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31/01/2006
Inactualité essentielle de Karl Kraus
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28/01/2006
Pas à pas dans Outrepas de Renaud Camus
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27/01/2006
Contre Gilles Grelet, Théorie-rébellion. Un ultimatum, par Francis Moury
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25/01/2006
Le démonologue et sa fourmilière : le Formicarius de Jean Nider
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23/01/2006
Amnésie de Sarah Vajda ou les voix de nos morts
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17/01/2006
Blog déclaré d'utilité publique : dissection de la NLF
De quelle déclaration d'utilité publique s'agit-il ? Pas, à l'évidence, celle qui serait délivrée à une source d'eau insigne mais bien celle qu'il faudrait apposer de toute urgence à une passionnante recherche étymologique. Les lecteurs de Pierre Boutang me feront d'ailleurs remarquer, et je ne puis que leur donner entièrement raison, que source et étymon sont peut-être bien une même et unique réalité, même si l'étymologie, pour ces deux mots, ne nous est pas d'une grande utilité. Donc, après avoir évoqué les textes d'un Dominique Autié, d'un Slothorp, d'un Olivier Noël ou encore d'un Juan Pedro Quiñonero, voici ceux, précis et intelligents, d'un nouvel anatomiste officiant sur la table de dissection de la Nouvelle Langue Française. Revenir à la vérité du (bon) sens des mots, ne point les faire mentir, les voiler, c'est espérer retrouver, sous les scories, sous les strates épaisses accumulées par les travestissements et mensonges systématiques du journalisme et de ses affidés (intellectuels, hommes politiques, leaders d'opinion, le putanat parisien coutumier, etc.), le rougeoiement antique du foyer de l'étymon. Sur le modèle des travaux de Klemperer et, en France, de Darmesteter et, tout récemment, de l'excellent Renaud Camus, l'auteur pour l'instant anonyme de ces billets (auxquels il manque toutefois, à la différence de ceux de l'auteur de LTI, non pas tant un ancrage dans la réalité quotidienne où s'exercent les méfaits de l'universel reportage dénoncé par Mallarmé et analysé par André Hirt qu'une écriture en acte, je veux dire incarnée plutôt qu'anonyme), l'anonyme amoureux du français tente donc de disséquer les innombrables déformations de la réalité imputables, en premier lieu, aux gauchissements infligés au langage. Rares sont les auteurs, George Steiner peut-être, de toute façon bien isolé parmi ses pairs, qui osent encore affirmer que pervertir les mots c'est trahir, de fait, les réalités qu'ils désignent. Limiter l'usage de la pensée à quelques mots soigneusement déminés de leur charge sacrée (Gershom Scholem) c'est ainsi, comme Orwell l'établit génialement, réduire la réalité à un cachot sécuritaire où, n'en doutons point, nous nous trouvons à peu près tous emprisonnés. Aujourd'hui, le cratylisme, considéré comme une vieille lune pseudo-intellectuelle qui plus est démentie, comme il se doit, par les prétendues avancées des sciences du langage, ne peut qu'être en conséquence rangé dans le camp de la réaction par les imbéciles.
Je cite un passage significatif, extrait d'un billet consacré à l'islamisme : En français, islam et islamisme sont synonymes, et cela depuis 1697, quand d’Harbelot, professeur au Collège de France, a, dans sa Bibliothèque orientale, formé islamisme, en ajoutant le suffixe isme au mot arabe islam, le francisant de fait, parce que, de tous les noms désignant des religions, islam était le seul qui ne fût pas terminé par isme. La synonymie de ces deux noms est un fait de langue ancien, inscrit dans l’histoire de la langue et confirmé dans l’usage de nos meilleurs écrivains, même par les islamologues contemporains, puisque, dans le titre du livre de Bruno Etienne, L’islamisme radical (1987), islamisme a le sens d’islam : l’islamisme radical, c’est l’islam à la racine, tel qu’il est exposé par les textes fondateurs et l’islam extrémiste, tel que le prônent les militants de l’islam. Il est juste d’employer islamisme dans le sens d’islam, à savoir la religion des musulmans ou les pays musulmans. Non seulement cet emploi est pertinent, mais encore il est éclairant.
