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24/11/2006

Les Bienveillantes attendront... encore un peu

Crédits photographiques : Jonathan Franks.

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22/11/2006

Satantango de Béla Tarr, par Guillaume Orignac

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Crédits photographiques : Photo Patagonia/Associated Press.

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16/11/2006

Damnation de Béla Tarr, par Olivier Noël

Crédits photographiques : Alvaro Vidal (Associated Press).

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13/11/2006

Dune de Frank Herbert, 1

Illustration de Chris Foss pour un projet d'adaptation cinématographique de Dune réalisée par Jodorowsky.

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08/11/2006

Les Harmonies Werckmeister de Béla Tarr, par Ludovic Maubreuil

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29/10/2006

Comment lit le mauvais critique : Pierre Assouline face à Paul Celan

Crédits photographiques : Ilya Naymushin (Reuters).

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24/10/2006

Leçon d'après ténèbres, de Jean-Luc Evard

Crédits photographiques : B Mathur (Reuters).

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21/10/2006

Sur La Critique meurt jeune, par Bruno Gaultier

La Critique meurt jeune aux éditions du Rocher


«Le tribunal révolutionnaire d’Arras jugera d’abord les prévenus distingués par leurs talents.»
Le délégué Joseph Lebon, août 1793.


Voici une nouvelle critique, sous la plume de Bruno Gaultier (et un courriel qui lui est lié), l'un des trois rédacteurs du blog Systar, sur mon livre qui n'aura été salué, et fort intelligemment, à trois, ou plutôt deux exceptions près (on me permettra de considérer comme nul l'éjaculat du nain phocomèle Jean-Louis Ezine pour Le Nouvel Observateur) que par des rédacteurs proposant leurs textes sur la Toile, comme Dominique Autié, Raphaël Dargent ou encore Sarah Vajda. Pour La Presse littéraire n°7, Christopher Gérard, sous la forme d'une assez belle lettre, a écrit un texte évoquant davantage, allez savoir pour quelle raison, Dumézil que mon propre livre, sans doute parce que l'auteur connaît mieux les arcanes de l'idéologie tripartite que les romans de Gadenne et de Broch. À l'évidence, quelque leçon est à tirer de cet étrange état de fait quant à la santé de la critique littéraire telle qu'elle se pratique, lamentablement, en France. Il est aussi pour le moins piquant d'observer que c'est la Toile, habituellement le lieu où les plus minuscules personnalités se pâment de leur indéfectible bonheur d'être, où elles se croient le droit irrésistible de commenter la surrection merveilleuse d'un comédon sur l'aile droite de leur nez souverain, où, à force de lécher la bouche du vide primesautier de leur putanat rêveur, elles en viennent à donner quelque consistance à leur propre néant, c'est donc la Toile qui offre, dans le même mouvement, cette fois comme retourné, ascensionnel, une Zone de repos où des textes de plus de cinq lignes évoquent des livres de plus de quinze mots. Pourquoi s'en affliger me rétorqueront les belles âmes, puisque ce phénomène n'est pas vraiment nouveau ? Je réponds : parce qu'il est scandaleux plutôt que nouveau en effet, tout simplement scandaleux, que la critique littéraire française, telle qu'elle est pratiquée par nos journalistes (puisque la critique littéraire n'est plus qu'affaire de journalistes), soit parvenue à une telle déconfiture sans que nul ne paraisse s'en émouvoir sinon, comme Jourde (1), pour proposer des auteurs qui ne valent pas beaucoup plus que ceux dont il stigmatise et ridiculise la nullité de style et, probablement, d'âme.
Je dénonce donc, une fois de plus, l'état gravissime de la critique littéraire française qui n'est point, contrairement à ce que semble en penser Pierre Assouline jamais avare de platitudes componctieuses, l'affaire du seul Gérard Genette, ce raseur-roi pour harassement intellectuel d'étudiant bouffonant sa petite leçon de choses, ce mouleur agréé de mots déboulonnables dont la lourdeur prétentieuse rendrait aérien le châssis de quelque Panzer allemand coulé en fonte. Ce n'est pas tout, vous vous en doutez; il y aurait en fait un livre à écrire qui peindrait la vie étrange de ce M. Valdemar qu'est devenue la critique, pas vraiment morte et pourtant plus tellement vivante. Je dénonce l'incurie intellectuelle abyssale, le manque total de curiosité, l'absence de toute culture littéraire et critique, dans laquelle des revues telles que Le Monde des Livres, Lire, Le Magazine littéraire, Europe, La Quinzaine littéraire sont tombées depuis des lustres : il ne s'est pas trouvé un seul rédacteur, pas un seul, pour évoquer le travail réalisé au travers de ces textes consacrés à Bernanos, Boutang, Faulkner, Dantec et bien d'autres, évidemment des écrivains d'une tout autre portée que le ridicule Sollers, la pathétique Angot, la tr(u)iste Darrieussecq, l'insignifiant Zeller, le microscopique Rey, et combien d'autres nains qu'il me reste à portraiturer, durant une vie entière, plutôt ce qu'il me reste à vivre, voilà un terme encore trop rapproché pour accomplir cette mission réellement surhumaine, perdue d'avance. Puisque me voici secoué des envies d'horions d'une colère franche, je dénonce encore l'inutilité profonde des attaché(e)s de presse, la mienne, transfuge des Presses de la Renaissance, ayant apparemment été incapable de décrocher un seul papier, un seul entretien, alors que mon livre, sur ses conseils personnels, a été envoyé à une bonne trentaine de journalistes de la presse écrite et radiophonique qui, sans doute, selon leur coutume, se sont dépêchés de les revendre. Il est vrai qu'il n'est guère commode de défendre un livre, à moins d'avoir beaucoup de talent, qui n'a pas même été lu, selon l'aveu, à peine gêné, fait par la personne concernée. Que dites-vous de cette marque insigne de professionnalisme ? Rien bien sûr, puisque vous avez perdu vos dernières illusions... Apparemment, il doit m'en rester quelques-unes. Tant mieux, car se sont elles qui me font ne pas désespérer.
Il est donc temps, enfin, qu'attendons-nous pour pousser ces moutons vers le précipice où ils se jetteront tous selon leur atavisme profondément grégaire, il est grand temps qu'advienne une révolution de l'esprit (une de plus : la France en rêve depuis le début du siècle passé mais nous n'avons plus de Maxence, de Dandieu, de Mounier ou d'Aron pour en poser les assises...) et que tous ces imbéciles disparaissent, de peur et de honte qu'un jour prochain ne leur soient demandés, sur un ton comminatoire, des comptes qu'ils n'auront pas tenus : Et toi, qu'as-tu fait des talents que je t'avais confiés ? Les as-tu fait prospérer comme je te le demandais ? Et toi, de quelle façon as-tu défendu les dernières traces de mon Verbe en ce monde rempli de vacarme, t'es-tu simplement contenté d'indiquer leur existence sans les défendre, n'as-tu pas voulu en assurer la croissance fragile ? Car la mission du critique, n'en déplaise à Christopher Gérard qui n'y voit probablement qu'affaire de magie et rituel païen, est religieuse ou elle n'est rien, rien d'autre qu'une petite souillure sur un papier sale de journal ou de revue, quand donc allez-vous comprendre cette évidence qui transperce votre incurie prétentieuse d'un pieu de douleur ?
Chiens odieux qui reniflez des chairs pourries par l'argent, bêtes lubriques écartant une vulve perpétuellement humide de s'aboucher au vide, hyènes vicieuses tortillant la croupe et vous approchant du maître qui vous engraisse en rampant sur le sol que vous léchez en signe de profonde soumission, je rêve pour vous massacres impitoyables, sacrifices prodigieux et holocaustes inouïs, votre graisse frétillant d'aise sur la grille portée au rouge avant de s'évaporer pour tenter d'apaiser l'ire du dieu vengeur.
Bien sûr, j'ai tôt fait de me réveiller de ce rêve délicieux où j'ai parcouru tous les cachots : comme dans le conte de Poe, ceux-ci m'ont semblé artistement décorés selon les goûts des bourreaux experts officiant sur des chairs méconnaissables. Hélas, ce n'était qu'un songe magnifique. Rien n'a changé : les attaché(e)s de presse reniflent le derrière sale des journalistes qui eux-mêmes sont prêts à tout sacrifier, y compris leur honneur perdu, pour obtenir quelques lignes du premier crétin venu que la grâce louvoyante de notre époque aura consacré chef de file ou d'école, prophète d'un soir ou philosophe de foire.

Note :
(1) Il y a tout de même Domecq, il y avait tout de même Muray. C'est peu si l'on songe à la qualité de certaines plumes qui, naguère, illuminaient de leur intelligence critique la presse française, Thierry Maulnier, Renaud Matignon, Gaétan Picon, Pierre de Boisdeffre, Claude-Edmonde Magny, Matthieu Galey et combien d'autres dont nous hésitons aujourd'hui à certifier qu'ils ont un jour existé.


«Nul ne sait ce qu’il est venu faire en ce monde, à quoi correspondent ses actes, ses sentiments, ses pensées; qui sont ses plus proches parmi les hommes, ni quel est son nom véritable, son impérissable Nom dans le registre de la Lumière.»
Léon Bloy, L’âme de Napoléon, cité par Juan Asensio dans La Critique meurt jeune.


