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22/07/2006

Raphaël Dargent et Sarah Vajda sur La Critique meurt jeune

Crédits photographiques : Shamil Zhumatov (Reuters).

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16/07/2006

Villa Vortex de Maurice G. Dantec

Crédits photographiques : Douglas H. Wheelock (Nasa).

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14/07/2006

Le spinozisme eudémoniste de Robert Misrahi, par Francis Moury

Roberto Carlisky, La Cène, 1963

Photographie reproduite avec l'aimable autorisation de Claudia Carlisky.

Je suis étonné de constater avec quelle régularité les noms de Houellebecq et de Dantec me paraissent liés, quant à mon propre rythme de lecture, à l'été, qu'il s'agisse de son approche ou de sa longue fin gracquienne. C'est en tout cas en bordure de mer, toujours, que j'ai lu les romans de ces deux auteurs, les plus intéressants de langue française, à l'évidence les plus puissants (je parle de puissance de questionnement), deux des très rares dont les écrits, dans quelques années, commenceront à être disséqués par d'enthousiastes étudiants. Dantec et Houellebecq ont sondé les entrailles de notre époque festivo-barbare, et certainement pas Angot, Nothomb ou Sollers, toute la ribambelle des nains médiatiques qui confondent littérature et partie fine dans un club à la mode. Je ne sais pas, en revanche, si leurs romans peuvent être rapprochés au-delà du fait de souligner quelques traits remarquables de convergence. Chez Houellebecq, je crois lire les traces évidentes (parfois exagérées) ou très subtiles d'un réel désespoir qui, chez Dantec, me semble être vigoureusement combattu par une confiance sans faille : tôt ou tard, se manifesteront les Puissances véritables qui entraînent ce monde vers une Fin qui sera, aussi, Révélation. En fait, ces Puissances se manifestent déjà, il suffit de savoir interpréter les signes épars trahissant leur action lumineuse ou ténébreuse, voici d'ailleurs, j'y songe, ce qu'un véritable écrivain pourrait répondre à qui lui poserait la stupide question : Pourquoi écrire ? Pourquoi écrivez-vous, cher monsieur X ? J'écris, cher monsieur, pour tenter de déchiffrer les signes d'une réalité surnaturelle qui infuse notre monde et que nous refusons de voir, pourquoi donc une telle réponse devient de plus en plus rare en notre époque de vaches maigres et de chiennes en chaleur... ?
J'attends quoi qu'il en soit de lire (je l'espère, une fois de plus, en fixant le grand large : pour l'heure, je suis plongé dans les livres de Spinoza, où les amers sont assez peu nombreux !) Grande Jonction de Maurice G. Dantec, afin d'y entrevoir, peut-être, au loin, la silhouette blanche et lumineuse d'une île où nous aurons la... possibilité de préserver quelques traces de la beauté menacée de l'homme.

L’Éthique de SpinozaSur Spinoza, L’Éthique (traduction française, introduction générale, notes et commentaires de Robert Misrahi, éditions de l’Éclat, collection Philosophie imaginaire dirigée par Patricia Farrazi et Michel Valensi, Paris / Tel-Aviv, 2005).

«J’ai quelquefois donné à des étudiants, comme exercice de logique, à prendre une proposition dans le quatrième ou le cinquième livre de L’Éthique et à reconstituer, en suivant les références de Spinoza lui-même, la chaîne des démonstrations qui est censée la relier aux axiomes, définitions et postulats initiaux. Ceux qui ont tenté de le faire ont vite rencontré tant de ruptures, d’indéterminations, de «petits bonds» et même de grands qu’ils en ont été amusés ou rebutés.»
André Lalande (et Société française de Philosophie), Préface (1902-1923) au Vocabulaire technique et critique de la philosophie (12eme éd. P.U.F., coll. Les grands dictionnaires des Presses universitaires de France, 1976, p. XVI).

«Hegel a, il est vrai, déclaré que la méthode géométrique, telle que Spinoza l’a pratiquée, est celle qui convient le moins à l’absolu. [...] Plus sévères peut-être que Hegel [...] nous sommes enclins à dénoncer l’inadéquation radicale d’une telle méthode à l’objet que lui assignait Spinoza.»
Victor Delbos, Le Spinozisme – cours professé à la Sorbonne en 1912-1913, Appendice § II Le cartésianisme et le spinozisme (éditions Vrin., coll. B.H.P., 1972, conforme à la première édition de 1916), p. 214.

«Condillac a voulu démontrer que Spinoza n’a nulle idée des choses qu’il avance, que ses définitions sont vagues, ses axiomes peu exacts, et que ses propositions ne sont que l’ouvrage de son imagination, et ne renferment rien qui puisse conduire à la connaissance des choses.»
Joseph Moreau, Spinoza et le spinozisme, § III intitulé Le spinozisme dans l’histoire (éditions P.U.F., coll. Que sais-je ? n° 1422, p. 108 – la citation provient de Condillac, Traité des systèmes, § X).

«Je voudrais préciser mon propos en donnant un exemple, vous soumettre une brève lecture psychanalytique de Spinoza.
J’ai choisi Spinoza pour maintes raisons dont la plus personnelle est qu’il me fascine à la façon d’un personnage de conte d’Hoffmann, fabricateur d’automates et marchand de lunettes (qui sont peut-être des yeux), lunettes qu’il fait passer de Dieu à moi et de moi à Dieu pour nous réunir enfin derrière la même paire. En somme une réplique dédramatisée de l’Homme au sable, sans effusion de sang, en deçà du complexe de castration, mais néanmoins, pour moi étrangement inquiétant.»
Dr. Francis Pasche, L’Angoisse niée, Revue Française de Psychanalyse 1/1979 réédité dans Francis Pasche, Le Passé recomposé – Pensées, mythes, praxis § III (éditions P.U.F., coll. Le Fil rouge, préface de Didier Anzieu, 1999), p. 87.

