Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Au-delà de l’effondrement, 62 : L'Apocalypse selon Jacques Spitz, par Francis Moury | Page d'accueil | La Mort a chevauché hors de Perse de Péter Hajnóczy »

29/03/2018

De quoi Eugénie Bastié est-elle le nom ?

Photographie (détail) de Juan Asensio.

1933797059.jpgÉtudes sur le langage vicié.





«La misère peut faire de tout homme un journaliste, mais pas de toute femme une prostituée.»
Karl Kraus cité par Walter Benjamin.


Le 23 mars 2018, à 14 heures 32 très précisément, Eugénie Bastié, journaliste selon toute apparence, péronnelle de bénitier selon Laurent Joffrin, nouvelle coqueluche et même éditocrate (1) d'un lectorat qui, très précisément aussi, ne possède pas d'yeux pour lire mais beaucoup de bouches pour répandre sa parole journalistique de passionaria contre-révolutionnaire et qui, une fois déchue de son piédestal électronique, très logiquement et dans le mouvement contraire du balancier, n'a souvent pas de mots assez forts pour stigmatiser ses mots face à un héros, ce jour-là et à cette heure précise donc, Eugénie Bastié signait sa fin de vie virtuelle, en publiant un message parfaitement ciselé, pour une fois, presque débarrassé même, et c'est une réelle surprise, des habituelles fautes de grammaire et d'orthographe déparant sa prose illettrée, message fulgurant censé terrasser de sa seule concision adamantine les hordes bovines du premier degré dont nous faisons bien évidemment tous partie, à l'exception du Maître du Petit Château du Gers, Renaud Camus Sa Majesté Solipsiste. Voici le message ayant précipité, comme l'écrit fort poétiquement la si peu sérieuse évoféministe Peggy Sastre, une shitstorm, autrement dit une formation météorologique violente à odeur fécale : «Ne jugeons pas trop vite cet homme en héros, il a peut être (sic; oui, je sais, j'ai bien dit presque) mis des mains aux fesses à Saint-Cyr».
Cette mort brutale de quelques heures ou, dans le meilleur des cas, de quelques jours, n'est tout au plus qu'une cure de silence toute relative (voir la fin de ma note 3), et il faut inviter les plus fervents lecteurs d'Eugénie Bastié à ne pas désespérer ni même à commettre l'irréparable, par exemple se désabonner du Figaro, car notre époque étant oublieuse et surtout sotte, cette fin de vie, déjà artificiellement prolongée par le milieu déconnecté de la réalité d'une salle de presse, sera très probablement suivie d'une résurrection tout aussi virtuelle. Ce qu'incarne Eugénie Bastié est ainsi tout près d'être immortel : non point l'immortalité rayonnante à laquelle le croyant qui a donné sa vie aux autres et (donc) à Dieu accède selon ces mêmes croyants, mais l'immortalité statique, nauséeuse, percluse et sentant la vieille carne millénaire de tel conte de Borges, où il nous est bien difficile de faire la différence entre la vie et la mort, autrement dit la saisissante mort dans la vie du Vieux Marin de Coleridge, ou, histoire d'écraser notre journaliste de références bien trop savantes, l'agonie interminable de Monsieur Ouine qui n'est même pas remémoration triomphale de la vie comme le montre l'histoire d'Artemio Cruz, mais morne ressassement, flot intarissable de paroles sans début ni fin. L'immortalité de ce qu'incarne Eugénie Bastié et, affirmons-le abruptement, pratiquement tous les journalistes de sa génération spontanée, est un leurre, un état d'entre-deux permanent, où les paroles flottent sans poids, où les actes n'existent tout simplement pas puisqu'ils sont mal nommés ou point nommés du tout. L'immortalité d'Eugénie Bastié tient à son caractère fallacieux et, pour le dire en un mot que nous retrouverons plus loin, à sa nature labile, aporétique, inauthentique.