Cette phrase magnifique de Léon Bloy pourrait être le résumé de toute la conception de la littérature que Juan Asensio nourrit dans son ouvrage La Critique meurt jeune. Dans ce recueil de textes déjà publiés dans diverses revues littéraires, et inédits, Juan Asensio procède à une évaluation critique de la littérature contemporaine, en posant une question implicite que l’on pourrait formuler ainsi : quel rapport les textes entretiennent-ils aujourd'hui avec la transcendance absolue d’un langage d’origine divine ? Une telle approche ne va pas de soi, mais bien des perspectives de lecture et de réflexions proposées par Juan Asensio mèneront pourtant le lecteur à reconnaître au langage une puissance capable de déterminer l’existence humaine. La littérature est un accès privilégié à une vérité religieuse : il ne s’agit pas uniquement de la douceur d’un plaisir esthétique, ni de divertissement, mais de rapport médié au monde (et l’on sait que la médiation est ce qui rend humain, en nous arrachant à une sorte d’immédiateté infantile et organique qui caractérise initialement notre rapport aux choses). La parole, médiation entre l’homme et le monde, se révèle alors plus importante même que ce qu’elle relie, comme le montre, page 103, l’ aphorisme : «Tout grand écrivain ne vit que d’être dépossédé de sa parole.»
Cette dépossession n’est pas une amputation, une ablation de facultés créatrices, mais au contraire le passage fécond à un mode d’écriture où l’auteur reçoit comme un don ce qu’il écrit. C'est la conception de l’écriture que Dantec propose depuis quelque temps, et qu’il défend dans un entretien déjà paru sur le site de Juan Asensio. Dantec avoue toujours de bonne grâce qu’à un moment donné de la rédaction de ses ouvrages, ceux-ci finissent par s’écrire tout seuls, d’une certaine manière. Croire à une telle transcendance de la parole littéraire, c'est s’obliger à chercher avec acharnement les possibles et réelles incarnations de celle-ci dans les œuvres existantes.
Juan Asensio est donc tout à fait habilité, dans cette perspective, à trier, à sélectionner, à hiérarchiser, et à condamner, séparant le bon grain de l’ivraie : «la critique littéraire n’étant certainement pas comparable au travail d’un anatomiste pour lequel il n’y a pas de différence majeure ou de nature entre un estomac et un cerveau.» (p. 23).
Les familiers de sa Zone savent d’ailleurs fort bien l’énergie que Stalker est capable de déployer en imprécations et énervements contre les mauvais livres. La même colère, faussement impulsive, en réalité longuement méditée et surtout extrêmement écrite, se retrouve dans les pages de La Critique meurt jeune. Le critique littéraire se fait juge, et chercheur de lumière, c'est-à-dire de vérité. Car l’erreur de bien des auteurs, aujourd'hui, est peut-être d’avoir oublié que la littérature est médiation, c'est-à-dire aussi effort, artifice, pour tenter de retrouver ce «Nom» étrange, inconnu de nous, qui est la source secrète de toute existence, cette entité mystérieuse en laquelle le chant et la lumière ne faisaient qu’un, comme semble le suggérer la phrase de Bloy que je citais plus haut. L’erreur est de croire qu’en art, l’immanence la plus platement indivise, la plus lourdement compacte, peut suffire. La question du sens, de l’efficace de la littérature sur l’existence, et de la vérité ne doivent pas être évacuées ni considérées comme périmées.
Restaurant donc avec force l’ambition d’accéder à la vérité par la littérature, Asensio semble inscrire sa quête dans la perspective herméneutique telle que théorisée par Gadamer : sans jamais oublier que chaque interprète a ses présuppositions, et doit en avoir, à condition de faire sans cesse la lumière à leur propos, toute lecture d’un texte recelant un sens doit pouvoir mener à la vérité. Pour Asensio, cette vérité se formulera selon les catégories chrétiennes de description de l’existence : l’affrontement avec le Mal, la quête de rédemption et la recherche du Christ dans les méandres du monde sont les grandes expériences spirituelles et physiques (le spirituel ne pouvant aller sans le physique, puisqu’il doit chercher à s’incarner en celui-ci) qui signifient, aux yeux du critique, une réussite littéraire. Le langage doit transmuer l’existence, préparant l’avènement mondain des plus hautes formes de transcendance : ainsi, à la page 23, Asensio écrit : «En un mot comme en mille, l’art sauvé doit être langage rédimé, silence, autre nom de la prière. Cet acheminement, dont on se doute qu’il s’agit d’une véritable ascèse, d’un dépouillement spirituel, sera admirablement décrit par l’un des plus beaux romans de Paul Gadenne, L’Avenue […]» (je souligne).
L’essai de Juan Asensio est un recueil d’articles divers écrits lors des trois dernières années, mais il possède une cohérence tout à fait comparable à celle qu’aurait eue un livre écrit et pensé de façon linéaire. Asensio y avance une série de thèses esthétiques et métaphysiques fortes, qu’il confronte aux œuvres pour les confirmer, ou bien plutôt, pour les mettre à l’épreuve de la singularité de celles-ci. Ainsi, la position quasi transcendantale du langage, le langage comme condition de possibilité de toute expérience du monde (le langage comme «forme symbolique» aurait dit Cassirer), ou, dans la perspective d’Asensio, de la beauté, et idéalement de la rédemption, la vocation de la littérature à affronter le Mal et la dégénérescence du langage contemporain qui en est à la fois l’origine et l’ultime manifestation (Dantec venant ici appuyer la thèse d’Asensio lors d’un entretien de très haute volée), la remotivation des «mots de la tribu» comme mission salvatrice de la littérature pour lutter contre la «surdénomination», fléau de l’équivocité originelle et de la pluralité des noms ainsi désigné par Walter Benjamin, qu’Asensio cite souvent, toutes ces thèses se déploient d’article en article, non pas comme un canon de dogmes qui viendraient juger de manière guindée les œuvres singulières, mais comme l’organon, l’instrument, de l’illustration (au sens étymologique du mot) des œuvres critiquées.
Car à bien y réfléchir, et même si Asensio ne se gêne pas pour diagnostiquer des échecs (Pogrom, d’Éric Bénier-Bürckel, mais aussi, comme je l’avais plus ou moins pensé en lisant le roman de Dantec, l’échec partiel de Villa Vortex par saturation finale d’images et de thèses trop intenses et finalement indigestes alors que le souffle naturel de l’écriture de Dantec aurait dû, peut-être, le mener à une écriture de la réconciliation, qui à mon sens n’est venue que dans les meilleurs passages de Cosmos Incorporated), à bien y réfléchir donc, Asensio veut magnifier, il veut parcourir les arcanes du monde pour y déceler des commencements de beauté et de joie, qu’il pourra, par la critique, mettre en lumière. Ce qui se passe est alors singulier : le critique, par son activité incessante de porte-flambeau, voire de thuriféraire, accède lui aussi à la dimension de l’œuvre littéraire. Je ne crains pas de répéter ici ce que j’avais déjà écrit à Juan Asensio : certains de ses articles sont d’une écriture admirable, et se lisent comme des œuvres littéraires à part entière. Encore faut-il comprendre comment aimer l’écriture d’Asensio. Stalker, devenu à son tour auteur, croit implicitement, et avec raison, que la fulgurance de la lumière et de la beauté jaillit d’autant mieux qu’il y a eu travail, artifice, remaniement incessant de toutes les possibilités de la langue (à mille lieues, en ce cas, de La vie sexuelle de Catherine M., voilà qui ne fait aucun doute …! Quoique, comme on sait, madame Millet ait pu explorer ces «possibilités de la langue», mais en un tout autre sens…). Il faut se laisser emporter dans les méandres des phrases d’Asensio, dans cette écriture labyrinthique, souvent saturée de concepts et de présupposés que le lecteur élucidera au fil des textes de La Critique meurt jeune… Je prendrai pour exemple de cette écriture ample, riche, le cas paroxystique de la phrase d’une page et demie à laquelle répond la simplicité et la force d’un «oui» dans le texte Pierre Boutang et l’impossible Reprise (p. 158-159).
Écrivant cela, je m’expose à l’objection selon laquelle le Stalker, figure tutélaire du blog de Juan Asensio, n’est pas du tout cet homme du lent travail, de l’intelligence patiente, de la médiation infinie, de la quête indéfinie de l’intertextualité la plus vraie comme retour à (ou avènement de) une parole divine des origines, que je décris ici. Mais à lire les belles pages d’Asensio lui-même à propos du personnage qui incarne métaphoriquement son travail de critique littéraire, il est patent que Stalker est bien ce personnage de l’effort infini, condamné à «risquer sa vie pour la gagner» (p. 11), sachant comment échapper à certains artifices mortels de la Zone.
«Il pense aussi à tous les hommes qu’il a menés dans le territoire proscrit de la Zone. Tous ne sont pas revenus, loin de là. Certains, qui ont pourtant eu la chance et le privilège de pouvoir pénétrer dans la Chambre – mais que s’est-il alors passé à l’intérieur de cette pièce ? – ont ensuite, sans explication, disparu. Porc-épic lui-même, le maître du Stalker, celui qui lui a appris à éviter les pièges diaboliques, s’est suicidé. Le Stalker aimerait que les hommes soient heureux, car, s’étant fait sa petite opinion sur la Zone, il pense qu’elle est comme une espèce de cadeau, un don qui aurait été fait à l’humanité, qui bien sûr l’ignore ou feint de l’ignorer. Ainsi souhaiterait-il le bonheur pour tous, lui-même n’ayant jamais songé à demander quoi que ce soit, pas même que sa fille soit guérie de l’infirmité qui la ronge.» (p. 13)
Guide condamné à des voyages inutiles (car certains meurent et ne parviennent jamais à leur but), le Stalker demeure néanmoins l’être de la médiation, le guide, et celui qui «rend possible». Le Stalker sait qu’un don a été fait aux hommes, et de même le critique littéraire a, plus que tout autre lecteur, conscience de l’origine plus qu’humaine de la littérature. Leur rôle est alors, telle la salive de Marie Daubrun pour l’âme du poète, «charriant le vertige», de rouler l’âme du lecteur «aux rives de la mort»… Le critique littéraire nous dépose au pied des volcans, nous mène aux portes d’une «terre promise» : c'est d’ailleurs cette image qu’employa Husserl lui-même pour parler, à la fin de sa vie, de la phénoménologie, dans la postface aux Ideen, figurant dans le troisième et dernier tome. Je réponds ici à Juan Asensio, en toute modestie et à titre d’hypothèse complétant le texte sur le Bref séjour à Jérusalem d’Éric Marty, que cette formulation de Husserl est peut-être ce qui pourrait motiver la lecture de l’œuvre du phénoménologue par le journaliste du Monde comme «le patient, complexe, parfois opaque commentaire d’une préoccupation unique, quoique tue par le philosophe, laquelle serait : Israël.» (p. 216).
Juan Asensio n’accepte aucune facilité : il faut un effort, une «ascèse», une férocité intellectuelle, il faut mettre en œuvre tout cela pour pouvoir espérer comprendre la force de la littérature. C'est cela que s’acharne à dire, inlassablement, cet essai dense, extrêmement cultivé, soutenu par une écriture remarquable, qui encourage à lire autrement les œuvres, ces réalités étranges qui devraient toujours être , selon le vœu de Dantec à propos de ses propres livres, «de véritables virus psychiques au service de la Vérité, disons, si vous le voulez bien, au service de l’Être.» (p 114).

