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28/02/2005
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22/02/2005
Stalker l'Obscur ou chaque homme dans sa nuit
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21/02/2005
Démocratie quand tu nous tiens, par Serge Rivron
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18/02/2005
Delenda est latina lingua par Christopher Gérard
En quelques lignes présenté par ses propres soins, voici le texte que m'a envoyé Christopher Gérard avant-hier.
A la fin du mois de janvier, la Ministre-Présidente de la Communauté française de Belgique, Maria Arena (PS), dévoile un projet de Contrat stratégique pour l'Éducation, qui concerne l'enseignement public en Wallonie et à Bruxelles. L'objectif est de modifier en profondeur le système éducatif, et tout particulièrement les deux premières années du secondaire inférieur (12-14 ans), où le nombre d'options serait réduit. Le cours de latin est ainsi, une fois de plus, mis en péril sous le prétexte qu'il serait élitiste, inutile et créateur d'inacceptables ségrégations entre élèves forts et élèves faibles. Pour une partie du corps politique (à senestre), dans un monde où le fric est tout, où traverser la rue sans se faire écraser par un 4X4 devient un exploit, il faut crier haro sur le cours de latin, dangereuse menace pour l'ordre marchand !
Arena, ae, féminin, nom de la première déclinaison en -a. Ouvrons le dictionnaire Gaffiot et découvrons les sens multiples de ce mot utilisé depuis au moins vingt-trois siècles : le sable, le terrain sablonneux, le désert, le rivage, l'arène et, par conséquent, les combats du cirque. Quelle plus magnifique démonstration de l'infinie richesse d'une langue qui, en deux millénaires, a modelé le mental européen ? Quelle plus belle preuve de l'utilité du latin pour inciter l'élève, quelles que soient ses origines, à développer son sens de l'observation et de l'analyse, à approfondir la connaissance de sa propre langue ? Instrument idéal de promotion, le cours de latin permet ainsi à des enfants issus des milieux les plus divers de s'initier aux plaisirs subversifs de l'étymologie, sans doute l'arme de destruction massive par excellence de tous les slogans, publicitaires ou politiques.
Passons sur les attaques – maladroites ou sournoises – contre le cours de latin dans le premier degré de l'enseignement secondaire. Le tollé qu'elles ont soulevé en dit long sur sa réelle popularité (voir la pétition lancée avec succès par un sympathique quatuor d'étudiants). Ne voir dans le latin qu'un méchant instrument de ségrégation sociale relève du procès d'intention que le témoignage de n'importe quel professeur balaie sans peine. Combien sommes-nous à avoir trouvé dans le cours de latin un antidote contre le désespoir, contre la bêtise des adultes avec leurs divorces «indolores», leurs calculs sordides ?… Combien sommes-nous à avoir trouvé, dans l'étude acharnée des déclinaisons et dans l'immersion au sein d'un monde à la fois proche et lointain, un tremplin vers une libération spirituelle, intellectuelle autant que sociale ?
La ministre (du latin minister, tri masculin : serviteur, intermédiaire) ne s'y est d'ailleurs pas trompé, semble-t-il, au vu de ses récentes déclarations.
Laissons de côté cette affaire du latin, probablement un leurre destiné à nous distraire de l'essentiel et passons aux choses sérieuses. C'est ce que j'ai tenté en m'infligeant la lecture des 79 pages du Projet de Contrat stratégique pour l'Éducation de la Communauté française de Belgique. Exercice pénible tant le texte, présenté comme «un formidable effort de systématisation, de clarté et de transparence» en est mal écrit, parce que mal pensé. Le charabia, d'une lourdeur et d'un pédantisme à vous donner la migraine, les néologismes en cascade, tout concourt à rendre le texte obscur et ambigu. Mais le vieux latiniste (première déclinaison étudiée en septembre 1974, merci M. Bockstael !) que je suis en est venu à bout. Il en sort consterné. Pourquoi ?
Sous le masque d'un angélisme trompeur, sous l'apparence d'une générosité tous azimuts, le projet – car rien n'est encore joué – prépare une mutation brutale autant que profonde du système éducatif. Certes, diverses mesures proposées vont dans le bon sens : intensifier les activités de lecture et d'écriture, proposer des remédiations plus efficaces, revaloriser le métier de professeur (qui en a bien besoin, tant la profession est ouvertement méprisée dans un monde où l'argent est devenu l'unique référence), etc. Qui peut nier la réalité du malaise des enseignants, soumis à une débauche de réformes allant toutes vers davantage de laxisme, ainsi qu'à une bureaucratisation galopante ? Comment faire l'impasse sur le net contraste entre les moyens dépensés et les résultats obtenus – ce qu'ont révélé les deux enquêtes de l'OCDE, qui situent notre enseignement à la traîne ?