16/01/2006
Les ouvrières de la Termitière
Je veux donc dire, l’expérience est fascinante, je l’ai même réalisée pendant des heures, jusqu’à éprouver, littéralement, l’envie de vomir, que toutes ces niaises et fantomatiques pages virtuelles finissent pas se mélanger, par faire advenir une espèce de texte unique mais fallacieux, labile, une voix grotesque, à la limite de l’inexistence mais sauvée du néant tout de même par une dernière retenue ironique : la douleur infiniment médiocre, exprimée en tout cas dans une langue creuse, elle-même parangon de nullité, qui doit cependant recevoir quelque écho, la prière non pas de l’humble ou de l’humilié mais du médiocre [...].
Il semble, effectivement, que la Toile mérite bien son nom : il s'agit d'un Réseau où se trament les histoires, parfois les intrigues, je dis cela en toute ironie et sans chercher à être subtil (subtilis mis pour sub-telis), sachant que ce cliché est aussi vieux que celui qui apparente le livre (le Livre) au labyrinthe. Bien sûr, ne nous leurrons pas sur cette série d'images, qui probablement n'offrent, de la Toile justement, qu'une représentation obéissant aux propres schémas mentaux des concepteurs (Alex Shapiro et Christian Langreiter) de ce nouvel outil de recherche, et certainement pas une photographie, rigoureusement impossible d'ailleurs, du monstre arachnéen. Celui qui, de la Toile, pourrait jouir d'une vue surplombante vivrait sans doute une expérience mystique. Peut-être ces mêmes concepteurs, auxquels nous pourrions accorder, sait-on jamais, quelque culture littéraire ou picturale, ont-ils goûté les gravures les plus enchevêtrées de Piranèse ou tel texte babélique de Borges. Je veux simplement dire que, comme Dieu, la Toile est parfaitement non-représentable et que ce n'est que par une voie détournée, négative (ou apophatique) que nous sont offertes ces commodes (donc réductrices et finalement fausses) images qui, de la réalité de l'objet (fût-il virtuel), ne nous disent strictement rien ou, ici, rien de plus que ce que nous voulons en savoir : la Toile, infra-verbale ou pas, est effectivement une toile, rien de plus.
L'extension rapide des connexions et des inter-connexions, comme s'il s'agissait des galeries creusées par de patientes ouvrières n'obéissant à aucune Reine (savoir si Elle a jamais existé ou si Elle a simplement disparu est une question que je laisse à la sagacité des lecteurs de Kafka ou de... Borges), cette extension ridicule en ce qui concerne mon propre site, peut-être s'approchant de l'infini ou plutôt tendant indéfiniment à se rapprocher de l'infini (comme la Nef de Frank Herbert se rapproche toujours de la divinité sans jamais l'embrasser) pour ce qui est de l'univers virtuel est, mais je l'ai déjà dit ici, parfaitement inverse à la singularité presque absolue des voix qui la parcourent. Quelques voix paradoxales donc, en ceci qu'elles ne sont rien de plus que les messagères de la Voix, autant de singularités entretissant leurs écritures alors que, à mesure que grandit et s'étend le Réseau, à mesure que d'invisibles mains tissent la Toile, le Verbe se décale vers le rouge et s'éloigne, son écho de plus en plus faible venant d'un passé immémorial et pourtant vide.