Voici une nouvelle* traduction française de L’Éthique de Spinoza. Une première remarque s’impose : il s’agit d’une traduction mais pas d’une édition du texte latin original accompagné d’une traduction. Pour connaître le texte latin original, le lecteur français doit donc toujours tenter de se procurer la seconde édition revue et corrigée en deux tomes du texte latin avec traduction française de L’Éthique par Charles Appuhn, à la Librairie Garnier, dans la célèbre collection des Classiques Garnier (1934).
Le livre est plastiquement beau et très bien imprimé. Il s’ouvre par 55 pages d’Introduction générale mais la biographie de Spinoza est très brève et aucune bibliographie spinoziste n’est fournie. Cette introduction est divisée en deux parties distinctes : une justification historique et logique des innovations de Misrahi en matière de traduction d’une part, un résumé et une interprétation du spinozisme de l’autre. Il se poursuit par 265 pages contenant la Traduction proprement dite. Elle est parfois améliorée par rapport à la traduction Appuhn ou à celle de la Bibliothèque de la Pléiade, parfois identique, parfois discutable : dans une telle entreprise, il ne peut pas en aller autrement. Misrahi le sait puisqu’il faisait partie de l’équipe de La Pléiade en 1954 qui traduisit les Œuvres complètes (enfin presque complètes) de Spinoza en un épais volume – volume soit dit en passant aussi indispensable à l’étudiant français que les deux volumes d’Appuhn déjà cités, même s’il n’offre que des traductions. La note 1 de la Partie III (pp. 401-404) nous semble ainsi très convaincante et précise : elle rectifie d’ailleurs un terme qui semblait à notre professeur J. Castaing (cf. son cours d’agrégation sur Spinoza à l’université Paris-I Sorbonne du 20 novembre 1997) le seul défaut de la traduction d’Appuhn : c’est dire ! Comme souvent, le choix entre chiffres arabes et chiffres romains (numérotant les Définitions, les Axiomes, les Propositions) est un peu aléatoire et ne respecte jamais absolument l’original. Suivent 150 pages de Notes historiques et critiques souvent très précises et soigneuses mais parfois aussi très agaçantes, et pour cause… Misrahi pense que le système de Spinoza est le meilleur du monde et cela fait cinquante ans qu’il le dit ! Enfin on trouve un Index des notions de 30 pages environ mais certaines notions sont absentes (par exemple «indivisibilité», «négation», «pression») et on ne trouve pas d’Index nomini. Ce dernier point est très regrettable car l’appareil de notes cite de très nombreux noms propres : comment les retrouver aisément ? Nous suggérons momentanément une solution. Il suffit de constituer soi-même cet Index nomini en le reportant manuellement à la page 474 qui est blanche et située juste après cet appareil critique ou bien en l’imprimant et en glissant l’imprimé juste entre les pages 474 et 475.
Misrahi a écrit bien des choses depuis sa collaboration aux Œuvres complètes de Spinoza à La Pléiade en 1954. Pages 505 et 506, on en trouve la liste et la lire est une source, parfois, d’amusement. Rien d’étonnant : Misrahi ne cesse d’utiliser les termes «joie» et «bonheur» dans les titres de ses ouvrage ! Enfin cela concerne une partie d’entre eux. À vrai dire, notre homme navigue depuis cinquante ans entre La Condition réflexive de l’homme juif, La Philosophie politique et l’État d’Israël, Existence et démocratie, Un Juif laïque en France et des idées plus gaies comme celles de L’Enthousiasme et la joie au temps de l’exaspération (sic), Un combat philosophique pour la joie, 100 mots pour construire son bonheur. Et bien sûr, l’esquif sur lequel il navigue entre ces notions bien hasardeuses c’est, vous l’avez compris, le système de Spinoza ! On ne sait pas ce que Spinoza aurait pensé du marxisme, de Martin Buber, du sionisme, du choix des sionistes de créer un État juif en plein milieu de terres palestiniennes (provoquant ainsi des guerres à répétition et des actions terroristes continuelles depuis plus de cinquante ans qui menacent régulièrement l’ordre et la sécurité du monde, pour paraphraser le beau titre d’un film de Claude d’Anna), ni de la condition des Juifs laïques en France en 2004. On sait aussi assurément (derniers paragraphes conservés du Tractatus politicus) qu’il n’aurait pas apprécié la candidature de Ségolène Royal ! Par contre, en lisant les notes de Misrahi on sait ce qu’il pense de Spinoza. Selon Misrahi, Spinoza «dépasse» l’antiquité, la philosophie médiévale, le cartésianisme et même tout ce qui vient après lui : ce verbe, «dépasser» est utilisé assez souvent. Il est particulièrement agaçant dans le contexte. À noter tout de même aussi que sa bibliographie comporte, en 1998, un Spinoza et le spinozisme (édition Armand Colin : est-ce Misrahi ou Armand Colin qui a eu l’idée de ce titre déjà utilisé par le regretté Joseph Moreau pour son propre livre – comme toujours remarquable – de 1971 ?) Bref, passons… Si les éditeurs de philosophie font des «remake» et rachètent les droits des titres (ou les volent) comme à Hollywood, les bibliographies vont contenir autant de titres homonymes que les filmographies tant l’imagination des uns et des autres semblent limitée ! Cette pratique est récurrente et on pourrait en citer tant d’exemples….
Et puis finalement, on se demande en fin de compte à quoi il sert à Misrahi d’avoir lu Wolfson, Guéroult (qu’il critique constamment avec un acharnement qui nous semble tout de même suspect) et les autres si c’est pour arriver à ce résultat : considérer que Spinoza exprime «l’humanisme le plus exigeant et le plus qualitatif» (p. 466), et qu’il n’est surtout pas passible d’une interprétation déïste ou théologique. On croirait lire du Michel Onfray : Spinoza humaniste mais surtout pas mystique ! Et pourtant il y a un Dieu de Spinoza, et Spinoza croyait sincèrement en ce Dieu, au point de lui sacrifier sa vie privée comme publique. Il était absolument mystique et a vécu pratiquement comme un mystique. Mais son Dieu était un Dieu très particulier – sive natura. Une «natura» assez curieuse, elle aussi. Pas la nature de Lucrèce ou d’Épicure non plus ! Ce Dieu «ne crée pas, il ne pond pas, il n’émane même pas à la façon plotinienne, il reste gravide pour l’éternité. Il «exprime» comme dit G. Deleuze. Ce Dieu est une déesse, grosse d’un réel dont elle n’accouche jamais» (Francis Pasche, op. cit., supra). Joseph Moreau faisait probablement fausse route en pensant trouver chez Plotin le paradigme, la clef du spinozisme : le fait est assez rare pour être signalé puisque, d’une manière générale, Moreau fait bien partie de cette rare catégorie d’historiens français de la philosophie qui étaient capables d’écrire sur tous les sujets sans jamais commettre une erreur de fait ou de jugement, ainsi que nous l’avait fait une fois remarquer à juste titre le professeur Rémy Brague. Joseph Moreau : encore un de la génération d’avant-guerre ! On savait former les gens, à cette époque !
Revenons à Misrahi qui, en dépit de sa précision et du soin méticuleux qu’il a apporté à la rédaction de ses notes, n’est pas tout à fait de la même trempe. Il cite parfois un peu approximativement : sa note 80 au livre I (p. 357) mentionne Aristote, De Anima III, 9, 432b comme source du finalisme critiqué par la théorie de la causalité efficiente chez Spinoza. En réalité, ce n’est que l’amorce de la discussion. Il faut aller à III, 10, 433 a pour y trouver posé le problème de la faculté motrice, source de toute discussion sur la finalité. Le reste est parfaitement correct mais la fin de cette même note 80 signale que «Maïmonide, comme Thomas d’Aquin, pense que Dieu agit par finalité, et qu’il a institué une finalité naturelle dans les choses». La dernière phrase de la quatrième page de couverture assimilant L’Éthique au Guide des égarés de Maïmonide est donc un peu abusive même si on devine qu’elle se cantonne au niveau moral davantage que métaphysique.
