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Rechercher : bernanos, lapaque

Joseph Conrad dans la Zone

Crédits photographiques : Manish Swarup (Associated Press).
Études diverses et comparées

2669947396.jpgUn Cahier de l'Herne Joseph Conrad encalminé dans les eaux troubles de l'Université Lyon 2.




4117051641.jpgApocalypse Now / Cœur des ténèbres







1493149000.jpgL'état de la parole depuis Joseph de Maistre.





Charlie Riedel:Associated Press.jpgT. S. Eliot lecteur du Cœur des ténèbres de Joseph Conrad.





IMG_6824.jpgMonsieur Ouine de Georges Bernanos et Au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad.






4012274229.jpgSur Putain de mort (Dispatches) de Michael Herr.






Études spécifiquement consacrées aux romans de Joseph Conrad

Le Nègre du «Narcisse» (1897).

39313243075_0b12d06b61_o.jpgLe Nègre du «Narcisse»





4204741631.jpgJoseph Conrad et Herman Melville : l’étrange innocence dans Le nègre du «Narcisse» et Billy Budd, marin, par Gregory Mion.





Cœur des ténèbres (1899).

Uriel Sinai:Getty Images.jpgApologia pro Vita Kurtzii, 6 : Exterminate all the brutes !





1065878803.jpgAu-delà de l'effondrement, 4 : Les Anneaux de Saturne de W. G. Sebald.




Pat Vasquez-Cunningham:Albuquerque Journal via Associated Press.jpgCharlie Marlow était-il un des convives du Banquet de Platon ?





1231117521.jpgLondres engloutie de Richard Jefferies.





1402331076.2.jpgHistoire secrète du Costaguana de Juan Gabriel Vásquez.





3402061153.jpgJoseph Conrad et George Steiner : autour du Transport de A. H.





2511211076.jpgJoseph Conrad et l’attraction des ténèbres : sur les ruines de Kurtz, par Gregory Mion.




29845071328_1650f1c55b_o.jpgL'Immoraliste d'André Gide est-il plus qu'un pédéraste au désert ?





4113169732.jpgExterminez toutes ces brutes de Sven Lindqvist.





50100602786_17b1c5c0ef_o.jpgLe sceau de l'inhumain de Richard Pedot.






Lord Jim (1900).

3999962708.jpgLord Jim





Nostromo (1904).

B Mathur:Reuters.jpgNostromo





Marcelo del Pozo (Reuters)..jpgNostromo de Joseph Conrad : per chi suona la campana, par Gregory Mion.





Un anarchiste (1906).

2921407830.jpgUn anarchiste.

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04/07/2011 | Lien permanent

Pierre Boutang d'Axel Tisserand

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Photographie (détail) de Juan Asensio.
3112951835.jpgPierre Boutang dans la Zone.





Tisserand.jpgAcheter Pierre Boutang sur Amazon.

Les petits ouvrages de la collection Qui suis-je ? chez Pardès gagnent décidément à être découverts, et ce Pierre Boutang que signe Axel Tisserand, fin connaisseur de Charles Maurras et traducteur de Boèce, ne déroge point à la règle (1). Bientôt, j'évoquerai le mince volume consacré à Georges Bernanos sous la plume de Thomas Renaud.
J'avoue avoir préféré de loin les sobres éclaircissements qu'Axel Tisserand nous donne sur la complexité du penseur politique (et homme d'action, à ses heures) aux suppositions pour le moins suspectes d'un Stéphane Giocanti, qui semble tenter d'incliner Boutang sur la pente évidemment savonneuse de ses propres penchants homosexuels. Surtout, la force de l'étude d'Axel Tisserand est de nous proposer de larges extraits du fascinant et monumental Journal de Boutang, dont l'éditeur Pierre-Guillaume de Roux nous annonce la prochaine parution par un premier volume qui, espérons-le, sera suivi d'autres.
Le premier chapitre, intitulé En guise de biographie va à l'essentiel, ce qui est décidément la signature de cette petite série d'ouvrages biographiques enlevés qui depuis quelques années quand même s'ornent d'une abondante iconographie, lorsqu'Axel Tisserand écrit ainsi qu'on ne comprend rien à Boutang «ni à ses colères, si on ignore à quel point son souci de la France s'inscrit dans son refus de désespérer d'un pays qui semblait se repaître de ses haines et de ses divisions» (p. 42). N'écrit-il pas lui-même, à la date du 9 mars 1955, qu'il se fait de la son pays «quelque idée malgré tout invincible, même si son contenu s'est infiniment raréfié» (p. 50) ? Il faudra un jour rapprocher Pierre Boutang de Georges Bernanos, et le faire pourquoi pas par le biais d'un désespoir ne dépendant évidemment pas seulement de tel ou tel événement douloureux comme, pour Boutang, la mort de sa fille unique, Karine, emportée par un cancer des poumons.
Le journaliste politique, certes de haut vol mais malheureux selon Tisserand (2), est le Boutang qui nous intéresse le moins, même si, évidemment et notre commentateur le note, le grand penseur «ne conçoit pas l'action journalistique sans une ascèse physique (il pratique régulièrement le jeûne) et surtout spirituelle» (p. 56) qui est immédiatement perceptible, oserais-je dire, à la lecture de la plus anodine de ses phrases, tant elles semblent toutes tendues vers un but invisible mais néanmoins structurant, ici la volonté de blesser tel de ses adversaires dans un truculent pamphlet, là celle de convaincre ou plutôt d'éblouir par l'évidence d'une virtuosité aussi bien intellectuelle que stylistique dans ses essais plus proprement, c'est encore le cas de le dire, philosophiques.
D'une plus haute portée s'il se peut que le journaliste peu enthousiasmé par son office est le penseur politique, dont Axel Tisserand évoque assez bien la complexité. Il nous permet aussi de comprendre quel est le sens du mot abhorré par nos moutons républicains actuels, qui ne cessent pourtant de le répéter en nous assurant qu'il va nous contaminer, qu'il nous a déjà contaminés, le mot infectieux de nationalisme qu'il s'agit, comme tous les autres mots galvaudés, de bien comprendre : «Boutang, sans le renier, n'aime guère le mot. Il faut toutefois se rappeler que Maurras lui-même préférait parler de nationalisme intégral : le combat nationaliste est un mal nécessaire du fait de l'absence de roi. Le retour de celui-ci dispenserait du nationalisme comme combat en tant que le roi est l'incarnation même de l'intérêt supérieur de la patrie. La patrie chez Maurras est ouverte sur l'universel et il ne considère pas comme un progrès l'émergence du fait national dans l'histoire» (pp. 71-2).
Le Boutang littéraire, qu'Axel Tisserand a une fois de plus parfaitement raison de ne point séparer du Boutang métaphysicien, est certainement notre préféré, mais le lecteur qui ne sait rien des quatre romans de l'auteur, ni même de sa prodigieuse moisson critique, a tout intérêt à serrer très fermement les flancs de son coursier, tant notre cavalier exégète pratique l'ellipse hippique ! Je crains hélas qu'il ne soit absolument impossible de ne consacrer que quelques lignes, certes justes, à un roman aussi complexe que Le Purgatoire, et ce sont donc là les limites de l'exercice de présentation enthousiaste ayant les défauts de son rythme hardi propre à cette collection aussi courageuse qu'intelligente et nécessaire.
Cette vitesse d'exécution, si je puis dire, convient en revanche davantage à l'évocation des pamphlets de Pierre Boutang, la part considérée comme étant la moins noble de l'auteur alors qu'elle en est, comme c'est souvent le cas d'écrivains tels que Bernanos, Rebatet et Céline, la plus révélatrice (je n'ai point dit : la plus honteuse), Bernanos étant d'ailleurs convoqué par Axel Tisserand qui écrit fort à propos : «On l'a déjà dit : c'est comme chez Péguy ou Bernanos, «la colère de paysans que l'usurier dépouille» qu'expriment ses pamphlets, celui-ci [La République de Joinovici] comme plus tard La Terreur en question et le jubilatoire Précis de Foutriquet» (pp. 84-5) écrit contre Giscard d'Estaing. Georges Laffly pourra d'ailleurs noter sans trop craindre de se tromper que «Boutang a servi Dieu, le Prince et le Pauvre, fidèle jusqu'à la mort» (p. 118).
Bien conscient de devoir fallacieusement compartimenter l’œuvre de Pierre Boutang, Axel Tisserand termine sa belle introduction à cette dernière en évoquant le versant métaphysique du penseur dont le langage aura constitué le substrat premier sinon unique d'une méditation aussi riche que puissante, parfois hermétique (3), souvent gorgée d'aperçus et de traits géniaux. Et notre biographe pressé d'insister sur l'éblouissante ivresse de lectures de l'auteur des Abeilles de Delphes : «Ces quelques références révèlent déjà l'étendue du souci philosophique de Boutang : les figures les plus célèbres de la tragédie grecque et de l'Ancien Testament, Platon, puis, plus proches de nous, le romancier du nihilisme russe [Dostoïevski] et le philosophe de l'existentialisme chrétien [Marcel], sans oublier la portée surnaturelle, déjà entrevue, de la vie poétique : sans être exhaustive, cette approche révèle à la fois les sources d'inspiration et la démarche de Boutang, entre philosophie, théologie et ontologie sauvage; son refus, aussi, du faux choix entre antiquité païenne et christianisme pour mieux sauver chrétiennement ce qui peut l'être de la première» (pp. 104-5).
Les dernières pages du livre d'Axel Tisserand évoquent l'Ontologie du secret, méditation puissante, bien souvent abstruse sinon obscure, parfois aussi, fort heureusement, sidérante de virtuosité, orientée contre «le projet cartésien [ayant] bien développé son totalitarisme», aidé par la Révolution sur les terrains de la politique et de la philosophie, «précédant une contre-Odyssée de la conscience dont les variations, au XXe siècle, se nomment le structuralisme, la psychanalyse ou la déconstruction» (pp. 107-8) si chère à Derrida et ses petits clones ayant encore pignon sur amphithéâtre aux États-Unis, autrement dit toute la «grande ça-loperie moderne» comme l'écrit Pierre Boutang moquant le disciple infidèle de Charles Maurras que fut Lacan dans son Apocalypse du désir.
Puis Axel Tisserand ferme son étude stimulante par une image qui eût pu l'ouvrir et qui le mieux sans doute caractérise son entreprise tout comme la façon d'être de Pierre Boutang, l'aventure humaine accompagnant indéfectiblement celle de la pensée (cf. p. 111) chez un homme d'une telle vitalité intellectuelle, rappelant de quelle façon cadencée, obstinée mais néanmoins dialogique (au sens où Platon n'hésite pas à évoquer l'arrivée des protagonistes de son Banquet) le professeur de la Sorbonne arrivait dans l'un de ses séminaires, affirmant ainsi que ce n'est qu'à présent, après avoir peut-être connu un purgatoire ayant fait office de tamis, que l’œuvre chatoyante, bien faite pour lever les admirations enthousiastes et les haines bovines, viscérales, va pouvoir irriguer «l'effort des meilleurs», de ceux qui l'ont eu pour professeur et, plus que cela, maître, et cela «chacun dans son ordre : serviteurs du Roi, poètes métaphysiciens, ontologues sauvages, espions de Dieu» (p. 112).
Qui sait dans quel office je puis inscrire mon propre travail de lecteur ?