15/01/2006
La France, une peau de chagrin, par Raphaël Dargent
L'intermède mélancolique aura été de courte durée. Je poursuis, avec ce nouveau texte (sous-titré : De la haine de soi au déchaînement de la violence) de Raphaël Dargent (directeur de la revue Libres), la série de textes polémiques auxquels j'ai toujours fait une large place dans la Zone. Il va de soi, mais il faut tout de même le répéter, que je n'ai jamais tenu compte des avis prudents selon lesquels la littérature (la vraie, la pure, n'ont-ils pas honte d'affirmer) n'a rien de commun avec la vaine imprécation. Je devrais donc, pour rafraîchir le maigre gosier de ces femmelins, ne jamais quitter ma tour éburnéenne pour toucher terre et, de là, descendre encore comme Fernando Vidal-Olmos par quelque puits vers le monde ténébreux, aveugle, qui est le nôtre. Sans doute les cervelles creuses qui ont levé cette pauvre idée comme on lève une bécasse, ont-elles bien mal compris les ouvrages d'un Bernanos ou d'un Bloy ni même, d'une portée évidemment bien inférieure, ceux de ce trublion parfois génial qu'est Nabe qui, parodiant Huysmans donnant une préface écrite vingt ans après la publication d'À rebours, est le récent auteur d'un texte assez drôle et néanmoins parfaitement suintant pour son (surestimé, ai-je besoin de l'ajouter) Au régal des vermines.
La Zone aurait-elle pour sombre vocation de se transformer en une sorte de virtuel refuge d'une écriture violente, devenant ainsi un modeste chaînon de cette catena aurea secrète qui a donné à notre pays nombre de ses plus grands écrivains ? Peut-être. Et j'ajouterai, puisque certains analystes, lamentablement taxés de folie, de paranoïa ou souffrant de déclinite aiguë, annoncent que notre société se trouve dans une situation pré-révolutionnaire, que cette violence ne sera pas toujours contenue par les policiers armés de mitraillettes qui défendent aux curieux de pénétrer dans le mystérieux territoire dont ils sont du reste les premiers à redouter les fulgurants dangers.
Bonne lecture donc.
«Aimer son pays, en être fier, agir pour lui». Tels sont les mots, stupéfiants dans sa bouche, qu’employa Jacques Chirac lors de ses vœux aux Français. Puisque tout arrive et que le vent de l’Histoire tourne, voilà donc, au cœur d’un discours convenu et ponctué de gestes mécaniques de la main, le président-caméléon qui réhabilite le beau mot de patriotisme. C’est toujours cela de pris, me direz-vous. Mais peut-il seulement faire illusion celui qui n’a eu de cesse depuis trente ans de trahir le gaullisme et d’affaiblir la France ?
Quatre jours plus tard, lors de ses vœux à la presse, alors que le pays est sous le choc du saccage du train Nice-Lyon et des violences inouïes auquel un tel acte a donné lieu, le même Jacques Chirac, après avoir jugé «inacceptables» de telles violences – «inacceptable», c’est un mot bien neutre en réalité, «scandaleuses», «monstrueuses», «horribles», «barbares» eussent été des qualificatifs plus appropriés – annonça la prochaine réécriture de l’article de loi contesté sur le rôle positif de la colonisation, article qui fit grand bruit du fait de l’émoi du pouvoir algérien et de l’activisme de quelques associations antillaises, en cela bien relayés par une Gauche indigne et de surcroît amnésique.
Pourquoi lier les deux événements ? Mais parce qu’ils ont évidemment bien des points communs ! En effet, qui ne voit qu’il y a un lien direct entre la multiplication des actes de repentance que la France est sommée d’accomplir et le déchaînement de violences gratuites à forts relents identitaires, entre la francophobie ambiante et la montée d’un racisme anti-français ?
Histoire officielle et repentance
Il ne s’agit pas ici de prendre parti sur le fond du dossier de la colonisation. Pour tout dire, il y a bien longtemps que je considère que nous n’avions rien à faire dans ces contrées éloignées et que, tout bien pesé, l’aventure nous a apporté plus d’ennuis que d’avantages – mais las, c’était l’époque de «la course aux clochers» et de la concurrence entre nations européennes. Passons.