Vu que l'intéressée a dû être, comme tous ses collègues en précipitation qui s'appellent, entre eux, des journalistes, ravie de lancer une méchante pique à ses confrères détestés (pour ce portrait ?) de Libération détaillant les pratiques pour le moins viriles des tradis de Saint-Cyr-l’École dans les Yvelines (et non, comme semble l'ignorer la si professionnelle Eugénie Bastié, l’École militaire interarmes ou EMIA de Saint-Cyr Coëtquidan qu'a connue Arnaud Beltrame) envers les étudiantes du beau sexe, vu donc qu'elle a dû être fort fébrile à l'idée qu'on lui damne le pion du meilleur jeu de mots et qu'elle s'est concentrée en tirant sa petite langue rose pour faire moins d'une faute par mots, accordons-lui seulement quelques minutes entre le moment où elle a rédigé son imparable saillie et celui où elle en a révélé le si puissant second degré au reste si lamentablement dénué d'ironie de la planète, à savoir : nous tous, à l'exception notable, je l'ai dit, de Renaud Camus, Maréchal de la BQCD (Brigade du quatre-centième degré). Lorsqu'elle s'est excusée après avoir supprimé le tweet ayant défrayé la chronique, Eugénie Bastié, toujours visiblement émue, ne semble pas s'être relue à moins que, hypothèse hautement probable, elle se soit relue et n'ait rien vu du tout. Comprenant son trouble profond, existentiel et même, métaphysique, nous excusons bien volontiers son orthographe à la rigueur stochastique, mais c'est tout ce que nous excuserons. Comme il se doit, ce second message d'excuses, suivant un autre où elle se plaignait d'être insultée par une meute d'imbéciles ne comprenant rien à son humour si fin, est rédigé dans le style invertébré qui caractérise cette cacographe se rêvant bretteuse, et ne l'étant que pour celles et ceux qui placent plus haut Éric Zemmour que Léon Bloy : «Je regrette profondément mon tweet imbécile. Je n'ai évidemment jamais voulu remettre en cause le courage admirable et l'intégrité incontestable d'Arnaud Beltrame, un héros français. Je présente mes excuses à ceux j'ai blessé (sic et resic) et à mes amis et confrères du Figaro». Nous sentons qu'elle tient là, peut-être, le titre de son troisième livre (le deuxième étant prévu au Cerf pour le mois de mai, sauf décision contraire de Jean-François Colosimo, soucieux de laisser s'éteindre la polémique), pour lequel elle relira ses petites fiches sur Bernanos et Péguy, et essaiera de produire quelques pages poussives ayant pour titre, simple et efficace, Arnaud Beltrame, un héros français. Ce livre sera bien sûr immédiatement relayé par la grosse caisse du Figaro et du Figaro Vox, et Étienne de Montety, cet homme si charmant avec les journalistes qui n'ont pas de talent et redoutable Typhon pour ceux qui en ont, organisera un petit raout où, pour une fois, il servira autre chose que du jus d'abricot coupé aux lieux communs, réception intime durant laquelle la fille prodigue sera accueillie comme sainte Rita, qui nous apprend à ne jamais désespérer dans nos difficultés, même quand elles sont aussi grandes qu'un silence de quelques jours sur les réseaux.
Pardonnez-moi cette longue entrée en matière, mais il est visible que, n'ayant pas le doigté d'Eugénie Bastié ni surtout son nombre de followers, je m'exerce préalablement quelque peu et comme je le puis à l'art si peu maîtrisable du second degré.