C’est surtout du point de vue métaphysique que Misrahi nous pose des problèmes. «Pour posséder la vie éternelle, il nous faut croire, disait saint Paul, que Jésus est le fils de Dieu; il nous faut savoir, dit Spinoza, que nous sommes Dieu» écrivait en 1934 Charles Appuhn à la fin de l’ultime note du second volume de la seconde édition de sa propre traduction. Et cette belle et claire comparaison résume tout de même assez bien le problème. «Ainsi, après avoir, dans la Partie I, fait la critique du dualisme ontologique et du Dieu personnel, Spinoza, dès le début de cette partie II, fait la critique rigoureuse du dualisme psychologique (et de son substantialisme animiste) et de l’immortalité qu’il fonde. Contestant la Bible, le platonisme, l’aristotélisme, tout le Moyen Âge et Descartes, le spinozisme est aussi l’annonce d’une anthropologie philosophique et unitaire» écrit pour sa part bravement Misrahi à la fin de sa note 39 de la Partie II. Cela fait tout de même pas mal de belles et bonnes choses contestées tout de même, non ? Et c’est cela qui permet de traduire «individu» par «chose» comme le fait plus honnêtement Pierre Macherey, Hegel ou Spinoza (édition Maspéro, 1979, lorsqu’il cite le texte latin d’une phrase de la Partie II, Scholie de la Proposition 13, p. 182 !) On signale aussi la page 215 de Macherey concernant ce problème de la détermination / délimitation de ce qu’est un individu/chose/mode fini chez Spinoza : les lectures en regard du commentaire de Macherey et de cette note-là de Misrahi (ainsi que de ses notes 10 et 11 de la Partie II) sont instructives.
Spinoza ne croit absolument pas aux religions monothéistes constituées à son époque car il refuse l’idée de création, celle d’un Dieu personnel, et dénie à l’homme toute liberté réelle. Il reconnaît cependant l’utilité des religions et des lois, bien que leurs objets soient fondamentalement des fictions réservés aux ignares et aux esclaves. En cela il influencera Nietzsche, de toute évidence. Il faut bien avouer que son système est probablement l’un des plus beaux esthétiquement mais aussi l’un des plus démentiels et des plus délirants qu’on ait jamais vu fleurir sur terre. Ce n’est pas dans le cadre de cette critique que nous allons le prouver : cela fait trois siècles que la cause est entendue. Qu’on soit idéaliste ou réaliste, dans les deux cas, le spinozisme est une folie aberrante qui n’est pas vraie et encore moins satisfaisante. Sade avait le sens de l’humour noir et faisait volontiers citer Spinoza par ses héros les plus intellectuels à l’appui de leurs démonstrations les plus ardentes. Déjà le Père Malebranche avait dit son «dégoût» profond pour le spinozisme; Bayle l’avait ridiculisé en une formule célèbre quelques années plus tard tandis que Leibniz, faisant comme d’habitude feu de tout bois, s’y était intéressé au point de le considérer comme une extension logique du cartésianisme : considération totalement fausse même si Les Origines cartésiennes du Dieu de Spinoza furent en effet étudiées avec bonheur et bien plus d’objectivité par l’excellent Pierre Lachièze-Rey. La note 62 de la partie II (p. 388) écrite par Misrahi confirme d’ailleurs bien en quoi Leibniz se trompait et nous lui en savons gré.
Sa note 12 de la Partie V sur l’idée de sujet (p. 452) est elle-même… sujette à discussion : on lui confrontera utilement le commentaire – orienté dans un sens davantage logique et physique – de l’Axiome en question par Pierre Macherey (op. cit., supra, p. 246). La note 44 de la Partie V (p. 462) sur l’éternité de l’esprit (qui passe par celle de l’éternité de l’essence du corps puisque l’esprit est l’idée du corps) est assez croustillante : on la comparera utilement avec la critique de cette même idée chez Raymond Ruyer, Néo-finalisme (édition P.U.F., coll. B.P.C., 1952, p. 174). La note 26 de la partie II consacrée à la «doctrine du parallélisme» (p. 373) est passible d’une intéressante comparaison avec Pierre Macherey (op. cit., supra, paragraphe intitulé Le Problème des attributs, p. 131). «La finitude, au sens où l’emploie la philosophie existentielle chrétienne, n’a pas son équivalent chez Spinoza» écrit Misrahi à la note 10 de la Partie II (p. 368) : c’est le moins qu’on puisse dire !
Enfin, il convient tout de même de comparer la note 37 de la Partie I (p.341) sur le problème crucial de la divisibilité et de l’infini au très célèbre article de Martial Guéroult, «La Lettre de Spinoza sur l’infini – Lettre XII à Louis Meyer», in Revue de Métaphysique et de Morale 71ème année n°4, octobre-décembre 1966, pp.385-411. Guéroult avait donné à la R.M.M. la primeur de ce qui allait constituer l’Appendice IX de son Spinoza - tome I Dieu alors sous presse aux éditions Aubier-Montaigne.
Soit dit en passant, on signale que le second paragraphe de la note 25 de la Partie I (p. 333) mentionne «Hildesheim G. Olms, 1968» comme éditeur du livre de Guéroult. Il ne faut pas se moquer du monde ! Georg Olms est un charmant monsieur (ou une enseigne éditoriale représentant de charmants messieurs !) qui rééditent des fac-similés très soignés d’éditions originales épuisées ou introuvables. Il a ainsi réédité en 1984 l’admirable La Théorie platonicienne des Idées et des Nombres d’après Aristote – Étude historique et critique (1908) de Léon Robin et peut-être aussi (nous avons un doute ?) le non moins rare Le Problème moral dans la philosophie de Spinoza et l’histoire du spinozisme du grand Victor Delbos. Mais on ne savait pas qu’un livre de Guéroult édité pour la première fois en 1968 (ce n’est tout de même pas si loin !) était déjà épuisé : on doit d’ailleurs en trouver de temps en temps des exemplaires en état neuf ou d’occasion chez Vrin, Le Chemin des philosophes, Joseph Gibert ou Gibert Joseph (il paraît que ce sont deux entités différentes !), la Fnac ou Virgin uniquement à Paris. J’inclus ces deux dernières librairies car elles ont parfois de belles occasions en état neuf, dos non cassé – ce qui comme chacun sait, est le minimum requis pour constituer un bel exemplaire. Bref, l’édition originale du Spinoza de Guéroult en deux volumes, c’est Aubier-Montaigne et pas Georg Olms.
Quant à l’ensemble des notes politiques, il convient de les comparer en permanence, afin de se remettre un peu les idées en place, à deux études : celle citée supra du Dr. Francis Pasche – une de ses plus admirables études psychanalytiques d’histoire de la philosophie – qui résume d’une manière percutante l’essentiel et celle de Ferdinand Alquié, Servitude et liberté selon Spinoza (édition du Centre de Documentation Universitaire). Le point de passage de Spinoza à Hegel étant que, dans le Tractatus politicus de Spinoza, la moralité est postérieure à l’État, ce qui signifie concrètement qu’il n’y a rigoureusement aucune autre moralité que l’obéissance aux lois édictés par l’État ou alors (mais réservée à une élite restreinte) l’éthique au sens de L’Éthique – dont l’ironie est qu’elle signe la mort de l’idée de valeur puisque dans l’éthique spinoziste il n’y a que de l’être… mais strictement aucune valeur (Cf. Spinoza, Œuvres complètes, édition Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1954, p. 1439).
«Ci-gît Spinoza; crachez sur sa tombe !» écrivait vulgairement un anonyme vers 1729, selon le précis Joseph Moreau. C’était tout de même bien excessif : l’homme était un honnête citoyen respectueux des lois, un ami fidèle, un citoyen courageux et sincèrement dévoué au bien public, un travailleur utile à la société (il polissait des verres de lunettes pour gagner sa vie !) qui méprisait les honneurs et l’argent, et avait refusé tous les postes universitaires qu’on lui avait proposé. Tous ces aspects secondaires, ajoutés à son mysticisme si original, empêchent encore aujourd’hui, bien évidemment, de souscrire à telle assertion. Mais intellectuellement, métaphysiquement, il faut hélas se rendre à l’évidence : Spinoza était bel et bien fou à lier. Et son système parfaitement insuffisant à rendre compte de la vérité et de la réalité. Ce qu’Hegel dira en termes plus diplomatiques : «La seule réfutation du spinozisme ne peut donc consister, en premier lieu qu’à reconnaître essentiellement et nécessairement son point de vue et, en deuxième lieu, faire en sorte que ce point de vue s’élève de lui-même à un niveau plus élevé» (Leçons sur l’histoire de la philosophie, trad. Pierre Macherey, cité in op. cit., supra, p. 18). On dit souvent que Hegel n’a rien compris à Spinoza : personnellement nous pensons qu’il l’a beaucoup mieux compris qu’on ne veut bien le reconnaître.