S’il est vrai que ce n’est pas le rôle d’une loi de dire l’Histoire, on ne peut pas, comme l’affirme Jacques Chirac, prétendre qu’en «France, il n’y pas d’histoire officielle». Les historiens ont beau travailler avec sérieux et veiller à l’objectivité – ce qu’ils font presque tous – l’Histoire, en France comme ailleurs, est toujours celle du pouvoir en place. Gageons par exemple que l’histoire de la Seconde guerre mondiale serait aujourd’hui fort différente si c’était Hitler qui avait gagné la guerre ! Gageons encore que les jugements de nos manuels scolaires sur le maréchal Pétain et le général de Gaulle ne seraient pas les mêmes ! Gageons enfin que si l’URSS avait finalement remporté la Guerre froide, nous ne porterions pas le même regard sur le Goulag ! Et pensons donc que si la France avait gagné la guerre d’Algérie, l’Assemblée algérienne ne se serait pas émue de l’article sur le rôle positif de la colonisation. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’il y a bien une histoire officielle ou dominante. Toutes les vérités qui dérogent à cette histoire-là sont immanquablement condamnées ou interdites d’expression. C’est ainsi qu’on ne peut plus dire désormais, au risque d’être accusé de «révisionnisme» historique, que la colonisation, absurde et condamnable par elle-même, eut des aspects positifs – ce qui est pourtant incontestable. D’ailleurs, que ceux qui s’offusquent à juste titre de la colonisation française d’il y a deux siècles manifestent donc la même intransigeance avec la colonisation culturelle ou démographique dont aujourd’hui est victime la France, et l’Europe tout entière !
Dernier exemple en date de cette intransigeance et des ravages de l’«historiquement correct» : l’universitaire Olivier Pétré-Grenouilleau, spécialiste de la question et auteur d’un remarquable ouvrage intitulé Les traites négrières (chez Gallimard), vient d’être accusé de révisionnisme et traduit en justice par un collectif des Antilles au seul motif qu’il affirme, preuves à l’appui, que les traites négrières ne furent pas le seul fait des Européens mais également des Arabes et... des Africains eux-mêmes !
L’historiquement correct, que dénonçait il y a deux ans Jean Sévillia dans un ouvrage indispensable, n’en finit donc pas de faire des ravages. «Analysant le monde d’hier d’après les critères de notre époque, l’historiquement correct traque l’obscurantisme, l’impérialisme, le colonialisme, le racisme, le fascisme ou le sexisme à travers les siècles. Que ces mots n’aient pas de sens hors d’un contexte précis, l’historiquement correct s’en moque : son but n’est pas de comprendre le passé, mais d’en fournir une version conforme à la philosophie dominante.» (1) On ne peut mieux dire.
Le procès perpétuel de la France
Pourquoi une société oublieuse de son passé craindrait-elle l’anachronisme ? Pourquoi un peuple rivé à l’instant présent, sans recul ni perspective, redouterait-il l’injustice ? Qu’aurait-on besoin d’une conscience historique (et d’une conscience tout court) et d’un peu de la foi de nos ancêtres quand il y a le Tribunal pénal international ou la Cour européenne des Droits de l’Homme ? Au contraire, nous vivons l’absolue loi du présent et à cette aune tout le passé est revisité. Prétention de l’homme moderne ! Notre temps se veut d’éternité, nos valeurs indépassables, nous prétendons être les derniers.
Dans ce contexte, la France est régulièrement traînée au banc des accusés et c’est toute son histoire qui y est jugée à l’aune des critères actuels et de la bien-pensance post-moderne. Il n’y a pas jusqu’à notre hymne national qui ne soit contesté, jugé trop violent ou trop «nationaliste».
Faut-il rappeler que c’est Jacques Chirac lui-même qui ouvrit l’ère de cette repentance devenue endémique, lorsque le 16 juillet 1995, il évoqua la responsabilité de la France – de la France et non pas de l’État français, non pas de Vichy – dans les persécutions contre les juifs ? Se rendait-il compte que disant cela, il reconnaissait en fait la légitimité de Vichy (Vichy, c’était donc la France ?), contredisait, lui le prétendu gaulliste, Charles de Gaulle lui-même, et faisait du Général le traître que Pétain dénonça ? Qu’on s’en souvienne tandis qu’il nous parle aujourd’hui de patriotisme : contre la France, c’est lui qui tira le premier. J’aime à citer ce proverbe chinois : «Le poisson pourrit toujours par la tête !»