Nous savons, grâce au récit détaillé que François Molins a donné des dramatiques événements survenus à Trèbes, que c'est à partir de 12h10 que le GIGN s'est déployé autour du supermarché et a tenté d'engager une négociation avec Radouane Lakdim, alors déjà meurtrier depuis quelques minutes, et fanatique depuis quelques mois sinon années. Redonnons les noms des personnes tuées par l'islamiste en vadrouille, noms qu'Eugénie Bastié ne pouvait évidemment pas connaître au moment de son impérissable sortie, même si elle ne pouvait ignorer, comme le reste de la France, qu'il y avait déjà des morts dans cette affaire, nous y reviendrons : Jean Mazières, viticulteur âgé d’une soixantaine d’années, père d’un enfant et qui vit dans le village de Villedubert, à cinq kilomètres de Trèbes. C’est son corps qui va ensuite être retrouvé dans un fossé non loin d’une caserne militaire. Le conducteur de la voiture volée par le tueur a, lui, été blessé grièvement, et nous ne savons pas dans quel état il se trouve à l'heure où j'écris ce texte. Le deuxième assassiné est Christian Medves, 50 ans, chef du rayon boucherie du Super U où le tueur islamiste est entré. Je crois savoir qu'une imbécile patentée ayant la particularité, comme c'est étrange, d'être végane, comme telle folle ayant dilapidé l'héritage éditorial de son père, s'est réjouie de sa mort. Le troisième assassiné est Hervé Sosna, 65 ans, maçon à la retraite. Au moment où Eugénie Bastié écrit son mirifique trait d'humour, trois personnes sont donc mortes avec certitude, ce qu'Eugénie Bastié, une fois de plus, ne savait peut-être pas me rétorqueront ses défenseurs, ce qu'Eugénie Bastié, tout de même, eût pu supposer, sinon craindre. La prudence étant mère de toutes les vertus, nous aurions été en droit d'attendre qu'à tout le moins, notre journaliste de plateau télévisé procrastine de quelques minutes le flot apparemment indomptable de son écumante ironie, du reste adoubée par le spécialiste mondial de la bathmologie à 400 entrées je l'ai dit, Renaud Camus lui-même. Nous verrons cependant qu'Eugénie Bastié, sauf à être la personne la moins informée de France, ne pouvait ignorer, au moment choisi pour s'exprimer, que le pire s'était déjà produit.
C'est à 13h10 que le terroriste est sorti de la salle des coffres «en se servant du lieutenant-colonel Beltrame comme bouclier humain sous la menace d'une arme posée sur sa tempe», a affirmé le procureur de Paris. C’est finalement à 14h16, après avoir entendu plusieurs coups de feu à l'intérieur du bâtiment, que le GIGN reçoit l'ordre de donner l’assaut, lequel a conduit à «la neutralisation», comme disent les professionnels de l'euphémisme, du terroriste, opération au cours de laquelle deux gendarmes ont été blessés, alors même que, gravement blessé lui-même, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est transporté au CHU de Carcassonne, où il mourra finalement quelques heures plus tard, avant d'acquérir une vie immortelle que son incroyable héroïsme lui a gagnée et nous a donnée en exemple de haute noblesse et de profonde humanité. Comme toujours, la biographie du héros ne fait que confirmer la force de son dernier geste : diplômé de Saint-Cyr et de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale (ou EOGN ), ce natif de l’Essonne a eu une carrière bien remplie, passant de l’ancêtre du GIGN au ministère de l’écologie en faisant un détour par l’Irak, l’Élysée et la Manche, et donc, l’Aude, dernière station de ce qui, dans le récit exemplaire qui sera bientôt fait, n'en doutons pas, de sa vie, apparaîtra comme la fin logique d'une vie dédiée au service et à la protection des autres.
Nous pouvons dire, sans trop craindre de nous tromper ou de tordre la chronologie à l'avantage de notre démonstration, qu'Arnaud Beltrame, pendant qu'il a d'une si exemplaire façon chtaquer, c'est-à-dire travaillé d’arrache-pied, sans considération pour ses amis ou sa propre vie, comme le disent les Cyrards dans leur jargon imagé, Eugénie Bastié, elle, probablement et confortablement assise sur un fauteuil de la salle de rédaction de son employeur, Le Figaro, a tomazé, ce qui veut dire, assez poliment on s'en doute, qu'elle a réussi à contourner une activité ou l'a pratiquée de façon plus agréable que d’autres, et même qu'elle a crassussé, ce qui non moins métaphoriquement signifie qu'elle n'a pas participé à une activité volontairement, tandis que les autres, eux, et singulièrement Arnaud Beltrame qui n'a pas hésité à donner sa vie en échange de celle de plusieurs otages, est allé au feu, et a moins été consumé par ce dernier que notre ridicule écrivante, elle, n'a été dissoute par sa stupidité.
