Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : alain soral

Marc-Édouard Nabe dans la Zone

Crédits photographiques : Ueslei Marcelino (Reuters).
2535169762.jpgMarc-Édouard Nabe le si peu bloyen.





Photo and caption by Stefano Pesarelli.jpgMarc-Édouard Nabe n'enfonce pas vraiment le clou.





Frank Rumpenhorst:AFP:Getty Images.jpgMarc-Édouard Nabe ou la colère du bourdon.





Ebram Harimurti:AFP:Getty Images.jpgAu régal des vermines ou les poisons inoffensifs de Marc-Édouard Nabe.




Stephen Lovekin:Getty Images.jpgAlain Zannini de Marc-Édouard Nabe (extrait de La Critique meurt jeune).




Carlo Allegri:Reuters.jpgHélas Nabe !





164649248.jpgLettre imaginaire d'Alexis Lucchesi dit Anton Ljuvjine à Marc-Édouard Nabe.




548737387.jpgAux rats des pâquerettes.

Lire la suite

11/03/2012 | Lien permanent

Le Feu follet et Récit secret de Pierre Drieu la Rochelle

Photographie (détail) de Juan Asensio.
1384085512.jpgMâles lectures.





FullSizeR.jpgAcheter Récit secret sur Amazon.











IMG_6960.jpgAcheter Le Feu follet suivi d'Adieu à Gonzague sur Amazon.

À Angèle, et c'était le néant, foudroyant.