Cher Juan,

Sans doute sera-t-il utile de vous expliquer pourquoi, d’une lecture relativement «distante» par rapport à certains aspects de votre Zone, notamment à propos de cette énergie déployée à pourfendre nombre de gens dont les paroles et les écrits ne se montraient pas, selon vous, à la hauteur de ce que doit être la littérature, je suis passé en quelques semaines à un enthousiasme parfaitement assumé à lire vos travaux sur la littérature. La publication de votre livre a clairement été l’occasion de prendre le temps d’une lecture sereine, et de comprendre a singularité de votre démarche critique. Il ne s’agissait pas, il faut bien le comprendre, d’un travail universitaire obéissant à des impératifs d’exhaustivité, de patience dans la démonstration, etc. Il s’agissait d’honorer les oeuvres que vous aviez lues, en proposant à votre tour des textes d’une extrême exigence dans l’écriture et dans l’engagement personnel.
Ce que j’apprécie le plus dans votre démarche, du moins dans ce que j’en connais et dans ce que j’ai cru en comprendre, demeure peut-être la très grande honnêteté intellectuelle dont vous faites preuve. Si mon texte vous a plu, recevez-le comme un témoignage d’estime pour cette très grande qualité qu’est la droiture intellectuelle, et qui est patente dans votre travail. Je crois que, doué de la plume et de la capacité de travail qui sont les vôtres, si vous aviez décidé de «rentrer dans le rang» et de faire nombre de concessions, vous connaîtriez des succès éditoriaux retentissants… en écrivant de la bouillie. La critique mourrait fort âgée, et parfaitement gâteuse ! Le choix d’une prose souvent polémique, et que je trouve savoureuse car plus proche de Bloy que de Lindenberg, dans un style très travaillé, et l’adoption d’un phrasé labyrinthique que vous mettez au service de la fulgurance des idées, font de vous un auteur difficile à aborder, et j’avoue avoir parfois pris mon temps pour relire certaines de vos phrases et en saisir le mouvement précis. Il y avait quelque étrange poésie à vous lire à la tombée de la nuit, assis sur les quais près de Notre-Dame, à découvrir avec vous Boutang, Conrad, Bernanos…
Vous êtes loué, ailleurs, pour votre grande «fidélité», et le mot est très juste. Je ne sais pas si je reprendrais à mon compte toutes les thèses que vous défendez, sans doute proposerais-je, ici et là, quelques notables divergences, mais votre cohérence, et la rigueur de votre conception de la littérature vous honorent. Au-delà de ces quelques inessentielles divergences qui pourront subsister, il y a une vérité forte sur laquelle je suis en total accord avec vous, et qui suffira toujours pour me pousser à retourner vous lire dans la Zone : la littérature doit demeurer exceptionnelle, c'est-à-dire, par définition, élitiste. Elle doit refuser de consacrer comme œuvres des récits dénués de toute visée de transcendance (en ce sens, ma petite «gauloiserie» sur les us et coutumes sexuels de madame Millet, répondant à la vôtre, voulait signifier que j’étais en parfait accord avec vous). Cette transcendance peut selon moi simplement renvoyer à un usage de la langue inhabituellement beau, sans que les thèmes de l’œuvre engagent l’essence même du monde. Mais j’avoue bien volontiers être transporté de plaisir et de joie en lisant des œuvres comme La fosse de Babel ou les romans de Dantec, où la littérature prend en charge le fonctionnement secret du monde jusqu’à retrouver, comme votre essai le mentionne fréquemment, la fonction principielle, organique, du langage dans la Création du monde. Dantec usant et abusant de l’image du cœur de lumière enclos dans les ténèbres, Abellio déployant sa structure absolue : 2005 fut pour moi une année de découvertes essentielles, et votre Zone un idéal complément à ces lectures lentes, patientes (j’ai mis près d’un mois pour lire Villa Vortex), avant de devenir la source nourricière de nouveaux choix de lectures. En effet, à vous lire, j’ai été saisi par l’envie de lire Sabato, Gadenne, Boutang, Bernanos…
Je n’attends surtout pas de me sentir en total accord avec un auteur, ni de croire me retrouver parfaitement en lui, pour le lire et pour aimer son œuvre. Il me semble ainsi parfaitement absurde de refuser, quasiment «par principe», de lire Dantec (à qui, rappelons-le, votre Critique meurt jeune est dédiée) en croyant, sur la base d’informations approximatives et de lectures plus que lacunaires, avoir trouvé en lui une sorte de facho redoutable parce qu’incomplètement assumé ( ce sont là les effets désastreux de la prose fort peu rigoureuse de Lindenberg, mais aussi de l’imprudence de Dantec lors de l’envoi de ses deux ou trois mails au Bloc Identitaire…). Les lecteurs de Dantec, qui peuvent parfois même négliger le rôle que jouent dans son œuvre ses opinions, qu’il consacre pourtant beaucoup d’énergie à clamer, savent que ses livres, et particulièrement son œuvre romanesque (je n’ai pas lu en entier les deux tomes du Théâtre des Opérations) permettent de vivre des heures magnifiques, passionnantes, ne serait-ce qu’au nom de cette beauté transcendante que j’ai évoquée. Je me permettrai enfin d’ajouter que tout Cosmos Incorporated est un livre transi, traversé de part en part, par l’espérance d’une rédemption et d’un avènement de l’amour. Qui se permettrait de trouver «ringards», compassés, voire «un peu trop chrétiens» ces thèmes n’aurait sans doute rien à voir avec ce qui s’appelle tout simplement l’art et la littérature…
Voici, cher Juan, au nom de quels principes, qui ne dépassent finalement guère le simple bon sens et une ouverture d’esprit minimale, j’ai tenté d’approcher votre travail et d’en rendre compte à mon tour. Il me reste à vous signifier ma joie d’avoir pu entrer en contact avec vous, cher Juan. Sans doute connaissez-vous cette étrange satisfaction qui consiste à pouvoir entrer en dialogue, fût-ce de façon brève et par l’intermédiaire d’Internet, avec des personnes dont on respecte le travail. Tous mes encouragements pour la Zone, et éventuellement pour un prochain livre à venir,

amitiés,

Bruno Gaultier.

PS : je viens de recevoir votre mail de ce matin (2 août). Vous m’y annoncez un texte «peu amène» à l’égard des critiques qui ont été émises sur votre ouvrage, texte qui précédera la publication prochaine du mien dans la Zone. L’important, dans la poursuite de votre travail sera sans doute de rencontrer toujours plus de gens ayant l’intelligence de passer outre leurs éventuels désaccords avec vos thèses sur la littérature et le rôle de la critique, pour pouvoir, comme j’ai tenté de le faire à mon modeste niveau sur Systar, signaler les moments cruciaux où nous pouvons nous rencontrer et discuter. Je connais très peu les différents milieux que vous côtoyez et êtes amené parfois à affronter : les revues littéraires, les rédactions de magazines littéraires, toute une certaine presse parisienne qui décide assez vite de ce qu’elle veut (et donc de ce que le public doit) aimer… Mais j’espère qu’à terme, vous pourrez y bénéficier d’une reconnaissance plus large que les rares articles qui ont mentionné votre travail pour en louer telle ou telle qualité. J’ai en tête, par exemple, le silence du dossier sur Steiner proposé il y a quelque temps par Le magazine littéraire, qui se dispensait de citer votre travail à propos de cet auteur. Je n’ai pas lu l’ouvrage que vous aviez consacré à l’auteur de Réelles présences, mais peu importe : il ne me semblait pas qu’il y ait en France une quantité industrielle d’essais sur Steiner au point qu’une bibliographie, même sommaire, puisse évidemment se passer de citer votre livre, entièrement consacré à Steiner et à de possibles et réels dialogues avec la pensée de celui-ci… J’avais trouvé cela surprenant, pour ne pas dire léger. Il reste néanmoins à encourager, autant que faire se pourra, une certaine inflexion de ces magazines, si la chose est pensable et possible, en faveur d’auteurs pourtant majeurs et qui sont trop peu présents dans les colonnes de ces papiers ayant sur le public un impact médiatique et commercial notable…

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09/10/2006

Entretien avec Maurice G. Dantec, 2

Crédits photographiques : Maximilien Brice (© CERN).

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01/10/2006

Karl Kraus en ses guerres

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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28/09/2006

L'origine d'un monde, par Matthieu Jung



Après son texte sur Option Paradis (La Grande intrigue, I) de François Taillandier, voici un nouvel article de Matthieu Jung consacré à Telling, le deuxième volume (qui doit en compter cinq au total) de cette vaste fresque romanesque.

«Il a compris que dans ce monde-là venaient mourir tous les mondes, tous les passés, tous les arrières-pays».

medium_taillandier_telling.jpgLa scène se passe en Irlande, à Dublin, dans les locaux d’une entreprise américaine, presque hégémonique dans le secteur des moteurs de recherche sur la Toile. On pénètre sur le plateau de recrutement, où une cinquantaine de personnes, de toutes nationalités (on parle ici une vingtaine de langues), les yeux rivés à leur écran plat, sélectionnent les cadres qui rejoindront la firme dans les prochaines mois. «C’est jeune, c’est sympa» précise la chef d’équipe française qui fait visiter les lieux à une équipe d’Envoyé Spécial. Elle désigne une bannière irlandaise pendue au mur et un panneau signalétique «Dublin» accroché au-dessous.
«Drapeau irlandais, Dublin, pour pas oublier où on est», explique la jeune femme.
Pour pas oublier où on est.
Bienvenue dans World V.
World V, le monde où l’on oublie où on est.
World V, le monde où, pour la première depuis l’invention de la cartographie, on n’est nulle part. World V, ainsi définit par Charlemagne, un savant professeur de littérature du roman de François Taillandier : «Tous les pays, tous les mondes, toutes les cultures allaient venir se fondre dans World V comme les fleuves dans l’océan. Qu’ils le veuillent ou non, les Terriens allaient s’engouffrer à six ou sept milliards dans l’immense et unique ouverture de WORLD V».
Le journaliste poursuit en voix off :
«Pour attirer tous ces étrangers, Google offre à ses salariés des conditions de travail étonnantes. Des salles de jeux, des friandises et des boissons à volonté, une cantine gratuite.»
De fait, ces «kids définitifs» (comme les appelle Houellebecq dans La Possibilité d’une île), échappés des Poupées russes de Klapish, paraissent heureux pendant leur pause baby-foot.
On en conviendra, World V fait rêver. Ailleurs, Taillandier l’a nommé «planétarisation techno-marchande».
Jour après jour, une simple observation objective de la réalité confirme l’intuition de Charlemagne. World V est le monde où les «seniors» européens insatisfaits de retraites qu’ils estiment trop chiches s’exilent à Essaouira ou Marrakech pour couler de vieux jours dorés; où, après avoir investi la Dordogne, des anglais émigrent en Ariège où ils retapent des bergeries abandonnées pour les transformer en résidences secondaires ; où des travailleurs chinois corvéables à merci débarquent massivement au Gabon au prétexte qu’un «chinois fait le travail de trois Africains» comme l’expliquait récemment Liang, responsable technique de chantiers, au journal Libération. Et d’ajouter : «En plus le travail est mieux fait», précision qui lui vaudrait sous nos cieux une comparution au tribunal pour incitation à la haine raciale.
Toutefois, le destin de l’humanité n’inquiète pas Charlemagne autant qu’il le prétend. Une évidence autrement abominable le tourmente : sexuellement, il a fait son temps. Nonobstant son altière stature intellectuelle, il n’aura plus « la beauté des jeunes filles ». Pour ce quinquagénaire, le supplice commence puisque, à 83 ans, Albert Cohen notait encore dans ses Carnets : «L’autre jour dans la rue, j’ai regardé les déchirantes belles formes d’une nymphe aux tresses blondes, nymphe affreusement vivante, injustement vivante».
Ainsi Taillandier oscille-t-il sans cesse du théorique au concret. On poursuit au fil des onze chapitres de Telling les aventures des familles Herdouin-Rubien, telles qu’elles se sont déroulées depuis 1955.
«L’obsession, la priorité de tout le monde aujourd’hui, mais… c’est le bien-être» affirme pertinemment ces jours-ci Fabrice Luchini dans une réclame radiophonique pour la SNCF. Il faut toujours écouter les publicitaires. Comme Patrick Le Lay, ils nous renseignent avec une vulgarité tranquille sur l’état réel de notre société. Alexandra, la fille de Louise Herdouin – renommée Alexa depuis son retour de la «communauté des croyants» à Haïfa – annonce à son copain Daniel qu’elle va quitter la France, dégoûtée par cette recherche monomaniaque du confort. Là-dessus, elle lève la tête de son café et découvre sur un écran de télévision deux Boeing en train de percuter les Twin Towers.
Sa mère arrive avec son architecte de cousin Nicolas Rubien à ce stade de leur liaison amoureuse où les revendications personnelles émergent comme du chiendent, une fois dissipées les ivresses de la chair. Banal, mais agaçant.
Nicolas Rubien parade pendant les vernissages qu’il organise à son atelier. Concomitamment, d’un point de vue qu’il ne soupçonne pas, sa femme de ménage africaine l’observe, pressée de regagner ses pénates à Montreuil. Elle les méprise, lui et ses invités, non parce qu’elle nettoie leurs saletés, mais parce qu’ils ont «foutu Jésus à la benne», ce qu’elle considère comme le plus inexpiable des péchés. Ils réussiraient à la faire douter, elle aussi, avec leur nihilisme en granit.
L’ex-belle mère de Nicolas Rubien veut rester en phase avec son époque. Elle crée un site Web pour raconter les événements de sa grande famille mais un hacker ruine le projet en truffant d’insanités les textes de la grand-mère. On jubile, bien sûr.
En 1980, la grande sœur de Nicolas entame une analyse : le début du voyage au bout de l’enfer pour ses parents qu’elle accable de griefs et de reproches.
Puis l’auteur enchaîne avec des considérations historiques sur le français et son évolution par rapport au mourske. La langue mourske n’existe pas mais Taillandier l’a inventée. Il a le droit, puisqu’il est l’auteur du roman. Il a aussi inventé «telling», «récit propre à donner un sens et une valeur aux actes, aux comportements, aux processus de la vie», ce qui survient après la fin des dogmes et des vérités d’évidence. Taillandier affirme dans ce chapitre que la France est une idée, et rien d’autre qu’une idée. Mais alors, en quoi des pays comme l’Algérie ou le Mali sont-ils autre chose que des idées ? Ces derniers temps, de trop nombreux crétins pensent surtout que la France est une mauvaise idée, alors qu’elle en est au contraire une excellente.
Dans Telling, on trouve aussi Athanase, un enfant africain qui deviendra plus tard un écrivain; un mariage provincial au milieu des années cinquante, dans une ambiance à la Simenon, où le paterfamilias Raymond Herdouin explore les labyrinthes inextricables de la frustration sexuelle; un pendu dont on ignore s’il s’est suicidé ou si sa séance sado-maso devant un film X a mal tourné, paumé parvenu au terminus sordide de la libération sexuelle.
L’art de Taillandier consiste ainsi à révéler les impasses de World V, en même temps que son irrépressible attrait. Qui d’entre nous voudrait donc encore de l’ancien monde, où «rien d’autre n’était envisageable que de prendre place dans la suite des générations, et de continuer ce qu’avaient voulu les pères, les ancêtres» ?
Alors inexorablement World V s’étend, gagne du terrain. Tout se tient dans ce monde-là. World V ne souffre pas d’incohérence, à tel point que Taillandier postule, à la base de cet avènement, un principe unificateur. Une grande intrigue, qu’il tâche de percer à jour. Marcel recherchait le temps perdu, inlassablement Taillandier fouille les pages Web, les ruines du passé et «les fonds de placard tapissés de vieux journaux» pour y dénicher un maximum d’indices concordants. Une fois glané ces matériaux, il les fond dans la langue française pour leur donner une forme. Comme l’artisan qui porte son nom, Taillandier se lève de bonne heure chaque matin pour aiguiser sa phrase qui nous fend le cœur.
En 2010, quand les cinq romans de La grande intrigue seront terminés, il passera à autre chose. En attendant, l’élucidation du mystère constitue sa raison d’écrire, donc de vivre.
Son ambition esthétique, sa quête intime.
Son telling.