Dernièrement, ce fut donc le tour de Napoléon d’être condamné. C’est ainsi qu’on vit les autorités françaises boycotter le bicentenaire de sa plus grande victoire, Austerlitz, alors même qu’elles avaient peu de mois auparavant envoyé le porte-avion Charles-de-Gaulle, fleuron de notre marine, célébrer la plus sévère défaite de la marine française, Trafalgar. Bel exemple de haine de soi ! Symbole parmi les symboles : le 2 décembre dernier, pendant que le service minimum de la célébration était assuré par quelques troupes devant la colonne Vendôme, Jacques Chirac faisait le paon… au Mali ! Quant à Dominique de Villepin – Villepin qui écrivit Les Cent-jours, Villepin le napoléonide –, il était en visite à Amiens pour évoquer… la non-discrimination ! Le Premier ministre expliqua, lorsque l’on s’en étonna, qu’il n’y avait «pas de consensus autour d’Austerlitz»; il cédait ainsi à la pression de quelques associations communautaires d’Antillais, de Guyanais et Réunionnais qui accusaient l’Empereur d’avoir rétabli l’esclavage, et donnait crédit aux inepties professées à grand renfort de médias par un certain Claude Ribbe lorsque celui-ci n’hésitait pas, loin de toute vérité historique, à comparer Napoléon à Hitler et à mettre sur le même plan les 20 000 individus concernés par le rétablissement de l’esclavage et les millions de déportés morts sous le joug nazi ! On n'en finira décidément jamais d’admirer le courage des plus hautes autorités de notre pays.
Aux «indigènes de la République» qu’on n’osa pas froisser, l’historien Pierre Nora répondit dans un Plaidoyer pour les indigènes d’Austerlitz dans Le Monde du 12 décembre : «La France ? Elle se décommande, elle se fait toute petite, elle se fait excuser, elle se cache derrière son petit doigt.» Quant à l’historien Thierry Lentz, président de la Fondation Napoléon, tout en ne niant pas les faits, il les mit en perspective et précisa dans Le Figaro du 22 décembre : «Pendant tout l’épisode, c’est bien l’Angleterre qui eut le monopole de la traite dans le monde et ne s’en priva pas, ce que les tabloïds britanniques ont, eux, passé sous silence dans leur récent déchaînement de francophobie au sujet du «French Hitler» qu’aurait été Napoléon.»
Comment veut-on après une telle honte que quelques rappeurs n’écrivent pas ces fortes paroles : «Je pisse sur Napoléon et le général de Gaulle»? Comment veut-on après ça que des jeunes déstructurés, désorientés, déracinés, aiment notre pays et veuillent sa réussite ? Comment des Français d’adoption ou issus de l’immigration pourraient-ils aimer la France quand ses plus hautes autorités ne l’aiment pas elles-mêmes ?
Il s’agit aujourd’hui de bannir toute fierté nationale et de se complaire dans l’autodénigrement. On attend la suite. A quand le procès des Croisades ? A quand celui de la Révocation de l’Édit de Nantes ? A quand celui d’Auguste Thiers ?
Cette sale besogne qui consiste à réécrire l’histoire de France pour la noircir, est aussi une vaste entreprise de lavage de cerveaux. La Gauche s’y complaît. Depuis 2001, Bertrand Delanoë s’est engagé dans une politique de renomination des rues de Paris pour satisfaire aux revendications de toutes sortes d’associations communautaires. C’est ainsi par exemple qu’il a débaptisé la rue Richepance, du nom du général coupable selon des associations noires d’avoir réprimé la révolte des noirs de la Guadeloupe et justement rétabli l’esclavage sur ordre de Bonaparte…
Amnésie de la Gauche, lâcheté de la Droite
La Gauche a la mémoire courte, tellement courte d’ailleurs, qu’elle s’oublie elle-même et ne sait plus qui elle est ni dans quel sens elle doit aller, vers Bayrou ou dans la direction de Besancenot. François Hollande ou Jack Lang étaient-ils bien inspirés de faire le procès en colonisation de la Droite quand on sait qu’en 1880 c’est la Gauche de l’époque, désireuse d’apporter «la civilisation» au reste du monde, qui réclamait la colonisation, et la Droite, plus soucieuse des deniers publics et de l’Alsace-Lorraine, qui y était hostile ? Jules Ferry, qu’on loue pour sa politique scolaire, ne fut-il pas surnommé Le Tonkinois, eu égard à son engagement colonial ? La Gauche, toujours prompt par ailleurs à donner des leçons d’anti-racisme au peuple français et à accuser la Droite de frayer avec l’extrême-droite, a-t-elle oublié l’antisémitisme de Jaurès ? Et instruira-t-on un jour le procès des «compagnons de route» du communisme comme on instruisit à juste titre celui des collaborateurs avec le nazisme ? Chance pour la Gauche : le peuple français ne connaît pas son histoire et ces vieilles lunes se sont perdues dans les limbes de la modernité matérialiste.