PS : Misrahi ne l’a pas établi mais le travail est fait depuis belle lurette : on confirme au lecteur qu’il trouvera la liste des meilleures études spinozistes parues en France depuis 150 ans aussi bien chez Alain ou Léon Brunschvicg que chez Émile Bréhier, Joseph Moreau ou Ferdinand Alquié. On consultera aussi avec profit la belle étude de Karl Jaspers, même si elle «tire» Spinoza un peu trop. Il faut dire que le système de Spinoza est un souvent, pour les historiens, l’équivalent d’une auberge espagnole : on y trouve ce qu’on y apporte. Et rien n’est faux dans ce qu’on y trouve. Pourtant Hegel a raison, il lui manque QUELQUE CHOSE…

Note
(*) Enfin pas tout à fait, comme je le découvre assez tardivement en feuilletant ce soir lundi 29 septembre 2008 le catalogue internet de la librairie parisienne Le Chemin des philosophes, rue des feuillantines à Paris, qui propose ceci : Éthique (Description : introduction, traduction, notes et commentaires de Robert Misrahi, 2e édition - P.U.F., Paris 1993, in-8°, br., 499 pages.

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12/07/2006

Sur une île, stalker, quels livres emporteriez-vous ?, 5

Photographie de l'auteur.

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09/07/2006

Le Sacrifice de Tarkovski, par Francis Moury

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05/07/2006

Un splendide rapace dans la Zone : Strix Americanis prend son envol



Terminons en beauté la série des dialogues inaugurée (je ne parle pas d'ordre chronologique) par les questions de Vox Galliae.
Voici donc la suite de notre entretien, dont les premiers échanges ont été accueillis par Claude Marc Bourget sur le superbe site de sa revue, Strix Americanis. Je ne saurai bien évidemment occulter qu'en ce dernier texte, Claude Marc seul prend la parole, ne me la ravit pas mais au contraire me la laisse, me la donne : je n'ai rien à dire tout simplement parce que je crois partager les analyses de mon ami, y compris lorsqu'il démêle la fascination et la méfiance qu'implique l'existence d'un genre littéraire tel que celui de la science-fiction. Un point tout de même, concernant l'attitude de Michel Surya à l'égard de mon manuscrit sur la figure de Judas, afin de préciser à Claude Marc que je préfère encore, disons par pure faiblesse devant la beauté du chant des sirènes, même celles qui vantent la destruction désincarnante, que mon petit ouvrage sur l'apôtre félon soit publié plutôt qu'il ne dorme dans quelque recoin dématérialisé de mon disque dur. Car on ne triomphe de l'enfer nihiliste qu'en y descendant, cher Claude Marc. Lorsque l'entrée vous est refusée par quelque Cerbère malcommode qui vous renifle et vous toise comme si vous sortiez d'un défilé de nazillons...

Pour rappel.

Entretien n°5, avec Jugurta.
Entretien n°4, avec Fabrice Trochet.
Entretien n°3, avec Ygor Yanka.
Entretien n°2, avec Michel Lévy-Provençal.
Entretien n°1, avec Vox Galliae.

Claude Marc Bourget. — Cher Juan, je vous pose des questions comme à moi-même et vous adresse des échos du monde, des réflexes d’idée pris à un certain corps de civilisation, la nôtre, qui fut bien des choses aujourd’hui au mouroir, mais aussi la civilisation du livre, en cela fille de sa religion, d’ailleurs jusque dans ses hérésies. Si je m’enquière dudit livre auprès de vous, c’est avec cette manière qu’aurait son vieil esprit, à travers vous, moi, nous tous, de se cabrer devant les indices de sa catastrophe. Mais c’est d’abord par une sorte d’affinité dans la réaction. Ne faisons donc pas croire, vous et moi, que j’avocasse à la solde du livre et plaide en faveur de son empire inguérissable. STRIX AMERICANIS, cette tribune même d’où je vous parle, en est le formel et clair déni. Votre réponse en bourrasques, d’ailleurs, a soufflé jusqu’à la fin dans le sens de ses harangues, et même dans son droit fil quant au primat de l’oralité.

Déjà le livre, en effet, au temps de ses origines et sans doute éternellement dans les cœurs, fut l’accusé de la parole, la mauvaise incarnation du Verbe et comme sa gênante idole. L’écriture, ce cristal, dépossédait la mémoire naturelle, ce fluide, de son long cours, c’est-à-dire de sa propre continuité, déséduquait l’esprit comme unique véhicule du Verbe, vase vivant où il est versé et qui le verse. L’accusation n’est pas fausse et les événements la soutiennent jusqu’à nous, aujourd’hui que les livres, plus nombreux que les hommes, nous dépossèdent et nous déséduquent, mais elle est constitutive d’une autre accusation, plus tragique, celle du Mal originel, outrance de nos capacités et de notre liberté. La distance, de mon point de vue, entre le signe-écran et le signe-papier, est dérisoire au regard de l’appartenance de ce couple, sinon de toute la dynastie médiatique, au mystère du Mal originel. La littérature a vécu sous son autorité. Elle en est la chose. Mais il est bien tard pour nous interdire de l’accomplir. Au surplus, hors les greffes d’une vie surnaturelle, nous n’y avons point de remède. Reste que, tout s’intensifiant, le Net va plus loin dans la permission du paroxysme et de l’hystérie. Or, dans les extremums d’un phénomène, là gît le secret, nous arrivent toujours comme des îlots de renversement, comme de clairs points de santé dans les tréfonds de la mort. Le bien peut ainsi sortir de nos fautes mêmes. Aussi les plus abominables guerres donnent-elles lieu à de mystérieuses retrouvailles, à des tranchées nouvelles, creusées dans l’homme en soi (j’allais dire en nous) et qui portent leur ration d’assainissement.

Revenons à la science-fiction. Deux mots sur elle. Je n’en attaque ni le genre, demeuré assez pur dans l’ensemble, peut-être du fait même de son isolement, ni les captivants chef-d’œuvres, souvent écrits dans une langue qui ne se montre pas, restée fort anglo-saxonne à ce chapitre, du moins en pays français, et dont la vertu, en l’espèce, est de tout laisser, par une sorte de transparence, à l’invention ou à l’extension du fait, aux matérialisations de l’hypothèse, à la théâtralisation d’un jeu précis d’axiomes et de prémisses. Elle est un dispositif irremplaçable de projections et qui autorise de fort sérieux usages. Vous me permettrez de rendre ce jugement tout en ayant raté tel ou tel summum et de comprendre la montage dès la mi-hauteur, sans besoin de danser sur la cime ni d’y ajouter mon escabeau. Mais vous me permettrez en second lieu d’observer que la science-fiction, si elle sait inspirer, aspire également à elle, accapare, absorbe, par sa séduction propre, où le vertige n’a pas la plus mince part, une catégorie de lecteurs et d’esprits qui, souvent novices et que n’a pas encore rattrapé la terre, s’abandonnent à son irréalité, comme aux jouissances psychotropes d’une mathématique inapplicable. De l’engin de démonstration qu’elle sait être, qui nous permet d’obtenir, par les raccourcis de l’art, des vues-chocs, sous des angles hier improbables, sur les cieux et les enfers de l’être, au reste occidental et prométhéen, elle passe alors du côté de l’aide au déracinement, du désincarnant, de tout ce qui de son éther cherche à remplir le vide. Son influence, son attraction est alors funeste et tyrannise l’esprit comme un vice. Nous croyons alors qu’auprès d’elle nos gestes et nos pensées se libèrent, alors qu’à la vérité, simplement, elle nous agite et les agite. Voilà ce que je pointais en parlant d’une «pensée science-fictionnelle accablée de lectures et finalement adolescente». La science-fiction, dans cette optique, est bel et bien l’une des configurations paroxystiques de la littérature moderne. Je crois même que le siècle est proche où nous serons inaptes à écrire autre chose. Mais alors nous parlerons de sa triviale impureté.
Je terminerais, comme vous, avec Surya, Michel. Or c’est pour vous dire qu’il a eu raison. Nous n’en sommes plus, aujourd’hui, à une simple guerre des thèmes et des styles, où la beauté supérieure servait de colombe. L’ultime bifurcation s’opère, et le temps vient des durs aiguillages. Mais souvent, comme ici, nos antagonistes nous regardent et nous jaugent mieux que nous le saurions faire nous-mêmes. Surtout, ils nous éclaircissent d’instinct, à distance, dès nos simples contours et la démarche, la cadence propre à notre monture. Vous si vivant, telle une surprise, derrière les mots cathodiques, vous chez qui l’on perçoit tant d’enracinement entêté sous les fleurs en bouquet et vitrine, tant de résistance pour un peu d’abdication, tant de désobéissance, en un mot, à la loi des enfers nihilistes, y eussiez-vous donc vraiment fait descendre votre Iscariote ? L’auriez-vous donc livré à ce milliardième désabusé, ce chaînon immanquable de la pègre éternelle des revenus de tout, toujours abattus dans leur mare de petit sang ? Sans doute, mais avec regret. Surya, comme toute cette sempiternelle école du désillusionnisme, réécrit pour son compte ces hymnes au néant, ces hymnes au cancer intellectuel dont nous sommes ennuagés depuis un siècle et qui, sous apparence de constatation lucide, de bilan hautain, au bout duquel il faut réinventer le pire, ne sont que les plus vieux poisons du cœur soufflés sur l’avenir, les recettes déjà trop suivies d’un régime de désespoir, les règles maudites de ce que j’appellerais un art de la maladie. Surya, qui n’est pas désagréable ni mesquin dans sa lettre, au contraire, ni par ailleurs un imbécile, n’est dans l’erreur qu’avec son goût extrême pour cet art, et donc en ce qui le concerne, lui. Il ne s’est pas trompé dans votre cas. Il est bon éditeur, et le prouve, d’avoir laissé à d’autres votre Iscariote.

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03/07/2006

Les voies du Stalker, 5 : entretien avec Yacim Bensalem (Jugurta)

Photographie (détail) de F. Javier Alvarez Cobb, extraite de la série intitulée Autopsia, en référence à ce blog.

