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20/03/2020

La Connaissance de la douleur de Carlo Emilio Gadda

Photographie (détail) de Christophe Macquet.

Je dédie cette note à Marien Defalvard.

1381660000.JPGMonstres romanesques.





1a.jpgLa Connaissance de la douleur a paru en 1963 chez Einaudi et a été traduit en français en 1974, et de façon tout à fait remarquable, par Louis Bonalumi et François Wahl, qui du reste propose une intéressante lecture de ce roman en postface de l'édition du Seuil (1). Ce roman aussi magnifique que complexe et difficile, sobrescrito, surécrit comme eût dit Borges, puisant à une multitude de sources évidentes (comme Les Fiancées de Manzoni, Platon, la littérature latine, Dante) ou beaucoup plus discrètes (Joyce et, via ce dernier, Sterne), a en fait été rédigé entre 1938 et 1941, juste après que Carlo Emilio Gadda, en 1936, procède à la vente de la villa dans laquelle il vivait avec sa mère, décédée cette même année. Ce roman pourrait, à bien des égards, être compris comme une étrange cristallisation de haine, et la volonté, une fois le Mal emprisonné dans un réseau de mots, de l'observer et, qui sait, de tenter d'en comprendre la structure et peut-être même, folle espérance, en atténuer quelque peu l'absolue noirceur : «Une douleur sans espoir s'empara de l'âme du fils : la douceur lasse de septembre lui parut irréelle, une image fuyante des choses impossibles ou perdues. Il eût voulu s'agenouiller et dire : «Pardonne-moi, pardonne-moi ! Maman, c'est moi !» Il dit : Si je te trouve encore une fois dans le bran aux cochons, je vous égorge tous, eux et toi avec» (p. 223). Tâche pour le moins colossale bien sûr, qui pourtant est toujours celle, ne peut toujours qu'être celle des plus grands romanciers.
Il est parfaitement impossible de résumer en quelques lignes ce roman. Disons sobrement, paresseusement, que Carlo Emilio Gadda évoque Gonzalo Pirobutirro d'Eltino vivant au Maradagàl, état limitrophe, gargantuesque et grotesque, puant des fragrances de la spécialité fromagère locale, le croconsuelo, du Parapagàl. Quoi qu'il en soit, la très riche étoffe intertextuelle de ce livre me fait penser au remarquable Sous le volcan de Malcolm Lowry : un monde non seulement viable mais vivant, autonome, un royaume de mots tour à tour rêve et cauchemar, la marque des plus grands romans. Lire de tels livres, c'est ne pas seulement se contenter de les lire, mais en lire d'autres, lire tous les livres à vrai dire, tant la nappe phréatique à laquelle ils puisent leur eau trouble, charriant des choses sans nom, semble elle-même s'alimenter à quelque océan primordial et inviolé, caché sous des kilomètres de roche et dont nous ne savons rien, dont nous ignorons les caractéristiques et ne possédons même pas de preuve directe si ce n'est, de temps à autre et comme au moyen d'un carottage sommaire et partial, quelques échantillons troubles remontés à la surface nous indiquant l'évidence exaltante de secrets à jamais hors de notre portée.


La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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