Bien évidemment, il est rigoureusement impossible que, au moment où Eugénie Bastié a eu la si brillante idée d'appuyer virtuellement sur le bouton Tweeter, sorte de comique ersatz de quelque doigt bien réel sur une gâchette, elle ait pu connaître, ni probablement même se douter de ce qui se déroulait dans l'entourage immédiat de Radouane Lakdim, un de ces loups solitaires que même les oreilles pourtant surpuissantes des services de renseignement ne parviennent que rarement à neutraliser avant qu'ils n'aient commis un carnage de plus ou moins grande ampleur. Il est donc à peu près certain qu'Eugénie Bastié ne savait pas que notre nouveau héros national, notre héros sans nation, donc notre héros malgré nous, comme s'est empressé de l'écrire la patronne de Causeur, avait été gravement blessé, peut-être même, foin de prudence pseudo-journalistique, égorgé par le chien islamiste.
Je crois avoir, dans ce début d'article, évoqué l'unique argument ou plutôt preuve en faveur d'Eugénie Bastié dont le propos ne peut autrement être défendu, que l'on invoque l'ironie, le second degré, la volonté de tirer la langue aux journalistes de Libération et de faire un probable bras d'honneur aux ennemi.e.s hystériques de notre pseudo-journaliste, j'ai nommé les féministes, du moins nombre d'entre elles, car je n'oublie pas que ce sympathique courant est composé d'autant de sous-courants qu'il y a de strates dans une tourbière trois fois millénaire. J'ai aussi parlé de doute, de prudence, lesquels, à vrai dire et à défaut de professionnalisme, eussent dû suffire à retenir Eugénie Bastié de tenter de manier l'ironie, cette arme si puissante qu'elle n'épargne qu'assez rarement celles et ceux, tout de même plus expérimentés que notre béjaune journalistique, qui l'utilisent parcimonieusement, et toujours en visant l'instant précis où elle fera le plus de dégâts. Eugénie Bastié, parce que, justement, elle ne savait pas ce que faisait l'assassin Lakdim, mais qu'elle savait fort bien, comme du reste la France entière, du moins celle qui est connectée, regarde la télévision ou écoute la radio, qu'un gendarme s'était proposé pour remplacer auprès du tueur un des otages, aurait tout bonnement dû se taire, et ne point sacrifier sa volonté inexorable de faire la maline, selon l'acception que Péguy donnait à ce terme (je cite volontairement un des rares auteurs dont notre journaliste a dû lire plus qu'un résumé sur Wikipédia) à la plus élémentaire prudence et même, à la plus évidente décence. Eugénie Bastié, parce qu'elle savait au moment où elle a publié son message qu'au moins deux personnes avaient été tuées et une dizaine avaient été blessées comme le prouve cette dépêche de Reuters reprise par le Figaro datée du 23 mars à 14 heures 16 (Sud-Ouest indique, dans un point sur la situation établi à 13 heures, qu' au moins deux personnes ont été tuées), eût dû se taire, sauf à penser qu'elle est stupide, irresponsable ou alors totalement mal informée, alors même que c'est son métier que de nous informer. Je précise que ces trois hypothèses ne sont point exclusives les unes des autres. Point besoin de trop insister, et le déroulé, minute par minute ou presque, non point des événements mais de leur annonce par l'AFP ne ferait que renforcer cette évidence : au moment où Eugénie Bastié a écrit le tweet provoquant sa lamentable débandade (si je puis dire) internautique, au moins deux personnes avaient été froidement abattues. Au moment où Eugénie Bastié a écrit le message qui allait signer sa disgrâce temporaire (car rien n'est éternel dans l'univers journalistique, surtout pas les disgrâces), elle savait parfaitement qu'un lieutenant-colonel de 45 ans s'était échangé contre un otage, cette information ayant été publiée à 14h01. Eugénie Bastié a au moins donc eu 30 minutes pour peser chacun de ses mots, et considérer qu'il était ironiquement utile de moquer un homme s'étant livré à un autre homme qu'elle savait parfaitement être un tueur, dans le seul but d'atteindre ses collègues détestés de Libération, mais aussi, en fin de compte, de moquer toutes ces femmes décidément complètement folles à ses yeux qui imaginent que l’œillade un peu appuyée d'un homme suffira à les féconder et veulent faire de notre société un paradis pour êtres asexués plus aseptisés qu'un bloc opératoire.