«Essayez, si vous le pouvez, d'arrêter un homme qui voyage avec son suicide à la boutonnière», ce qui est parfaitement impossible, nous le savions tous instinctivement, et nous en sommes désormais parfaitement persuadés depuis que Jacques Rigaut, d'une balle tirée en plein cœur, a mis un terme à sa trajectoire fulgurante de dadaïste dandy, et a illustré sa parole par son geste, par son geste de suicidé qui, en fin de compte, est bel et bien la seule personne capable d'arrêter un homme qui voyage avec son suicide à la boutonnière, lui-même, un homme qu'il est impossible d'arrêter s'il a décidé de mourir, car «mourir c'est l'arme la plus forte qu'ait un homme» (Adieu à Gonzague, p. 176). Essayez, si vous le pouvez, de me retenir ! : voilà la phrase qu'Alain, le héros du Feu follet de Pierre Drieu la Rochelle qui s'est visiblement inspiré pour écrire son texte lucide, désabusé et glacial, de l'exemple de l'auteur d'Agence Générale du Suicide, ne cesse de nous répéter, et nous savons de nouveau que c'est parfaitement impossible, et que nous parviendrons, tout au plus, à ralentir son inexorable avancée vers le suicide, qui n'est que le mot policé pour recouvrir la rage de mourir, de se conquérir à tout prix, de «rester fidèle à la jeunesse» comme Drieu la Rochelle le confie d'entrée de jeu dans son Récit secret (1), phrase éminemment bernanosienne si nous n'en acceptons que la dimension de la fidélité, de la promesse tenue à l'enfant que nous avons été et qui, déjà enfant, semblait ne songer qu'à une seule chose : sa propre mort, et la manière de la rendre lourde d'une pesanteur réelle, de la rendre vivante.
36919835803_5472a1516e_o.jpgMais cette fidélité suppose encore de posséder non point tant de la force, y compris celle, minimale, de se loger une balle dans la tête ou dans le cœur, que de l'envie, alors qu'Alain, qui n'est apparemment pas un feu follet (l'expression ne sera employée que dans l'Adieu à Gonzague (cf. p. 178) mais un «songe-creux» comme le lui dit son ami Dubourg à la page 83), n'est pas franchement un homme d'envie, ou alors de toutes les envies, femmes et richesse du moins aisance, et cela ne suffit apparemment pas pour faire autre chose que de se traîner misérablement de raout en raout, de nuit en nuit, de femme en femme qui vous paieront comme un vulgaire gigolo. Ainsi Melle Farnoux est-elle décrite comme une créature «affamée de vitalité», le peu qu'elle en a ayant été «concentré dans un seul effort, celui d'en découvrir davantage chez les autres» (pp. 24-5), et Alain lui-même ne sait rien faire sinon se traîner d'un groupe d'oisifs à un autre, la drogue étant alors décrite comme l'unique remède à son oisiveté, mais un remède diabolique puisqu'il ne guérit pas : «Ceux-là commencent à se droguer parce qu'ils ne font rien et continuent parce qu'ils peuvent ne rien faire» (p. 44) et, bien sûr, le plus sûr et court moyen d'arriver à la mort, car tel est «le sophisme que la drogue inspire pour justifier la rechute : je suis perdu, donc je puis me redroguer» (p. 45).
Il est dès lors assez difficile, du moins en apparence, de suivre Drieu la Rochelle lorsqu'il prétend que la volonté du suicide, si tôt manifestée chez celui qui se tuera, est un «vœu farouche et pur de tout prétexte, qui avait peut-être été une explosion de vitalité» (p. 57), si le guette de tous côtés l'impuissance déclinée sous toutes ses formes, de la dissolution (cf. p. 58) jusqu'à la décadence politique et spirituelle de «notre époque composite» (p. 52) qui est incapable, sinon par conformisme routinier, de croire à des «valeurs dont les débris clinquants» (p. 30) ne peuvent plus duper quiconque, sauf qui a envie de se duper lui-même, comme Charles Maurras peut-être.
Le décadent ne croit plus à rien, ni même, peut-être, au matérialisme le plus strict, puisque les objets donnent à Alain «l'illusion de toucher encore quelque chose en dehors de lui-même» (p. 33), matérialisme de stricte obédience, sans aucune coloration philosophique ou même politique qui réside dans le fait de n'accorder sa confiance qu'aux objets, même si se lève immédiatement l'objection la plus évidente : «Pour le primitif un objet, c'est la nourriture qu'il va manger, et qui lui fait saliver la bouche; pour le décadent, c'est un excrément auquel il voue un culte coprophagique» (pp. 34-5). Le décadent n'a pas davantage envie que volonté, car «la volonté individuelle est le mythe d'un autre âge; une race usée par la civilisation ne peut croire dans la volonté», note justement Pierre Drieu la Rochelle, qui explique en partie sinon en totalité son adhésion à la dictature nazie par cette phrase qui suit immédiatement la précédente : «Peut-être se réfugiera-t-elle [la volonté, donc] dans la contrainte : les tyrannies montantes du communisme et du fascisme se promettent de flageller les drogués» (p. 48). Drieu la Rochelle, comme tout impuissant fût-il de génie, ne cherche jamais qu'une seule chose : un maître qui le détourne de son obsession languide, et lui donne ainsi non point tant l'occasion de vouer un culte aux objets que de se détourner de soi-même et, par là-même, oublier de rendre le culte que tous les moitrinaires n'en finissent jamais de rendre à leur idole la plus chère : eux-mêmes.
Le décadent, qui est un impuissant depuis Des Esseintes jusqu'à ces clones transparents de Folantin que Michel Houellebecq traîne de roman en roman, ne sait donc pas quoi faire, parce qu'il n'a jamais rien fait (cf. p. 64), et à quoi bon aller vers les autres (dont le «recès le plus intime sera [de toute façon] de verre» à cause de la télévision, p. 139), tenter de prendre et d'aimer des femmes, sans force d'âme ni de volonté ? L'impuissance d'Alain est charnelle bien sûr, mais cette défaillance s'ente sur une impuissance souveraine, ontologique, et toutes les femmes du monde, mal prises ou simplement entrevues, ne suffiraient pas à la retenir dans la ronde monotone et grinçante des vivants ou de ceux qui en adoptent les mimiques convenues : «Il vous faut une femme qui ne vous quitte pas d'une semelle dit à Alain l'une de ses maîtresses, Lydia, sans cela vous êtes trop triste et vous êtes prêt à faire n'importe quoi» (p. 12), mais ce n'est pas Lydia, Dorothy ou Solange qui ne quitteront pas Alain d'une semelle puisque, le trouvant néanmoins difficilement résistible, elles le quitteront sans beaucoup de ménagement pour d'autres hommes, qui ne le valent pas ou au contraire le dépassent comme Brancion mais qui, en tout cas, semblent aussi pesamment, bêtement présents qu'Alain est mélancoloquement, cyniquement absent.
Le décadent, et c'est pour le coup assez nouveau, ne saurait même trouver quelque chose qui lui permettrait de «se raccrocher, reconstruire, se raccrocher» (p. 66) dans l'écriture à laquelle Alain, comme tout le reste, alcool, femmes et drogue compris, goûte mollement. Pourtant, il a «entr'aperçu la puissance de l'écriture dont les mailles recueillent et rassemblent sans cesse toutes les forces diffuses de la vie humaine» (p. 67), même s'il ne semble avoir aucune idée, nous dit Drieu la Rochelle, «d'une recherche plus profonde, nécessaire, où l'homme a besoin de l'art pour fixer ses traits, ses directions», ni comprendre que «la fonction de l'écriture» est «d'ordonner le monde pour lui permettre de vivre» (p. 68).
En somme, il s'agit de mettre un terme, du moins ralentir cette folle giration (2) qui entraîne irrésistiblement Alain vers les gouffres, et non pas découvrir la vérité ultime mais le néant qui est assurément le visage véritable du monde, c'est-à-dire, comme Drieu la Rochelle l'écrira avec une crâne franchise, retourner sur soi-même l'ancienne aspiration vers autrui, et, bien sûr, vers l'Autre, qu'il soit Ailleurs imprécis ou Dieu muet. Nous retrouvons ici le matérialisme, une fois encore entendu dans son sens le plus basique, que nous avons évoqué plus haut, ainsi que le thème de la drogue : «Les drogués sont des mystiques d'une époque matérialiste qui, n'ayant plus la force d'animer les choses et de les sublimer dans le sens du symbole, entreprennent sur elles un travail de réduction et les usent et les rongent jusqu'à atteindre en elles un noyau de néant. On sacrifie à un symbolisme de l'ombre pour contrebattre un fétichisme de soleil qu'on déteste parce qu'il blesse des yeux fatigués» (p. 92). Alain est beaucoup de choses ou rien du tout, c'est selon, mais Drieu la Rochelle a parfaitement raison de le décrire comme un homme fatigué : non point revenu de tout, selon l'habituel portrait-robot du décadent, mais n'ayant la force d'aller vers rien, ou alors d'aller comme on irait vers rien, par automatisme, par ennui rageur, puis pas simple dépit et habitude.
C'est encore, tout de même, se leurrer et ne point tout à fait penser que le dernier mot s'éteindra sans plus d'effet dans la nappe infinie du néant, puisque le décadent, qui nous l'avons vu est un impuissant, donne une nouvelle orientation à ce qui lui reste de volonté, non vers le ciel qui, s'il n'est pas vide, est désormais hors de portée de nos maigres prières, pas davantage vers les Enfers mais vers ce qui n'est pas à force de matérielle, matérialiste évidence : l'objet, comme ce revolver final, car «un revolver, c'est solide, c'est en acier», «c'est un objet» et qu'il faut, quand on n'a rien d'autre pour mesurer le bruit que fait sa propre existence chétive, «se heurter enfin à l'objet» (p. 172), saint Graal de tous les fatigués de la vie et de l'outre-vie, qui n'ont plus la force d'imaginer un règne au-dessus de la banale évidence de l'être-là, la morne et mufle matérialité des objets qui nous entourent, qui ne pipent mot mais que nous voudrions riches de toutes les significations que nous refusons à l'au-delà.
Curieuse illusion et, dans l'esprit de Drieu, faiblesse, que celle qui consiste à ne plus avoir foi que dans la matière qui nous cerne et, au besoin, par son action tranchante, indiscutable, peut mettre fin à notre vie, comme si la volonté de l'impuissant se renforçait à se croire strictement matérielle, basse, humble, comme si la vie ne pouvait qu'être redressée, sans beaucoup de respect mais avec l'amour du travail bien fait, à l'instar d'une barre de fer tordue et frapper ainsi un dernier coup avant de disparaître définitivement.
Il est une autre illusion, je crois, dans le texte de Pierre Drieu la Rochelle, autour de laquelle à vrai dire il ne cesse de tourner, comme s'il ne pouvait se résoudre à abandonner son personnage de «paresseux aimé des femmes» et de «bourgeois désaffecté» (p. 94) sans avoir absolument tout tenté, comme le fait, pour Alain, d'aimer et de se laisser aimer en retour par ses amis et les femmes. En clair, si Alain est un impuissant, c'est qu'il ne sait que faire de sa force qui, du coup, sans but ni cause, tourne à vide, alors que son esprit, lui, n'est pas suffisamment abêti, au sens pascalien du terme, pour viser plus haut que le morne épanchement du vice (3). Il manque, à Alain, l'évidence d'une époque qui cesserait de scruter son propre vide, qui, tranquillement, proposerait à tous, du moins aux plus forts, un horizon derrière lequel se cacherait la certitude de la nouveauté, et non pas le rideau de pluie gluante du quotidien détesté, puis chéri à proportion de la quiétude qu'il nous offre : «Tout ce qu'il disait expliquait Alain, mais ne faisait que l'expliquer. Il aurait fallu quelque chose de plus intuitif : aimer assez Alain pour pouvoir le recréer dans son cœur» (p. 95). Il y a en effet, dans cet «homme perdu» qu'est Alain, comme «un ancien désir d'exceller dans une certaine région de la vie, que l'applaudissement aurait pu redresser...» (p. 97) et, plus que l'applaudissement, l'amour de celles et ceux qui l'entourent. Alain est seul, c'est une évidence car, «comme il n'avait jamais appris à compter sur lui-même, l'univers, privé de noyau, ne montrait autour de lui aucune consistance» (p. 98).
On comprend qu'il se raccroche à l'unique certitude que lui confère la rugueuse existence des choses si, «pour lui, le monde ne se peuplait que de formes vides» (p. 105). On comprend aussi qu'il ne cesse d'être en mouvement, comme l'homme fuyant Dieu selon Max Picard, puisqu'il lui faut «se déplacer sans cesse, aller d'un point à un autre, ne rester nulle part», «fuir, fuir», car «l'ivresse, c'est le mouvement» même si, nul n'est dupe et certainement pas la lucidité faite homme qu'était Drieu la Rochelle, «on reste sur place» (p. 108).
On reste sur place, on attend «dans les bars, comme en ce moment, pendant des heures, des années, toute sa jeunesse» (p. 112), on se prend à rêver, comme Urcel, que «nous ne pouvons mettre le meilleur de nous, notre plus vive étincelle dans notre vie de tous les jours, mais qu'en même temps cela ne se perd pas», que «cette vivacité qui s'élance en nous et qui semble étouffée par la vie, ne se perd pas», mais «s'accumule quelque part», constituant de la sorte «une réserve indestructible, qui ne se désagrégera pas le jour où les forces de notre chair fléchiront, ce qui nous garantit une vie mystérieuse...» (p. 125), on se prend donc à rêver d'une destinée future, rédimée peut-être, en tout cas ayant plus de sens que la vie atroce, plate et répétitive, que nous menons ici-bas ou, à tout le moins, justifiant cette dernière, l'assimilant à un trait de feu, à la réconciliation de la volonté et du geste, de l'idée et de l'action, soit l'engagement de «toute sa pensée dans chacun de ses gestes» (p. 127), le suicide pouvant dès lors être considéré comme une course échevelée mais qui n'en possèderait pas moins un but, non pas la course en elle-même, la vitesse et le mouvement choisis et servis pour ce qu'ils sont que cette même course, ce mouvement et cette vitesse ramassant alors, du moins c'est le sens du pari, vie et pensée en un seul projectile, en une seule pente qu'il faut à tout prix descendre jusqu'au bout, sans vouloir «se raccrocher et s'arrêter à un prétexte» (p. 131). Curieuse aberration que de devoir constater que les hommes fatigués ne semblent jamais fascinés que par l'extrême vitesse, dans laquelle ils rêvent de consumer leur vie étirable à l'infini, en croyant, comme le nihiliste avec lequel il est assez facile de les confondre, que «la destruction, c'est le revers de la foi dans la vie» (p. 159), la «le point de fusion où s'anéantissent ces vaines dissociations [le corporel et le spirituel, le rêve et l'action] qui deviennent si aisément perverses» (p. 92).
C'est, une fois de plus, se forcer à croire à quelque chose, du moins à la façon dont ce quelque chose laissera une trace, «une trace brillante qui s'efface dans le néant» (p. 132), ou peut-être même qui atteindra une dimension mystérieuse, plus d'une fois entrevue dans le Récit secret, puisque être mort, «ce n'était pas être ici ou là, endroits habités où l'on était, mais c'était être dans un lieu si obscur, si inconnu, que ce n'était nulle part et qu'on pouvait y entendre tomber goutte à goutte quelque chose d'indicible qui n'était ni de moi ni d'autres, mais quelque chose de subtilisé à tout ce qui vivait et qu'on voyait et aussi à tout ce qu'on ne voyait pas et qui vivait aussi, qui vivait d'une autre façon infiniment désirable» (pp. 23-4). Finalement, Alain, mais, plus secrètement, Drieu la Rochelle lui-même, est un homme infiniment moins dur, cassant et sec, tendu et lucide qu'il n'y paraît : notre homme d'action rentrée puisqu'elle ne peut aboutir dans un monde devenu idiot et qualifié de «grande panade collective» (p. 37), est un rêveur, qui pense qu'il y a toujours, «il y a peut-être toujours un élément de pureté chez le suicidaire», car, même «chez celui pour qui le suicide est un acte purement social, un geste entièrement enchaîné à tous ses gestes précédents qui étaient tous dans la vie et tournés vers la vie, ne faut-il pas qu'il ait eu une familiarité quelconque, si inconsciente qu'elle ait été», écrit ainsi l'auteur dans son Récit secret «avec un univers plein de dessous et de secrets et de surprises» ? La conclusion de ce passage est à ce titre surprenante : «Il pense croire au néant, il pense se donner au néant, mais sous ce mot négatif, sous ce mot approximatif, sous ce mot-limite quelque chose se cachait pour lui» (p. 29). Quoi ? Lui seul le sait, croit le savoir en tout cas, car il ne le saura que l'instant infinitésimal précédant sa mort, lorsque la nappe gluante du néant n'aura pas encore complètement recouvert sa volonté cabrée par un coup de menton sardonique au destin.
C'est à ce point qu'Alain rencontre la dernière tentation, peut-être, la plus dangereuse car d'aspect anodin, humble, celle de se vouloir ou même de se croire chrétien (4), à moins qu'il ne faille interpréter le texte comme un déni immédiat apporté à cette hypothèse, après tout rassurante comme le sont toutes les hypothèses puisque, «par-dessus ce chrétien, il y avait un homme qui, s'il acceptait sa faiblesse comme allant de soi pourtant ne voulait pas s'arranger avec cette faiblesse, ni essayer d'en faire une sorte de force; il aimait mieux se raidir jusqu'à se casser» (p. 134).
Et puis, cette hypothèse, ne l'avons-nous pas déjà rencontrée plus haut, sous le masque de la volonté