Il faut en convenir : l’histoire est toujours celle du vainqueur et en l’occurrence la Gauche, ses valeurs, son idéologie, sa vision de la France et du monde, ont gagné sur toute la ligne. La Droite a abdiqué ses valeurs propres, l’autorité, la tradition, le pragmatisme, la liberté pour céder à l’égalitarisme, au droits-de-l’hommisme, au progressisme de la Gauche. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les paroles consensuelles et bien-pensantes de Jacques Chirac et celles, verbeuses et jésuitiques, de son disciple Dominique de Villepin, lyrique Premier ministre qui s’aime davantage qu’il n’aime la France. Et quand certains à droite tentent de briser le consensus pour rétablir quelques vérités premières, ils sont cloués au pilori, accusés de toutes les tares et tous les extrémismes.
S’excuser d’être français
Encore une fois, me voici amené à faire l’éloge de Nicolas Sarkozy, chose proprement ahurissante il y a encore peu. Je sais bien que d’autres que lui parlent vrai mais parmi ceux qui peuvent raisonnablement succéder à Jacques Chirac à la Présidence de la République, l’actuel ministre de l’Intérieur est le seul à le faire avec autant de netteté. Il faut lui reconnaître cette grande qualité : il ne craint pas de mettre sa popularité en jeu lorsqu’il dit les choses telles qu’elles sont et conteste la repentance ambiante.
Ainsi quelle ne fut pas ma satisfaction lorsque je l’entendis, alors qu’il était interrogé sur France 3 le 7 décembre dernier au sujet de la fameuse loi concernant la colonisation et sur Austerlitz, affirmer avec force «qu’il faut cesser avec la repentance permanente en France pour revisiter notre histoire. […] cette repentance permanente qui fait qu’il faudrait s’excuser de l’histoire de France, permettez-moi de vous le dire, parfois touche aux confins du ridicule. […] Les Anglais, ça ne les gêne pas de fêter Trafalgar. Permettez-moi de vous dire qu’on ne peut pas réduire Napoléon aux aspects négatifs de son action. Et ne pas célébrer Austerlitz n’a pas beaucoup de sens. Donc justement, laissons les historiens faire ce travail de mémoire, et arrêtons de voter sans arrêt des lois pour revenir sur un passé revisité à l’aune des idées politiques d’aujourd'hui. C’est le bon sens.»
Quelle ne fut pas aussi ma satisfaction de lire sous sa plume ceci : «Nous assistons à une dérive préoccupante. Tout semble bon pour instruire le procès de la France et faire assaut d’auto-dénigrement.» Puis, dans une allusion à peine voilée à l’intervention du président de la République : «On assiste au développement en France chez certains individus et parfois même au sein de l’État à une tendance irrépressible à la repentance systématique.» Fustigeant la «funeste inclinaison au reniement de soi», le président de l’UMP feint de s’interroger : «Finira-t-on, un jour prochain, par s’excuser d’être français ?».
Peut-on être plus clair ? Dans la lâcheté ambiante, qui confine parfois à la collaboration pure et simple avec les adversaires de la France, les paroles de Nicolas Sarkozy font du bien.