Notes
(1) Axel Tisserand, Pierre Boutang (Éditions Pardès, coll. Qui suis-je ?, 2018). Le texte, et c'est heureux, a été bien relu mais je ne suis pas absolument certain de l'extrême pertinence de l'étude astrologique sur Pierre Boutang due à Marin de Charette publiée en toute fin de volume.
(2) «Si Maurras est entré dans le journalisme politique comme en religion, Boutang y entra avec une conscience aiguë, et crucifiante, du devoir à accomplir» (p. 49).
(3) C'est peut-être cet hermétisme qui fit écrire à un certain Fabrice Moracchini dont nous ne savons heureusement strictement rien, pour le numéro d'avril 2003 de la revue Éléments quelques lignes assassines, évoquant la «statue creuse de Pierre Boutang», qualifié d'«imposteur, alliant le crétinisme politique à la mystification philosophique» (p. 119).

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06/11/2018 | Lien permanent

Le Bloc de Jérôme Leroy, par Christopher Gérard

Photographie de Juan Asensio.
Jusqu’à présent, la droite radicale n’inspirait guère les romanciers, si l’on excepte Fasciste, talentueux roman d’apprentissage de Thierry Marignac (Payot, 1988), Les Sectes mercenaires (Le poulpe, 1996) ou Blocus solus, polars ésotériques du très marginal Bertrand Delcour.Jérôme Leroy a-t-il lu ces auteurs ? Sans doute. Lui-même, proche un temps de la mouvance royaliste (tendance Boutang) et collaborateur de la brillante revue «néo-hussarde» Réaction, n’a cessé, dans ses précédents romans, de dépeindre un monde crépusculaire, en proie aux tortueuses manipulations de polices parallèles qui tentent de maîtriser un chaos grandissant. Monnaie bleue (Rocher, 1997), à mon sens l’une de ses réussites majeures, illustrait avec talent sa vision pessimiste d’une France décadente, au bord de la guerre ethnique et gangrenée par une corruption digne du Bas-Empire romain. Les héros de J. Leroy, généralement des professeurs de lettres en zone prioritaire («à discrimination positive», dirait-on en Belgique), se révèlent des nostalgiques alcoolisés, à la fois bibliophiles désenchantés et amoureux passionnés qui, un soir de fin du monde, se retrouvent entraînés dans les soubresauts d’un régime à l’agonie. Tous ses livres en témoignent : à l’instar de son confrère Sébastien Lapaque, lui aussi issu de l’Action française, il se passionne pour les vins non soufrés, non filtrés, bref, de ces vins qui vous délient la langue sans vous filer une casquette à boulons.Les auteurs de polars noirs Battisti, Fajardie et Jonquet l’inspirent, eux aussi, pour ce qui est de la critique sociale, toujours présente, parfois appuyée au point d’en devenir vaguement ornementale. On songe aussi à Orwell ou à Dick pour l’uchronie. Bolcho ami de Raspail, réac admirateur de Chavez ? Qu’importe : le camarade Leroy – rouge et blanc - est un écrivain de race doublé d’un authentique lettré… à l’ancienne, un homme complexe.Avec Le Bloc, sa première Série noire, Jérôme Leroy reprend ces ingrédients pour mieux déconcerter ses lecteurs. Je mentirais en affirmant que ce polar est aussi réussi que ses précédents romans, notamment en raison du prêchi-prêcha que l’auteur s’impose, comme pour se convaincre lui-même. Pourtant, je l’ai lu d’une traite ! L’histoire ? La dernière nuit d’une amitié que les bassesses de la politique vont pulvériser. À ma gauche, Antoine, bourgeois de Rouen et prof de lycée tourné fascistoïde «à cause d’un sexe de fille» - les héros de Leroy sont de sacrés polissons - et marié à la fille du Borgne (pardon, du Manchot), présidente du Bloc, qui arrive aux portes du pouvoir par la grâce de sanglantes émeutes. A ma droite, Stanko, prolo du nord, skinhead à peine détatoué (mais qui a lu le Journal de Jules Renard), l’homme des basses œuvres du Parti. Ce professionnel de la violence doit disparaître pour amadouer une droite «respectable», totalement dépassée par les événements qu’elle a déclenchés. Un commissaire des RG particulièrement vicieux, figure souvent présente dans l’œuvre de Leroy, réclame aussi le paiement d’une dette ancienne : un attentat naguère passé sous silence.Antoine, le dilettante, ne lèvera pas le petit doigt pour sauver son petit frère : il se contentera de lever le coude pour, à grandes rasades de vodka glacée, se remémorer leur histoire commune. De son côté, Stanko, le professionnel, est devenu le gibier du groupe qu’il a entraîné. Lui aussi se souvient, et il se défend bec et ongles, jusqu’à l’apothéose, digne de Mishima. Au lecteur de décider qui est le plus vivant des deux.Au fil des pages de ce roman bavard et ambigu, le lecteur croise les fantômes de J.-E. Hallier, de Christian de la Mazière (le Waffen-SS aux lunettes de soleil du Chagrin et la Pitié), A.D.G., et même l’ombre d’un activiste dextriste disparu dans un attentat à la bombe. La description du Bloc, de son folklore et de ses purges, se révèle tout compte fait moins effrayante que la peinture d’une France déboussolée, en proie aux manœuvres d’apprentis sorciers prêts à tout, y compris à la politique du pire, pour rester au pouvoir. Si Leroy trempe sa plume dans le vitriol, c’est surtout pour fustiger et l’autisme de la gauche caviar et le cynisme de la droite saumon, unies dans une même répulsion. À l’évidence, sa sensibilité le rapproche bien plus des rebelles résolus que des libertaires jouisseurs et autres névrosés (surtout en version «citoyenne»). Leroy excelle à décrire de l’intérieur les deux visages d’un type d’homme, le condottiere politique. Il n’évite malheureusement pas les dialogues explicatifs, légers comme un tract de la CGT, quand l’ancien skin se met à pérorer comme un prof conscientisé ! Authentique antimoderne sous le masque du marxiste «balnéaire», le camarade Leroy clame avec une fougue bienvenue son dégoût pour «la grande braderie des valeurs». Bien plus qu’un roman politique, bien plus qu’une dénonciation d’un parti, Le Bloc se lira comme une imprécation contre le nihilisme.