Lire la suite

15/10/2017 | Lien permanent

Le Mahatma Pierre-Emmanuel Dauzat

Crédits photographiques : Bikas Das (Associated Press).
Il me semble assez évident que Pierre-Emmanuel Dauzat n'a pas dû grandement apprécier la note pour le moins critique que j'ai récemment rédigée sur son ouvrage consacré à Judas. Qui sait lire aura dans mon texte pointé, à l'endroit de son ouvrage, quelques défauts majeurs, de fond beaucoup plus que de forme. Défauts radicaux : n'aimant guère (ou plus : les ruptures amoureuses sont en principe plus violentes que l'indifférence banale) le Christ, Dauzat veut nous faire verser des larmes sur le pauvre Judas, bouc émissaire universel, ma foi fort commode puisque selon toute apparence bourrelé de remords au point de commettre le péché contre l'espérance. Le mystère de la foi doit se nourrir, au contraire, de cette vision éminemment bloyenne (mais déjà mise en scène dans la superbe Passion du Christ de Grégoire de Naziance), donc extrême et juste : la Croix dressée en face du Gibet. Apparemment vexé, Pierre-Emmanuel Dauzat n'a toutefois pas cherché à me contacter, chose facile il me semble même si, ces derniers temps, Google... Passons... Il n'a pas non plus tenté de nuancer mon propos : j'aurais même parfaitement accepté que mon analyse de son livre eût été entièrement contredite par ses propres soins.
La littérature ou plutôt ce qu'il est convenu d'appeler la scène littéraire française (plus largement notre vie intellectuelle), crève ainsi de ces deux tumeurs qui lentement la dévorent : une critique littéraire accablante de nullité, des écrivains qui, lorsque cette critique tente tout de même de dépasser quelque peu les habituels poncifs du genre, refusent la confrontation, le vis-à-vis, le choc des fronts tout autant que celui des paroles, se réfugient, en lâchant un nuage d'encre transparente, vers quelque anfractuosité salvatrice. L'écrivain contemporain français n'est ainsi trop souvent, je suis au regret de devoir l'écrire, qu'un pleutre et, comme la pleutrerie, à notre démocratique époque, est ainsi que toutes les tares, mais aussi les défauts, affectée de cette même taie généralisée qu'est la médiocrité, il n'est qu'un pleutre médiocre, sans la moindre exacerbation de sa complexion qui, le temps d'un battement où son cerveau cesserait de contaminer ses veines du poison de la peur, signerait sa probable perte mais, sans doute aussi, son unique geste d'honneur, rachetant sa vie insignifiante et vaniteuse. Le clown Soral a raison, au moins, sur ce point : tous des lâches, même s'il se trompe en pensant que Dantec fait partie de l'honorable confrérie qui n'adopte ses membres que par une rigoureuse tout autant que très discrète cooptation.
En revanche, fidèle à ses habitudes de doux parmi les doux (lui qui, dans un courriel passé, évoquant ma colère contre Rastier, m'avait déclaré n'être ni ne vouloir être le porte-flingue de Steiner. Il semble au moins être devenu quelque chose comme son apôtre le plus disert...), pratiquant une technique éprouvée de non-violence qui, elle, est également admirablement maîtrisée par nos plus impavides journalistes, Dauzat me semble mûr à présent pour atteindre un stade supérieur de sagesse auquel il a longtemps espéré parvenir. Ainsi, plutôt que d'affronter l'ogre tout de même dangereux, ce sacré emmerdeur de Juan Asensio qui se paie le culot de trouver étonnantes les ressemblances entre Le Transport de A H du Maître (roman que le pathétique Dantzig macule de sa bave parfaitement inoffensive : Charles Dantzig en représentant de la littérature vivante, c'est tout de même à s'en essorer les boyaux, non ?) et Cœur des ténèbres de Conrad, il faut nier son existence, le faire taire ou plutôt, puisqu'il s'agit de défense et non d'attaque, le taire, taire son travail. Cachez ce livre que nul ne saurait voir, plus impudique qu'un cadavre de chien fondant sous le soleil, c'est le cri de ralliement de nos belles consciences bafouées, c'est le hurlement pacifique de tous nos Gandhi écrivains, qui plaignent le Traître et tancent l'Innocent.
Je vais donc donner à tous ces petits Mahatma érudits et couards une raison supplémentaire de me craindre, me détester puis... de recouvrir l'intouchable (comme l'est le tout aussi infréquentable Pierre Boutang aux yeux de Dauzat) que je suis à leurs yeux d'un silence de proscrit en leur révélant l'objet de ma colère : le tout dernier dossier que Le Magazine littéraire, pour une fois capable de ne point nous étaler sa grossière marmelade foucaldo-deleuzienne (rassurez-vous, après ce conséquent écart, la fine équipe va vite revenir à son vomi bien-pensant), a consacré à George Steiner. Ce dossier, par ailleurs relativement intéressant (à moins que la personnalité seule de Steiner suffise à rendre intelligent n'importe quel âne ? Non tout de même : l'ovidien Antoine Spire ne s'est point métamorphosé...), a bien évidemment été dirigé par Pierre-Emmanuel Dauzat (excellent coordinateur, dois-je le redire, du Cahier de l'Herne sur Steiner) et s'étire entre deux extrêmes de qualité, avec le texte de Jacques Catteau (consacré à l'ouvrage de Steiner intitulé Tolstoï ou Dostoïevski) et d'insignifiance, avec celui de Cécile Ladjali, à laquelle il faut toutefois reconnaître un grand talent de vendeuse de tapis (évidemment, les siens, où elle s'installe pieusement, dix-sept fois par jour, en prenant bien soin de s'orienter vers Cambridge). Bizarrement, le texte de Pierre Bouretz, sur Après Babel, n'est pas d'un bien grand intérêt qui banalement répète, avec Steiner, que Babel a été une bénédiction plutôt qu'un châtiment. Arrivant à la bibliographie dudit dossier, également rédigée par Pierre-Emmanuel Dauzat qui, je crois ou plutôt j'en suis certain, a parfaitement lu mon ouvrage sur Steiner, Dauzat qui, je crois encore ou plutôt j'en suis aussi parfaitement sûr, s'est décidé à me demander de participer au Cahier de l'Herne après avoir lu, justement, mon essai, arrivant donc à cette bibliographie non-exhaustive mais assez riche tout de même, j'ai été surpris que mon travail n'ait pas été mentionné, ne serait-ce que d'une seule ligne d'une absolue neutralité factuelle.
Tout cela, tant de lignes pour parvenir à ce maigre constat, ce péché véniel me direz-vous ? Oui, bien sûr. Et j'ajoute que j'en ai assez. Je supporte facilement la bêtise la plus crasse si elle ne tente pas de s'imposer aux autres, j'ai beaucoup plus de difficultés à trouver quelque excuse à la morgue de nos mandarins mais je ne puis accepter, sous aucun prétexte fût-il le plus vertueux, l'injustice, ces exercices d'une déconcertante trouille consistant à saborder un travail qui à l'évidence n'a pas même été lu, à taire encore un ouvrage, le mien, dont chacune des analyses et des intuitions à propos de George Steiner, pour le moment, se sont révélées justes.
Dès lors, n'aimant guère que l'on joue au plus fin avec moi et fort de mes belles expériences épistolaires avec un Jean-Louis Ezine ou même un Michel Surya, qui a tout de même eu la politesse de me répondre, j'ai envoyé le courriel suivant à Pierre-Emmanuel Dauzat, demeuré, comme il se doit, devinez... sans réponse de sa part.

Monsieur, bonjour.