Je sais bien ce que l’on va dire. J’entends déjà la critique poindre : «Il est devenu sarkozyste !». Il faut pourtant que les choses soient bien claires : je ne serai jamais ni «sarkozyste», ni «villepiniste», ni «villiériste», ni «chevènementiste» ni quoi ce soit d’autre. Je déteste les écuries. Je n’ose même plus me dire «gaulliste» eu égard au nombre d’opportunistes et d’hurluberlus qui se définissent comme tel. La seule étiquette que je revendique est celle de «patriote», étiquette intemporelle et qui n’appartient à personne. C’est pourquoi, et afin de répondre par avance à mes contradicteurs, je peux d’ores et déjà annoncer qu’en 2007, je soutiendrai, au premier tour puis au deuxième tour, le candidat qui selon moi défendra le mieux les intérêts de la France. Voilà ce que j’ai toujours fait, en conscience, depuis que j’ai l’honneur de pouvoir voter. Il se peut, en tous les cas il n’est pas exclu, qu’au deuxième tour, ce candidat soit Nicolas Sarkozy. J’ai pour habitude de juger sur pièce et non par principe. J’ai suffisamment critiqué Nicolas Sarkozy et sa politique pour avoir le droit de reconnaître quand il a raison. Or, dans ces affaires de repentance et de haine de soi, c’est lui qui a raison.
Quelques «jeunes gens» bien tranquilles…
J’ai dit déjà, dans un article précédent, combien le Ministre de l’Intérieur avait également eu raison lorsqu’il qualifia les auteurs des émeutes urbaines de novembre dernier de «racailles» et de «voyous» alors que le Président de la République et le Premier ministre, la Gauche et les médias bien-pensants ne voulaient y voir que des «jeunes». Et bien, nous venons la semaine dernière de vivre, à une échelle moindre, la même situation. Alors qu’on apprit, avec trois jours de retard, qu’une cinquantaine de barbares avaient investis le 1er janvier au matin le train Nice-Lyon, tout saccagé, rançonné et violenté les passagers, créant une véritable panique, les médias continuaient, en évoquant les responsables de tels actes, de parler de «jeunes gens». Il faut être bien charitable pour souhaiter que ceux qui persistent à utiliser un vocable aussi lâche ne croisent jamais, pour leur malheur, cette sorte de «jeunes gens» !
C’est Nicolas Sarkozy à nouveau qui rétablit les mots dans leur sens et condamna, lors du Journal de vingt heures de TF1, cette scandaleuse expression. Et regretter que la plupart de ceux qui avait été arrêtés avait dû être relâchés du fait de leur âge, ordonnance de 45 oblige.
Ce qui n’empêchait pas pour sa part Jacques Chirac d’assurer le plus solennellement du monde que «les auteurs de tels actes seraient punis» !
Le fait est que parmi la poignée qui fut arrêtée, se trouvaient nombres d’étrangers ou de jeunes Français d’origine étrangère. Qui peut contester le fait qu’il y a bien une composante identitaire à ces violences ? Qu’on me comprenne bien. Je ne dis pas, je n’ai jamais dit, que c’était là la seule composante, je ne dis pas, je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas aussi une composante proprement sociale. Je ne fais pas non plus d’amalgame et je ne condamne pas toute une catégorie de la population française ou vivant en France parce que certains de ses membres commettent les pires actes. Mais les faits parlent d’eux-mêmes. Qu’on en juge.
Petite ville de l’orléanais : une bande de ces «jeunes gens», casquettes vissées sur le crâne, doigt levé bien haut, insultent les passants, leur promettent que «le pays sera bientôt à eux, qu’ils vont faire régner la terreur», ils crachent sur certains, des grands-mères sont moquées. A Épinal, une semaine après, devant un centre commercial, même scène mais ce sont des jeunes filles qui invectivent la foule et promettent au pays, le leur, aux sales Français, qu’elles sont, le même sort. Comment se peut-il que ces deux exemples, éloignés de plusieurs centaines de kilomètres, que des personnes dignes de foi m’ont personnellement raconté, n’illustrent pas un phénomène plus général ?