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11/12/2011 | Lien permanent

Dans la gorge de l'ombre, par Lucien Suel

Francisco de Goya, Mala noche, gravure extraite des Caprices, 1799
A propos du livre de Juan Asensio, La littérature à contre-nuit. Lucien Suel, Notes de lecture, mars - septembre 2005. Avant toute chose, j’aimerais dire les circonstances qui m’ont amené à rédiger ces notes à propos de l’ouvrage de Juan Asensio. Depuis plus de trente ans, mes influences littéraires majeures forment un ensemble additionnant Léon Bloy et Jack Kerouac, Georges Bernanos et William Burroughs, Philip K. Dick et Kurt Schwitters, Joris-Karl Huysmans et Raymond Chandler, mélange qui peut paraître hétéroclite mais que j’assume avec plaisir. Mon isolement relatif au fond d’une campagne française me laissait imaginer qu’à la vérité, peu de gens partageaient avec moi ce cocktail capiteux. Ces dernières années, au moins deux événements m’ont heureusement détrompé. Ce fut d’abord la découverte de l’œuvre en construction de Maurice G. Dantec à partir des Racines du mal, jusqu’à Villa Vortex, en passant par son Journal métaphysique et polémique, une œuvre qui brasse également un flot d’influences diverses pour en faire une pâte singulièrement nourrissante. Je me souviens de mon heureux étonnement en voyant Maurice G. Dantec découvrir Léon Bloy dans Le théâtre des opérations, premier volume de son journal, découverte se métamorphosant pour l’auteur, en véritable engouement, voire fascination, dans le deuxième volume, Le laboratoire de catastrophe générale, jusqu’à ce que le Vieil Imprécateur devienne pour finir un des personnages de son roman Villa Vortex. Un ami qui rédige aujourd’hui sur Internet les Chroniques de l’inutile avait attiré mon attention sur un compte rendu de Villa Vortex rédigé par Juan Asensio. Et là intervient le second événement, la rencontre sur Internet d’une communauté de lecteurs et d’auteurs partageant influences et admirations similaires aux miennes. Le blog littéraire de Juan Asensio, avec ses articles et ses liens, me fait vivre une nouvelle expérience, m’ouvre d’autres portes. Depuis plus d’un an maintenant, j’ai appris à lire sur un écran, mais je suis toujours heureux de tourner les pages de papier et de humer l’intérieur des livres. Me voici donc occupé à rédiger ces lignes sur un livre qui parle d’autres livres, à écrire noir sur blanc sur noir sur blanc. A contre-jour, l’ombre est devant, la lumière est derrière. A contre-nuit, l’objet est éclairé, c’est la nuit qui est derrière. Le dévoilement se fait sur un fond de noirceur, sur le fond du mal. Lisant La littérature à contre-nuit, je réagis, j’approuve, je me questionne mais aussi je m’approprie les phrases de Juan Asensio. J’ai lu ce livre entre mars et septembre. Cela peut sembler une longue période, mais c’est que je pratique deux formes de lectures, comme en électricité, la lecture en parallèle (1) et la lecture en série (2). J’ajoute que comme tout bon livre, La littérature à contre-nuit m’a donné des envies de lecture, de relire Joseph Conrad et William Faulkner et de connaître l’œuvre d’Ernesto Sabato. Le projet est de travailler à dissiper la nuit, détruire la nuit, me souffle en parallèle Michel Ciry. J’ai appris dans ma jeunesse que parfois, la nuit se manifeste en plein jour, à trois heures de l’après-midi. Juan Asensio, lecteur au service des lecteurs, pour parodier le slogan des Électriciens de France, dirige l’éclairage sur quelques auteurs, Joseph de Maistre, Joseph Conrad, Paul Gadenne, Ernesto Sabato, Georg Trakl, Georges Bernanos et Ernest Hello. Ce n’est bien sûr pas un nouveau brelan d’excommuniés, je sais compter, mais il ne m’étonne pas de trouver là des maîtres et des disciples devenus à leur tour maîtres, mais souvent ignorés par une majorité de lecteurs. Ernest Hello figurait déjà dans le Brelan d’excommuniés de Léon Bloy. Il est intéressant de se souvenir que dans l’édition Pauvert de Belluaires et porchers, le brelan était devenu une paire, Barbey d’Aurevilly et Paul Verlaine, le malheureux Ernest Hello étant excommunié une fois de plus... Merci donc à Juan Asensio de lui redonner un peu de lumière, de vraie lumière, pas cette mauvaise lumière de la télévision qui est le véhicule nouveau du démoniaque (3), agent du contrôle nova (4), propagatrice des mots-virus (5). Le langage s’attaque à la parole. Il faut répondre à l’assaut, ne rien céder, c’est l’obstination qui sauve, l’obstination, un autre nom pour l’espérance. Ernest Hello encore, en 1872 : «La Parole est un acte. C’est pourquoi j’essaye de parler.» Depuis mes premières lectures de William Burroughs, notamment Junkie et Les Lettres du yage, je fréquente plus volontiers les évidences du béhaviourisme que les écoulements de la psychanalyse. Je regarde aussi l’infini dans le microcosme, en étant attentif au ver de terre, au pouillot véloce, à l’éclat de silex noir et blanc. Les plus petites choses méritent la contemplation. C’est la nature qui me donne la parole. Ceux qui me connaissent un peu savent que j’écris dans et sur le jardin, grave dans la terre, sur la terre. Le jardin de mon enfance, de mon innocence était celui d’Éden. Le monde actuel est l’ennemi de l’enfant et du pauvre. La période est courte pour gambader dans le jardin d’Éden. La perte de l’innocence intervient de plus en plus tôt. On appelle cela précocité. A force de vivre dans un présent figé comme le rictus des bonimenteurs médiatiques, on finit par oublier l’existence de l’entropie. Comment lutter contre quelque chose dont on ignore, volontairement ou non, l’existence ? Je sais que le monde est un langage, une parole. Je préfère croire que tout est signe de tout. Ce n’est pas encore la Pentecôte, mais de vrais nuages s’éclairent de rouge à l’ouest. En clignant des yeux, je peux voir la Nouvelle Jérusalem descendre du ciel entre les pales des éoliennes. Mouchette flotte à la surface de l’étang, les yeux ouverts, levés vers la même vision, autre chose qu’un flux de méga-octets transitant dans l’espace entre deux boîtes de plastique métallisé. Je flotte dans le vide assourdissant de la cacophonie. L’oracle des ondes crachouille. Il est ce qu’il prononce, le plus souvent, un flot de vomissures. Satan parle, la bouche d’ombre vagit. Il y a identité entre être et parole, entre faux-semblant et langage. Le langage est infecté à l’origine. Le virus est l’autre nom du péché originel. Écoute, petit homme : le barbare est devenu médiocre, le sauvage est devenu terne. Oui, Satan radote ; c’est le non-langage, l’épidémification, le nihilisme, la nullité revendiquée ou non, celle que Pierre Jourde fustige dans La littérature sans estomac (6) avec le renfort de René Girard concernant l’écriture blanche (7). Pour Joseph de Maistre, ce n’est pas seulement le langage qui est malade, mais l’homme entier qui n’est qu’une maladie. William Burroughs déclare que son pays était déjà vieux et malade avant même l’arrivée des Indiens. L’esprit du mal est à l’oeuvre, pétrifiant les consciences incapables de tendre vers un ailleurs et un autre, figées dans le froid l’ennui le vide. L’ennui, une autre joie dépourvue de grâce, est l’autre nom du désespoir, une préfiguration terrestre de l’enfer. Le sacré a été retourné comme un gant. Juan Asensio affirme : «Sans Dieu, l’homme n’est rien de plus qu’un bavard qui s’ennuie». La langue est détruite par le mensonge de la propagande. Là où Jacques Ellul voit le règne de l’image toute-puissante humiliant la parole, Juan Asensio juge que la dégénérescence du langage est à l’œuvre intrinsèquement. Il y reviendra avec le personnage de Bernanos, Monsieur Ouine, personnification du mal abouti. La liste sans fin des noms des jeunes gens abattus par dizaines de milliers entre 1914 et 1918, gravés sur les pierres de la Porte de Menin à Ypres est un des premiers poèmes de la douleur et du désespoir du siècle dernier. Impossible de visiter ce lieu, d’effleurer tous ces noms sans être saisi par l’horreur. Georges Bernanos et Paul Celan, entre autres, sont les témoins à charge de ce crime et de ceux qui suivirent. La parole désespérée débouche sur le silence définitif. Je pense à Barbey d’Aurevilly disant qu’après A rebours, Huysmans n’avait le choix qu’entre le revolver et le pied de la croix. Aujourd’hui, cent ans après, il n’aurait plus le choix (8). D’ailleurs, Georges Bataille, aussi bien que Pierre Klossowski, tous deux un moment tentés par le sacerdoce, n’ont pas succombé à la tentation. Ne parlons pas de Maurice Sachs ou d’Ernest de Gengenbach. En revanche, voici ce que Hugo Ball, l’un des fondateurs de Dada, initiateur du Cabaret Voltaire à Zürich en 1916, déclarait à Hambourg, dans un discours prononcé le 1er juillet 1920 : «Tirons la leçon de notre défaite. Nous avons vécu sous le règne de Satan. Nous pouvons croire à nouveau que le démon existe. Nous l’avons vu à l’œuvre. Faisons maintenant de l’Allemagne un pays de Dieu. Il nous suffit de prendre le contre-pied de tout ce que nous avons vu à l’œuvre autour de nous. Voilà ma conception de la reconstruction.» Les conseils de Hugo Ball (9), aussi bien que ceux de Georges Bernanos dans Les Enfants humiliés, sont restés lettre morte (10). «L’Illumination, c’est fini. Ce que nous vivons maintenant, c’est la