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18/09/2006

Maurice G. Dantec est dans la Zone

Crédits photographiques : David L Ryan (Globe Staff).

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17/09/2006

Le Passé défini de Jean Cocteau est notre présent

Indiens musulmans du Cachemire adressant leur cordial salut à Benoît XVI, photographie de Sajjad Hussain


«L'empereur expose ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles il est absurde de diffuser la foi par la violence. Une telle violence est contraire à la nature de Dieu et à la nature de l'âme. "Dieu n'aime pas le sang – dit-il –, ne pas agir selon la raison […] est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de l'âme et non du corps. Celui qui veut conduire quelqu'un vers la foi, doit être capable de bien parler et de raisonner correctement et non d'user de la violence et de la menace… Pour convaincre une âme raisonnable on n'a besoin ni bras, ni d'armes, ni non plus d'un quelconque moyen par lequel on peut menacer quelqu'un de mort…".»
Extrait du discours de Benoît XVI à l'Université de Ratisbonne (traduction de Sophie Gherardi).


Illustrant l'idée selon laquelle quelques lignes peuvent sauver un livre de la banalité (doublée, dans le cas de l'auteur qui nous occupe, d'une extraordinaire prétention, distillée dans chaque ligne ou presque de ce tome V, à paraître, de son Journal, et d'une très comique croyance aux petits hommes verts...), j'ai noté ce passage (pp. 251-2) que Cocteau écrivit durant les tout derniers mois de l'année 1956 et qui me semble merveilleusement pouvoir s'appliquer à notre époque. Époque du triomphe de l'almanachvermotisme (la trouvaille est de Cocteau) où un pape est contraint de présenter ses regrets et sans doute, d'ici peu, ses plus plates excuses parce qu'il a établi un lien, pourtant évident, que chaque incendie d'église, chaque meurtre d'innocent (bien souvent, les premières victimes sont elles-mêmes musulmanes), chaque insulte jetée à l'un de ces croisés détestés, chaque torture de juif, chaque suicide meurtrier d'un barbu répandant ses tripes dans les airs où les recueilleront avec ravissement les houris promises, chaque assassinat, d'une lâcheté inouië, de moine ou de religieuse, consacre un peu plus, comme s'ii s'agissait d'un sacrement à rebours, entre la haine, la violence et l'islam. Je dis bien : l'islam, et non l'islamisme puisque l'un et l'autre, à mes yeux, ne sont in fine qu'une seule et même réalité; l'islam, s'il veut se débarrasser de son jumeau d'ombre, devra exercer, sur tous ses territoires, y compris les moins explorés, l'empire d'une raison qui ne tolérera aucune borne à son pouvoir. La belle tradition de la lectio divina chrétienne, elle, a déjà, depuis des siècles et continue de le faire, mené à bien cette patiente exploration. Cocteau donc, écrivant ces quelques lignes troublantes : «On se demande quelle religion profonde, quelle idéologie l’Europe peut opposer à la guerre sainte de la Ligue arabe ? Le voilà bien le crime bourgeois, le règne du médiocre, du veau d’or, lequel après avoir guillotiné les aristocrates, fit du peuple sa dupe. Le XIXe siècle a cru que la rue Laffitte et les banques représentaient le pouvoir suprême. L’Amérique sera la première à se mordre les pouces, à se rendre compte que l’argent ne peut rien contre la passion religieuse et l’idéologie, fût-elle communiste (je souligne)»
Un seul passage, vraiment ? Non, il me faut tout de même, à l'égard de Cocteau comme, récemment, pour les lettres érotiques d'Apollinaire à Madeleine, tenter d'être juste. Je reproduis ainsi cet autre extrait (p. 321), datant du 11 novembre 1956, où l'auteur de L'Aigle à deux têtes écrit : «Si nous sommes un jour occupés par les Russes, les communistes français extermineront leurs compatriotes. Ensuite les Russes extermineront les communistes français. En fin de compte si l’Amérique délivre la France, les survivants seront jugés et condamnés comme collaborateurs.»

La plus exquise légèreté littéraire, compliquée par les inutiles tourments de la difficulté d'être, témoigne plus souvent qu'on ne le croit de telles fulgurances.

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16/09/2006

Le Front de Guillaume Apollinaire


Otto Dix, dessin extrait de Der Krieg, 1924.


«En réalité, aucun écrivain ne pourra dire la simple horreur, la mystérieuse vie de la tranchée.»
Guillaume Apollinaire, Lettre à Madeleine du 2 décembre 1915.


medium_A33949.jpgC'est bien sottement que Laurence Campa, chargée de nous présenter les lettres (rééditées par Gallimard en collection Folio) de Guillaume Apollinaire à Madeleine Pagès, avoue ne pas vraiment comprendre les mystérieuses raisons qui ont poussé le poète à rompre avec la femme qui, aperçue une seule fois dans un train le 2 janvier 1915 (sa maîtresse Louise de Coligny-Châtillon, dite Lou, le raccompagna sur le quai de la gare, les deux femmes se virent donc), allait devenir sa fiancée mais aussi celle à laquelle il enverrait des centaines de lettres. Certes, cette rupture a tout lieu de nous déconcerter, qui intervient après des milliers de mots d'amour (et d'autres beaucoup plus explicitement érotiques puis sexuels, le poète initiant sa promise aux joies de la chair dont elle ne savait alors rien) et aussi après que les deux amants ont pu se retrouver (en décembre 1915, dans la demeure oranaise de sa future belle-famille), pour la première fois après tant de mois de séparation. Par quel prodige de cécité Laurence Campa n'a-t-elle donc point vu qu'Apollinaire avait été profondément bouleversé par son expérience du Front, qui lui vaudra d'ailleurs sa célèbre blessure à la tête et, peut-être, quelque aperçu monstrueux de cette «dimension démoniaque de la vie humaine» évoquée par Jan Patočka dans ses crépusculaires Essais hérétiques ? C'est justement après cette blessure que le poète, ne désirant pas même que Madeleine vienne le voir dans sa chambre d'hôpital, cessera de correspondre avec celle qu'il initia, impudiquement (pour nous lecteurs d'une correspondance et de poèmes bien souvent secrets) aux mystères voluptueux de la Neuvième porte... C'est à la même époque que le poète avouera à celle qui était encore sa fiancée : «Je ne suis plus ce que j’étais à aucun point de vue et si je m’écoutais je me ferais prêtre ou religieux.»
Guillaume Apollinaire, apparemment, n'a point écouté cette voix mais, avant de mourir le 9 novembre 1918, il a eu tout de même le temps d'épouser une autre femme que Madeleine qui ne parviendra jamais vraiment à l'oublier, Jacqueline Kolb, surnommée la jolie rousse.
Et cette plongée dans l'intimité d'un écrivain me fait me souvenir, avec un très grand plaisir, des quelques heures passées hier soir en compagnie de Maurice G. Dantec, David Kersan, Olivier Noël et de quelques autres amis dans le bar d'un grand hôtel parisien où nous avons pu commenter la très belle prestation télévisuelle d'Amélie Nothomb et rire de celle, lamentable, d'un Guillaume Durand qui, en guise de commentaire averti sur Grande Jonction, roman qu'il est censé avoir lu, commença, piquant du nez sur sa fiche de non-lecture, d'énumérer la liste des personnages du livre.

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12/09/2006

Sur des illusions perdues... et sur des illusions à entretenir !, par Francis Moury

Eugène Delacroix, Scènes des massacres de Scio, 1824


«Quelques personnes s’imaginent que la loi du talion incarne purement et simplement la justice; les Pythagoriciens l’ont affirmé. Car, tout uniment, ils définissaient le juste : ce qu’on fait subir à autrui, après l’avoir subi de lui. Mais cette loi du talion ne s’accorde ni avec la justice distributive ni avec la justice corrective quoique l’on veuille invoquer ici la justice de Rhadamanthe : Quand on subit le tort qu’on a fait, c’est pure justice.
Souvent pareille attitude est en désaccord avec le droit : par exemple, si un magistrat vous frappe, vous ne devez pas lui rendre des coups; par ailleurs, qu’une personne frappe un magistrat, elle mérite de recevoir, je ne dis pas seulement des coups, mais encore une punition supplémentaire. Ajoutons qu’il faut faire une grande différence entre la faute volontaire et involontaire. […] Mais, dans les relations et les échanges, ce droit de réciprocité maintient la société civile en se basant sur la proportion et non sur l’égalité. Cette réciprocité entre les rapports fait subsister la cité.»
Aristote, Éthique à Nicomaque, livre V, §5, texte, traduction, préface et notes de Jean Voilquin(éd. Garnier frères, coll. Classiques Garnier, 1940), pp. 215-6.

«Elle adorait Lord Byron, Jean-Jacques Rousseau, toutes les existences poétiques et dramatiques. Elle avait des larmes pour tous les malheurs et des fanfares pour toutes les victoires. Elle sympathisait avec Napoléon vaincu, elle sympathisait avec Méhémet Ali massacrant les tyrans de l’Égypte. Enfin elle revêtait les gens de génie d’une auréole, et croyait qu’ils vivaient de parfums et de lumière. A beaucoup de personnes, elle paraissait une folle, dont la folie était sans danger; mais, certes, à quelque perspicace observateur, ces choses eussent semblé les débris d’un magnifique amour écroulé aussitôt que bâti, les restes d’une Jérusalem céleste, enfin l’amour sans l’amant. Et c’était vrai.»
Honoré de Balzac, Illusions perdues (éd. Gallimard, coll. Le Livre de poche classique avec préface de Michel Déon, 1962-1968), pp. 48-50.

«Quelles révolutions ? Celles qui bouleversèrent le monde occidental entre 1770 environ, et 1850. Nous avons montré ailleurs qu’à notre avis la Révolution française ne pouvait être isolée d’un vaste mouvement révolutionnaire qui commença dans les colonies anglaises d’Amérique vers 1770 et ne termina son cycle qu’après les troubles européens de 1848-1849. […] Le mouvement […] n’est qu’un des anneaux d’une vaste chaîne qui a déroulé ses anneaux pendant quatre-vingts ans et fait passer l’Occident du système féodal (plus ou moins dégradé) au régime capitaliste. […] C’est, en effet, de 1780 à 1799 que la Révolution a été la plus violente, et la plus riche en conséquences […] et c’est de 1792 à 1796, qu’en France aussi, elle a formulé les théories les plus audacieuses et tenté la construction d’un régime démocratique et socialisant qui fut éphémère, sans doute, mais marque une intéressante anticipation sur les révolutions prolétariennes du XXe siècle […].»
Jacques Godechot, La Pensée révolutionnaire 1780-1799 (éd. Armand Colin, coll. U, série Idées politiques, seconde éd. revue 1964-1969), pp. 7-8.


