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« Anéantir de Michel Houellebecq ou le dernier stade du devenir-Ehpad de la littérature française ? | Page d'accueil | Le Monstre de Stephen Crane, par Gregory Mion »

26/01/2022

Réduction du domaine de Michel Houellebecq

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Photographie (détail) de Juan Asensio.

14837965729_fcab6a7685_o.jpgSans l'avoir jamais considéré comme un grand écrivain, ce à quoi, du reste et à ma connaissance, lui-même ne prétend pas, je n'ai jamais été de ceux qui, assez facilement et le plus souvent par jalousie plus ou moins avouée devant son succès médiatico-éditorial (c'est tout à fait la même chose), ont brocardé l'auteur d'Extension du domaine de la lutte, qui lui reprochant le joué de son personnage, qui l'absence de toute qualité stylistique de son écriture.
J'ai même, quelques semaines durant et voici de nombreuses années désormais, à l'époque où il tenait un petit blog, discuté, par courriel, avec l'homme, que j'ai alors trouvé fin, cultivé, cordial et intelligent, autant de qualités qui apparaissaient clairement dans son étrange et intéressant dialogue avec Bernard-Henri Lévy (1).
Une fois pour toutes, si je puis dire, et malgré quelques notes qui suivirent ce constat consacrées à ses textes ultérieurs, j'avais exprimé dans un texte sur La Possibilité d'une île mon opinion je crois la plus lucide, à défaut d'être la plus juste, sur ce bizarre auteur qui, encore plus que Maurice G. Dantec, est capable du meilleur comme du pire, voire du très franchement risible et pitoyable, je songe par exemple à ses vers de mirliton geignard qui jamais n'auraient dû être publiés par Gallimard, ou à ses très récentes apparitions au petit et au grand écran, tout au mieux insignifiantes.
Ce constat, que je faisais en conclusion de ma note sur La Possibilité d'une île que je tiens pour son meilleur et, surtout, plus ambitieux roman, me semble encore parfaitement valable et même, plus que jamais valable. Le voici : «Il faut donc ne pas craindre, d'abord, de tancer la multitude d'imbéciles ayant clamé haut et fort que les romans de Houellebecq n'en étaient point (ils lorgneraient, paraît-il, du côté de l'essai sociologique, ce qu'est n'importe quel bon roman bien sûr, de Balzac à Broch) et qu'ils se contentaient de décrire la pure béance de l'homme moderne confronté à l'absence de sens. Rien n'est plus faux et si une thématique est bien absente des romans de Michel Houellebecq, c'est justement, ma foi, l'indifférence. Lui-même d'ailleurs remarque judicieusement que c'est au contraire la honte, cette écharde n'en finissant pas de s'enfoncer dans la chair et constituant une espèce de bubon gonflé des sucs les plus nocifs, qui est à la source de chacun de ses livres : «Il y a depuis l’origine quelque chose, dans ma littérature, qui a partie liée avec la honte» (2). Michel Houellebecq, une sorte de Franz Kafka sans la mystérieuse prégnance d'une symbolique religieuse souterraine ? Or, notre romancier n'affirme-t-il point qu'il éprouve bien des difficultés à se passer d'une mystique ? Ensuite, il faut parier que Michel Houellebecq, grand lecteur de Pascal, va être inéluctablement conduit à questionner cette mystique chrétienne jusqu'à son dernier souffle puisque, seule, elle lui permettra non seulement de conserver ce qui lentement se détruit sous ses yeux et les nôtres, mais de le retrouver sans avoir besoin de postuler les bienfaits d'une réaction qui de toute façon l'indiffère.
Supposer le contraire, penser que Houellebecq se contentera de tenter de ramener à la lumière quelques modestes pépites des profondeurs, ce serait admettre que la réalité rejoint la fiction, comme souvent c'est le cas lorsqu'elle a été annoncée par la littérature : une vie qui se traîne, celle d'un pauvre Bartleby qui préférerait ne pas, une vieillesse, triste, qui commence toujours et n'en finit jamais, une santé qui décline, l'habituel cortège des maux s'épanouissant avec la sénescence, la sarabande, de moins en moins endiablée autour de l'écrivain fatigué, des profiteurs de toute espèce, un suicide peut-être, uniquement pour imiter Daniel, moutonnièrement rapporté par une presse décérébrée qui se pressera aux obsèques pour tenter de s'arracher quelques pieuses reliques d'un corps refroidi qu'elle feindra de ne pas avoir acculé à ce geste destinal. En somme : rien de très romanesque, rien de plus que la destinée navrante et ridicule de l'«Intellocrate blasé mou cynique» ou IBMC dont Serge Rivron, avec La Chair, a diagnostiqué l'étrange confusion mentale et spirituelle...
Alors que Michel Houellebecq continuant, sans relâche, de lire Baudelaire et, le lisant, d'en comprendre la leçon intime, le christianisme authentique et profondément trouble, voilà qui aurait quelque panache indubitablement littéraire, du fait même que, comme le romancier l'affirme, la dimension religieuse d'une société est peut-être bien l'un de ses aspects les plus fragiles, du fait encore que la littérature, qui sans doute est énormément de choses, est d'abord témoignage, hommage écrirait l'auteur, à la souffrance de l'homme abandonné, croit-il, de Dieu.»
Je crains que ce constat, finalement assez terrible pour l'auteur et l'homme puisqu'il ne le considère que dans son rapport le plus essentiel à la littérature, au Verbe, ne soit encore valable après la lecture du nouveau roman, annoncé pour le mois de janvier prochain, de Michel Houellebecq.
Nous verrons bien.

PS : ce texte a été rédigé en 2014 je crois. Il me semble que, depuis cette date, nous avons très amplement vu.

Notes
(1) Bernard-Henri Lévy/Michel Houellebecq, Ennemis publics (Grasset/Flammarion, 2008).
(2) Ennemis publics, op. cit., p. 240. Voir Plateforme (J’ai lu, 2002, p. 349) : «Jusqu’au bout je resterai un enfant de l’Europe, du souci et de la honte; je n’ai aucun message d’espérance à délivrer. Pour l’Occident je n’éprouve pas de haine, tout au plus un immense mépris. Je sais seulement que, tous autant que nous sommes, nous puons l’égoïsme, le masochisme et la mort. Nous avons créé un système dans lequel il est devenu simplement impossible de vivre; et, de plus, nous continuons à l’exporter.»

Michel Houellebecq dans la Zone.

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