Dés-Illumination» (11). Et Juan Asensio me présente L’ange des ténèbres de Ernesto Sabato. Je le sens plus proche de moi que le sinistre Cthulhu de Lovecraft. L’ange se penche vers moi, regarde la page. J’ai perdu la grâce de l’enfance mais je veux bien essayer d’écrire un Jugement Dernier, voire une Apocalypse romancée pour mes enfants et petits-enfants. Je peux mixer L’Obsolescence de l’homme de Günther Anders avec des fragments de la trilogie Matrix. Le désespoir est rivé à la «possibilité» de la grâce, la possibilité d’une île. Le battement du sang dans mes artères me rappelle d’où je viens, ma provenance lointaine et sacrée. Il s’agit de réintroduire le mystère dans la littérature. Je me souviens de ce que Claude Louis-Combet disait, concernant le rejet catégorique de la religion par André Breton, comment les surréalistes avaient ignoré tout un pan du merveilleux, du sacré. Nous avons réduit le monde en pièces (12). Aujourd’hui, la parole souffle sur notre poussière (13) et l’évidence de la beauté se tient dans la simplicité. Le bleu-Trakl que j’utilisai dans mes précédents livres (14) est devenu un bloc de noirceur obstruant la gorge du poète. Même avec les yeux crevés, le chant reste un croassement. Monsieur Ouine, Madame Ebola, le mal, l’horreur, un duo, une litanie pour notre temps. Monsieur Ouine, le personnage de Georges Bernanos est ici analysé, disséqué magistralement par Juan Asensio. L’écriture de Monsieur Ouine fut le combat de Bernanos avec l’Ange, le second du programme, après celui de Donissan et du maquignon dans Sous le soleil de Satan. Dieu est mort, il n’y a même plus la possibilité d’une seconde d’innocence absolue. Monsieur Ouine, c’est le mal. Monsieur Ouine, c’est le froid éternel de l’enfer. Monsieur Ouine, c’est l’ennui. Monsieur Ouine, c’est le néant (15). Mais Juan Asensio ajoute que c’est un néant trompeur. En effet, «l’homme n’est pas la victime résignée mais la bête volontaire, le partenaire de Satan». D’un point de vue littéraire, c’est le mal qui provoque le brouhaha et la confusion dans l’écriture. Seuls, ceux qui respectent la tradition peuvent s’autoriser les audaces les plus inouïes. Juan Asensio a raison de pointer l’insignifiance des productions des nains littéraires du nouveau roman en regard du roman de Bernanos. Monsieur Ouine exprime toute la civilisation depuis la Renaissance (ce terme est-il vraiment approprié ?). Dans la crise du langage, le sens des mots s’est inversé (16). Au commencement était le Verbe [...] et le Verbe était Dieu, s’il n’y a plus de Dieu il n’y a plus de Verbe. La littérature à contre-nuit se termine par un long développement sur Ernest Hello et l’urgence de la parole. Ernest Hello ! Bonjour l’espérance ! Je vois le jeune Georges Bernanos, dans son collège d’Aire-sur-la-Lys, lisant avec un grand sérieux les phrases de L’Homme. Oui, la beauté est dans la simplicité. Ernest Hello et Arthur Rimbaud meurent la même année et Juan Asensio nous invite à un détour par le désert, par le silence du désert que l’adolescent de Charleville a cherché. Mais on ne part pas, le désert se multiplie par lui-même et l’Éden est perdu. Le silence est le verbe du désert. C’est l’or qui s’oppose au silence, l’or qui glapit en lettres lumineuses au sommet des tours, sur les affiches de la propagande publicitaire, sur tous les écrans de la virtualité, l’or qui est le sang du pauvre. Les pierres ne seront pas transformées en pain mais les mots, eux, sont du pain ou du poison. La lumière est la splendeur du monde visible. La parole est la splendeur du monde invisible. Il reste à reprendre l’offensive pour dégager les mots profanés, les arracher à l’homme médiocre, l’homo festivus d’aujourd’hui en apesanteur dans un présent indifférencié, un néant d’où naît l’ennui d’où naît le désespoir. Il reste à graver, à marteler une écriture noire, à se frayer un chemin vers la rédemption par la langue. La Tiremande, septembre 2005. 1) Mes lectures en parallèle durant la même période : La parole humiliée (Jacques Ellul), Détruire la nuit (Michel Ciry), Choke, Berceuse (Chuck Palahniuk), La littérature sans estomac (Pierre Jourde). 2) Mes lectures en série de la même période : Sunset Limited (James Lee Burke), Entretiens avec Raymond Abellio (Marie-Thérèse de Brosses), La poésie en string (Jean-Marc Baillieu), Un drôle de pèlerin (Elmore Leonard), Celle qui pleure (Léon Bloy), L’oiseau de paradis (James Purdy), Takfir sentinelle (Lakhdar Belaïd), La solitude du manager, Meurtre au comité central (Manuel Vasquez Montalban), Le jeu du chien-loup, Une proie en hiver, La proie de l’instant (John Sanford), Le silence inutile (Lambert Schlechter), L’homme qui souriait (Henning Mankell), De Marquette à Vera-Cruz (Jim Harrison), La source chaude (Thomas Mc Guane), Gone, baby gone, Un dernier verre avant la guerre (Dennis Lehane), Déviances mortelles (Chris Mooney), L’enfant du silence (Abigaïl Padgett), Ce que je crois (Jean Delumeau), Rimes de joie (Théodore Hanon), Sarinagara (Philippe Forest), Ça sent le brûlé (John Lutz), Revanche, Une balle dans la tête (Dan Simmons), Brûlé (Leonard Chang), Chant pour Jenny (Staffan Wasterlund), Rites de mort (Alicia Gimenez Bartlett), L’homme chauve-souris (Joe Nesbo), Chroniques, volume I, (Bob Dylan), Mea culpa (Louis-Ferdinand Céline), Tchadiennes (Daniel Boulanger), Deuil interdit (Michael Connelly), Meurtre à la sauce cajun (Robert Crais), L’insurrection de Cronstadt et la destinée de la révolution russe (Ante Ciliga), Les neiges bleues (Piotr Bednarski), La simple vérité (David Baldacchi), Le bonhomme de neige (Jorg Faüser), Tokyo (Mo Hayder), Le papou d’Amsterdam (Jan Van de Wetering). 3) Dans La part du diable (Gallimard, 1946), Denis de Rougemont a donné un bel exemple de la ruse ultime de l’ennemi, celle qui consiste à faire douter de son existence. 4) 24 octobre 2004, Bordeaux, 1H30 du matin. En rentrant à l’hôtel, je jette un œil au mur de la caverne de Platon. Je tombe dans le «toc chaud» de Thierry Ardisson, un aréopage pérorant d’humoristes auto-proclamés, arrogants et sûrs de connaître la vérité ultime sur le destin et la manière de vivre de l’humanité. Le meneur de jeu au masque de cire, espace de statue funéraire au regard vicieux, donne la parole à Philippe Val, le rédacteur en chef inamovible d’un organe libéralo-conformiste. Je suis édifié par le visage dur, lisse et glacé de ce moraliste à rebours qui énumère les lieux communs les plus convenus. Tous ces gens se congratulent. Ils sont les nouveaux maîtres à penser. J’éteins le poste et les rejette dans leur nuit. 5) Voir William Burroughs, Entretiens avec Daniel Odier (Belfond), 1969. 6) La littérature après avoir perdu l’âme et le souffle a maintenant perdu l’estomac. 7) «Comme l’avait bien vu René Girard, l’écriture blanche n’est que du romantisme dégradé : L’esthétique du silence est un dernier mythe romantique. [...] Dix ans ne passeront pas avant qu’on reconnaisse dans l’écriture blanche et son degré zéro des avatars de plus en plus abstraits, de plus en plus éphémères et chétifs des nobles oiseaux romantiques. Ils ne veulent pas la solitude, mais qu’on les regarde en proie à la solitude. Ils ne choisissent le silence que comme marque d’honorabilité littéraire, l’insignifiance n’est chez eux qu’une ruse de l’impuissance, qui l’utilise comme apparence d’un sens mystérieux», Pierre Jourde, La littérature sans estomac (Presses Pocket, coll. Agora), pp. 195 et 196. Un peu plus loin, p. 333, Pierre Jourde parle de l’idiotie revendiquée de Valère Novarina, comme perspective d’un dépassement du couple affirmation-négation. Pour lui, «l’étrange réalisme de Novarina est le miroir du réel : son théâtre représente le monde à l’envers». Après tout, en ce siècle, cela est peut-être proche de l’affirmation de saint Paul dans la Première épître aux Corinthiens, souvent citée par Léon Bloy : «Nous voyons maintenant, à travers un miroir, en énigme. Mais alors, nous verrons face à face». 8) «Parfois, dit et renifle Denny, c’est comme si je voulais être battu et puni. C’est pas un problème s’il n’y a plus de Dieu, mais je veux quand même continuer à respecter quelque chose. Je ne veux pas être le centre de mon propre univers», in Choke de Chuck Palahniuk (Gallimard, Folio Policier n° 370), p. 106. 9) Voir aussi Hugo Ball, La fuite hors du temps, Journal 1913-1921 (Editions du Rocher), 1993. 10) Sauf peut-être pour Maurice G. Dantec qui se coltine tout cela dans Cosmos Incorporated (Albin-Michel). 11) Choke, de Chuck Palahniuk (Gallimard, coll. Folio Policier n° 370), p. 136. 12) Choke, p. 153. 13) Titre de l’essai que Juan Asensio a consacré à l’œuvre de George Steiner (L’Harmattan). 14) Sombre ducasse (épuisé), Canal Mémoire, Marais du Livre Éditions. 15) «Monsieur Ouine est partout ! Monsieur Ouine est partout ! Monsieur Ouine se porte bien ! Il est le ressuscité des ordinateurs, les robots qui ne disent plus rien d'autre que oui non oui non oui non oui oui non non, qui marchent aux pas des lois : un deux un deux un deux un droite gauche droite gauche ! Logiciel, ça s'allume et ça s'éteint.» L. S., in Canal Mémoire. 16) Voir l’ouvrage de Arnaud Aaron-Upinsky, La tête coupée (Éditions Le Bec, 1998) et aussi, de Dimitri Panine, Théorie des densités (Éditions Présence), 1990.