Illusions de qui ?
De certains aînés et de ceux qui, par paresse, persistent encore aujourd’hui à penser comme eux ! Et de ceux de nos contemporains qui ne pensent pas mais sont menés par des télévisions, des sectes, des hommes politiques ou des médiateurs qui vendent et formatent tout à leur image : principe d’activité démoniaque dans son essence même d’abord par le plaisir narcissique qu’il procure. Mais pas celles d’Aristote ou Balzac !
Concernant quoi ?
Divers événements du monde d’hier et du monde d’aujourd’hui : ce monde qui est le nôtre autant que le leur mais qu’ils n’ont su ni organiser ni penser… parce qu’il n’est peut-être ni organisable ni pensable ! Les Révolutions prolétariennes de Godechot ont bon dos, vraiment : de la Terreur au Rideau de fer, du Rideau déchiré à Pol Pot, de la Corée du Nord à Castro, on peut dire qu’on aura vraiment bu la coupe jusqu’à la lie.
Organiser sans coercition paraît d’ailleurs difficile mais pas impossible en Europe et l’intellectuel peut jouer un rôle dans une telle «coercition mentale», coercition qui constituerait la première étape d’une restauration proprement occidentale donc rationnelle. «Une de plus…» pensera le lecteur cultivé et… il aura raison ! Au fond, la situation dans laquelle nous sommes évoque celle dans laquelle se trouvait Auguste Comte en 1822, date du premier opuscule majeur du maître. Nos priorités ne sont pas les siennes. Chasser des cercles du pouvoir les nouveaux sophistes que sont les diplomates et les économistes : ce serait la première tâche du véritable politique. Se méfier des anciens intellectuels de la période 1950-2000 : seconde nécessité non moins impérieuse. Revenir aux sources de la pensée française antérieure à 1939 tout en sachant y intégrer les éléments positifs tout de même éparpillés au milieu des décombres de 1950-2000 : troisième nécessité qui exige du sang-froid. Après les décombres matériels, nous avons affaire aux décombres intellectuels. Mais n’est-ce pas une chaîne sans fin, les uns engendrant automatiquement les autres ? Le mythe de l’éternel retour de Nietzsche se confond probablement ici avec l’admirable «loi d'oscillation de la pensée» découverte par Cazamian au sein de l’histoire de la littérature anglaise, concept adopté ensuite par Bréhier pour expliquer celle de la philosophie occidentale. Ce concept existe : il fonctionne admirablement.
Revenons en mai dernier : en promenade au long de la plus belle plage thaïlandaise de Pattaya, face à une mer couleur d’acier, balayée par un vent violent annonciateur sans équivoque d’une mousson précoce et régénératrice, un titre du Monde diplomatique présenté dans une librairie internationale bien achalandée, attire notre regard. «Intellectuels médiatiques, penseurs de l’ombre : guerre des idées». Plus tard, repassant devant, n’y tenant plus, on se fendit de nos 230 Bath. On lit d’abord Ignacio Ramonet se plaindre du silence des intellectuels, face à la lutte des «C.P.F.» contre le «C.P.E.». Il regrette que Derrida, Bourdieu ou Castoriadis soient morts avant d’avoir pu nous livrer leur interprétation sociale du phénomène, qui n’aurait pas manqué d’être lumineuse. Faute de grive on mange des merles : Jacques Bouveresse se plaint (p. 29) de certains «commentaires déshonorants [sur] la crise des banlieues» tandis qu’on reproche aux auteurs «néo-réactionnaires» desdits commentaires leur silence sur la noble conscience sociale des «C.P.F.» face à la fourberie du capital. Il nous reproche aussi, ce spécialiste de Wittgenstein, de ne pas dire franchement qu’on «souhaiterait voir la démocratie remplacée par un autre système». Vraiment, on nous prête de ces idées… un autre système ? Mais lequel, cher ami ? On n’est ni théocrate ni royaliste ni communiste pourtant. Une aristocratie nous plairait bien, comme à Ernest Renan cité malhonnêtement par Bouveresse qui vise au-delà de Renan tout autre chose et même si on entendait «aristocratie intellectuelle» puisque Rome et Athènes sont loin de nous tout de même, et même si Nietzsche… bref… soyons sages ! Et c’est justement ce que prétend obtenir la démocratie française : non pas la sagesse mais une aristocratie intellectuelle sélectionnée par concours et qui gouverne, de facto. Le malheur, c’est que les démocrates en général et les intellectuels de gauche en particulier qui ont gouverné la France nous ont légué un cadeau certes ravissant mais souvent empoisonné. Si on mange le fruit, on tombe à coup sûr malade. La preuve par les faits : trois mois d’état d’urgence tout de même. Jacques Bouveresse ou «la Parole malheureuse» décidément. Toute maladie n’est cependant pas mortelle et une nation n’est pas si fragile qu’un individu, fût-il enseignant au Collège de France.
Alors quoi ? Par quel remède commencer ? Mais contre quelle maladie déterminée ? C’est tout le problème que nous devons résoudre. Et il nous lasse car il est finalement sans intérêt : seul un spécialiste de la parole malheureuse comme Bouveresse pouvait ne pas le savoir. Ses contemporains gauchistes nous ont légué un monde ultra-capitaliste qui a ses bons côtés : les minorités sexuelles sont enfin mieux respectées (tant mieux : le contraire est une preuve de barbarie qui ne trompe jamais et les minorités sont souvent bien plus intéressantes que les majorités); les droits de succession diminuent (tant mieux : pourquoi un homme devrait-il payer des impôts toute sa vie puis en payer encore après sa mort ? Pourquoi l’État français vole-t-il des générations entières de familles depuis des siècles ?); la cinéphilie la plus raffinée est accessible sous forme «dvdphylique» au novice qui croira tout savoir de Fritz Lang grâce à des «suppléments», les musées sont à la portée de tous ceux qui peuvent prétendre vouloir se les payer; Internet met la culture du monde entier à notre portée. Pourtant tout n’y est pas rose. La pauvreté sévit, l’injustice règne, la corruption s’aggrave, et l’intellectuel indépendant – matrice authentique et militante de tous les progrès réels – y meurt souvent de faim exactement comme certains héros des Illusions perdues de Balzac, contemporain direct de Comte. Oui, tel est le «Paradis sur Terre des intellectuels précaires» selon le terme inquiétant qui donne son titre au remarquable article de Mona Chollet, qui résume en somme La Tyrannie de la réalité (éd. Gallimard, 2006). Certains intellectuels cités ne sont pas tout à fait ceux auxquels on s’attendait. Certains privilégient la contre-culture mais la contre-culture n’est-elle pas – déjà et malgré qu’ils en eussent, ses créateurs d’alors ! – devenue de la culture ? Lorsque la télévision nous montre un romancier ou un poète dont les revenus sont assurés, c’est en Chine qu’il se trouve… entretenu par un régime intelligent, «capitaliste militaire» très efficace qui est tout sauf une démocratie. Ironie de l’histoire : en permanence elle nous fait des clins d’œil. Il faut les savourer car ils sont souvent révélateurs. Vous dites que la France est la patrie des intellectuels ? «They say it’s not» (en mandarin dans le texte).
L’économie a toujours été l’art des voleurs de voler les pauvres légalement : c’est le principe du commerce et du bénéfice, de la banque et de l’usure. Notons en passant que cette dernière est, telle quelle, interdite par l’Église catholique comme par le Coran - avec qui nous avons bien des points communs concernant la justice sociale – mais qui prospère sur nos écrans publicitaires à la télévision, à la radio, sur nos murs parisiens. Qu’on ne nous demande pas de bénir les mouvements induits par les errements économiques : ce sont des contingences indignes qu’on leur consacre une heure de peine ! Ces mouvements existent depuis que l’homme est sur terre : le prix du pain augmente et défait les tyrans, crée les révolutions. Bien. Tant mieux… ou tant pis. Le C.P.E. est une ignominie entre les mains d’un patron peu scrupuleux, une chance entre les mains d’un patron honnête et moral. Que dire de plus ?
« – Francis, have you seen last night on TV ? Chirac has lost !» nous disait à Bangkok, en riant, un Américain bien sympathique : paraplégique, marié deux fois mais divorcé deux fois, vivant à Phoenix (la ville où débute, comme chaque cinéphile le sait, le Psycho [Psychose] d’Hitchcock !) et contempteur de la N.R.A. alors qu’il détenait quelques Colt et autres Ruger en toute légalité à son domicile ! «Yes I know… but it’s not important», fut ma réponse. Et c’était vrai : ce n’est pas important. On se préoccupe de choses plus importantes entre gens bien nés. Ses souvenirs concernant le fusil «Garand M1» m’intéressaient davantage : ils témoignaient d’une réalité intangible et authentique.
La diplomatie, cet «art de nager en tenant sa tête au-dessus du fleuve des événements […] question de légèreté spécifique» (Balzac encore, op. cit. supra) prétend régler la question proche-orientale en pesant l’évolution des rapports de forces. Et en prévoyant l’intérêt particulier et général des protagonistes et de leur entourage. C’est le sophisme de l’économie transposée en politique : faire passer un art imparfait pour une science, faire passer une contingence pour une loi. La France est la marraine du Liban : elle découvre que les titres de propriété libanais des Fermes litigieuses d’un coin du Liban sont parfois ornés de cachets français. Elle a la mémoire courte. Et l’Italie enverrait davantage de soldats que nous : quelle honte pour nous ! L’attaque israélienne aurait dû provoquer une riposte française si la France faisait honneur à ses traditions… d’honneur. L’affaire «Sentier 2» a récemment traité du vol de sommes colossales détournées de Paris vers Israël : est-ce qu’un économiste aurait pu prévoir ces escroqueries que la France aura bien du mal à punir – donc à se faire rembourser ! Certains de ses auteurs – y compris deux rabbins ! – sont en fuite vers ce pays qui n’a pas de convention d’extradition avec la France pour ses propres ressortissants, si on a bien compris ? Il y a de ces coïncidences qui tombent mal. Qui vole un œuf vole un bœuf ! Vieux proverbe français.
«La patrie arabe est cette partie du golfe qu’habite la nation arabe et qui s’étend entre le mont Taurus, les monts Pocht-i-Kouh, le golfe de Bassora, la mer Arabe, les monts d’Éthiopie, le Sahara, l’océan Atlantique et la mer Méditerranée» : cet extrait de la constitution de la République arabe de Syrie, rédigée en 1972 et citée par Anne-Marie Perrin-Naffakh (Syrie, éd. du Seuil, coll. Petite Planète, 1979) donne pourtant bien la mesure de l’erreur commise par l’Occident depuis 1948, date de la création de l’État israélien, et date d’une guerre qui dure depuis… 58 ans. Pas encore 100 ans mais presque 60 ans : tout de même quelque chose, non ? ! Ce peuple hébreu ne pouvait-il pas tout bonnement songer à acheter une terre au lieu de la voler-conquérir ? Un tel peuple réputé commerçant émérite – sa diaspora nous le prouve tous les jours de par le vaste monde – ne pouvait-il songer à réunir quelques millions de dollars-or des années 1920 et acheter une île indienne ou un coin de Patagonie ? Aussi bien qu’un désert mais surtout moins dangereux pour la paix du monde, tout de même ! Éh bien non ! Ils ont pensé à tout sauf à ça : acheter une terre qui leur manquait mais qu’ils pouvaient acheter. Certains ont une terre mais pas l’état. D’autre ont l’état mais pas la terre. On peut acheter l’un et l’autre. Si on veut prendre de force l’un ou l’autre, alors… on en paye le prix. Les Hébreux contemporains ont réussi le tour de force, au bout de cinquante ans, de n’avoir aux yeux du monde entier ni vraiment l’un ni vraiment l’autre – et cela qu’ils soient israéliens ou non ou qu’ils soient «double-nationalité» ! Ce débat est rebattu et la cause est entendue depuis longtemps : celui qui sème le vent récolte la tempête. On n’est pas fanatique de l’idée d’État : on préfère la raison à l’État et on n’identifie nullement l’un à l’autre. Et on préfère le concept de charité à celui de raison : une chose que l’Ancien testament n’a jamais comprise.
La France est en outre la marraine du Liban : pourquoi est-elle réticente à le défendre contre une agression ahurissante menée par un État-voyou et prédateur soutenu par les U.S.A. ? Le problème principal de la paix est celui de ce soutien inconditionnel des U.S.A. à Israël : il doit cesser. Tout comme le soutien de l’U.R.S.S. à la Syrie a cessé. On ne va pas jusqu’à souhaiter la disparition du régime des U.S.A. : il est imparfait mais amusant et il fonctionne assez bien tout de même. Certains semblent pourtant croire que les voies de Dieu passent par le Mossad et Washington. Les U.S.A. qui étaient le garant de la paix d’une partie du monde sont désormais fauteurs de troubles – directement ou par intérim : ils voulaient un pétrole assuré et depuis leur intervention en Irak, ce dernier n’a jamais été aussi cher. Songeons au marché impressionnant représenté par la nation arabe et par les pays musulmans – ensemble auquel on peut adjoindre les Perses iraniens chiites : ce marché économiquement intéressant, aussi vaste que la Chine, n’a pas vocation à être ennemi de l’Occident. Pourquoi l’Occident s’allie-t-il à Israël qui est son prédateur inné ? Si la Ligue arabe se fonde non plus sur les idéaux baassistes mais sur un chiisme militant et universaliste à outrance, à qui la faute sinon à l’Occident ? Bref, en un mot comme en cent, le Hezbollah n’est pas l’ennemi de l’Occident : il est l’ennemi d’Israël.
L’enfant turbulent de cette guerre des Juifs – qui ne concerne a priori absolument pas le Français moyen catholique ou agnostique ou athée – est typiquement Ousama Ben Laden. Sans elle, peut-être n’aurait-il jamais retourné ses armes – qui avaient si bien résisté à l’expansionnisme soviétique dès 1980 – contre la C.I.A. ? Cette dernière est coupable à ses yeux d’assistance immorale à Israël, ennemi de l’Islam et de la Grande nation arabe. Que la tendance de cet Islam soit sunnite ou chiite accessoirement suivant les nations particulières, et contrairement à ce que répandent les analystes assermentés ou partisans évidents du côté hébreu. Pour Ousama Ben Laden, il est trop tard, et contre lui nous devons nous allier aux U.S.A. : c’est entendu ! Les autorités religieuses sunnites comme chiites le considèrent comme fanatique et criminel : il est marginal à juste titre. Mais pour le reste ? Nation arabe et bloc islamique (Iran inclus même si l’Iran n’est pas une nation arabe mais une nation perse) son des amis naturels de l’Occident chrétien et même de l’Occident chrétien libéral que nous connaissons aujourd’hui. Chacun peut tirer grand profit d’une amitié fructueuse si les Nations arabes et ou islamiques deviennent un peu moins rigoureuses et davantage sybarites. La question est sociologique et morale. On ne demande pas la Lune : qu’on cesse de menacer ou de persécuter ouvertement la diversité des pratiques sexuelles dans presque tous les pays arabes et islamiques ! C’est une preuve d’arriération intellectuelle : qui peut sérieusement penser qu’un Dieu s’intéresse à ces points contingents même si charmants ! Qu’on cesse d’interdire l’entrée de leurs territoires aux séropositifs comme s’ils étaient contagieux ou criminels – ce que pratique d’ailleurs l’Amérique de Bush alors que la France recevait les Américains malades par dizaines dès la découverte de 1983 ! Qu’on permette la liberté intellectuelle et artistique d’expression et qu’on abandonne l’expansion de l’idée théocratique ! Que cette idée elle-même soit humanisée, en somme… sa radicalisation est d’abord une conséquence directe de la Guerre des Juifs au proche-Orient.
Tous les intellectuels d’avant-guerre – dont T.-E. Lawrence ne fut pas le moindre ! – savaient que l’Occident ne pouvait se passer de l’Orient même si la Ligue Arabe date de 1945 en réaction aux pressions grandissantes des sionistes sur les Anglais en Palestine, donc trois ans avant la création d’Israël. Il faut le réapprendre aujourd’hui contre les intellectuels occidentaux vendus à l’idéal sioniste – idéal en soi sympathique mais malheureusement dégénéré depuis qu’il est appliqué en Palestine. Quant à l’Iran, on connaît la formule rapportée par Vincent Monteil – dans son petit livre si suggestif (Iran, éd. du Seuil, coll. Petite planète, 1957, revue en 1978) – selon laquelle l’Islam n’était qu’un moyen de mettre dehors les Anglais ! Formule ancienne qui pouvait passer pour juste avant la Révolution de 1979 mais qui contient encore une part de vérité : la République islamique d’Iran est une République cousine de la France ou de l’Allemagne. Et on sait que les Juifs libanais avaient des passeports iraniens dans les années 1970. Aujourd’hui la République islamique modifie un peu la donne. Le problème sunnite en Irak, l’expansion chiite en Irak sont des «problèmes internes» qui n’ont pas vocation à modifier nos relations avec ces pays. Seuls les terroristes peuvent vouloir les utiliser à cette fin : une fois qu’ils seront hors d’état de nuire, les fumées qui nous masquent la réalité se dissiperont. La réalité est un vaste agrégat de peuples qui ont vocation géographique à marcher distinctement aux côtés de l’Europe et non contre elle.
La politique de la France est de ce point de vue assez bien équilibrée. Elle aurait bien vocation à être celle de l’Europe dans son ensemble. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – pour les Iraniens d’avoir procédé à une Révolution authentiquement religieuse en 1979 même si elle choque notre individualisme atavique – ne signifie pas forcément exportation mondiale d’un modèle théocratique même si tout modèle a vocation à devenir universel. Mais n’est-ce pas là la grande erreur française comme allemande comme hégélienne : penser que tout sens rationnel, voire que tout modèle peut et doit être universel ? C’est l’erreur que ne se lassent pas de dénoncer les intellectuels japonais interrogés par Jean D’Istria et dont nous vous parlerons bientôt. L’éditeur de ces dialogues passionnants est à «Paris et Tel-Aviv» (1), soit dit en passant. Et il est vrai que certains intellectuels islamistes ne peuvent s’empêcher de la commettre : ils ne se dénomment pas intellectuels mais «serviteurs de Dieu» bien qu’ils pensent rationnellement un concept parfaitement compris et aperçu, jusqu’en ses dernières conséquences. «C’est trop idéaliste… et de ce fait, cruel.» comme disait Dostoïevski cité par Deleuze en exergue à sa Présentation de Sacher-Masoch (éd. de Minuit, 1967) ! Même si la flagellation passive peut avoir une portée religieuse (catholicisme réaliste des Philippins, mysticisme collectif d’identification aux fondateurs du chi’isme, etc.) il faut convenir qu’elle n’est pas – a priori – l’ennemie de l’humanité mais une forme intéressante de son expression culturelle.
L’Occident doit savoir séduire à nouveau par des actes : il est touchant de voir de si nombreux étrangers (souvent anciens colonisés de la France qui n’ont pas oublié les bienfaits de cette période souvent bien plus brillante que celle de leur misérable période d’indépendance postérieure, synonyme de ruine et de chaos pratiquement ininterrompus) vouloir devenir Français. Laissons-les donc devenir Français ! Et pourquoi pas ? S’ils choisissent la France, ils renforceront notre modèle tôt ou tard. Les U.S.A. dont l’administration pose tant de problèmes au monde actuellement ont créé leur force ainsi : en agrégeant ceux qui le désiraient car les U.S.A. savaient qu’un modèle désiré est un modèle puissant qui augmentera sa puissance ! Alors agrégeons ! Oublions l’état d’urgence : c’est une écume sur la mer de l’humanité. Soyons simplement intraitables avec les criminels qui voudraient s’immiscer dans ces cohortes : que la police française prenne modèle sur celle des U.S.A. si respectée et si puissante ! Ce désir d’agrégation à la France est d’ailleurs un signe que la décolonisation française – en Afrique comme en Asie du Sud-Est comme partout ailleurs – fut prématurée. C’est l’évidence. N’est-elle pas le signe qu’une nouvelle période de colonisation est souhaitable ?

