par : JR | 12/02/2011