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29/10/2005 | Lien permanent

Entretien avec Ludovic Maubreuil

Crédits photographiques : Ted Aljibe (AFP/Getty Images)
Cet entretien a paru dans le n°127 de la revue Éléments.Les liens sont de mon fait. Je me suis borné, ici ou là, à préciser tel détail.Le blog tenu par Juan Asensio, sous le pseudonyme de Stalker, délivre en titre son programme : «Dissection du cadavre de la littérature».Il s’agit certainement là d’un des plus sérieux travaux de critique littéraire publiés sur Internet, non seulement par le nombre et la variété des œuvres étudiées, l’intelligence féroce avec laquelle celle-ci sont disséquées, mais également par le style même de l’auteur, dont le français impeccable et le rythme réjouissant irriguent chacune de ses notes d’un sang enfin neuf, contrastant impitoyablement avec cette critique littéraire affadie qui n’est plus que connivences, compromis et platitudes égrenées avec un imperturbable esprit de sérieux, celle des journalistes permanents et des écrivains de passage. Inauguré avec Paul Gadenne il y a maintenant un peu plus de trois ans [en 2004, ndJA] («C’est l’humilité et la profonde vérité de l’œuvre de Paul Gadenne qui font qu’elle accompagnera toujours l’homme dans sa quête harassante, parce qu’elle ne le trompe pas et ne tend pas devant ses yeux une toile de foire l’empêchant de fixer l’horreur»), ce blog a ainsi traité longuement de Bernanos et de Bloy, de George Steiner (auquel Asensio a consacré un essai en 2001 publié à L’Harmattan), de Pierre Boutang, de Raymond Abellio, de Paul Celan, mais également d’auteurs plus méconnus encore, tel le romancier Alexandre Mathis [sous la plume de Francis Moury, ndJA], que les lecteurs d’Éléments connaissent bien ou le poète Pär Lagerkvist. Un certain nombre de textes élogieux, mais jamais complaisants, et parfois même particulièrement critiques, ont également été consacrés à Maurice G. Dantec. À côté de ces rigoureuses études qui explorent volontiers les liens entre la littérature et les figures du Mal (un autre ouvrage d'Asensio, La Littérature à contre-nuit, chez Sulliver, explore cette thématique), le blog propose en guise d’intermèdes, des notes incendiaires sur un certain nombre de pitres qu’il nous est bien agréable de voir ainsi cloués au pilori, tels le regrettable Arnaud Viviant, le dangereux Bozonnet ou le «piètre lecteur» Assouline. Tout ceci suffirait à nous le faire aimer, sans pour autant, bien au contraire, partager ses sympathies atlantistes ou plus localement, ses affinités sarkoziennes, mais là où le Stalker nous semble toucher au plus juste, c’est bien dans son itérative et furieuse dénonciation d’un novlangue s’employant patiemment, et amicalement, à enserrer nos moindres velléités de conversation, à modeler nos pensées selon les formes du temps : «Nous méritons, assène-t-il dans une brève note sur la «Toile infra-verbale», de périr d'une façon aussi peu glorieuse : les yeux et les oreilles remplis de la merde religieusement mâchée par toutes les bouches tavelées, avalée pieusement, en vacarme, comme une hostie immonde censée nous offrir la réelle présence, le Corps d'un Christ sans parole ou plutôt qui les aurait toutes prononcées, mêlant, jusqu'à exaspérer le diable lui-même, la vérité et le mensonge dans une bouillie infecte, dégorgée par un immense orifice ouvert comme le cloaqua maxima qui serpentait sous les pavés de Rome». C’est à l’auteur de ces lignes désespérées que nous avons posé trois questions.Ludovic MaubreuilSur la page de présentation de votre blog, vous faites un rapprochement qui me paraît éclairant, et à ma connaissance inédit, entre le Stalker de Tarkovski et La ligne rouge de Terence Malick. Vous en concluez notamment que la Critique est désormais submergée par la profusion d’œuvres dont elle ne sait plus démêler les liens secrets. Ne vous fiant manifestement ni à l’air du temps ni aux diverses propagandes médiatiques pour choisir des ouvrages dignes d’intérêt, quelle est donc votre méthode pour organiser ce chaos ?Juan AsensioCher Ludovic, je serai bien incapable de vous exposer une quelconque méthode puisque je n’en ai tout simplement pas. Je laisse la méthode aux méthodologistes, il en existe beaucoup, surtout dans le domaine des lettres. Ils n’écrivent le plus souvent, comme Gérard Genette, que de ridicules manuels abandonnés fort heureusement une seconde après l’obtention, par l’étudiant qui les a consultés, de sa licence…En fait de méthode, je lis tout simplement énormément et ce n’est pas à vous que j’apprendrai qu’un grand écrivain est d’abord, aussi, un grand lecteur, comme un grand cinéaste est un admirateur de cinéastes, morts ou vivants, dont il s’est nourri. Ainsi, mes lectures s’accroissent sans cesse, je ne m’en plains pas du tout, comme la bibliothèque de Borges, puisqu’elles évoquent d’autres lectures possibles qui, elles-mêmes, évoqueront sans doute de nouveaux auteurs. Bernanos évoque Péguy, Bloy et Hello, Bloy évoque Huysmans et Hello et un bon millier d’autres noms qu’il faudra bien que je n’ignore plus un jour ou l’autre, etc. Ajoutez à cette dimension rhizomique de la littérature le fait que je lis quelques rares blogs qui me font découvrir des auteurs dont je ne savais rien ou presque rien. Il y a aussi une part de lectures buissonnières : le bizarre ouvrage intitulé La Ruine de Kasch de Roberto Calasso m’a immédiatement attiré en raison, c’est sans doute assez bête à écrire, de son titre, alors que je ne savais absolument rien de son auteur.Bien sûr, a contrario, je ne dédaigne point lire des écrivains dont tel ou tel critique littéraire paraît-il professionnel évoque le nom. Ainsi, je m’amuse beaucoup du fait que Pierre Assouline, vrai journaliste et vague ou plutôt très piètre lecteur, m’oblige souvent à lire ou relire des livres qu’il a «traités» chimiquement (en vue d’une probable castration), surtout si je connais bien l’œuvre de l’auteur évoqué. Je n’y lis alors, dans ces ouvrages, presque jamais la même chose que ce qu’il croit y avoir déniché, de son museau de taupe : quelques racines pas mêmes souterraines mais poussant dans l’air raréfié où nul livre, à ses yeux, ne semble être le cousin, fût-il éloigné, d’un autre, dont il se nourrirait ou qu’il expulserait au contraire, puisque nul livre n’est une île si je puis dire. On dirait qu’Assouline est incapable d’établir la plus minuscule correspondance entre deux romans que rien ne paraît lier, du moins visiblement. Affaire de culture me direz-vous. Affaire de sensibilité aussi, à mon sens. Je me souviens ainsi qu’il avait évoqué la très belle correspondance (parue récemment aux éditions du Seuil) de Paul Celan avec Ilana Shmueli pour n’en tirer que de consternantes banalités sur l’amitié, nécessaire vous vous en doutez mais surtout éminemment poétique donc «transfrontalière», entre Palestiniens (représentés par le poète Mahmoud Darwich) et Israéliens, rassemblés, pour la bonne cause, sous la bannière de l’auteur de l’extraordinaire Todesfuge. Une fois cette magnifique correspondance lue, inutile de vous dire que je l’ai évoquée tout de même avec un peu plus de sérieux épistémologique (par exemple celui dont témoignent les travaux de Jean Bollack) que ne l’a fait Assouline. Que voulez-vous, l’air du temps s’est aussi engouffré sur le réseau, nouveau support de la «fausse parole» si justement décrite par Armand Robin.LMExiste-t-il un auteur que vous appréciez et auquel vous n’avez cependant pas encore consacré de note substantielle sur votre blog ?JAOui bien sûr, même plusieurs comme Kafka, Joyce, Kierkegaard (philosophe bien sûr mais écrivain à part entière), Pound ou encore Dostoïevski. C’est d’ailleurs sûrement le fait qu’il me reste tant d’écrivains d’importance à évoquer qui me pousse à ne point fermer la Zone…LMQuel écrivain demeure pour le vous le plus juste contempteur de notre monde moderne et de l’émiettement du sens qui le caractérise ?JAJe relis Bernanos sans relâche, depuis que j’ai découvert, en 1989 (date de sortie de l’étrange film de Pialat sur l’œuvre du romancier), cet écrivain de génie par son premier roman, Sous le soleil de Satan. Je relis surtout, ces dernières semaines, ses écrits polémiques, fort justement appelés «écrits de combat» par les responsables de l’édition de La Pléiade. Tout y est, absolument tout : la colère dévastatrice, la rage même, l’imprécation dont chaque goutte est un concentré d’acide puissamment corrosif, mais surtout la justesse de ses attaques, y compris celle, paradoxalement, de ses diatribes qui sont manifestement injustes. Un polémiste aussi redoutable que Bernanos ne se trompe jamais, tout comme Bloy ne s’est jamais trompé, même lorsque nous lisons, amusés, ses critiques contre l’automobile, misérable et dangereuse invention du démon… Je suis ainsi frappé par l’extraordinaire acuité du portrait que le Grand d’Espagne a brossé de Hitler, l’enfant humilié par excellence, comme si le romancier avait joui lui aussi, le temps de l’écriture, du don de vision des reins et des cœurs grâce auquel son personnage, l’abbé Donissan, a saisi, d’un seul regard fulgurant, la terrible vérité d’une Mouchette. Que pèsent, face à de telles analyses foudroyantes (parce que, justement, elles court-circuitent la raison et la dépassent), les traits, même puissants, qu’un Ivan Illich ou même un Günther Anders ont décochés contre le monde moderne ? Toutefois, cette exploration des ténèbres, cette critique radicale de notre époque désacralisée ne peut à mon sens jamais être plus magistralement exposée que par une recherche romanesque. Voyez la trilogie crépusculaire, réellement apocalyptique, écrite par Ernesto Sábato : ses éclairs d’orages de la taille d’un monde illuminent des terres inexplorées que ses analyses argumentées, exposées dans des ouvrages plus didactiques tels qu’Avant la fin, ne paraissent que bien difficilement ne serait-ce qu’indiquer, et encore, d’un doigt quelque peu hésitant. De la même façon, c’est dans Monsieur Ouine, un roman qui, par sa structure elliptique voire lacunaire, dépasse d’un bon million de coudées toutes les petites tentatives autistes du Nouveau Roman et de ses affidés plus ou moins talentueux, que Bernanos a peint, le chevalet calé sur la terre orde de France expulsant ses morts, l’infinie misère de notre monde dédouané de Dieu.Je pourrais faire d’ailleurs la même remarque concernant des auteurs tels qu’Hermann Broch et Elias Canetti qui présentent, plus que Georges Bernanos bien sûr, une dimension d’essayiste évidente, penseurs dont Le Tentateur et Auto-da-fé forent pourtant beaucoup plus profond que certains de leurs plus remarquables essais, Psychologie des masses d’un côté, Masse et puissance de l’autre. Vous voyez donc que je reste, sans pour autant dédaigner la philosophie bien sûr, un esprit franchement littéraire.