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01/07/2006

Sur une île, stalker, quels livres emporteriez-vous ?, 4

Photographie de l'auteur
Photographie de l'auteur.

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28/06/2006

Rannoch Moor de Renaud Camus

Crédits photographiques : Joe Raedle (Getty Images).

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26/06/2006

Exercice camusien sur La Revue du cinéma, n°2

Crédits photographiques : Radek Mica (AFP/Getty Images).

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23/06/2006

Les voies du Stalker, 4 : Fabrice Trochet pour Un grain de sable

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Photographie (détail) de F. Javier Alvarez Cobb, extraite de la série intitulée Autopsia, en référence à ce blog.

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22/06/2006

Albert Londres : un débat occulté sur un mythe à déconstruire, par Jean-Pierre Tailleur

Crédits photographiques : Lintao Zhang (Getty Images).

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21/06/2006

Impasse phénoménologique ? Sur L’Histoire d’une vie et sa région sauvage de L. Tengelyi, par F. Moury

Alberto Carlisky, sculpture en bronze intitulée Son crime c'est de penser, si vous l'oubliez il mourra, 1980 (partie de la série L'homme martyr de l'homme, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest. Hommage à Amnesty International)

J'adresse mes remerciements à Claudia Carlisky qui m'a autorisé à reproduire cette photographie d'une des sculptures de son père, Alberto Carlisky (cf. fin de l'article pour quelques indications biographiques). D'autres clichés de cette série sont disponibles sur le site de l'ADAGP (onglet Banque d'images puis Consulter la BI et enfin entrer le nom de l'artiste).

Laszlo Tengelyi, L’Histoire d’une vie et sa région sauvage aux éditions Jérôme Millon«L’auteur décrit l’impression de libération qu’éprouvaient les étudiants en prenant contact avec la phénoménologie [...].»
Gaston Berger, Le Cogito dans la philosophie de Husserl (édition Aubier-Montaigne, coll. Philosophie de l’esprit dirigée par L. Lavelle et R. Le Senne, 1941, p. 149 – recension bibliographique d’un article de Jean Hering paru en 1939).

«L’idée n’est pas le fondement du réel, c’est le contraire qui est vrai et ne pouvait cependant être affirmé que par une philosophie ayanr les moyens de nous faire concevoir un réel capable d’être effectivement l’origine de nos idées, parce qu’il est le lieu où se réalise originairement la vérité [...].»
Michel Henry, Philosophie et phénoménologie du corps – Essai sur l’ontologie biranienne, cf. chapitre II, Le corps subjectif (éditions P.U.F., coll. Épiméthée, 1965), p. 102.

«L’idée d’intentionnalité apparut comme une libération [...].»
Emmanuel Lévinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, cf. chapitre intitulé Intentionalité et sensation (1965, édition Vrin, coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie, 1941, réimpression conforme à la première édition suivie d’essais nouveaux, 1982), p. 145.

Que s’est-il passé de 1938 (année de la mort de Husserl) à 2005 (année de la parution de cette traduction française du livre de Tengelyi) ? S’est-il vraiment passé quelque chose ? Pas sûr.
Le titre est trompeur pour le néophyte : ce n’est pas une biographie (histoire d’une vie), ni une étude géographique (une région sauvage) ni une fiction romanesque mais une sorte de thèse universitaire se présentant, pour l’essentiel, comme une suite de commentaires d’histoire de la philosophie, eux-mêmes soutenus par une thèse enfin développée dans la quatrième partie. Un regard sur les textes publiés dans cette riche collection – un regard cultivé sur son simple titre, emprunté à un ouvrage célèbre de Husserl, comme le savent nos lecteurs – ne laisse plus place au doute : la collection Krisis (chez Jérôme Millon) est majoritairement dédiée à la phénoménologie même si on y trouve aussi des textes de Schelling ou de Condillac. Certains des commentaires de Tengelyi sont riches et clairs mais d’autres sont assez désinvoltes voire parfois franchement navrants ou involontairement drôles. Le projet de Tengelyi est posé dès le commencement de l’ouvrage : poursuivre la phénoménologie morale du dernier Lévinas. Mais peut-on la poursuivre ? Et surtout la poursuivre de cette manière ?
Matériellement le livre est beau et bien imprimé sur un beau papier : quelques remarques négatives cependant, avant d’en venir au fond. Il faut arriver à la note 2 de la p. 217 pour savoir enfin qui est – ou, du moins, d’où vient – l’auteur : il est hongrois ! Nous avions un préjugé favorable envers les penseurs hongrois à cause du Dr. Sandor Ferenczi. La mention «ouvrage traduit de l’allemand et de l’anglais» correspond peut-être à deux livres distincts parus en 1998 (édition allemande) et en 2004 (édition anglaise) puis rassemblés ou bien à deux éditions respectives d’un même livre : ce n’est pas évident. Le titre courant en haut des 360 pages ne varie pas alors que le texte compte plusieurs parties divisées en très nombreuses sections elles-mêmes titrées : paresse navrante. Qu’on compare à cette paresse le beau travail des anciennes P.U.F. sur les titres courants d’un livre tel que, par exemple, Raymond Ruyer, Néo-finalisme (collection B.P.C., section Logique et philosophie des sciences dirigée par Gaston Bachelard, 1952).
Il n’y a pas d’Index nomini : dommage pour les étudiants pressés devant rapidement chercher une référence sur tel ou tel auteur cité ou analysé. Ils pourront cependant se reporter à la table des matières. Il n’y a pas non plus de bibliographie récapitulative des ouvrages cités en note ou dans le corps du texte. Nombre de coquilles sont probables aux pp. 270, 277 et d’autres certaines comme dans les notes des pp. 47 et 278. Une citation de Martin Heidegger est «légèrement modifiée par le traducteur» p. 276 : pourquoi ? On ne sait pas.
Les citations de certaines éditions laissent de côté l’édition originale ou croisent peut-être l’édition originale avec une réédition postérieure : voir pp. 296 et 323 à propos de Essai sur le mal de Jean Nabert et aussi dès le début du livre les citations de L’Être et le temps de Martin Heigegger. C’est la pagination d’une édition récente de ce dernier livre qui est citée tandis que les divisions originales sont passées sous silence : comment s’y reconnaître si on possède l’ancienne traduction donnée par Gallimard N.R.F. ? Lorsque L’Éthique de Spinoza est citée, la citation est lacunaire : «proposition 36 et corollaire» – oui très bien mais dans quel livre ? On vous le dit nous-même : c’est dans le livre V. Idem à la p. 6 note 4 : on ne cite pas Kant de cette manière ! Nous économisons volontairement du temps lorsque nous prenons la liberté de ne pas citer les propres divisions de Tengelyi mais notre temps est celui du critique : il nous est compté alors qu’un auteur a par définition le devoir de donner du temps au temps. Et de respecter strictement les usages de l’Université. À la page 315 de son ouvrage, Tengelyi parle de «l’experimentum crucis» à propos d’Adorno mais ne dit rien de l’emploi de ce terme chez Pierre Duhem et chez les philosophes médiévaux. Certains néologisme barbares sont employés : des expressions «langagières» (p. 35) par exemple. Qu’est-ce que c’est que ce terme-là ? À quoi sert-il ? On se le demande encore.