Si nous revenions comme associés souhaités dans ces pays, avec la double-nationalité valable dans les deux sens, quel bénéfice permanent des nations comme le Cambodge ou le Mali n’en tireraient-elles pas ? Les États de ces pays sont exsangues et incapables de les gérer correctement. Nous savions le faire. Nous saurons le faire demain tout aussi bien, si les intéressés nous le demandaient. Au conditionnel ? Ne cessent-ils pas de nous le demander pour une bonne partie d’entre eux ? Ils sauvent la face mais ne peuvent se passer de «l’aide internationale» qui n’est qu’une colonisation rampante. Paul Valéry a eu finalement tort de s’attrister : tout est encore possible pour l’Europe ! Elle peut redevenir bientôt la maîtresse morale et économique du monde si elle prouve la justesse de ses vues à ce restant qui nous observe passionnément. Même les U.S.A. reviendront dans notre giron moral et diplomatique, économique : nous ne pouvons être trop séparés trop longtemps. Des liens trop puissants nous unissent. En attendant ces jours heureux, nous redisons tranquillement que la France doit notamment être prête à mourir pour le Liban – au sens où on parlait de «Mourir pour Dantzig», qui sait ? Oui… qui sait ! Car le Liban est l’exemple même de l’innocent et il n’est pas sans signification que cet innocent soit issu politiquement d’une volonté française. Par delà les intérêts syriens et israéliens, le Liban doit être maintenu comme exemple de la justice française face aux volontés hégémoniques les plus variées.

Note :
(1) Il s'agit des éditions de l'Éclat dirigées par Michel Valensi.

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10/09/2006

Grande Jonction de Maurice G. Dantec : premières impressions

Crédits photographiques : Bill Ingalls (NASA/Reuters/Handout).

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08/09/2006

Angelus ex Machina, 5 : du labyrinthe du récit

Crédits photographiques : J. Spencer (Lowell Observatory and Nasa/ESA).

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06/09/2006

L'étrange fascination pour le Mal : Les Diaboliques, par Germain Souchet

Kirk Nielsen (National Geographic Photo Contest).

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03/09/2006

Suite de l'entretien avec Bruno Gaultier

Crédits photographiques : Laszlo Balogh (Reuters).

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31/08/2006

Falk van Gaver sur la route de la foi

Crédits photographiques : Charlie Riedel (Associated Press).

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29/08/2006

Angelus ex Machina, 4 : la voie de la dévolution

Crédits photographiques : Bruce Weawer (AFP/Getty Images).

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24/08/2006

Angelus ex Machina, 3 : de la Machine, justement

Crédits photographiques : Bill Ingalls (Nasa).

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22/08/2006

Günter Grass, l'imposture, par Germain Souchet

Michael Patrick (Knoxville News Sentinel via Associated Press).

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20/08/2006

Angelus ex Machina, 2 : de la servitude volontaire

Crédits photographiques : Bill Ingalls (Nasa).

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15/08/2006

Les sept damnations ou Des inventions que leurs ennemis ne pardonneront jamais aux Juifs ni à leur Dieu, par Frédéric Gandus

Crédits photographiques : David Guttenfelder (AP Photo) pour le National Geographic Magazine.

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12/08/2006

La guerre contre le Hezbollah ne fait que commencer, par Alexandre Del Valle

Crédits photographiques : Alessandro Della Bella (Keystone/Associated Press).