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08/12/2011 | Lien permanent

Dictionnaire du pamphlet de Frédéric Saenen : vivre et penser comme des hommes en colère

Crédits photographiques : Greg Wood (AFP, Getty Images).
41YldRCdSeL._SL500_AA300_.jpgÀ propos de Frédéric Saenen, Dictionnaire du pamphlet (Infolio, coll. Illico, Gollion, Suisse, 2010).
LRSP (livre reçu en service de presse).


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«Numerus stultorum est infinitus».
Ecclésiaste, I, 15.


Utile petit ouvrage, malgré ses évidents défauts, que celui que Frédéric Saenen a consacré aux pamphlétaires français les plus célèbres. Bien sûr, les notices sur Barbey d’Aurevilly, Bloy, Péguy et Bernanos sont bien trop courtes, celle évoquant David Bosc bien plus longue que celle, par exemple, sur Jean Cau et je ne m’explique point la raison de cette bizarrerie. Certes encore, le titre même du livre est trompeur puisqu’un dictionnaire se devrait de tendre à l’exhaustivité, dimension dont l’auteur, au demeurant, dans une introduction roborative, reconnaît sans peine l’absence. Mais comment admettre, tout de même, qu’un Dominique de Roux, un Charles Maurras et son digne héritier Pierre Boutang qui, à la différence de l’auteur d’Immédiatement, ont tous deux la chance d’être mentionnés en simple note de bas de page par Saenen, ne soient point évoqués d’une façon beaucoup plus développée ? Le volume n’eût point été particulièrement alourdi si l’on y avait ajouté ces trois noms (parmi d’autres bien sûr) qui, absents, donnent au moins quelque ironique pertinence à la collection dans laquelle a paru ce petit livre, intitulée Illico.
Reste que l’intention de Frédéric Saenen, qui n’a probablement rien voulu d’autre, avec son petit ouvrage, que nous donner l’envie de découvrir les textes d’un genre qui, dans la France actuelle où l’honneur a chu et qui ne sait plus que se gratter jusqu’au sang son prurit de pénal, se meurt, est mort, reste que cette intention est assez bien illustrée, extraits des textes mentionnés de ces infréquentables à l’appui. D’ailleurs, sur cette judiciarisation galopante de la société française, Frédéric Saenen pose le bon diagnostic : «Alors qu’auparavant un conflit entre offenseur et offensé se réglait en un duel, aujourd’hui, un débordement verbal peut traîner des années en justice et déboucher sur de lourdes conséquences, jusqu’à briser socialement un individu. Le scandale ne paye plus; le pamphlet pâtit sans doute de cette dévalorisation» (p. 24). Je me permets de corriger quelque peu l'assertion de Saenen en lui faisant remarquer que le scandale n'a jamais payé.
J’ai relevé, allez donc savoir pour quelle inavouable raison, sous la plume de René Benjamin, un texte savoureusement intitulé Aliborons et démagogues paru en 1927 qui fait peut-être lointainement écho, en tout cas dans la formule de son titre, à un truculent Imbéciles et gredins publié en 1900 et que son auteur, Laurent Tailhade, devenu célèbre pour avoir défendu les attentats anarchistes qui firent grande peur aux Parisiens entre 1892 et 1894, adressa aux anti-dreyfusards. J’ai également remarqué que, de même que Georges Bernanos avait connoté le terme «imbécile» qu’il utilisait avec une prodigalité dont nous ne pouvons que le remercier, d’une aura bien réelle de pitié et peut-être même d’amour, Jean-Paul Brighelli estimait pour sa part que le si vilain mot «crétin», pour lequel il déclara en 2005 son goût inavouable, n’était qu’une «invective – à peine une insulte – définitive et affectueuse». Il écrivit d’ailleurs, sur ce crétin si typiquement hexagonal et sa folle incubation dans les serres de l’éducation nationale, un livre amer et ironique, La Fabrique du crétin. La mort programmée de l’école, sans se douter que les plus belles âmes de notre époque, pourtant si peu éloignée de la sienne qu’à vrai dire il s’agit de la même époque, verraient dans l’usage de ce terme, comme dans celui de bien d'autres infiniment plus qu’une «invective définitive et affectueuse».
Décidément, le scandale, ou ce qui passe désormais pour tel, quelques extraits de Philippe Murray impeccablement servis par Fabrice Luchini, n’a jamais aussi peu payé qu’aujourd’hui.