Aspects intellectuels et historiques négatifs
Le terme de «région sauvage» se trouve dans Lévinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger (au paragraphe intitulé La Trace de l’autre (1949) à la p. 187 de la réédition de 1982). Tengelyi n’en dit mot mais analyse l’idée de «pensée sauvage» chez Merleau-Ponty à la page 213 de son ouvrage. De nombreuses formules ou thèses énoncées sont tout bonnement des redites, des paraphrases voire des flatus vocis ou des erreurs. Husserl n’est pas «le premier» à s’être intéressé à une expérience anté-prédicative (p. 38). Hegel n’est pas non plus «le premier» à avoir pensé que l’expérience était «un événement apportant quelque chose de neuf» (p. 39). En outre, on ne dit pas, comme on peut le lire à la page 40 , Introduction à la Phénoménologie de l’esprit mais Préface à la Phénoménologie de l’esprit. Une phrase (p. 43) commence par «Ce qui semblait échapper à Hegel, c’est que…» : il faut oser même si c’est involontairement amusant ! Un peu plus loin (p. 43), nous trouvons un vulgaire «… pour parler comme Hegel…».
La différence théorique entre Michel Henry et Lévinas est évoquée page 94 : elle ne fait que redire ce qu’avait déjà écrit Lévinas en substance dans Énigme et phénomène (1965, repris in op. cit., supra, p. 205 de l’édition de 1982) à propos de l’édition originale du livre de Michel Henry, L’Essence de la manifestation (tomes I & II, éditions P.U.F. coll. Épiméthée, Paris, 1963). Idem pour la remarque sur Brentano, empruntée à Lévinas, L’Œuvre d’Edmund Husserl, op. cit., supra, pp. 30-31 et 40-41 à propos de la conscience interne du moi dans le temps et l’influence de Brentano sur Husserl. Je signale à ce sujet que pas une seule fois ne sont cités les livres remarquables de Lucie Gilson, La Psychologie descriptive selon Franz Brentano (édition Vrin, coll. B.H.P., 1955) et Méthode et métaphysique selon Franz Brentano, même éditeur, même année. En 1891, Husserl avait pourtant dédié à son maître Brentano sa Philosophie de l’arithmétique et il redira sa dette à son égard en 1911 dans La Philosophie comme science rigoureuse puis en 1919 dans un article sur Brentano inclus dans un livre en hommage collectif à ce dernier. Tengelyi parle à la page 194 de son ouvrage d’une «tradition française de longue date, qui remonte à Maine de Biran et reste encore détectable dans ses effets chez Michel Henry». Très bien mais Tengelyi sait-il que Henry est l’auteur d’une Philosophie et phénoménologie du corps – Essai sur l’ontologie biranienne (éditions P.U.F., coll. Épiméthée, 1965) ? Tengelyi traduit en français, cela peut aussi donner ceci (p. 248) : «[...] en lien avec une référence de Lévinas à Alphonse de Waehlens [...]». N’était-il pas plus simple d’écrire ou de traduire cela par un banal mais simple et clair : «[...] concernant la référence de Lévinas à Alphonse de Waehlens… [...]» ?

Aspects positifs ou négatifs mais révélateurs de tendances réelles et actuelles même si lesdites tendances sont médiocres.
Les pages 154-155 de notre ouvrage constituent un apport utile à l’histoire de la philosophie. Il faut immédiatement ajouter que c’est souvent le cas lorsque Tengelyi utilise des textes longtemps inédits et que nous ne connaissions pas nous-même. On apprend des choses de première main en lisant ses considérations sur le Cours de 1928 professé par Martin Heidegger sur Leibniz, par exemple. Et aussi, pourquoi ne pas le dire, on peut appprécier une rafraîchissante et juvénile audace : critiquer son propre maître Husserl (pp. 216-217) d’une manière si prétentieuse qu’elle laisse rêveuse.
La thèse commence à se dessiner plus précisément à la page 223 : Tengelyi prône le dialogue interculturel avec l’étranger, le renoncement au concept du «propre» et considère Totalité et infini comme «la première grande œuvre de Lévinas» parce qu’elle aborde la question éthique. Totalité et infini est une thèse de doctorat tardive qui marque certes une date et donne une impulsion fondamentale à l’infléchissement de l’évolution philosophique de Lévinas, mais qui est précédée de très nombreux articles métaphysiquement importants dans la bio-bibliographie lévinassienne. La présenter ainsi est objectivement trompeur.
On lit une phrase succulente à la page 230 : «[...] Derrida souligne à bon droit que Husserl «se montre soucieux de respecter dans sa signification l’altérité d’autrui». Lévinas insiste lui aussi à bon droit sur le fait que, etc. [...]». Le premier a toujours eu le chic pour enfoncer des portes ouvertes. Tengelyi prend la suite courageusement. Une comparaison scolaire et fragmentaire des morales d’Aristote et de Kant à la page 250 donne aussi le ton récurrent de cet ouvrage : une certaine niaiserie appliquée.
La quatrième partie est une laborieuse position d’éléments «pour une éthique de l’altérité». On nous y parle à la page320 de la «question d’une possibilisation de la moralité conforme à la conduite de la vie». Il suffisait d’écrire : «la question de savoir comment la moralité peut nous guider» ! Page 340, l’auteur nous avoue, après quelques commentaires des inévitables Lacan et Ricoeur – et cet aveu nous soulage un peu – que «Nous laisserons ces questions ouvertes». La page suivante commente la morale de Kant puis la thèse de Nabert sur celle-ci. La conclusion est particulièrement nulle en dépit de sa modestie remarquable… Qu’on en juge : «Pourtant, le mal ne porte pas toujours l’empreinte du bien. Le bien reste plutôt différent du mal. Différent, toutefois d’une différence qui, comme le dit Lévinas, est plus différente que l’opposition». Flatus vocis…, dissolution totale de la pensée, en somme. Il fallait oser écrire ça pour achever la dernière page 358 !
Bref, un livre à l’occasion utile au philosophe cultivé en raison de certaines discussions techniques précises et occasionnelles mais inutile pour les novices, qu’il ne pourra qu’égarer sur de mauvais chemins.

P.S. : nous nous excusons du délai très long écoulé entre notre réception du livre et l’envoi de notre recension critique auprès de son éditeur comme auprès du nôtre, notre cher varan Juan Asensio. Mais peut-être le premier regrettera-t-il, après lecture de celle-ci, qu’il n’ait pas été beaucoup plus long encore ?

Note additionnelle sur l’édition Vrin, coll. B.H.P., de 1982 de Lévinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger.
Nous signalons à l’éditeur Vrin qu’à l’occasion de notre lecture, nous avons rajouté une liste d’à peu près 35 coquilles et fautes de syntaxe ou de grammaire – sans parler de très nombreuses fautes de ponctuations – à la liste déjà considérable d’errata établie à l’avant-dernière page. Nous en tenons la liste exhaustive (page et ligne de la page) à sa disposition.
Quant au fond, il est évident que Lévinas se sépare toujours davantage d’Husserl à mesure qu’il vieillit. Il devient poète et moraliste d’abord, métaphysicien ensuite ou simultanément, peut-être. C’était son ambition : ce fut en effet son originalité. Mais les premiers écrits historiques de Lévinas sur Husserl – et Heidegger – sont utiles à comparer, pour saisir la réception et le retentissement de la phénoménologie husserlienne, avec ceux par exemple d’un Gaston Berger (années 40-60) ou d’un René Schérer (années 60-75). Il reste que de cette comparaison il nous semble évident qu’émerge un problème : Husserl à hésité toute sa vie entre réalisme et idéalisme. C’était un oscillateur incarné. Et ses commentateurs (notamment Merleau-Ponty, en France) sont incapables de trancher dans un sens ou dans l’autre très longtemps : ils oscillent aussi toujours eux-mêmes. C’est l’aporie phénoménologique dans toute sa saveur et sa richesse : saveur réservée aux techniciens raffinés mais qui peut lasser ou dégoûter les novices très rapidement de l’idée de philosophie elle-même qui est bien sûr tout, sauf une «science rigoureuse» au sens où Edmund Husserl l’entendait parfois. C’est ici que la critique d’Husserl par Léon Chestov peut être mentionnée ainsi que le dialogue manqué de Chestov avec Jean Hering : elle ouvre bien des perspectives jamais véritablement dépassées depuis.

Sur Alberto Carlisky : sculpteur, né en Argentine en 1914. Antifasciste. Carlisky débute dans le journalisme, milite pour les républicains espagnols et gagne sa vie dans la publicté. Il travaille en sculpteur autodidacte, à l'âge de 38 ans, avec Zadkine. Une année plus tard, il expose pour la première fois de sa vie à Paris. Ensuite viennent les biennales de Buenos Aires, Venise, Sao Paolo. Première exposition d'art contemporain au musée Rodin. Plusieurs expositions individuelles et collectives en France et à l'étranger. Il s'installera définitivement en France à partir de 1959 où il mourra en 1999. Signalons une exposition à l'Espace Cardin de la série L'homme martyr de l'homme, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest ainsi qu'une rétrospective de son œuvre en 1982.