Permettez-moi de vous dire que j'ai été pour le moins très désagréablement surpris en constatant que ne figurait point la mention de mon ouvrage sur George Steiner dans la bibliographie de votre dossier du mois de juin dans la revue que vous savez.
Si encore nous pouvions nous honorer de l'existence d'une bonne quinzaine de livres sur la pensée de Steiner, je pourrais considérer votre oubli de mon livre moins louche alors que, dans le cas présent, n'est-ce pas, l'explication ne tient pas... Ce travail, pour le moment, n'existe qu'à un seul exemplaire : le mien, que cela plaise ou pas.
Je ne sais donc quel mot choisir pour caractériser cette réelle absence : oubli, tout de même peu crédible il me semble pour un professionnel de votre trempe, habitué aux relectures et aux corrections ou, tout simplement, volonté délibérée de ne point mentionner mon travail, ne serait-ce que d'une simple ligne qui eût tout de même témoigné, à défaut d'une certaine probité intellectuelle, un minimum de politesse pour un travail qui, certes plus dérangeant que les dégoulinades consensuelles de Cécile Ladjali, décidément devenue experte internationale de l'œuvre de Steiner, a la vertu d'exister, me dois-je apparemment de vous le rappeler...
Vous me donnerez sans doute une réponse, évoquerez peut-être même l'idée d'une modeste réparation à mon endroit, par l'ajout, dans le prochain numéro du M[agazine] L[ittéraire], d'un Erratum. Ce geste, je crois, ne coûterait absolument rien.
Cette réponse, je l'espère la plus franche possible car, dans le cas contraire, surtout, évidemment, en l'absence de toute réponse de votre part, à l'exemple d'un Assouline sur son blog, je me ferai un évident plaisir d'évoquer sur le mien votre dossier steinerien, d'un ton tout de même beaucoup plus critique que ne l'a fait notre journaliste qui se contente, fidèle à ses habitudes, de relater un fait sans paraître en comprendre le sens, de ce ton même que j'ai utilisé pour évoquer votre étude consacrée à Judas.

Cordialement.

Juan Asensio.

Lire la suite

13/06/2006 | Lien permanent

Une rentrée littéraire idéale

«Nous ne savons ni bâtir ni sculpter ni peindre, notre musique est une abomination, et c’est pourquoi nous restaurons les monuments anciens au lieu de les détruire et c’est pourquoi nous nous rendons conservateurs de tous les styles, double aveu d’impuissance»,
Albert Caraco, Bréviaire du chaos (L’Age d’Homme, coll. Le Bruit du Temps, 1982), p. 53.


Non mes chers lecteurs, cette photographie d'une vitrine de librairie n'est absolument pas truquée.
Vous avez bien cherché, fébrilement, les prénoms et noms de Yannick Haenel, François Meyronnis, Éric Reinhardt, Charles Dantzig, Philippe Forest, Marie Darrieussecq ou encore Amélie Nothomb.
Vous les avez bien cherchés et ne les avez point trouvés. Normal, ils n'y sont pas.
Vous avez bel et bien lu, en revanche, vous demandant si l'on vous jouait quelque plaisanterie, les noms de McCarthy, Celan, Sábato, Bernanos, Maistre ou encore Kierkegaard.
Aucun malfaisant génie de l'informatique n'a pris le contrôle de votre ordinateur, projetant sur votre écran le visible témoignage de sa folie. La preuve ci-dessous, en agrandissement je vous prie.

01d4fa3ad13e6db55f6eca4adb1f1efa.jpg

Tout de même, cette photographie a beau ne pas avoir été truquée (malgré la présence de quelques évidentes fautes de goût, comme le livre survendu de Yasmina Reza, que l'on devine heureusement caché par Paul Celan), vous vous doutez bien qu'elle eût été presque rigoureusement impossible à prendre en France, pour d'évidentes raisons de pression économique mais aussi de crasse ignorance et de plus en plus nette propension de mes amis libraires à suivre le mouvement du troupeau de moutons...
Il nous faut donc des piles entières de Reza et, dans quelques jours si nous survivons à l'angoissante attente, de Philippe Sollers, que j'ai surnommé naguère le Doge de la bêtise.
Sollers justement. Si j'avais l'esprit joueur, j'aurais pu offrir une collection complète, dûment dédicacée de tous les livres de Philippe Sollers (autant traduire cette phrase hermétique par une expression plus claire : une véritable petite fortune !) au premier de mes lecteurs qui m'eût donné la ville et le pays où ce cliché, je le répète absolument authentique, a été pris.
Assez curieusement, vous noterez que mon livre est celui qui s'est laissé, de loin, le plus difficilement photographier, comme s'il était celui qui réfléchissait le plus la lumière extérieure...
Il faut s'en approcher, et encore, suivant une oblique qui, selon Alain, était la marque (signum diaboli) évidente du démon, pour qu'il cesse d'être lumineux; bien sûr, je précise ce point pour les grincheux, j'ai écrit ces mots sans la moindre trace de prétention ironique.

61deb894b1d12ef9c1d2979f4257be34.jpg

Cette étrange bizarrerie à mettre sur le compte d'un livre pour le moins ténébreux m'a plongé dans une joyeuse méditation.
La réponse à notre petite devinette se cache derrière ce lien.Il s'agit de la librairie LireLoue (Alain Deshaies, que je remercie bien sincèrement), 2374, rue Beaubien est, Montréal (Québec).

Lire la suite

15/10/2007 | Lien permanent

Je ne vous quitterai pas de Pascal Louvrier

louvrier.jpg

Photographie (détail) de Juan Asensio.
10985493_865405640167306_6185424455348371901_o.jpgÀ propos de Je ne vous quitterai pas de Pascal Louvrier (Allary Éditions, 2015).
LRSP (livre reçu en service de presse).