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29/08/2010 | Lien permanent

Nous sommes tous des Foutriquets

Crédits photographiques : Johannes Simon (Getty Images).
Terminé la lecture du Précis de Foutriquet de Pierre Boutang, surtout intéressant par son constant recours à l’étymologie, par son rappel de Bernanos, qu’il ne ménagea guère et par quelques tics bloyens assez drôles. Les mots qu’utilise un imbécile sont toujours une arme contre lui-même, voilà en tout cas la précieuse leçon que ne cesse de nous répéter Boutang. Il faudrait ajouter que, de nos jours, un pamphlet politique d’une telle violence – puisque Boutang condamne absolument l’action politique de Giscard – serait tout simplement inimaginable, scandalisant jusqu’à l’apoplexie les petits femmelins pétitionnaires Lindenberg et Viviant qui, sans doute, en crèveraient, à Dieu ne plaise !Vu le Macbeth de Polanski, adaptation assez fidèle du drame élisabéthain dont j’ai aimé la belle lumière – comme celle qui baigne la scène d’ouverture où les trois sorcières se réunissent pour invoquer les ténèbres – et les toutes dernières images, où le nouveau roi, meurtrier du tyran Macbeth qui lui-même a tué le bon roi Duncan, va lui aussi, à son tour, consulter les «Weird Sisters», dans une parabole transparente sur l’inéluctabilité du Mal et la folie de pouvoir animant le cœur des hommes. Il n’y a aucun lien entre ce film plutôt réussi et Big Fish de Tim Burton, adaptation d’un roman de Daniel Wallace. La leçon de ce conte bien moins naïf qu’il n’y paraît peut être résumée en une seule phrase : si l’homme ne meurt pas, si l’homme est immortel, si la mort même peut être vaincue, c’est uniquement par le pouvoir tout simple et grandiose de sa parole qui inlassablement n’en finit pas de conter, tentant de revenir à la source perdue de toute joie, l’enfance merveilleuse puis la vie de William Bloom (au pseudonyme transparent) et, métaphoriquement, l’Éden perdu.Journée pluvieuse, vide, la négation même de la féerie chère à Burton. Je n’ai rien fait, hormis terminer de lire l’ouvrage d’Harold Bloom et l’Extension du domaine de la lutte de Houellebecq dont je me suis toujours méfié en raison de l’excessive publicité qu’on a faite autour du personnage et de certaines de ses déclarations, d'ailleurs peut-être tronquées ou déformées plaisamment. Sur ce roman déjà ancien : quelques remarques justes sur l’ineptie de notre quotidien, égarées au milieu de pages qui rebutent par leur manque de relief, sans doute volontaire. Les dernières lignes de ce bizarre roman constituent une sorte de non-révélation, une fermeture du personnage sur lui-même, sans même la possibilité, certes démoniaque, de commettre quelque meurtre libérateur (par exemple celui, plus rêvé que réellement perpétré, de Raphaël qui se tuera peu après ou ceux encore des cauchemars du narrateur), comme cela se produit dans le ténébreux et superbe Vent noir de Paul Gadenne. Avec ce non-roman en tout cas, sorte de précis de décomposition pour lequel l'écriture romanesque, l'auteur le dit, semble parfaitement inadaptée, Houellebecq parvient au degré final du dégoût et de l’ennui, pas même à cette halte esthétisante qui sauvait au moins l’âme de Des Esseintes du vide (personnage qui commencera, sous les traits de Durtal, sa douloureuse conversion dans Là-bas) à défaut de garantir sa santé mentale. Quelques étrangetés, qui sont comme des trouées d’air pur : fausses, lorsque par exemple le narrateur nous donne à lire de comiques satires animalières ou bien paradoxales, presque déplacées dans leur lyrisme, lorsque cette fois il s’extasie (début de la deuxième partie du livre) devant un danger courageusement affronté par des hommes de mer, sorte de fausse révélation et de rechute dans la banalité rouennaise et, en somme, avortement même de tout événement.Étrange aussi, l’épisode de l’ami du narrateur, prêtre, qui a perdu la foi après avoir couché avec une femme. Je songe inévitablement à la figure du prêtre, autrement terrible, imaginée par Bernanos dans son génial Journal d’un curé de campagne.

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08/03/2004 | Lien permanent

Diapsalmata ou interlude entre diverses lectures

Crédits photographiques : Mel Evans (Associated Press).
«O solitude, my sweetest choice !
Places devoted to the night,
Remote from tumult and noise,
How ye my restless thoughts delight !».
Traduction libre d'un poème de Saint-Amant par Katherine Philips, mis en musique par Henry Purcell


Quelques modifications, pour commencer, dans mes listes de liens. Quelques nouveaux liens aussi, il faut contribuer n'est-ce pas à l'extension du domaine de la Toile, qui finira bien par enserrer complètement un monde devenu transparent, desséché, comme cette araignée évidée qu'évoque quelque part Gadenne, reprenant d'ailleurs une image de saint Jérôme. Une araignée desséchée, suspendue à un coin de poutre, ou bien cette coquille de noix abandonnée sous un meuble dont parle Jean Blanzat dans un étrange roman, oublié de tous, Le Faussaire, voilà ce que je suis, certainement pas le loup solitaire qui de loin contemple les hommes et s'en retourne, trottinant de travers, au plus profond des bois silencieux.
En attendant, peut-être, la traduction française d'une monumentale biographie sous la plume de Joakim Garff dont le numéro du 28 janvier de TLS se fait l'écho, lecture, dans la collection de poche publiée par les éditions Allia, des Diapsalmata (en fait, il s'agit du deuxième texte de la première partie de L'Alternative) de Kierkegaard et immédiate, douce évidence que, comme pour Bernanos, Bloy, Gadenne, je devrais TOUT lire de ce génial imprécateur, de ce médecin légiste d'un christianisme mort plutôt que moribond, qui sur lui exerce son art avec une ironie tranchante.
Haine et dégoût, par la même occasion et puisque je reçois nombre d'invectives depuis que j'ai écrit ce papier, de ces lecteurs du dimanche qui sans pudeur aucune estiment que j'exagère, que je file trop loin certaines métaphores de mauvais goût, qui en fait tripotent Bernanos comme Matzneff les petits enfants, un sourire aux lèvres et le vit mollement gonflé, qui remplissent leur dé à coudre d'émotions dans l'immense et inquiétante marmite bloyenne alors qu'il faudrait s'y plonger comme dans une bassine de plomb fondu : vous verriez alors comment l'âme, tordue de mille façons exotiques, pousserait d'étranges cantiques, les mêmes peut-être que ceux de ces malheureux condamnés à bouillir dans le taureau de Phalaris et dont les hurlements étaient transformés en mélopées au moyen de flûtes dissimulées dans les naseaux de l'animal... Que ne suis-je allé plus loin dans l'effronterie, dans l'impolitesse suprême qui eût consisté, après les avoir indisposés, à définitivement dissoudre ces mouches de pissotière sulpicienne et heureusement tout de même que je n'ai pas affirmé que j'éprouvai, à l'égard de certains de ces idiots qui se plaignent des brutalités de reître que je fais subir à leur petite cervelle formolisée, heureusement que je n'ai pas écrit cette jouissive banalité : j'éprouve un plaisir sans borne à rudoyer, lorsqu'il me lit avec ses lunettes sales de petit gommeux de gauche, mon adversaire, à le provoquer, non pas à le tuer (Dieu, quel aveu terrible qui eût affûté, au-dessus de mon cou gracile, la lame de la bien-pensance !) mais à le blesser, pourquoi pas, puisqu'il est bien vrai que la parole est une arme, ce que semblent avoir oublié la cohorte interminable de ces puceaux stakhanovistes du bavardage qui se vident de leurs insignifiantes jérémiades dans le bidet virtuel de Pierre Assouline ou bien, sur tel ou tel forum, nous convient sur leur esquif mité à faire le tour de la seule île dont ils connaissent les amers ô combien dangereux : leur propre nombril.
J'ai noté cette réflexion de Kierkegaard, l'une des dernières des Diapsalmata, qui me plonge dans un abîme d'étrangeté et me fait immédiatement songer à quelque digression borgésienne : «Tout ce qui est d'ordre fini et accidentel tombe dans l'oubli et s'efface. Alors, je reste comme un vieillard aux cheveux gris, livré à mes pensées ; j'explique les images à voix basse, presque, en murmurant ; à mes côtés est assis un enfant qui écoute, bien qu'il se rappelle tout dès avant mon récit.»
J'ai aussi pensé, poursuivant ma lecture du terrible Automne allemand de Dagerman qui stigmatise l'attitude de certains journalistes occidentaux contemplant l'Allemagne en ruines, qu'il n'était pas inutile de préciser la parfaite conception que Kierkegaard se faisait des journalistes lorsqu'il écrivait, cette fois en ouverture de son texte : «Bien entendu, le critique ressemble au poète comme un frère, moins les tourments au cœur et les accents mélodieux sur les lèvres. Et c'est pourquoi j'aimerais mieux, poursuit le Danois, garder les porcs à Amagerbro et être compris d'eux, que d'être un poète que les hommes comprennent tout de travers.»

Tout est dit.

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07/02/2005 | Lien permanent

Excellences et nullités, une année de lectures : 2018

Photographie (détail) de Juan Asensio.
Rappel
1529665429.jpgExcellences et nullités de l'année 2010.





860869951.jpgExcellences et nullités de l'année 2011.





772810536.jpgExcellences et nullités de l'année 2012.





1430257528.jpgExcellences et nullités de l'année 2013.





3938717289.JPGExcellences et nullités de l'année 2014.





1166553848.jpgExcellences et nullités de l'année 2015.





3575908637.jpgExcellences et nullités de l'année 2016.