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17/06/2006

Le Da Vinci Code ou la régression païenne, par Germain Souchet

Léonard de Vinci, Le dernier Souper, 1495-1498


«Lorsque la vraie doctrine est impopulaire, il n’est pas permis de rechercher la popularité au prix d’accommodements faciles. […] Nous n’avons pas le droit d’abandonner «l’enseignement solide» ni de le modifier. Le transmettre dans son intégralité est le rôle du Magistère de l’Église.»
Jean-Paul II, Entrez dans l’Espérance (Plon-Mame, 1994).


Le pilonnage médiatique aura donc été efficace. Alors que le livre de Dan Brown s’était déjà vendu à plus de quarante millions d’exemplaires à travers le monde, l’adaptation cinématographique du Da Vinci Code, réalisée par Ron Howard, avec Tom Hanks dans le rôle principal, a raflé plus de 225 millions de dollars le week-end de sa sortie internationale. Cette performance exceptionnelle – la deuxième de «tous les temps», selon l’expression consacrée du petit milieu nombriliste du cinéma hollywoodien – a déjà permis aux studios américains d’engranger 100 millions de dollars de bénéfices. Aux seuls États-Unis, le film a rapporté à ses producteurs la bagatelle de 75 millions de dollars en trois jours seulement. Nul doute que cette superproduction, à défaut de convaincre, lors de sa projection sur la Croisette, une presse pourtant largement anticléricale, tiendra toutes ses promesses au «box office». Dans une société ayant remplacé le culte du Christ-Roi par celui de l’Argent-Roi, le Da Vinci Code a d’ores et déjà trouvé sa place au panthéon des réussites commerciales.
Je tiens à le dire tout de suite : je n’ai pas lu le livre et je n’ai nullement l’intention d’aller voir le film. Non que je boycotte l’œuvre – peut-on ainsi l’appeler ? – du mystérieux Dan Brown, comme avait appelé à le faire, maladroitement, un prélat du Vatican, au risque d’alimenter le fantasme, cher aux médias, d’une «peur» de l’Église. C’était oublier que cette dernière, revigorée par le pontificat de Jean-Paul II, qui s’était ouvert en 1978 par sa désormais célèbre exhortation, ne pouvait raisonnablement avoir peur de ce non-événement historique et théologique. Non, bien que l’idée de contribuer à l’enrichissement de Dan Brown ou à celui de cinéastes peu scrupuleux m’eût révulsé, elle n’aurait pour autant pas constitué un obstacle insurmontable. Mais, voyez-vous, la vie est bien trop précieuse pour que je perde ne serait-ce que deux heures de ma courte existence à assister à la projection d’une histoire dont le «crétinisme» a fort justement été pointé par Marie-Noëlle Tranchant dans sa critique écrite pour Le Figaro.
Je laisse donc à d’autres, qui ont eu le courage de lire ce «thriller théologique», le soin de répondre aux soi-disant arguments «troublants» – mot qu’il suffit de prononcer, sans la moindre once de fondement historique, pour que les esprits faibles soient convaincus de l’existence d’une vaste machination – avancés par l’auteur. Cette tâche a d’ailleurs largement été amorcée, souvent avec talent, dans des ouvrages d’enquête, des journaux généralistes ou spécialisés, ou encore sur des sites Internet (1). J’entends simplement, dans ces quelques lignes, montrer en quoi le mariage de Jésus-Christ avec Marie-Madeleine est une impossibilité théologique.
Une dernière chose, tout de même, avant d’en venir au cœur de ma réflexion. Au siècle dernier, la légende des Protocoles des Sages de Sion a servi de justification à un antisémitisme violent, largement répandu à travers l’Europe, et sur lequel des régimes barbares se sont appuyés pour exécuter leurs politiques génocidaires. Aujourd’hui, les esprits rationnels s’évertuent à expliquer que l’utilisation de la théorie du complot est caractéristique des idéologies de la haine, dont les effets ravageurs ne sont plus à démontrer. Le mythe tenace des Protocoles des Sages de Sion, inventé de toute pièce, est donc unanimement et légitimement dénoncé comme criminel. Mais, au fond, qu’y a-t-il de différent entre ce protocole fictif et le livre de Dan Brown, qui prétend que l’Église, depuis deux mille ans, cache un terrible secret pour mieux régner sur les esprits ? Notre société est-elle prête à légitimer la théorie du complot, que seul le mystérieux «Prieuré de Sion» – étrange consonance, tout de même, avec les Protocoles des Sages de Sion – aurait découvert, parce qu’elle vise les catholiques ? Si l’utilisation de ressorts totalitaires est tolérée et activement relayée par les médias à l’encontre de certains groupes religieux, sans que personne n’y trouve rien à redire, alors la liberté de culte est un mot bien vide de sens… et l’athéisme institutionnalisé une menace bien réelle.

La théorie de Dan Brown – car bien que celui-ci s’en défende, son ouvrage a pour ambition de «révéler» l’histoire «véridique» du christianisme – est désormais bien connue : selon l’auteur américain, Jésus aurait épousé Marie-Madeleine et aurait eu une fille avec elle. À sa mort, son épouse, à qui il avait confié la direction de son Église, aurait été écartée par Saint Pierre et les autres apôtres, machistes invétérés, qui auraient soigneusement effacé toute trace du mariage de leur maître avec l’ancienne pécheresse. Marie-Madeleine se serait alors réfugiée en France, où sa descendance aurait prospéré jusqu’à aujourd’hui, en passant notamment par la dynastie royale des Mérovingiens. Inutile de préciser que dans la vision brownesque de l’Histoire, Jésus ne serait pas ressuscité. Ce n’est que plusieurs siècles après, lors du Concile de Nicée, que l’Empereur Constantin – on se demande bien pour quel motif – aurait acheté le vote des évêques, afin que la divinité du Christ soit reconnue. Ce terrible secret aurait été découvert et gardé par le Prieuré de Sion, société fondée lors des Croisades, et dont le membre le plus célèbre aurait été Léonard de Vinci. Au lieu de crier haut et fort la vérité, au lieu de révéler publiquement l’incroyable imposture, les membres du Prieuré se seraient contentés, au cours du dernier millénaire, de tenter d’alerter leurs contemporains en cachant des indices dans des tableaux, des écrits, ou dans des églises. Étrange façon de procéder pour qui prétend libérer le monde occidental de la tyrannie du Vatican…
Passons sur l’absurdité et les incohérences de ce scénario, ainsi que sur l’énormité des erreurs historiques et théologiques commises par Dan Brown (2), et essayons de voir ce qui se cache derrière cette «théorie». Ne pouvant s’opposer frontalement au message du Christ, qui parle d’Amour et de Pardon, les ennemis du christianisme tentent désormais de le vider de sa substance. L’idée souvent avancée de nos jours est, qu’au fond, seul le message des Évangiles compterait. Que Jésus soit on non Dieu serait secondaire, voire accessoire. Or, précisément, le message du Christ n’a de sens que s’Il est le Fils de Dieu, deuxième Personne de la Très Sainte Trinité. Dans sa première épître aux Corinthiens, Saint Paul le dit très clairement :
«Si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi. […] Le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis. Car la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. De même en effet que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ. […] Puis ce sera la fin, lorsqu’il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance. […] Et lorsque toutes les choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous» (1 Co, 14-28).
Sans la divinité de Jésus, qui s’est manifestée par Sa résurrection, il ne peut en effet y avoir d’Espérance. Sans l’annonce de l’avènement du Royaume de Dieu, il ne peut y avoir de Justice. Et alors le message des Évangiles n’est plus celui de l’Amour qui donne Sens et du Pardon qui trouve sa source en Dieu, mais une belle déclaration d’intention pouvant toucher à la mièvrerie. Utilisé par les apôtres d’un gauchisme faussement généreux, il devient justification incohérente d’un partage des richesses imposé – jusque par la violence –, d’un pacifisme lâche et meurtrier, et enfin d’une tolérance généralisée face à la dissolution des mœurs. Or, si le Christ nous parle d’Amour, sa Parole est aussi exigeante et éminemment morale. Cela, naturellement, est inacceptable dans une société qui refuse toute forme de contrainte, croyant trouver le bonheur dans l’asservissement volontaire à ses désirs de puissance et de jouissance effrénée.