IMG_50072.jpgLe titre du premier roman de Pascal Louvrier, Je ne vous quitterai pas, crépusculaire et parfois déchirant, diablement maîtrisé, très efficacement écrit, elliptique jusque dans sa façon de nous révéler (ou de les inventer) des secrets, tourmenté comme un ciel de tempête déchirant cette mystérieuse et tragique côte sauvage que Jean-René Huguenin aima tant, n'a pas besoin d'être trop longuement expliqué. Il évoque, bien davantage que la certitude d'une vie éternelle et la croyance, tout de même faisandée dans l'esprit de celui qui prononça ces mots en 1994, aux forces de l'esprit, le règne des fantômes qui ne cessent jamais de murmurer et qui, dans le roman de Pascal Louvrier, se font compacts, lourds et claquants comme des galets de plage. Nous vivons plus que jamais dans ce murmure incessant qui est celui de la France spectrale, dévorée par ses vieux démons eux-même privés de toute énergie mais qui rejouent leur épopée ridicule et souffreteuse sur les tréteaux pourris des clowns bavards Soral et Dieudonné, une France épuisée, à bout de force, désespérée même. Dans ce monde tout entier fuligineux, gris, où une parole elle-même grise menace de nous recouvrir de la monotone ondée du sous-langage, quelques livres, comme celui de Pascal Louvrier qui n'est tout de même pas un béjaune, ni même un faiseur mais un artisan au sens noble du terme, ont «le gris flamboyant» (p. 229).
Fantôme, fantômes même pourrions-nous dire, tant l'homme s'est amusé à brouiller les pistes, de François Mitterrand, hélas, hélas, hélas le dernier homme politique français à peu près digne de ce nom, sur le cadavre duquel auront grouillé tant de larves de mouches à merde, socialistes ou pas, dont le personnage principal du roman, Jacques Libert, a été le conseiller le plus intime, secret et, surtout, celui qui lui sera resté à jamais fidèle, par-delà la mort bien sûr puisque, dans le roman de Pascal Louvrier, le monde des vivants est constamment entouré par celui des morts, amoureusement ou horriblement imbriqué avec lui. Il est du reste difficile de savoir si le président n'est finalement pas le personnage le plus vivant de notre roman, à l'exception peut-être de Morain, tout pressé de reconquérir le pouvoir à la Mairie de Dieppe, intéressant second rôle qu'il aurait peut-être fallu complexifier davantage.
Fantôme de celle qui fut la femme de l'écrivain de l'ombre, la très belle Laure, conduite au désespoir et à l'alcoolisme par le sadisme d'un pervers narcissique (l'expression, si commune désormais, est lâchée quelque part dans le roman, elle n'aurait pas dû l'être, même si Pascal Louvrier la remettra dare-dare dans sa niche), et aussi parce que Libert lui reproche de n'avoir pu sauver leur fils. Laure qui finira par quitter son mari pour aller rejouer la geste pseudo-révolutionnaire de l'Italie des années de plomb, Libert, lui, malade et hanté par son souvenir, l'abjection qu'il a méticuleusement, patiemment servie à celle qu'il a pourtant follement aimée mais qui n'est jamais restée qu'elle-même, une bourgeoise étriquée, couchant d'une certaine façon depuis vingt-deux ans avec une morte (cf. p. 99), ne cessant de songer à ce qu'il lui a fait subir, avant qu'elle ne chute, saoule, du haut d'une falaise, ne parvenant pas à faire taire le cri de sa femme, comme le narrateur de La Chute (et Albert Camus lui-même, nous dit l'auteur, cf. p. 214) ne parviendra jamais à faire taire le cri du corps tombé dans le fleuve, et ne cessera de méditer son passé, moderne Vieux Marin tout pressé de se confier et de s'accuser. Libert, lui, ne tentera pas de s'absoudre ni même de jouer au juge-pénitent, et c'est une balle qui emportera la moitié de sa tête toute pleine de ses fantômes, concluant la trajectoire fulgurante de cet homme moins noir qu'obscur, et volontairement obscur : «Quelque chose de froid et de désespéré émanait de lui, quelque chose de paradoxal aussi, comme une pointe de lucidité perverse dans le regard d'un ange» (p. 66).
Fantôme, enfin, d'une histoire de France que Pascal Louvrier nous présente comme étant finie, elle-même fantomisée, évaporée, ce dont nous nous doutions à vrai dire depuis la mort de celui qui, à défaut d'une véritable vision historique du pays, et même s'il «incarnait la désobéissance à l'ordre libéral bourgeois» (p. 170) selon Libert, pouvait se targuer d'une culture littéraire qui l'enracinait dans sa plus haute présence, son immortalité intellectuelle et artistique : Sarkozy, l'homme sans culture, en effet, mais avant lui Chirac, l'homme les ayant toutes donc n'en ayant aucune, et après lui le pitre hollandais, l'homme qui cultive le bon mot et quelques harpies d’État, tous les innombrables animalcules ayant gravité ou gravitant autour de ces marionnettes, «hommes corrompus» (p. 123), ombres d'ombres dolentes moins affectées par le Mal et la «notion de péché» (p. 172) que par leur illusion, ont «tombé le masque» : ils «sont en permanence dans le déni. Le verbe n'habitera plus les futurs présidents», l'écrivain, du reste, étant mort «dans l'ordre social» (p. 53) et sans doute aussi dans l'ordre symbolique, au moins aussi important, sinon plus important que le premier. Il n'y a donc plus, comme chez François Mitterrand selon Libert, «la présence, l'incarnation du Verbe» (p. 159), c'est fini, la grâce s'est absentée (cf. p. 190) ou bien comme l'aura selon Walter Benjamin s'est enfuie au loin, sans se retourner, elle, et le symbole des socialistes, cette «rose au poing», ne pourra décidément plus être comprise comme «le plan d'une église» (p. 167), pour la simple et bonne raison que cette lecture abellienne de la réalité n'intéresse plus personne.
Tout n'est pas perdu, car, pour l'homme qui a beaucoup écrit, il reste encore à lire, c'est-à-dire déchiffrer les caractères fulgurants du destin. C'est du reste sur le «visage racé» de Libert que s'inscrit «l'histoire violente de sa vie» (p. 51) et de celle de la France que Mitterrand a connue, façonnée, du moins l'a-t-il cru, histoire que l'écrivain ayant raté (heureusement, pas vrai Lydie Salvayre ?) le Goncourt a vécue en étant aux côtés du président énigmatique une partie de sa vie, comme c'est à cause de «la blessure secrète du péché qui ne cicatrise jamais» que le style se tend «à l'extrême» (p. 71) et que «les mots qui surgissent savent de nous des choses que nous ignorons d'eux» (p. 109). Les fantômes ne cessent de murmurer et, comme tous les envoûteurs, quoique discrets mais pas moins opiniâtres, ils ont maille à partir avec le langage exténué de notre époque, ici très finement mis en scène dans son combat invisible contre une fuite, un mouvement de ciel, une cavalcade de nuages chassés par le vent d'une de ces journées claires de Haute-Normandie que n'illuminera pourtant aucune trouée de lumière. Tout est fini, tout pourrit, comme la maison de Libert qui va s'écrouler tôt ou tard, comme celle de Usher, et qui s'écroulera à sa façon symbolique, lorsqu'il apprendra, encore d'un mort (et quel mort ne cessant de travailler la mémoire des vivants), que Laure lui a donné, aussi, une fille, elle sacrément vivante, et qui s'écroulera bien sûr lorsque Libert se suicidera, n'avouant pas tout à sa fille, notamment ce qu'il a écrit dans une scène d'amour aussi sèche que désespérée, car tout, en somme, finit par sombrer dans le trou noir de la volonté du président, insatiable comme un ogre, infatigable psychopompe des énergies et des volontés humaines : «Et si vous le trahissez, il ne vous bannira pas, car il sait que vous ne pourrez échapper à cette loi physique d'attraction qui n'est décrite nulle part. Il vous laissera tourner autour de lui, sans vous regarder, jusqu'à l'épuisement» (p. 117).
Je ne vous quitterai pas agit comme un sortilège amère, corrosif, allusif (1), dans sa discrète mordacité, alors même que la réclame journalistique évoque un roman pourtant riche en révélations, réelles ou phantasmées. L'écriture sèche, parfois brutale de Pascal Louvrier, écriture abrasive qui en tous les cas ne pose pas et ne fait pas la mariole, comme celles, ampoulées jusqu'à l'obésité obséquieuse, de tant d'autres de ces écrivaillons gommeux pour midinette cinquantenaire, provoque une délicieuse sidération du lecteur lorsqu'il découvre, par une phrase, une description (et celles de Pascal Louvrier, pourtant épurées, parfois cinglantes comme l'est le geste d'un peintre sûr de sa technique, sont belles et, surtout, ne s'oublient pas, cf. p. 232), que le texte creuse la réalité qui l'entoure d'une profondeur insoupçonnable. Cette profondeur où se nichent l'écriture et le royaume de nos morts est par exemple figurée par ce tombeau tout simple, secret, émouvant, de l'enfant à peine connu, le «plus anonyme des êtres humains dans le plus puissant lieu de France» (p. 147), cadeau sépulcral d'un président revenu d'entre les morts (2), rejouant perpétuellement sa liberté par la rupture (cf. p. 255), à celui qui a perdu son fils Clément et qui ne peut se résoudre à se séparer de son petit corps, peut-être parce que, comme tant d'autres hommes affamés de pouvoir et comprenant que celui-ci n'est, comme le reste, plus que tout le reste, qu'une illusion, mais celle-ci plus dévoratrice que les autres, l'enfance, l'esprit d'enfance, «l'authenticité révolue» «remontait soudain» (p. 247), de quel passé légendaire désormais aboli sous la croûte de l'usure, des mensonges, des actes ignobles, des pensées interdites, de la gloire si maigre des hommes de pouvoir, remontant soudain «vers le bleu bouillonnant du ciel» comme l'Arbre de Jessé, très ancienne figuration de la filiation du Christ, «alors qu'il est si difficile de vivre ici-bas en se tenant debout» (p. 286) et que Louise, «jeune femme paumée» (p. 280) qui peut-être deviendra peut-être une femme avec l'aide de Morain, comme l'homme dont elle deviendra le témoin des derniers jours, est seule face au silence de Dieu et de ses prophètes, sans père, sans mère, sans frère ni sœur, sans piété peut-être, ou alors une piété tronquée, arrachée à sa racine, seule.

Notes
(1) «Il écrivait «une odeur de sable mouillé», et cela suffisait. Chaque lecteur se trouvait projeté sur la plage de ses souvenirs, le plus souvent celle de son enfance» (p. 228).
(2) «Il avait peur d'être repris par les nazis. Il avait peur en permanence. C'était comme si cet homme marchait vers le peloton d'exécution et qu'il était sauvé à la dernière seconde. Il a triomphé de cette épreuve initiatique. De cette ordalie. Cette longue marche traumatisante l'a métamorphosé» (p. 237).

Lire la suite

17/03/2015 | Lien permanent

Richard Millet, anti-antiraciste, va-nu-pieds de la vérité, phalangiste du Verbe et dernier grand écrivain français auto

Crédits photographiques : Natacha Pisarenko (Associated Press).
Amel Emric:Associated Press.jpgHarcèlement littéraire de Richard Millet ou le manquement aux lettres.




767177541.jpgRichard Millet le dernier homme : sur Désenchantement de la littérature.




588680845.jpgL'Opprobre de Richard Millet.





2807358905.jpgLa confession négative de Richard Millet : la guerre comme exercice d’écriture, par Jean-Baptiste Fichet.




2591381692.jpgCommunauté de destin. Lettre ouverte à Richard Millet, par Pierre Mari.




447491012.jpgIl ne faut pas lire Richard Millet. À propos de L'Enfer du roman.





3956489318.jpgLangue fantôme suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik.





Amr Abdallah Dalsh:Reuters2.jpgDe quoi Richard Millet, Alain Finkielkraut et quelques autres sont-ils le nom ?, à propos de De l'antiracisme comme terreur littéraire.




1489044879.JPGLa monnaie des défaites : Renaud Camus, Richard Millet, cœurs brûlants dans une fumée de mots.




535123837.jpgLettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes.





255677498.jpgRichard Millet tel qu'en lui-même la vanité le change (à propos de La Revue littéraire n°58).




1612524114.jpg
Le corps politique de Gérard Depardieu
.




3852709277.jpgRichard Millet tel qu'en lui-même la vanité l'exalte : Israël depuis Beaufort.




3310656991.jpgRichard Millet tel qu'en lui-même l'érotisme guerrier le dresse : Tuer.