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09/08/2006

Demain dans la bataille, oublie-moi, in amori et dolori sacrum, par Sarah Vajda



Pour Pierre-Guillaume de Roux.

Ils n’iront pas à Rimini voir le monument de Paola et Francesca – le film de Zurlini sera le tombeau de leur brève rencontre.
Sous le signe de Dante, un corps à cœur où l’Histoire et la mort sont maîtres du destin.

«Ensemble nous lisions, par plaisir, de Lancelot comme Amour l’étreignit, seuls nous étions et sans soupçon de nous…». Zurlini, à son tour nous conte comme amour étreignit un jeune homme qui ne pensait qu’à demeurer planqué, loin des querelles humaines, loin de la guerre extérieure comme de la guerre civile, un été 1943 et une femme, trois fois soumise à sa caste, à son époux et à l’amour maternel, illustre encore ce vers déchirant : «Il n’est pire douleur qu’un souvenir heureux dans un jour de malheur», et nous convie, à notre tour, à suivre in inferno (les deux citations sont tirées du Chant V de L’Enfer de Dante), les ombres anonymes de Roberta et de Carlo disparus un été 1943 de la mémoire humaine. Un homme et une femme dans la guerre livrés à la honte et à une souffrance qui ne saurait, interdite, recevoir aucune consolation.
La guerre, pour nous qui ne la connaissons encore qu’aux actualités télévisées, au ciné, en littérature et dans nos livres d’histoire contemporaine, engendre un étrange sentiment qui irise Été violent d’une insupportable beauté.
Quoique la nuit, parfois, tire sa lumière des avions et des bombes, la vie des civils en temps de la guerre ressemble à notre vie en temps de paix, Charlus et Saint-Loup nous y avaient habitués et nous savons comme la lumière des villas brillait à quelques mètres des camps de la mort, que des enfants y sont nés, ont été chéris, nourris et que la vie mondaine, la diplomatie, les garden-parties avaient lieu à Berlin, le plus naturellement du monde, loin des hurlements des chiens, des sirènes et des glaces de l’hiver russe. Nous savons aussi comme à Paris, les théâtres et le dernier métro bondés assourdirent les cris des suppliciés. Ce savoir théorique, obscène et rassurant, déchire nos cœurs de spectateurs, par le miracle du cinéma. Zurlini appartient à la race des grands et nous nous insurgeons de le voir classé «mineur », fils d’Antonioni, de Rossellini ou de Visconti. Sa caméra caresse les visages, les objets avec douceur, les plaçant à distance, nous condamnant, dès les premiers instants, à porter le deuil de l’idéal, de la beauté dans le temps même où elle nous les offre, présents donnés et retirés, à l’instar de l’éblouissement de Mesa, sur un certain pont d’un certain bateau en route pour la Chine. Cinéaste du délaissement, du désespoir, le maître nous convie à contempler la destruction de la beauté, de l’ordinaire, sans aucun effet de mise en scène ni forfanterie. Par un prodige qui n’appartient qu’à lui, nous regardons, sur la plage de Riccione, des jeunes gens jouer à ces jeux sans danger de flirt et de hasard dans la lumière de l’été, certains qu’un événement est venu anéantir ces corps et cette joie. Pas de présent dans cette narration, un passé qui contient l’avenir, la mort que Barrès voyait déjà au travail dans les corps somptueux des cigarières de Séville, à la trilogie «sang, volupté et mort» fait écho peur, abandon et disparition. Deux heures durant, nous attendrons en vain l’événement. Zurlini possède encore, ce qui le rend si rare, ce don particulier de ne pas clore ses films afin de confier à notre mémoire des destinées ordinaires et tragiques. Potentiellement nôtres, il va sans dire. Désormais la fille à la valise et Roberta prennent leur place, aux côtés de certains visages de clochards célestes, entrevus, enfants, au temps où la dureté du monde n’avait point encore émoussé nos âmes. De Roberta et de Carlo, après la bataille, nous ne saurons rien, comme nous ne savons rien des miséreux aux carrefours de nos villes. Au cinéma, la sensibilité anesthésiée revient et avec elle, le mystère de la sympathie, la révolte contre l’ordre du monde, la détresse de notre finitude qu’augmente la non-résolution de la douleur humaine dans l’œuvre d’art. Contrairement au diktat moderne, celui qui a cours de Kafka à Céline, nous avons pourtant résidé dans l’absolu. Plus dure sera la chute ! De cette tension, entre la beauté des corps, des sentiments, l’ordonnance des plans, la grâce des décors et leur dissolution dans le néant du générique de fin, renaît une insupportable détresse que rien n’atténuera. Zurlini appartient à la race des artistes blesseurs, comme Chateaubriand et Barrès selon Barthes, appartenaient à celle des «écrivains glisseurs». Zurlini semble s’être donné pour but de déchiqueter nos âmes en filmant, contrepoint de son récit, la splendeur du monde. Comme l’argent tendu à la fille à la valise par l’aristocrate déniaisé efface et avilit l’aventure, la séparation des amants de Riccione sous les bombes anéantit tout souvenir de la passion soufferte. Comme nous aurions aimé qu’ils meurent ensemble d’un éclat de métal ! Qu’ils aillent se noyer – au moins, aurions-nous été certains de la véracité de leur sentiment, certains d’avoir été les témoins d’une chose extraordinaire qui ne frappe qu’une fois à la porte des cœurs ! Même pas. Roberta rentre à Riccione retrouver sa fille, son veuvage, sa maison gardée par une mère dont elle ne connaît que ce visage de duègne, et nous l’imaginons, après l’aventure, mère, elle aussi, hésitant entre vivre et mourir, emmurée vive ou vivante – morte, certains qu’il ne saurait y avoir d’épiphanie : un journal intime laissé à sa fille où elle clamerait avoir marché sur la Route Madison, et y avoir connu la joie jamais démentie qui l’aura accompagnée au fil du temps ! Zurlini ne compose pas de mélodrames, mais dispose les merveilles humaines comme des mets sur la table d’un banquet, dont un mur invisible nous sépare à jamais. Sa force réside en ce prodige de nous condamner à désirer la mort des amants ! Roméo et Juliette, Phèdre même paraissent des bluettes comparées à ses films ! La dona à la casa, Kuchen, Kitchen, Kirsche, le programme des mères ne souffre, sous aucun climat, de variantes. Les femmes le savent, elles ont entendu la porte claquer, épuisées par l’effort, dans la salle dite de travail ou au lit familial, où leurs mères avant elles mirent bas et entendirent, leur tour venu, le corbeau croasser, nevermore. Contrepoint, la mère de Carlo, celle par qui le scandale hier arriva, fut comédienne, «La Pompadour» ricanent la ville et les honnêtes femmes avec elle, qui s’enfuit – heureuse Périchole –, abandonnant pour son art son époux et son fils de quatre ans, jetant le discrédit sur le domaine, faisant de Carlo un planqué, un lâche : un Vitelloni.
Le film inachevé, Carlo ira-t-il où vont les hommes ? En cet étrange pays où n’entrent point les dames, où seules sont tolérées, bataillon de la joie, Joy division, les prostituées ? L’aristocrate Roberta pourrait y suivre son homme, tant la passion efface les tracés ordinaires jusqu’à l’insoutenable. Carlo, cédant à ses larmes, venait d’accepter de déserter, sursis épuisé, se résignait à entrer dans l’immonde cohorte des hommes sans honneur, des bannis, des proscrits, devenu gibier de peloton d’exécution, quand le cadavre d’une fillette, soudain, de ce cauchemar, qu’est leur merveilleux amour, les réveilla. Si Riccione était bombardée ? Si sa gosse mourait ? Kuchen, Kitchen, Kirsche ! Responsabilité illimitée.
Ira-t-il à la guerre ?
Heureux mâle qui, dans ses mains, possède le pouvoir de sublimer passion et douleur, servant son pays et la cause commune, spectatrice, je l’ai envié et vous, qui m’accompagniez ce soir-là, comme vous m’avez émue, me demandant si je croyais qu’ils se retrouveraient après ? Je vous ai répondu, un peu vivement, je l’avoue : «Ils vivront en F2, élevant la gosse du héros, en attendant de lui donner des frères et des sœurs !» Et nous avons convenu de la dureté de Zurlini. La passion – chose que Barthes, non sans raison, craignait plus que toute chose en ce monde – condamne ses victimes. Au premier assaut, elles devraient fuir ! Le peuvent-elles ? Dionysos et Aphrodite aveuglent ceux qu’ils veulent perdre. Les victimes croient à un diable au corps passager, un incendie que l’étreinte circonscrira, parient sur les vertus de l’ombre et du secret, se persuadent toujours qu’il suffit d’aller au désert, ici à Rovigo, la cacher pour qu’elle se mue en amour, en tendresse, en habitude ! Seul le mariage et ses suites éteint le feu. Il ne saurait en être question ici, d’autant plus que l’esprit vient à Carlo comme il ne vient pas aux femmes, devenu homme par la pratique de l’amour, il doit désormais rejoindre les siens, un bataillon. Lequel ? Il n’importe ! Suivre son père, rallier Salo ou partir au front, Carlo, levant les yeux sur Roberta, doit devenir digne de l’objet aimé, dans le temps misérable où la jeune veuve se découvre pis que pucelle ! «Détourne les yeux, je ne veux pas que tu me vois à l’heure où je fais cet aveu, j’ai été mariée longtemps et je ne savais pas la chose possible.» La chose ? Cette alchimie de l’entente physique et du plus fort amour, ce à quoi renonce Madame de Clèves, certaine de préférer la mort à la possibilité de la fin de la passion, offrant au Christ sa vie, en dédommagement de cette païenne pensée qui hante le christianisme, la chose arrivée à Guenièvre, femme du Roi Arthur. La passion métamorphose la parfaite Roberta, à qui une Nurse autrichienne avait enseigné la retenue, la rigueur, en folle, en fille perdue. Et le moyen qu’aurait son amant de l’aimer encore ? Sa chasteté, sa tenue, sa douleur, sa tournure d’amazone, malgré elle, la rendaient désirable. À présent Roberta a connu l’entrave, sera devenue commune. Admirable moment que celui de son retour nocturne : sa fille a eu un cauchemar – comme on la comprend – sa mère reposait sur la plage dans les bras d’un autre, en dépit du péril de l’été 1943, la nièce, cruelle jeune fille qui ignore encore les puissances du désir, quitte l’impure demeure, préférant le danger des bombes et abandonne Roberta à ses démons, sa culpabilité, sa solitude extrême que les bras de l’amant ne sauraient en cette extrémité consoler. À l’acmé de la vie, comme au zénith, à midi l’heure juste, surgit toujours l’acédie et la passion en est l’un des plus trompeurs et plus charmants visages.

En moins d’une heure, Zurlini nous a ensorcelés.
Tout d’abord ce furent les images désuètes de la Côte sauvage, mélancolie particulière des années 1960, où nos pères étaient encore des hommes jeunes, douceur sans égale du dernier été avant l’entrée dans l’âge d’homme, puis, toujours aussi posément, rythme étal du cinéaste, la magie du premier regard et, point d’orgue du film, la soirée où Carlo et Roberta se dévorent des yeux, chacun dansant avec un indifférent au son d’un disque américain Temptation, plaisir de l’après-guerre déplacé au cœur de la tourmente, au centre de la guerre, éclairé par les avions traceurs dans un ciel d’été, comme un feu d’artifice, à l’instant du premier baiser béni, non par «les séraphins en pleurs et la lune attristée», mais par l’aviation du monde libre. En effet, en ces temps où Roberta et Carlo se donnaient l’un à l’autre, enfants perdus de la grande histoire, leur pays combattait aux côtés du Caporal H. L’Officiel des Spectacles promettait un Diable au corps. Nous avons tâché de croire qu’il ne s’agissait que d’une love affair sans conséquence et non de cette atroce chose dont Dionysos, Aphrodite autrefois, affectaient les Anciens. Feu aux corps, aux cœurs, à l’âme, surgi chez deux jeunes gens de condition égale, il peut s’éteindre sous la douche du mariage et les soins des enfants, qui, en l’absence de légitimité sociale, calcine, anéantit les amants. Il suffit que Clio, à cette danse macabre, ajoute son couplet pour que la toute petite histoire – celle de Phèdre et d’Hippolyte, de Paolo et de Francesca – devienne sublime.