DY-seYdW4AAi8ZS.jpg


Je ne me perdrai pas dans des considérations, certes légitimes, sur le profil du tueur, le sérieux (second degré) problème que pose l'islam à une France laïcarde et percluse de trouille, vaguement catholique mais tout autant percluse de trouille que l'autre, et je ne gloserai pas davantage sur les implications spirituelles et peut-être même méta-politique du sacrifice ou plutôt, et cela même, espérons-le du moins, pour le plus enragé bouffeur de curés, du martyre d'Arnaud Beltrame. Je ne m'étendrai point sur le flot d'insultes (2), de menaces, de railleries, de quelques soutiens (3) qui ont suivi non point le malheureux premier message d'Eugénie Bastié et les deux réponses de cette dernière aux premières interpellations (ainsi : «C'était de l'ironie de ma part chère madame»), mais sa reprise par un internaute (4) une fois que ladite piètre journaliste a cru devoir supprimer sa propre fatale ironie, fatale, d'abord, pour elle-même, bien que nous ne nous fassions aucune inquiétude pour son avenir professionnel puisqu'il existe en France, outre son employeur actuel peut susceptible de céder aux injonctions de pétitionnaires, des journaux et des revues au moins aussi mauvais que lui, comme L'Incorrect, le magazine de la droite acéphale. Je ne montrerai pas davantage qu'une certaine droite à laquelle notre journaliste appartient de toute évidence ne peut désormais plus exister sans fustiger ce qu'elle considère être de la bien-pensance, forcément de gauche voire gauchiste mais que, sans elle, réelle ou exagérée, parfois inventée de toutes pièces, elle n'est rien qu'un parasite se nourrissant de son hôte. Enlevez à Eugénie Bastié, cette anti-Caroline de Haas qui partage pourtant, outre le ridicule de cette dernière, son inculture si parfaitement visible et sa propension irrésistible au bavardage, enlevez-lui le discours féministe, mais aussi toute forme de discours permissif, genré, islamo-compatible, vivre-ensembliste, remplaciste qu'elle déteste si visiblement plus que tout, enlevez-lui tous ces oripeaux qu'elle ne saurait tolérer, et Eugénie Bastié n'est plus rien du tout qu'une coquille vide, un parasite sans hôte à parasiter, raison pour laquelle, à tout prix, au prix même de sa chute, elle est obligée de ré-insuffler un peu de vie à ses ennemis. Je ne m'amuserai même pas à me risquer à faire remarquer qu'Eugénie Bastié est le pur produit de la féminisation galopante des filières et des professions journalistiques, comme j'ai pu m'en apercevoir assez vite durant mon année, éprouvante bien qu'esthétiquement agréable, passée au Celsa. Il faudrait du reste être fou pour oser supposer qu'Eugénie Bastié, aveuglée par son mépris et peut-être même sa haine de ses ennemis (plus qu'adversaires je crois), a cédé à une poussée hystérique, bientôt suivie d'une multitudes de cercles concentriques eux-mêmes hystériques et s'élargissant à partir de son premier tweet. Enfin, je ne ferai même pas remarquer, sans d'ailleurs beaucoup de cruauté, que les propos d'Eugénie Bastié constituent non seulement une imbécillité irrespectueuse à l'égard d'un homme qui, lorsque l'intéressée les a publiés, risquait sa vie, mais une faute déontologique résidant dans le fait que, en tant que citoyenne et à plus forte raison journaliste, elle n'a pas à moquer l'image et la dignité des victimes. Que la Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels se penche sur cette affaire si elle le souhaite, ce qui, après tout, est son rôle.
Je ne développerai donc pas ces différents points et d'autres.