604239392.jpgExcellences et nullités de l'année 2017.





45660881162_9dac039cce_o.jpg



Excellences

838283553.jpgMission de Léon Bloy de Stanislas Fumet (Desclée de Brouwer).





793831816.jpgPersonne ne gagne de Jack Black (Monsieur Toussaint Louverture).





1237598130.jpgLa Terre demeure de George R. Stewart (Fage).





211893003.jpgL'Homme en son temps et en son lieu de Bernard Charbonneau (RN Éditions).




2075484760.jpgParmi les cendres de Manuel Arroyo-Stephens (La Table ronde).





590137443.jpgDe l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts de Thomas De Quincey (Gallimard).




3330805834.jpgLes Sociétés secrètes de Thomas De Quincey (Gallimard).





3945937954.jpgL'Esclave libre de Robert Penn Warren (Phébus).





409533919.jpgConsidérations sur la France de Joseph de Maistre (Bartillat).





1693419406.jpgLe Nègre du «Narcisse» de Joseph Conrad (Gallimard).





475957305.jpgLes Prophètes du passé de Jules Barbey d'Aurevilly (éditions du Sandre).




1345290232.jpgLaissez-moi de Marcelle Sauvageot (Phébus).





4027124112.jpgÀ rebours de Joris-Karl Huysmans (Gallimard, coll. Folio).





2845796061.jpgLe Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde (Grasset, coll. Les Cahiers Rouges).




489025851.jpgL'Abîme se repeuple de Jaime Semprun (Éditions de l'Encyclopédie des nuisances).




1150314157.jpgLe dernier messie. Prophétie et souveraineté au Moyen Âge de Gian Luca Potestà (Les Belles Lettres).




2050596335.jpgLettres éditoriales de Roberto Bazlen (Éditions de L'Olivier).





2944693305.jpgThéologie politique de Carl Schmitt (Gallimard).





3675561183.jpgLa Chute d'Albert Camus (Gallimard, coll. Folio).





2576317017.jpgMonsieur de Phocas de Jean Lorrain (La Table Ronde, coll. La petite Vermillon).




3201516589.jpgLéon Bloy ou le pont sur l'abîme de Jacques Vier (Téqui).





321089409.jpgLes Pharisiens de Georges Darien (10/18, coll. Fins de Siècles).





2946482726.jpgNouvelle histoire de Mouchette de Georges Bernanos (Gallimard, coll. La Pléiade).




2836104775.jpgLe pacte avec le serpent de Mario Praz (Christian Bourgois, coll. Les Derniers Mots).




2665346379.jpgLe Verbe dans le sang de Leonardo Castellani (Pierre-Guillaume de Roux).




977273684.jpgLes Signes de l'Apocalypse de Walker Percy (Payot & Rivages, coll. Rivages poche/Bibliothèque étrangère).




1516677185.jpgLes identités invisibles de Leo Perutz : Le Cavalier suédois, Le Judas de Léonard, Le Marquis de Bolibar (Phébus, coll. Libretto, Le Livre de poche, coll. Biblio).




753199057.jpgUn fils de notre temps d'Ödön von Horváth (Christian Bourgois).





937785885.jpgLes Jours de silence de Phillip Lewis (Belfond).





805705082.jpgSiloé de Paul Gadenne (Points roman).





3989773663.jpgSartre est-il un possédé ? de Pierre Boutang (La Table Ronde).





3064368796.jpgLettres à Jean Wahl de Rachel Bespaloff (Claire Paulhan, coll. Pour mémoire).





Nullités

681635040.jpgConversion de Romaric Sangars (Léo Scheer).





1429269618.jpgL'Incorrect, un modèle de consanguinité cloacale.





2031197292.2.jpgGeorges Bernanos à la merci des (vieux) universitaires. Quelques remarques sur la nouvelle édition en Pléiade des romans du Grand d'Espagne (Gallimard).



1602396387.jpgEugénie Bastié, telle qu'en elle-même la Presse n'a même pas besoin de la changer.




3566013407.jpgL'Ombre et la Nuit de Francis Giauque de Véronique Gonzalez et Vincent Teixeira (In Folio/ACEL).




332372844.jpgMaurice G. Dantec, prodiges et outrances d'Hubert Artus (Séguier).





3228734638.jpgMauvaise passe de Clémentine Haenel (Gallimard, coll. L'Arpenteur).

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30/12/2018 | Lien permanent

Excellences et nullités, une année de lectures : 2020

Photographie (détail) de Juan Asensio.
Rappel
1529665429.jpgExcellences et nullités de l'année 2010.





860869951.jpgExcellences et nullités de l'année 2011.





772810536.jpgExcellences et nullités de l'année 2012.





1430257528.jpgExcellences et nullités de l'année 2013.





3938717289.JPGExcellences et nullités de l'année 2014.





1166553848.jpgExcellences et nullités de l'année 2015.





3575908637.jpgExcellences et nullités de l'année 2016.





604239392.jpgExcellences et nullités de l'année 2017.





2556621276.jpgExcellences et nullités de l'année 2018.





2977603366.jpgExcellences et nullités de l'année 2019.





Excellences
Comme les années précédentes, je m'en tiens aux seuls livres que j'ai lus, et ne mentionne pas mes relectures. Par ailleurs, les ouvrages de Manoël Pénicaud et Baptiste Rappin n'ayant pas fait l'objet d'une critique en règle mais d'un entretien, je ne les ai pas mentionnés dans cette liste, malgré leurs qualités respectives. Le roman qui m'aura le plus marqué a été, incontestablement,Gilles De Drieu La Rochelle.

2977603366.jpgLe monde du silence de Max Picard (PUF et La Baconnière).





2977603366.jpgLa France contre les robots de Georges Bernanos (Gallimard, La Pléiade).




2977603366.jpgLa Révolution nationale de Georges Valois (La Nouvelle Librairie).





2977603366.jpgLe Questionnaire d'Ernst von Salomon (Gallimard, L'Imaginaire).





2977603366.jpgLa Séparation de Sopia de Séguin (Le Tripode).





2977603366.jpgSombre comme la tombe où repose mon ami de Malcolm Lowry (Point Signature).




2977603366.jpgLe temps qui reste de Giorgio Agamben (Payot & Rivages).





2977603366.jpgLe masque de la Mort Rouge de Poe (Gallimard, La Pléiade).





2977603366.jpgÓrdago d'Álvaro de la Rica (Vaso Roto, en espérant un retirage expurgé de dizaines de fautes).




2977603366.jpgNous autres d'Eugène Zamiatine (Gallimard, L'Imaginaire).





2977603366.jpgEssais sur la rhétorique, le langage, le style de Thomas De Quincey (José Corti).




2977603366.jpgLes Grands Cimetières sous la lune de Georges Bernanos (Gallimard, La Pléiade).




2977603366.jpgGilles et L'Homme à cheval de Drieu la Rochelle (Gallimard, Folio et Le Livre de Poche).




2977603366.jpgMéditation sur un amour défunt d'Emmanuel Berl (Grasset).





2977603366.jpgPortrait de l'aventurier de Roger Stéphane (Sagittaire).





2977603366.jpgLe pouvoir de la langue et la liberté de l'esprit de Jacques Dewitte (Michalon).




2977603366.jpgTrois entretiens sur la guerre, la morale et la religion, suivis du Court traité sur l'Antéchrist de Vladimir Soloviev (Ad Solem).




2977603366.jpgÉcrits d'exil, 1927-1928 de Léon Daudet (Séguier).





2977603366.jpgPaysages de l'âme d'Hugo von Hofmannsthal (La Coopérative).





2977603366.jpgLettre de Lord Chandos et autres textes d'Hugo von Hofmannsthal (Gallimard, coll. Poésie).




2977603366.jpgLes Diaboliques de Barbey d'Aurvilly (Le Livre de Poche).





2977603366.jpgMesure de la France de Drieu La Rochelle (Grasset).





2977603366.jpgSi le soleil ne revenait pas de Charles Ferdinand Ramuz (L'Âge d'Homme).





Nullités
Mention spéciale pour l'accablante rinçure de Vanessa Springora, un livre écrit à plusieurs mains, voire, plutôt, plusieurs pieds. Mais cette écrinaine n'a jamais eu, que je sache, la prétention d'écrire autre chose qu'un torchon imbibé de son lamentable petit jus acariâtre (je sais, je sais, tous les imbéciles journalistiques de France, hélas nombreux, auront versé une larme après avoir lu la quatrième de couverture et entonné leur habituel petit air enthousiaste), alors que Raphaël Enthoven, lui, c'est à mourir de rire de voir tous les efforts qu'il a produits, en tirant la langue, pour nous affliger d'un prétentieux et vain roman dont le seul et unique sujet, je crois, est la merde, l'anus, le sien et ceux des autres.

2977603366.jpgLe Consentement de Vanessa Springora (Grasset).





2977603366.jpgLe Temps gagné de Raphaël Enthoven (L'Observatoire).



2977603366.jpg

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02/01/2021 | Lien permanent

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