Là où le bât blesse, c'est que, en dépit de l'avalanche de références savantes, aucune réflexion réelle n'a été menée sur les causes de ces mauvais résultats. Au contraire, ce qui transparaît à la lecture du Contrat, c'est la mise en accusation à peine camouflée du monde enseignant. La solution à tous nos maux consisterait dans une fuite en avant : toujours plus de laxisme au sein d'un tronc commun qui ne serait en fait qu'une prolongation de l'enseignement primaire jusqu'à 14 ans.
En lieu et place des traditionnelles filières générale, technique et professionnelle, qui correspondent à des aptitudes (la pensée abstraite, l'intelligence concrète, le génie du geste) et à des aspirations diversifiées, le projet entend imposer une filière unique à tous les enfants, sanctionnée par une réussite obligatoire, car il est prévu, pour 2013, 100% de certifiés ! Nous nageons là en pleine utopie : à une réalité protéiforme, reflétant la diversité de la société belge, devrait se substituer un système indifférencié (le Projet parle de «réguler le quasi-marché», p. 66). A des communautés réelles, relativement homogènes, devrait se substituer, par simple décret, une société rêvée, obligatoirement hétérogène – mais rigoureusement standardisée.
Quid du choix des familles, des différences entre réseaux (personne ne semble s'apercevoir qu'il s'agit d'une attaque en profondeur contre l'esprit du pacte scolaire), de la volonté des élèves ? Tout est nié au nom d'une rationalité supérieure, bien entendu infaillible (l'évaluation serait confiée aux experts… qui ont concocté le projet !), et fondée sur une série de dogmes dont le principe ne peut être mis en question. En voici quelques exemples.
Le premier dogme apparaît à la page 2, où l'éducation est définie comme «le premier vecteur d'émancipation». Fort bien, mais quid de la transmission ? Car le rôle de l'école n'est-il pas avant tout de transmettre un héritage qu'il appartiendra aux jeunes générations d'enrichir et de transmettre à leur tour ? Face au grand laminage qu'on appelle mondialisation, face au brouillage grandissant des repères, seule l'identité de chacun, qui est son héritage actualisé, offre une protection contre les dérives intégristes et consuméristes. Or, ce projet d'enseignement fait clairement sien le principe, par essence totalitaire, de la table rase. En nivelant à marche forcée comme il entend le faire, ce Contrat stratégique préparerait le triomphe sans partage de la marchandise, ce qui est un comble.
Autre dogme, celui induit par le slogan «école de la réussite » (variante : «spirale de la réussite»). S'agit-il de prétendre que tous les enfants seraient aptes à terminer avec fruit un enseignement secondaire ? Manifestement, les services de la ministre prennent leurs vœux pieux pour des obligations morales («tu veux, tu peux réussir», p. 42). Le taux d'échec est trop élevé (et donc trop coûteux, ce qui n'est jamais avoué avec franchise) ? Décrétons que tous réussiront dans huit ans! Comment n'y avoir pas pensé plus tôt : il suffit de fusionner les filières et de mélanger les élèves, car un autre dogme est celui de l'hétérogénéité obligatoire des classes. Tout doit être fait pour casser toute forme d'homogénéité, qui prend sous la plume des clercs consultés des allures d'hérésie («constituer le(ur)s classes de la manière la plus hétérogène possible», p. 45). N'importe quel professeur peut témoigner qu'une relative (j'insiste sur ce terme) homogénéité est la condition sine qua non d'une transmission optimale.
Autre dogme, parmi d'autres, celui de l'intégration par décret, en lieu et place d'assimilation par l'effort. Toujours, il s'agit d'imposer d'en haut ce que les rédacteurs nomment joliment «la valorisation des bonnes pratiques» (p. 76). On aura compris que le ton général du projet relève davantage de l'exorcisme et de la méthode Coué que de la prise en compte sereine, sans arrière-pensées politiciennes, d'une réalité complexe.
Concluons ce bref billet. Le projet de Contrat stratégique pour l'Éducation doit être combattu sans faiblesse par tous ceux qui désirent préserver la liberté du choix des familles comme la diversité des filières et des apprentissages, et tout simplement le plus élémentaire bon sens. Car ce projet, de nature idéologique et non point empirique, s'il est appliqué, se révélera catastrophique pour notre avenir commun. Il fabriquera à la chaîne des individus amnésiques, parfaitement soumis aux lois du système techno-marchand. Il renforcera les fanatismes par l'oubli d'un héritage millénaire, par la massification forcée et la prolétarisation générale.
Il doit être rejeté en tant que projet irréalisable, opposé aux valeurs humanistes, et potentiellement liberticide.
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