2574767387.jpgLe ténia : à propos d'Humaine comédie de Richard Millet.

Lire la suite

21/11/2013 | Lien permanent

L'Échelle de Jacob, varia

Crédits photographiques : Cristina Quicler (AFP/Getty Images).
«Quoi qu'entreprenne le progrès, je crois qu'il ne se révélera guère plus efficace, lorsque surviendront des catastrophes de l'esprit, que le géologue lors d'un tremblement de terre. Quel que soit le sommet qu'il atteigne il ne parviendra jamais à nous hisser sur une échelle de Jacob.» Karl Kraus, La Littérature démolie.Cette réflexion de Karl Kraus me fait tout à coup penser à un excellent film du mésestimé Adrian Lyne, intitulé L’Échelle de Jacob (sorti en France en 1991) et qui décrit non pas une ascension mais une plongée dans les ténèbres, sorte de variation moderne sur le proverbe bien connu, Qui veut faire l’ange… La trame du film nous importe peu au demeurant, histoire classique d’expériences scientifiques qui ont mal viré durant la guerre du Vietnam. Beaucoup plus intéressante me semble être l’indécision fondamentale que Lyne introduit dans la trame narrative qui évoque les constantes fissures par lesquelles l’univers d’un Dick, par exemple, désagrège la tranquillité routinière de ses paumés. L’enfer s’infiltre, si je puis dire, au sein même d’une des journées de Jacob Singer (joué par un magnifique Tim Robbins) que rien n’aurait dû différencier des autres : c’est en somme une illustration de la définition que donne Todorov du fantastique, dans ce film poussée à ses plus sordides conséquences mais, plus profondément, c’est affirmer que le Mal est à la racine même de notre âme même s’il lui faut, pour s’épancher, le secours d’un agent trouble (ici la folie scientifique, dans Macbeth les prophéties des trois sorcières).Deuxième pensée : comme il facile pour un créateur, qu’il soit romancier, peintre ou cinéaste, d’évoquer le mal alors que nos petits intellectuels paraissent toujours prendre la Bête avec des pincettes dorées, à moins qu’ils ne la découpent artificiellement en autant de tranches transparentes : les catégories sociologiques ! Pensez donc: c’est le même fond de commerce – le mal est l’aboutissement d’un lent processus social de paupérisation – que se partagent la droite et la gauche, celle-ci ayant oublié que ses plus éminents penseurs ne crurent pas devoir, jadis, évacuer l’hypothèse d’un mystère d’iniquité alors que l’autre, ayant apparemment renoncé à tout héritage chrétien, ne propose rien d’autre, en guise de blafarde consolation, qu’un mastic improbable de flicage et de prévention…Le Mal a un visage trompeur, qu’il importe, non pas de découvrir (puisqu’il n’est que masque comme nous l’enseigne Bonaventura dans ses splendides Veilles) mais de clairement désigner. Une fois de plus, nous crevons de ce que plus personne, aujourd’hui, n’ose donner à une réalité pourtant écrasante son nom véritable. C’est ce que j’ai tenté de faire dans le petit article suivant, à propos d’une réflexion rondement menée par Alain Cugno sur la question du Mal, papier complété par quelques lignes sur un ouvrage savant de Marianne Closson. Je parlerai plus tard du livre d’un historien devenu médiatique depuis qu’il s’est intéressé au démon, Robert Muchembled…Alain Cugno, L’existence du Mal (Seuil, coll. Points Essais, 2002). Les pages entre parenthèses renvoient à l'édition citée.Ce petit livre consacré à la thématique complexe du mal mérite le détour à plus d’un titre, la clarté de ses analyses qui évoquent les œuvres de Nietzsche, Kierkegaard, Ricoeur ou Schopenhauer n’étant pas la moindre de ses qualités. La perspective d’analyse choisie par Alain Cugno, auteur d’un livre sur Saint Jean de la Croix paru en 1979, est résolument chrétienne, mais sans qu’à aucun instant l’exigence philosophique ne cède le pas à une visée apologétique. Brièvement résumée, la thèse de l’auteur tient en quelques mots : le mal étant irréductible à la pensée, la tâche philosophique par excellence est celle qui consiste à penser «le mal hors de toute possibilité de le penser» (21). Il pourrait s’agir là d’une aporie; nous y voyons au contraire, non seulement un démenti apporté à la naïveté de la théodicée, mais aussi, comme d’ailleurs le pensait justement Paul Ricoeur à propos de la symbolique du mal, une invitation, un aiguillon pour penser, puisque cette méditation débouche sur un abandon : ce n’est pas une défaite de la raison, mais au contraire son triomphe, que d’accepter le fait que «la seule ontologie capable de résister à l’épreuve de l’existence du mal est celle qui accepte de lire la toute-puissance dans l’extrême abandon» (264). Car, évidemment, l’existence du mal bute inévitablement sur le scandale d’un Dieu impuissant ou qui, à tout le moins, le tolère : reprenant l’analyse du mal absolu qui, selon Marcel Conche (248-251), est symbolisé par la torture des enfants, Alain Cugno a raison de souligner que cette position témoigne, plus que d’un souci de rationalité qui honorerait la démarche de Conche, d’un réel désespoir de sa pensée. Au contraire, l’auteur parie – puisqu’il s’agit là d’un acte de foi s’entant sur un tronc philosophique – sur l’évidence d’un Dieu nu, impuissant, reprenant là l’analyse de Hans Jonas dans Le concept de Dieu après Auschwitz, Dieu impuissant qui pourtant a vaincu le mal par son impuissance même. Reprenant les belles pages (63 et sq.) qu’il a consacrées à l’exemple de Job, Cugno écrit ainsi que dans «le récit de Job, c’est bien la faiblesse de Yahvé, son refus de répondre et d’intervenir, qui est l’acte par lequel il se rend maître du mal» (258). Le fait, d’ailleurs, que ce soit un exemple littéraire qui, selon l’auteur, soit la source d’un tel enseignement n’est pas fortuit : en effet, la littérature «ne compense pas, ne console pas, elle témoigne que le mal a été transpercé» (64) car, comme l’art, elle légitime «la possibilité d’être soi, par-delà le désespoir» (225) par une espèce de transparence qui est aussi le gage d’une «réelle présence» steinerienne. L’auteur d’Errata cependant, tentant de préciser ce qu’il entendait par ce terme éminemment religieux, a toutefois oublié d’indiquer que c’était par sa fragilité même, par une origine et une essence qui sont la fragilité mais aussi la force de l’impuissance, que l’art véritable pouvait prétendre survivre et, ce faisant, vaincre le mal que, sans légitimer ni absoudre, il parvenait à transpercer. Nous devons être redevables à Alain Cugno de nous avoir enseigné par quelle voie d’extrême simplicité, nous pourrions dire pauvreté ou nudité, le mal absolu de la souffrance, du désespoir ou de l’horreur, peut être pris «à bras-le-corps», pourrions-nous dire, par le geste du créateur, qu’il soit philosophe, artiste ou simple témoin du mal.Marianne Closson, L’imaginaire démoniaque en France 1550-1650 (Droz, 2000).Le second essai consacré au mal est littéraire et s’adresse, par son prix et sa problématique, aux spécialistes : il s’agit d’une thèse volumineuse qui, sur la question dont elle traite, peut être tenue pour définitive, complétant, en amont pourrait-on dire de la période étudiée par Max Milner (1), la recherche sur une genèse littéraire de la représentation du Mal. L’auteur tente de démontrer que la genèse de ce que Todorov (2) a thématisé sous le nom de registre fantastique est en fait apparu bien avant la parution du Diable amoureux de Cazotte, date à laquelle, symboliquement, cette catégorie littéraire a droit de cité. Certes, alors que, selon Todorov, le fantastique se caractérise en premier lieu par le sentiment d’indécision du lecteur, qui ne peut choisir entre une explication rationnelle des faits racontés et une autre qui échapperait à l’élucidation purement scientifique, le fantastique tel que Marianne Closson l’analyse dans l’immense corpus des œuvres ayant trait à la sorcellerie ou au personnage du diable est sujet à caution : il nous paraît ainsi évident de penser que les lecteurs des XVI et XVIIe siècles croyaient pour une grande partie ce que tel ou tel auteur avançait des sorcières et de leur maître, et ce sans que le moindre soupçon ne soit adressé par eux aux œuvres qu’ils lisaient. Quoi qu’il en soit, ce volumineux travail, dont la très riche bibliographie et l’apparat de note méritent à eux seuls le détour, outre le fait de citer abondamment de nombreux textes de démonologues (Jean Bodin, Sprenger, Pierre de Lancre, etc.), bat en brèche l’idée selon laquelle la vogue du genre fantastique en littérature est née à partir du moment où la croyance dans les forces démoniaques s’éteignait, sous la pression des forces rationalistes. La réalité, ou plutôt, ici, l’imbrication entre celle-ci et la fiction littéraire, est bien évidemment plus complexe puisqu’elle témoigne, dès les premières œuvres réservées aux juges et aux inquisiteurs, d’une imprégnation profonde des mentalités par des représentations héritées de l’Antiquité et du Moyen Age. Du reste, l’auteur a beau jeu de remarquer, poursuivant une observation de Michelet dans La Sorcière, que jamais l’intérêt pour le diabolique, pour ce que Sophie Houdard appelait Les Sciences du diable (3) ne s’était démenti à l’époque même où triomphaient les Lumières. Une remarque qui pourrait, à l’évidence, être appliquée à notre époque, férue de matérialisme moralisateur…Notes(1) Max Milner, Le diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire (José Corti, 2 tomes).(2) Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique (Seuil, coll. Points Essais, 1976).(3) Sophie Houdard, Les sciences du diable. Quatre discours sur la sorcellerie (Cerf, 1992).