Pas un instant, Zurlini n’a oublié de filmer la guerre, le péril, devenu le moteur, la condition peut-être du passage à l’acte, la marque de la finitude qui exige, par contraste, le retour de la vie. La première rencontre sur la plage : une enfant hurle, dans le fracas d’un avion militaire survolant en rase-mottes les corps offerts à la fournaise de juillet, Carlo la prend dans ses bras et l’orpheline, étonnée de la douceur d’un torse mâle, refuse les bras de sa mère, forçant Carlo à raccompagner Roberta et Roberta à savoir la disgrâce de la famille, la condamnant à marcher vers la tragédie en connaissance de cause, rendant plus insupportable aux nerfs du spectateur l’attente de l’événement. Si Carlo avait appartenu à une famille de héros, s’il avait été lui-même un héros de guerre en permission, la chose eût été possible. Si la nuit du premier baiser n’avait été nuit de guerre, peut-être ce baiser serait-il demeuré en suspend, devenu un souvenir heureux dont ils auraient, devenus vieux, souri en voisins ? Et aussi, la nuit de l’abandon ne fut-elle pas, ce 25 juillet 1943, la nuit où la plèbe titiste, enhardie par la chute du Duce, retrouvera son courage et déboulonnera la statue du tyran toléré ? Seraient-ils passés à l’acte, sans cette odeur de carnage, de sang et de mort, répandue sur la paisible ville où il n’arrive jamais rien ? Les carabinieri, à leur tour, précipiteront les amants vers cette voie ferrée, ce train stoppé en rase campagne où, sous les bombes, les amants se diront un éternel adieu, brusquant leur décision, renvoyant la femme au gynécée et l’homme à sa destinée.

Unis dans leur chair et leur âme, l’homme et la femme appartiennent à deux espèces différente. Aussi la passion ment-elle qui affirme l’unicité des corps.

Impitoyable, Zurlini d’Été violent au Désert des Tartares a bâti une œuvre qui doit moins à son temps, le nôtre – où X Y, loin de la guerre, nous devons accepter être nés asexués et devenir ce que bon nous semble –, qu’au legs primordial : Iphigénie, Les Troyennes

En sortant du ciné, si l’orage nous avait surpris, je gage, mon ami, que nous aurions cru entendre, sous le tonnerre, la guerre qui rôde non loin de nos frontières… au pays d’Utopie où la douceur du texte, le buisson ardent de la langue avaient conduits des amants malheureux, à leur tour, devenus soldatesque ou victimes.

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31/07/2006

Cosmos Incorporated de Maurice G. Dantec (Angelus ex Machina, 1)

Crédits photographiques : Scott Andrews (Nasa).


«Il est arrivé par l’Astroport International de Windsor, pour se rendre à Grande Jonction. Il est doté d’une technologie clandestine. Et il doit exécuter un homme» (34. Les pages entre parenthèses renvoient à l'édition d'Albin Michel).

Commençons : nous n'avons besoin de rien de plus que ces trois phrases concises, de science-fiction, il me semble inutile de l'indiquer. N'en déplaise d'ailleurs à Angelo Rinaldi qui affirme dans l'un de ses plus mauvais articles, avec une extraordinaire prétention et, ma foi, une sottise qui d'habitude l'épargne, ne pas aimer ce genre : «le recours à la science-fiction écrit-il ainsi, c'est déjà un signe de faillite chez un romancier». Pourquoi notre éminent critique littéraire se prive-t-il alors de citer quelque nom digne d'opprobre qu'il jetterait ainsi aux chiens pelés de l'orthodoxie littéraire ? Parce que monsieur Angelo Rinaldi, qui chaque semaine répète [il faut désormais employer le passé], du haut de son tabouret laqué, son numéro de caniche beuvien, n'en connaît tout simplement aucun, de ces écrivains qu'il méprise généreusement. Or, je veux bien pour ma part, que l'on me présente aujourd'hui, dans notre France à la littérature moribonde, je veux dire crevée, un écrivain, un seul, de la trempe d'un Dick, d'un Delany, d'un Herbert ou d'un Ballard, je dis bien un seul écrivain d'une dimension ne serait-ce que voisine de celle de ces auteurs (et combien d'autres !), afin que j'échange son roman le plus bâclé, pas même, la moindre de ses plus mauvaises lignes contre les productions tout entières, passées et à venir, d'une Nothomb, d'une Angot, d'un Zeller, d'une Millet (Catherine), d'un Jardin, d'un Sollers et, pourquoi pas, d'un Rinaldi. Et encore, comme je reste modéré et digne d'éloge... Car notez tout de même que j'évoque Rinaldi sans oser le mêler, de peur qu'immédiatement son fier patronyme ne s'invertèbre, à celui du liquéfide et amollifiant Assouline qui, sans honte à l'égard de Houellebecq (ou tout simplement de ses propres lecteurs), épand avec application son crachat de puceron [note indisponible] sur ses terres plantées de courges ! Mais passons car Olivier Noël, avec la sécheresse légiste qui convient à ce type de maigre dissection, à écrit ce qu'il fallait écrire sur l'inévitable farce médiatico- (j'ose à peine ajouter ce terme) littéraire qui décidément semble, pour ces gourmets que sont les journalistes, constituer l'ultime nectar, la graisse purulente d'une charogne qu'ils sucent avec délice. Chaque année. Durant la même période. Sans jamais se lasser. Ils sucent. Le même monceau répugnant de viscères dévidés. Chaque année. Ils se battent même pour racler le morceau le plus avarié de la bête lascive. Répétant les mêmes phrases qui sentent l'ammoniac. Voilà ce que baisent ces Goncourt aux langues empâtées de truismes, l'inamovible et lubrique charogne d'une catin mille fois prise : la littérature française, vieille bassine au fond marneux que grattent ces perpétuels nécessiteux.

Oui, passons décidément. Et tant pis pour l'évocation de la charogne, qui fit les délices d'un Baudelaire, d'un Heym ou d'un Benn.

Qu'en est-il des textes [recueillis dans ma Critique meurt jeune] que je vais publier dans les jours qui viennent ? Il ne s'agit non pas d'un article, à proprement parler, de critique, progressant dans la linéarité d’une écriture pliée à la contrainte d’une lecture qui se devait tout de même d’être logique, de suivre la voie aride de la concaténation, comme je l’écrivis pour Villa Vortex, le précédent roman de Dantec. Plutôt, ici, quelques courts textes ou divagations (il en va de l’errance dans ce mot) écrits au gré de ma lecture de Cosmos Incorporated, toutefois ordonnés autour de thématiques évidentes comme la liberté, la Machine ou encore la beauté. Certitude en somme que ce type de texte sans claire structure s’adapte mieux que d’autres, plus rigides, plus contraints, à la temporalité sinueuse, souvent réversive, de toute lecture mais surtout méfiance grandissante, je dois le dire, vis-à-vis de la démarche critique même, dont le but inavoué est de déplier ce qui était plié, à savoir le livre. Ici, dans les lignes qui vont suivre, je ne déplierai rien mais tenterai d’illustrer cette évidence naguère relevée par Don DeLillo dans L’Étoile de Ratner : «L’importance du message de l’étoile de Ratner, indépendamment du contenu, c’est qu’il nous dira quelque chose d’important sur nous-mêmes». Nul doute sur ce point dans mon esprit : à son tour, Cosmos Incorporated tente de nous mettre en garde en disant, sur nous et plus encore sur ce qui nous attend, quelque chose d’important, qu'il serait suicidaire d'ignorer et de mépriser, quoi que l'on pense par ailleurs de l'écrivain. Ce que nous faisons ; je veux dire : mépriser ce que nous dit Dantec, voilà bel et bien ce que nous faisons, les imbéciles confondant deux mépris, celui qu'ils témoignent à l'auteur et celui qu'ils réservent, le petit doigt levé, à ses écrits.
De Cosmos Incorporated, le pire des contresens serait d’affirmer qu’il ne ferait qu’obéir aux lois du genre, par exemple celles, plus que maîtrisées par l’écrivain, de la science-fiction. Bien évidemment, Cosmos Incorporated est une œuvre d’anticipation, même si je dois immédiatement ajouter que ce roman décrit moins un probable futur qu’un présent bien réel mais que nous ne savons pas voir, que nous refusons plutôt de voir. Que nous méprisons. S’il y a donc, dans ce livre, les habituels poncifs propres au polar – un tueur entouré, parfois secondé de belles et d'un certains nombre de trognes pour le moins torves qui tous se meuvent dans un univers crépusculaire – futuriste –, ce même tueur est une espèce améliorée d'humain qui doit exécuter le maire d’une ville abritant un immense spatioport –, c’est, comme le signe selon le philosophe, pour cacher et révéler. D’abord cacher au tueur et bien sûr, métaphoriquement, au lecteur, l’horrible vérité, le truquage du monde, sa sénescence accélérée, sa destruction perpétuelle, voire toute proche, définitive ; ensuite révéler que de ce monde même, dans ce monde même, réduit au triomphe d’une Machine qui se perpétue par sa propre nécessaire annihilation (en somme : une autophagie), la liberté n’a pu être totalement éradiquée.
De sorte que nul ne s’étonnera de constater que le roman de Dantec, une nouvelle fois mais, je crois, avec une intelligence plus vive des perspectives narratives telles qu’elles nous étaient exposées, parfois grossièrement, dans Villa Vortex, se trame, s’ourdit autour d’un centre secret ou plutôt absent (Dantec parle à plusieurs reprises de trou noir) puisque immanent, donné de toute éternité non seulement au héros tueur, Plotkine, mais aussi au monde entier et, tout autant, en guise d'énigme, au lecteur. Ainsi le secret dont nous parlons n’est-il pas celui qu’abrite des regards le Dôme de l’hôtel Laïka où s’est installé Plotkine, mais celui de la propre vérité du tueur qui n’est autre que… sa liberté, la liberté, je veux dire, la liberté première, essentielle, de la Création. À toutes fins utiles et pour lever toute ambiguïté, cette liberté ne peut être, dans l’esprit de Dantec, qu'angélique (Métatron est présenté comme l'Ange de la liberté par nombre de textes anciens), et divine, donnant non seulement le sentiment d’une radicale altérité mais aussi et d’abord : provenant de Dieu, fille aînée en somme de Celui-ci.

Non pas, donc, la possibilité d'une île mais bel et bien la possibilité d'un homme, la possibilité de l'homme, lequel, nous confirme Dantec après tant de ces mystiques qu'il a lus, qu'il ose lire, n'est pas une île.

Mais peut-être, ultime retournement, l'identification de Métatron à l'Ange de la libération est-elle elle-même illusoire si l'on se souvient que certains courants ésotériques présentent l'Ange comme mauvais, en tout cas rival de Dieu et des hommes.
Alors, l'Ange tutélaire ayant présidé à l'écriture de ce roman ne serait pas Métatron mais Raziel, celui du Secret.

Prochainement, suite de notre critique intitulée Angelus ex Machina, 2 : de la servitude volontaire. Ce texte ainsi que ceux qui vont suivre ont été recueillis dans La Critique meurt jeune.

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26/07/2006

A Scanner Darkly

Crédits photographiques : NIF/Lawrence Livermore National Laboratory.

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23/07/2006

Marcel Bozonnet en vacances sur la plage de Scheveningen

Crédits photographiques : Bruno Domingos (Reuters)

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