C’est pourquoi j’ose dire qu’il y a un lien entre le désamour français que j’ai évoqué plus haut et ces violences gratuites à relents identitaires ou communautaires. Je ne prétends pas que ce lien soit nécessairement de cause à effet mais j’affirme que le procès instruit perpétuellement à la France est un facteur aggravant. On ne peut accréditer sans cesse l’idée selon laquelle la France s’est rendue coupable de ségrégation, d’esclavagisme, de torture vis-à-vis d’Algériens, d’Africains, d’Antillais et s’étonner après cela que des jeunes issus de l’immigration, en désespérance sociale et faute de repères, en veuillent à la France et aux Français. On n’est pas aimable lorsque l’on ne s’aime pas soi-même.
Pour une réforme intellectuelle et morale
Qu’est donc devenu notre pauvre pays en si peu de temps, en trente ans à peine ?
Comme il est loin le temps où l’historien Pierre Chaunu pouvait écrire : «Dans l’esprit des Français, à quelque famille qu’ils appartiennent, à partir de motivations différentes, l’image de la France est gratifiante. […] La France a reçu, au ciel des mots et des entités sociales, dès le berceau, une charge affective exceptionnellement forte et vivace.» (2)
Comme il est loin le temps où son Président se faisait «une certaine idée de la France», la comparant à «la princesse des songes, la madone aux fresques des murs» !
La France est un peu comme la peau de chagrin décrite par Balzac en 1831 : c’est comme si à chacune des émotions qu’elle avait fait partager, à chacune des idées et des œuvres qu’elle avait offertes au monde, à chacune des grandes choses qu’elle avait réalisées, elle avait rétréci. La France n’est plus qu’une peau de chagrin. Une pauvre peau de chagrin, une peau de misère qui n’exauce plus rien et ne fait plus rêver, une vieille peau piétinée, déchirée, brûlée. C’est comme si la France avait épuisé tout le capital de grandeur, d’exemplarité et d’amitié que la Providence lui avait accordée à la naissance.
«Nous ne nous aimons plus, voilà la chose, analyse fort justement Jacques Julliard. Comme si l’âme collective de la France, ce mythe nécessaire, était en train de se dissoudre.»(3)
Je ne cesse pour ma part d’appeler à un sursaut patriotique – je dis patriotique et non pas nationaliste. Il y a quelques mois, François Taillandier évoquait auprès de moi la nécessité de constituer une Université France pour rassembler tous les esprits soucieux de définir et de redéfinir l’idée nationale. C’est bien là ce qu’il faudrait faire : une autre Académie française, non pas seulement destinée à régler la langue mais conçue pour la promouvoir et avec elle la littérature, l’histoire, la politique de la France. Pour l’instant il nous faut œuvrer à notre mesure réelle et rassembler le petit groupe de ceux qui forment aujourd’hui, dans des temps difficiles de renoncement et de haine de soi, ce qu’on pourrait appeler un conservatoire national. Ernest Renan n’écrivait-il pas à la fin du XIXe siècle : «Un pays n’est pas la simple addition des individus qui le composent; c’est une âme, une conscience, une personne, une résultante vivante. Cette âme peut résider en un fort petit nombre d’hommes» ou encore «L’âme d’une nation ne se conserve pas sans un collège officiellement chargé de la garder» ?(4) Soyons ce conservatoire, soyons ce collège !
C’est une immense réforme qu’il faut préparer en effet. Une réforme des esprits. Une réforme des consciences. Exactement, pour être fidèle à Renan, une réforme intellectuelle et morale. Sans quoi, nous n’arrêterons pas les barbares, leur bêtise crasse et leur force débile.
(1) : Jean Sévillia, Historiquement correct (Perrin, 2003).
(2) : Pierre Chaunu, La France. Histoire de la sensibilité des Français à la France (Robert Laffont, 1982).
(3) : Jacques Julliard, Le Malheur français (Flammarion, 2005).
(4) : Ernest Renan, La réforme intellectuelle et morale (éditions Complexe, 1990).
04/01/2006
De l'art retrouvé de l'apologétique, par Francis Moury
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