Pourtant, il serait diablement intéressant de montrer que le sacrifice d'Arnaud Beltrame, plus que le suicide de Dominique Venner à Notre-Dame ou l'égorgement de Jacques Hamel dans une église de Saint-Étienne-du-Rouvray, est peut-être l'acte de foi véritable qui, enfin, parce qu'il a été pleinement décidé, pleinement voulu, pleinement investi, va réveiller les consciences des Français, non seulement ceux qui sont des catholiques pratiquants ou se disant tels, mais ceux qui ont oublié qu'ils l'avaient été, que leurs parents et grands-parents l'avaient été, comme si le christianisme moribond d'un pays de toute manière profondément déchristianisé et qui ne survit qu'à l'état de traces ou de poches plus ou moins caricaturales devait être réanimé, à l'instar d'un cœur fatigué tout près de cesser de battre, par la vitalité brutale, par la violence apocalyptique et théologico-politique de l'islam conquérant, qui n'a plus rien à conquérir du tout, du moins en France, cette terre de soumission, comme nous l'a rappelé Michel Houellebecq. Quelque historien futur des mentalités ou des religions indiquera peut-être que la commotion ayant suivi le sacrifice d'Arnaud Beltrame est l'événement qui, en dépit des postures plus ou moins sincères et opportunistes cela va de soi, a réellement fait renaître un courant de foi en Christ dans le peuple de France, et non le pseudo-renouveau de la pensée catholique incarnée par d'éternels premiers communiants publiant un livre par semaine comme la petite entreprise ayant reçu le nihil obstat Fabrice Hadjadj & Cie, de jeunes fats engagés sur le Chemin de la Croix-des-Ânes comme le guerrier de papier Romaric Sangars, ce vertical avachi dans le copinage, sans compter les Savonarole de café comme Jacques de Guillebon et sa petite bande consanguine et sans beaucoup de talent autre que celui de saluer les livres des copains. Un événement véritable, authentique, et non le bavardage creux, la fausse parole. Un sacrifice bien réel, que l'on peut quasiment toucher du doigt, et non le verbe creux des journalistes et des écrivains et des essayistes qui écrivent de toute façon comme des journalistes. Le martyre d'Arnaud Beltrame, un homme qui s'est levé contre le barbare, contre tous les barbares, et non le second degré abject et ridicule d'une petite ambitieuse renvoyée à sa province internautique. L'acte inouï et pourtant nécessaire, surhumain et le plus humble de tous, d'un homme que rien ne distinguait de ses semblables, pas même sa foi rayonnante, et non l'ersatz de la réelle présence du courage et de l'amour de l'autre, l'événement dans son absolue singularité et non l'idole qu'édifie sans relâche aucune la presse si misérablement servile, qui n'est plus, comme Karl Kraus avait raison de l'analyser, un banal messager de ce qui déchire la trame du monde, le commis que, toujours, elle devrait rester, mais l'événement lui-même. Ce que l'affaire Eugénie Bastié montre, du moins sous la surface, c'est l'inauthenticité spectrale du bavardage journalistique, ce langage second enté sur le monde, ce chancre, cette tumeur proliférant sur le cadavre de la réalité, qui n'est plus guère comprise que comme l'occasion futile de jeter un mot qui se croit bon, ironique, méchant. De fait, il me semble finalement plus facile de se lever contre un assassin qui se tient devant vous, à condition évidente de se supposer le courage et la grandeur d'âme pour le faire, que contre une matrice qui réduit la réalité à l'irréalité, à l'inauthenticité, noie tout événement, même le plus tragiquement sanglant, surtout, à vrai dire, le plus tragiquement sanglant, dans un flot de mots sirupeux, mensongers, anodins, vidés de leur sève, abrutis, serviles, soumis, inféconds, le verbiage d'Eugénie Bastié et de ses congénères si rigoureusement identiques, même lorsque nous les supposons être de farouches opposants des idées que défend cette dernière.