Lire la suite

26/03/2004 | Lien permanent

Excellences et nullités, une année de lectures : 2013

Crédits photographiques : Kevin Cook.
Rappel
1529665429.jpgExcellences et nullités de l'année 2010.





860869951.jpgExcellences et nullités de l'année 2011.





772810536.jpgExcellences et nullités de l'année 2012.







Excellences.

1170822053.JPGMéridien de sang de Cormac McCarthy (Seuil, coll. Points Roman).





1705200912.jpgRequiem pour une nonne de William Faulkner (Gallimard, coll. Folio).




2806066416.jpgPar-delà le crime et le châtiment de Jean Améry (Actes Sud, coll. Babel).




2434511986.jpgLa gloire du vaurien de René Ehni (Seuil, coll. Points Roman).






2921407830.jpgUn anarchiste de Joseph Conrad (Fayard, coll. Mille et une nuits).





2287976887.jpgEntretien sur Dante d'Ossip Mandelstam (La Dogana).







4053035030.jpgLes grands jours de Pierre Mari (Fayard).





3197914642.jpgLe Salut par les Juifs de Léon Bloy (Mercure de France).





3288394239.jpgLes saisons de Giacomo de Mario Rigoni Stern (Flammarion, coll. Pavillons poche).




4098084998.jpgLe Sang du Pauvre de Léon Bloy (Mercure de France).





3778105233.jpgLa Folle Semence d'Anthony Burgess (Éditions du Rocher, coll. Motifs).




4016178611.jpgLe Grand Coucher de Guy Dupré (Éditions de La Table Ronde, coll. La petite vermillon).




3144045871.jpgMéditations d'un solitaire en 1916 de Léon Bloy (Mercure de France).




4162903430.jpgUltramarine de Malcolm Lowry (Gallimard, coll. L'Imaginaire).





368956039.jpgUn jeune mort d'autrefois. Tombeau de Jean-René Huguenin de Jérôme Michel (Pierre-Guillaume de Roux).




2745085826.jpgL'Orange mécanique d'Anthony Burgess (Flammarion, coll. Pavillons).




1705923921.jpgNous, fils d'Eichmann de Günther Anders (Payot & Rivages).





114372739.jpgSouvenirs du futur de Sigismund Krzyzanowski (Verdier).





3314320162.jpgLe retour de Münchhausen de Sigismund Krzyzanowski (Verdier).





3405630937.JPGLes Veilles de Bonaventura (José Corti, coll. Romantiques).





72894108.jpgLTI, la langue du Troisième Reich de Victor Klemperer (Presses Pocket, coll. Agora).




2178730310.jpgMasante de Wolfgang Hildesheimer (Verdier).





2028309870.jpgLe Chemin des morts de François Sureau (Gallimard).





3274944830.JPGL'Âme de Napoléon de Léon Bloy (Mercure de France).





3981002489.jpgLes Premiers Rois de Norvège de Thomas Carlyle (Le Félin).





123581757.jpgAusterlitz de W. G. Sebald (Gallimard).





2663010090.jpgLa venue d'Isaïe de László Krasznahorkai (Cambourakis).





3403585767.jpgL'Ange des ténèbres d'Ernesto Sábato (Seuil).





3594740990.JPGGuerre et Guerre de László Krasznahorkai (Cambourakis).







Nullités.

2338285251.jpgTout autre. Une confession de François Meyronnis (Gallimard, coll. L'Infini).




Fernando Vergara:Associated Press.jpgMagma de Lionel-Édouard Martin (Publie.net).





3267542384.jpgLa France Orange mécanique de Laurent Obertone (Éditions Ring).





3155570427.jpgTraum. Philip K. Dick, le martyr onirique d'Aurélien Lemant (Éditions Le Feu sacré).




3418933499.jpgLes Renards pâles de Yannick Haenel (Gallimard).





1323865163.jpgLa Conjuration de Philippe Vasset (Fayard).





2575203297.JPGPlonger de Christophe Ono-Dit-Biot (Gallimard).







1620196998.jpgGeorges Bernanos à la merci d'un journaliste, Philippe Dufay (Perrin).




593982451.jpgLes moins de seize ans ou les solitudes pédérastiques de Tonton Gabriel (Julliard).




259828437.jpgDe quoi Richard Millet, Alain Finkielkraut et quelques autres sont-ils le nom ? Sur Richard Millet, De l'antiracisme comme terreur littéraire (Éditions Pierre-Guillaume de Roux), Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse (Stock).


1729501878.jpgAutobiographie des objets de François Bon ou l'écriture constipée (Seuil).