FullSizeR.jpgAinsi, puisque nous parlons de Karl Kraus et que rien de ce qui a trait à la Presse, ce goitre du monde comme il la qualifiait, ne saurait être étranger à celui qui, sa vie entière, batailla contre l'inauthenticité selon Walter Benjamin, si rudement et à coup de méchancetés imparables, de traits assassins, d'une ironie érudite et implacable coupant comme un rasoir et d'un second degré intrépide que jamais ne comprendront toutes les petites Bastié de France et de Navarre, je me permettrai de citer un passage remarquable de cet auteur (extrait de In dieser grossen Zeit datant de 1914 (5)), qui mieux que toute autre analyse à mon sens nous montre de quoi Eugénie Bastié (et tous ses semblables bien sûr, car elle n'est pas grand-chose considérée individuellement), martyre de papier et même de flux d'électrons terrassée par un vrai martyre, lui de sang et d'espérance, de douleur et de confiance rayonnante, est le signe et le nom indubitables : «La presse est-elle un messager ? Non, elle est l'événement. Est-elle un discours ? Non, elle est la vie. Elle n'exige pas seulement que le véritable événement soit la nouvelle de l'événement; elle provoque cette identité inquiétante qui donne systématiquement l'impression que l'annonce des faits précède leur accomplissement, identité qui souvent même engendre cette possibilité, et qui génère dans tous les cas une situation dans laquelle les reporters de guerre n'ont pas le droit d'observer, mais où ce sont les combattants qui deviennent reporters», et de poursuivre que la presse «n'est pas un commis» car elle est l'événement, avant de conclure ce passage par quelques jugements bien trempés qu'Eugénie Bastié, si tant est qu'elle ait jamais entendu le nom de Kraus cité durant ses cours de catéchisme, devrait faire graver à l'or fin et encadrer au-dessus de son chromo pieux représentant un Christ en Croix : «Une fois de plus, l'instrument nous a dépassés. Ces gens, qui devraient se contenter d'annoncer le grand incendie et de tenir un rôle subalterne au sein de l’État, nous les avons hissés au-dessus du monde, au-dessus de l'incendie et de la maison, au-dessus des faits et de notre imagination». Karl Kraus, génie avançant par éclairs intuitifs, a au fond annoncé ce qu'Adorno allait développer quelques années plus tard dans son célèbre Jargon de l'authenticité, virulente charge contre la logorrhée esthétisante et martiale de Martin Heidegger : la forme est aussi le contenu. La forme fautive, hâtive, bancale, sotte, toute pressée de se dresser, comme un caniche de cirque, sur ses pattes pour qu'on le remarque, dans laquelle Eugénie Bastié, que nous ne confondrons certes pas avec Martin Heidegger puisqu'elle ressemble davantage à une Madame Loyal du décervelage institutionnalisé, exprime ses absences d'idées, est aussi son contenu, le contenu de sa pensée.
Arnaud Beltrame, bien sûr sans le savoir, a rompu le prestige illusoire de la Presse, a réduit en bouillie, du moins pour quelques instants précieux, le caquetage de l'inauthenticité, a réintroduit la rugueuse réalité dans le mauvais rêve, à détruit les murs invisibles du camp de concentration verbal comme l'écrivait Armand Robin, où tournoie sans relâche la fausse parole médiatique et, au passage, a fait tomber de son tabouret une pseudo-journaliste prise dans les rets à mailles si peu resserrées de sa propre inconsistance.

Notes
(1) Voici ce que déclare un journaliste sur le site Acrimed : «Pour devenir éditocrate, un journaliste doit avoir un ego démesuré, et, comme nous l’avons vu, Eugénie Bastié en déclarant «Je suis jeune, je suis une fille, je sais que je suis “bankable”» remplit avec aplomb cette condition. Mais une seconde condition doit être satisfaite : être invité dans les médias non pas pour s’exprimer sur un sujet sur lequel l’éditocrate a (ou est supposé avoir) une compétence spécifique mais simplement pour donner son opinion». Cette définition de l'éditocrate convient parfaitement à l'intéressée : elle ne possède aucune compétence particulière dans aucun domaine, mais donne néanmoins son avis sur tout. L'article dans son intégralité est assez bien troussé et fort méchant.
(2) Le si fin Bruno Masure traite l'intéressée de grosse conne, et se réjouit même de le faire.
(3) Signalons le soutien, du bout des cils ce qui est pour le moins plutôt rare dans son cas, apporté par Élisabeth Lévy à sa consœur, qui nous fait bien comprendre que les hordes barbares attaquent sa pauvre cadette pour des crimes idéologiques, probable délicatesse pour dire que ladite journaliste experte en ironie ratée est une éminence grise qui dérange des bataillons de gauchistes féministes et/ou défenseurs des théories du genre, sans compter les adversaires plus traditionnels d'Eugénie Bastié, disons, pour faire vite, celles et ceux contre lesquels la Manif pour tous a défilé. Amusons-nous de l'ironie virile en forme de petite tape sur la joue (quoi, ailleurs ?) de Jacques de Guillebon adressée à celle dont il a apporté au Cerf le premier livre, Adieu mademoiselle, ce qui suffira n'en doutons pas à lui ouvrir les portes si étroites de la postérité littéraire. S'il y en a un qui n'a pas ménagé ses efforts pour défendre l'honneur bafoué et le si haut sens de l'ironie d'Eugénie Bastié, c'est bien un certain Nicolas Moreau qui, pour justifier l'à-propos de l'intéressée, n'hésite pas à appeler au secours le fantôme de tous les sots, l'esprit Charlie. Les femmes ne sont pas en reste nous l'avons vu car, outre la patronne tonitruante de Causeur, Noémie Halioua, autre consœur qui n'est jamais très loin, en raison de la présence entre les deux d'une glu surpuissante que nous dirons être une admiration professionnelle réciproque bien compréhensible, de Alexandre Devecchio, bien connu des lecteurs s'il en reste du Figaro, n'a pas hésité à prendre son courage à deux mains (c'est une femme, elle est donc courageuse), et a osé sans l'ombre d'un sourire prétendre que personne n'a compris, sauf elle (et, donc, Renaud Camus, fil rouge pardon, blanc car il y tient, et histrion de notre note), le sens véritable du message posté par sa consœur et amie. Saluons enfin l'exercice de si trouillard équilibrisme que pratique la Société des journalistes du Figaro qui prend note des excuses d'Eugénie Bastié mais condamne cependant ses propos indignes et, bien sûr, qui ne fera strictement rien de plus que de se réfugier derrière son inaction elle-même protégée par une palissade langagière en bois massif. Cette liste n'est absolument pas exhaustives à l'évidence, car toute personne détestant les féministes, crachant sur l'avortement, le mariage homosexuel, la PMA et autres amusements modernistes comme l'écriture inclusive et les théories du genre, toute personne encore disposant d'un cerveau suffisamment formé pour comprendre le second degré, toute personne ne connaissant, de Bernanos, Péguy ou Claudel, que quelque phrase susceptible d'impressionner une jeune idiote à collier de perles a pu se sentir meurtri par le traitement qu'une horde de sauvages progressistes et bas du front ont réservé à la si brillante éditocrate, si brillante qu'elle allait finir par faire de la Direction du Figaro un tremplin vers des au-delà stratosphériques de renommée journalistique. Il est d'ailleurs assez facile de se faire une idée du profil des internautes ayant soutenu Eugénie Bastié, puisque cette dernière a systématiquement liké les messages en sa faveur, comme le montre clairement ce lien. Il est alors assez drôle de constater, par le biais de ce même lien que, si Eugénie Bastié n'a rien publié depuis ses déboires, elle s'est plus d'une fois connectée sur son compte pour mettre en avant celles et ceux qui l'ont soutenue. Sa cure de silence médiatique, nous le voyons, est fort peu crédible.
(4) Voir ici.
(5) Ce texte a été traduit en français sous le titre En cette grande époque par Éliane Kaufholz-Messme pour les éditions Payot & Rivages en 2000. Je cite la traduction de Marion Maurin et Antonin Wiser pour Karl Kraus de Walter Benjamin (Allia, 2018), aux pages 29 et 30. La citation placée en exergue de cette note se trouve à la page 49.

27628373376_4b445c1866_o.jpg