Lire la suite

30/12/2013 | Lien permanent

Marc-Édouard Nabe ou la colère du bourdon

Crédits photographiques : Frank Rumpenhorst (AFP/Getty Images).
A la date du 11 novembre 2004, lu sur le site de Marc-Édouard Nabe ce plaisant commentaire, intitulé Les moustiques de la honte : «Les internuls Bruno-Deniel Laurent, Raphaël Juldé, Joseph Vebret et autres Juan Asensio essaient encore et encore de piquer Nabe, mais ils ne peuvent plus rien pomper de leur ancien auteur «chéri». L'ont-ils assez dit qu'il était «tari» ! Sans aucune honte de ce qu'ils sont, ils osent juger une fois encore son nouveau livre. En substance, J'enfonce le clou contient des textes excellents sauf quand Nabe s'attaque à Israël ou à l'Amérique... Ben voyons ! Littérairement, puisque c'est leur critère, en quoi Le Mur du mal est un texte inférieur à L'ogre Flou par exemple ? Et bien sûr, comme par hasard, quand Nabe analyse la pédophilie, ces refoulés frissonnent d'admiration ! Pour le reste, le livre leur «tombe des mains» (dixit le manchot Laurent), il s'agirait de «vérité molle» (dixit le dur Juldé), ou de «printemps tiède» (dixit l'ardent Ansensio [sic])... Non seulement, ces tristes messieurs aveuglés par leur idéologie sont bêtes, mais on se demande s'ils ont déjà compris une seule ligne des livres de Nabe qu'ils prétendent avoir appréciés jadis !».Ces quelques lignes sont consternantes de bêtise, de mauvaise foi et, surtout, frappent mollement, sans le moindre talent dans la méchanceté, ce qui me fait soupçonner, à l'origine d'une telle bluette, quelque thuriféraire de Nabe plutôt que Nabe lui-même, paraît-il bien incapable de se servir d'Internet... Peu importe du reste. Face aux moustiques donc, nous avons un vieux bourdon qui n’a même plus la force de décoller, tout en pétaradant le sempiternel même vrombissement qui n’effraie plus que quelques libellules… De la part de Nabe, l’imprécateur-né, qui eût cru une telle flagornerie possible, une telle reculade, un aussi melliflu égratignement ? Ah ! Je ris à la seule pensée de ce qu’aurait pu écrire Bloy, paraît-il l’arrière-grand-père de Nabe du côté de sa mère, si quelque moustique, fût-il gorgé de sang contaminé, s’était avisé de piquer le colosse intraitable ! Le frelon redoutable aurait commis un véritable massacre dans la ruche devenue folle. Quelle tempête, quelle avalanche de termes surannés puisés dans les spicilèges poussiéreux où quelque «émonctoire infundibuliforme» eût trouvé un dernier refuge avant de réapparaître, magiquement transsubstantialisé par la colère du mendiant ingrat, sur la page fébrile d’un billet assassin. En lieu et place d’une lave exécrative qui au moins m’eût réjoui, Nabe nous sert, avec la timidité d’une pucelle et un sourire de potache pris sur le fait, une écuelle d’une fadeur absolue que ne refuserait pas de laper un Florian Zeller, pourtant allergique à toute consistance. Nous sommes donc des idéologues. Fort bien et Nabe, garçon intelligent paraît-il, de ne point paraître s’être avisé que, s’il écrit depuis quelques temps de forts mauvais bouquins, c’est bel et bien parce qu’il tente de plier, sans succès, son indéniable talent à une comique islamophilie qui n’a même pas cru utile de se prémunir du filet pourtant mince d’une ou deux lectures, je ne parle même pas de Muhyî-d-Dîn Ibn 'Arabî mais, plus classiquement, de Massignon (qu’il a lu du bout des lunettes, comme Bloy d’ailleurs) ou Corbin par exemple (l’un et l’autre connurent, mais Nabe l’érudit l’ignore sans doute, Gershom Scholem, en 1950 et 1952, lors des sessions d’Eranos). Mais redevenons sérieux et, surtout, pédagogue et lisible pour ce myope atrabilaire. Faut-il rappeler à Nabe que je ne l’ai JAMAIS admiré, flairant trop, sous les atours dorés d’un saint Benoît Labre de catéchèse, un irrésistible tropisme pour une égolâtrie maladive ? Dois-je rappeler que je me suis toujours inquiété de sa propension ridicule à prendre la pose arrogante et totalement mensongère d’une sorte de Léon Bloy redivivus, Nabe qui beugle sur l’infinie nullité intellectuelle de la critique journalistique (il a parfaitement raison de le faire) alors même que, à la différence de Bloy qu’il vénère, bien peu de journées se passent dans notre capitale branchée sans qu’il soit invité par tel ou tel à nous vanter les vertus revigorantes de sa soupe de navets tiède ? Dois-je encore rappeler que j’ai longuement évoqué, dans la revue Cancer !, son excellent Alain Zannini, comme nul autre en France ne l’a fait je crois (sauf peut-être Laurent James), tout en pointant des défauts qui, à présent, grossissent de livre en livre, qui plus est en me moquant, justement, de telle zélée soubrette cancérienne qui ne tarissait pas d’éloges grandiloquents à l’endroit d’un Nabe grossièrement psychanalysé ? Puisque apparemment Marc-Édouard Nabe, ainsi que les deux ou trois hypokhâgneuses frigides qui constituent à présent son unique cour à peine humide, savent bien peu lire, je redonne ici, in extenso, ma critique de son dernier recueil de textes, J’enfonce le clou, peu aisément réductible, il me semble, à la sommaire crotte que nous a poussée, avec difficulté, un Marc-Édouard Nabe constipé.« Passer de la lecture du remarquable et ténébreux ouvrage de Wladimir Weidlé au dernier livre signé du tonitruant Marc-Édouard Nabe, J’enfonce le clou, c’est un peu décider de ne plus contempler telle magnifique icône pour se consacrer à l’analyse d’un vulgaire chromo criard, l’une de ces babioles graisseuses que les Grecs déposent pieusement à l’endroit où leur façon exotique de conduire a privé l’un des leurs des plaisirs purement terrestres d’un Muscat de Samos. Attention cependant, je ne jette pas l’anathème sur Nabe, qui d’ailleurs s’empresserait de le ramasser et de lui témoigner une attention de tous les instants, comme s’il s’agissait pour lui d’arroser une plante souffreteuse qu’il exhibera ensuite avec fierté. Certains textes, notamment l’analyse superbe consacrée à la Passion de Mel Gibson, sont remarquables de justesse et de violence. Stigmatiser l’Occident pourrissant, drapé dans sa trouille-très-chrétienne (ou plutôt catholique) n’est également pas pour me déplaire, quitte à manier un peu trop facilement le paradoxe théologique en affirmant plusieurs fois que la seule terre de chrétienté, aujourd’hui, est désormais la terre «où il y a de l’islam». Je ne peux toutefois, à l’instar de Joseph Vebret, que constater que, systématiquement, Nabe cherche à choquer pour le simple plaisir de choquer. Ainsi revendique-t-il haut et fort la transformation, par les actes terroristes, de l’horreur en œuvre artistique puisque l’art, selon l’auteur, n’est absolument plus capable, de nos jours, de rivaliser avec la réalité. Nabe a bien évidemment raison ; jetez un coup d’œil sur les meilleures ventes littéraires et vous ne pourrez qu’affirmer, avec l’auteur du splendide et jouissif Alain Zannini, que la littérature française ne vaut (presque) plus rien et que, symétriquement, c’est sur ce rien que poussent de plus en plus de champignons blafards, les journalistes de Paris comme on parle des champignons de la même cave. Nabe a raison, oui, mais ce n’est pas tant l’horreur terroriste décidée par quelques fous qu’il faut admirer que de stigmatiser, au contraire, le ridicule pathétique dans lequel nos lettres ont lamentablement coulé, elles qui ne parviennent même plus à surnager dans la bassine de la culture, cette flache d’eau croupissante dans laquelle Nabe n’en finit pas de jeter ses vieilles carcasses d’insultes rouillées. Une fois de plus, il a raison mais on se demande alors par quelle mystérieuse abnégation l’auteur n’a pas décidé d’écrire une œuvre qui serait justement à la hauteur de notre époque, en sublimant par son art l’horreur mécanisée, en clouant au pilori le vieux pantin culturel. Car enfin, la facilité avec laquelle les prétentions nabiennes peuvent être balayées d’un geste est tout simplement déconcertante : que fait Nabe dans ce livre, J’enfonce le clou, lui qui exalte l’art contre la culture ? Du culturel voyons ou bien, si l’on tient quelque peu à sauver les meubles et la réputation (exagérée) d’incendiaire que traîne avec lui le grincheux impénitent, de l’anti-culturel, ce qui est à peur près rigoureusement la même chose… Un proverbe brésilien affirme comiquement qu’un pauvre mange de la viande lorsqu’il se mord la langue. Nous pourrions dire que Nabe, qui crache toutes les fois qu’il le peut sur la culture, en mange pourtant dès qu’il tire sa langue… Marc-Édouard Nabe préfère donc, en enfonçant un clou émoussé sur une bûche creuse, faire œuvre de diariste plutôt que de romancier, sans doute parce que, depuis quelque temps, le don romanesque de Nabe, presque miraculeusement éclot dans Alain Zannini, est tout simplement tari. Il est vrai, comme je l’avais écrit dans feu Cancer !, qu’Alain Zannini, s’il laissait entrevoir la réhabilitation romanesque d’un écrivain de grand talent contre l’homme de lettres approximativement bloyen, pouvait aussi nous faire craindre un enlisement dans les sables de la redite, qui eut d'ailleurs lieu avec l'ouvrage suivant le roman. Pour Nabe, le mirage messianico-révolutionnaire qu’est l’Irak, dont il a sans doute vu la terrible réalité, comme d’autres qu’il décrie, depuis une terrasse d’hôtel de luxe, n’aura pas duré plus longtemps qu’un printemps tiède.

Lire la suite

21/11/2004 | Lien permanent

La tentation photographique : l'exposition de Jean Gaumy à l'abbaye de Jumièges

Photographie (détail) de Juan Asensio.
31.JPGJean Gaumy est un grand photographe français travaillant pour l'agence Magnum. Voici quelques photographies (présentées sur le modèle de celles que j'avais réalisées à la Cour-Dieu ou dans le haut-pays d'Artois) que j'ai réalisées de la très belle exposition, intitulée La tentation du paysage, qui lui est consacrée au logis de l'abbatiale de l'abbaye de Jumièges.
M'a frappé, immédiatement, outre la qualité intrinsèque, purement graphique, picturale, de ces photographies intelligemment commentées par Alain Bergala, le regard de Jean Gaumy, regard que l'on dirait minéral, comme s'il s'efforçait de s'effacer, et de nous proposer quelque impossible vision d'un lieu IMG_1013.jpgdépourvu de tout observateur, l'impression, aussi, que, quel que soit le paysage photographié, voire le simple détail de n'importe quel paysage devenant abstraction, nous étions confrontés, par le biais du magnifique travail de Jean Gaumy, à un monde d'après l'effondrement, débarrassé de l'homme.
Pour parvenir au logis abbatial, qui constituait jadis la résidence des abbés commendataires, il faut traverser les ruines, imposantes, de l'abbaye de Jumièges. J'ai tenté quelques rapprochements (aussi IMG_7343.jpgbien via un 24x36 numérique que par le simple biais d'un iPhone, dont on reconnaîtra sans mal le format plus petit) entre les photographies de Jean Gaumy et les sculptures, têtes et gargouilles parmi lesquelles elles se trouvent car, après tout, ce n'est sans doute pas un hasard si ce photographe a choisi, pour cadre d'exposition de ses œuvres, un tel lieu, sobre et bellement éclairé, depuis lequel elles nous font signe, évoquant des paysages d'un autre monde ou d'une planète morte où le vivant semble s'être mystérieusement figé, comme victime d'une malédiction qui aurait supprimé, enfin, l'homme.

1.JPG



2.JPG



3.JPG



4.JPG



5.JPG



6.JPG



IMG_1264.JPG



IMG_1284.JPG



7.JPG



IMG_1327.JPG



8.JPG



9.JPG



10.JPG



11.JPG



12.JPG



14.JPG



15.JPG



16.JPG



IMG_1372.JPG



17.JPG



IMG_1380.JPG



18.JPG



20.JPG



IMG_1382.JPG



21.JPG



22.JPG



23.JPG



24.JPG



25.JPG



26.JPG



27.JPG



29.JPG



30.JPG



IMG_1424.JPG



IMG_1425.JPG



32.JPG



33.JPG



34.JPG



35.JPG



36.JPG



IMG_1446.JPG



IMG_1456.JPG



37.JPG

Lire la suite

15/08/2014 | Lien permanent

Page : 1 2 3 4 5 6 7 8