Quel rapport avec le Da Vinci Code, me direz-vous ? Il est fort simple. Si Jésus avait épousé Marie-Madeleine, Il ne serait pas le Fils de Dieu et Il ne serait pas ressuscité. Le christianisme, dès lors, ne serait qu’un avatar des paganismes antiques, une vieille superstition qui n’aurait rien à dire à ce monde, et que le monde pourrait donc balayer d’un revers de main…
La différence fondamentale entre le polythéisme et le monothéisme ne tient pas tant, en effet, au nombre qu’à la nature de la divinité. Les dieux païens étaient contingents, quand le Dieu unique est absolu. Dans les mythologies grecque et romaine, comme dans les mythologies nordiques, les dieux sont des êtres immortels, qui ont souvent succédé à d’autres êtres supérieurs (les Titans, chez les Grecs), et dont le règne est perpétuellement menacé. À l’inverse, le Dieu d’Israël est éternel. Il est la source de toute chose. Il est le Créateur que personne n’a créé et il ne s’inscrit ni dans la temporalité ni dans l’espace. Les dieux païens incarnaient des concepts et ressemblaient aux hommes. Le Dieu de l’unique Alliance, quant à lui, est une personne qui a créé l’Homme à Son image, mais qui ne peut être totalement compris par la raison bornée de Sa créature.
Dans ce contexte, l’Incarnation de la deuxième Personne de la Trinité, du Verbe de Dieu, de Jésus-Christ, constitue un mystère éblouissant. À la fois homme, pleinement homme, Il reste en même temps Dieu, pleinement Dieu, «de même nature que le Père», selon le symbole de Nicée-Constantinople (3). Ayant pleinement partagé la condition des Hommes, Dieu nous est devenu proche, d’autant plus proche qu’Il a désormais un visage, celui de Jésus. Mais dans le même temps, Il est resté le Dieu absolu de l’Ancien Testament, ce qui était indispensable à la rédemption de l’Humanité, car seul Dieu, en rétablissant la dignité originelle de l’Homme, pouvait nous libérer des contingences du péché et de la mort. De fait, il demeure une distance infranchissable qui nous séparera toujours du Seigneur.
Si Jésus s’était marié, et s’Il avait eu une relation charnelle avec Marie-Madeleine, cette distance aurait été franchie. Cet absolu que Jésus incarne dans Son humanité aurait disparu. Car seuls des dieux contingents, terrestres, temporels, peuvent s’unir par la chair à des hommes ou à des femmes. À l’inverse, la vie terrestre de Jésus n’est qu’une dimension de Son existence : «né de Dieu avant tous les siècles», selon le symbole de Nicée-Constantinople, le Verbe a toujours été. C’est ce que confirme le premier verset de l’Évangile selon Saint Jean : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu» (Jn 1, 1). L’Incarnation du Verbe dans l’Histoire des hommes n’enlève donc rien à l’éternité du Christ. Dès lors, en se faisant Homme, il apporte aux Hommes le Sens que Son Père donne à toutes choses, et qui s’exprime à travers Son Amour. Cet Amour est gratuit, il est donné également à tous les hommes et il n’a besoin d’aucun retour. Ainsi, on comprend bien que Jésus ne pouvait aimer d’un amour terrestre Marie-Madeleine : cet amour, en effet, aurait eu besoin de réciprocité, alors que Dieu ne peut avoir besoin de l’Homme. Jésus aimait donc Marie-Madeleine autant que tous les autres hommes et toutes les autres femmes ayant vécu avant, pendant et après Son passage sur Terre. Ni plus, ni moins. Prétendre le contraire, c’est dégrader la divinité du Christ et manifester son incompréhension du mystère de l’Incarnation.
Cet argument suffirait, en lui-même, à porter un coup fatal à la théorie de Dan Brown. Mais, puisque, décidément, beaucoup de ses lecteurs croient en ses élucubrations, ne nous arrêtons pas en si bon chemin. D’aucuns prétendent que l’idée d’une relation charnelle entre le Christ et Marie-Madeleine dérange l’Église «qui a un problème avec la sexualité», selon la formule consacrée. Là encore, cette affirmation ne résiste pas à l’analyse. Si on s’intéresse à la théologie de la sexualité, et en particulier aux développements que lui ont consacré les papes Jean-Paul II (4) et Benoît XVI, on constate que l’éros a toute sa place dans la vie d’un chrétien. Dans son encyclique Dieu est amour, le souverain pontife affirme en effet que «si l’homme aspire à être seulement esprit et qu’il veut refuser la chair comme étant un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur dignité». Seulement, la chair ne doit pas non plus être coupée de l’esprit :
«Mais ce n’est pas seulement l’esprit ou le corps qui aime; c’est l’homme, la personne, qui aime comme créature unifiée, dont font partie le corps et l’âme. C’est seulement lorsque les deux se fondent véritablement en une unité que l’homme devient pleinement lui-même. C’est uniquement de cette façon que l’amour – l’éros – peut mûrir jusqu’à parvenir à sa vraie grandeur» (Benoît XVI, Deus caritas est, 5).
Cette grandeur de l’éros, Jean-Paul II l’a explicitée d’une façon radicalement nouvelle dans les premières années de son pontificat. L’union des corps, dans le cadre des liens sacrés du mariage, et dans la mesure où l’acte sexuel n’est pas coupé de la possibilité de la procréation, peut être considéré comme une communion :
«Pour qu’il y ait communion, il faut que soient réunies les conditions du don des personnes. […] Il s’agit de se donner pleinement et sans réserve, selon la tonalité de ce que nous sommes. Et ce don total n’est pas possible s’il y a dissociation entre les deux significations de l’acte conjugal. Cette norme éthique n’est donc pas une sorte de diktat moral qui s’imposerait comme l’absolu d’un ordre moral insupportable. Elle n’est que la condition minimale du don des personnes leur permettant d’arriver dans et par l’acte conjugal à cette véritable communion qui est l’aspiration la plus fondamentale de la personne humaine, car la personne est faite pour le don d’elle-même dans la communion. C’est pourquoi l’acte sexuel authentiquement vécu comme communion des personnes conduit les époux à la communion à Dieu alors que la simple union des corps peut en éloigner» (in La sexualité selon Jean-Paul II, op. cit.)
Autrement dit, la sexualité bien vécue est non seulement conforme à l’ordre du monde créé par Dieu, mais elle est même communion à Dieu. L’union des corps des époux peut donc être perçue comme l’annonce, la préfiguration du royaume des cieux. Jésus, le Christ, Celui qui vient ouvrir pour nous les portes de ce royaume, pouvait-Il donc se contenter d’en vivre les prémices ? Pouvait-Il rechercher, auprès de Marie-Madeleine, une communion à Dieu alors qu’Il est Lui-même Dieu et qu’Il se donne en communion par l’eucharistie ? Prétendre qu’une relation charnelle entre Jésus et Marie-Madeleine ne pose aucune difficulté est donc tout simplement absurde. Peut-on imaginer Jésus communiant au moment de la Cène ?
Pour terminer sur la question de la sexualité, il est nécessaire d’aborder aussi le dogme de la Virginité de Marie. Le même raisonnement que précédemment peut être employé. Certes, Marie n’est pas de nature divine : même si elle est la plus sainte de toutes les femmes, elle n’est pour autant qu’une femme. Néanmoins, ayant porté en son sein le Fils de Dieu, ayant donné naissance au Messie, elle a vécu un événement qui dépasse l’entendement humain. Son corps s’est transformé en Temple pour le Christ, qui signifie littéralement l’Oint du Seigneur; elle L’a porté et L’a senti vivre en elle (5). Elle a donc atteint à une forme de communion qu’aucune autre personne sur cette Terre ne pourra jamais connaître. À partir de là, il est facile de comprendre qu’elle soit restée toujours Vierge, car elle ne pouvait, par la suite, rechercher une communion inférieure à celle que la Providence lui avait donné à vivre.
Ainsi, ceux qui affirment que Jésus pouvait parfaitement, en tant qu’homme, épouser Marie-Madeleine et avoir des relations charnelles avec elle montrent clairement qu’ils ne conçoivent la sexualité que d’un point de vue strictement humain. Incapables d’appréhender la dimension spirituelle et transcendante de l’acte conjugal, telle que révélée par la théologie des corps, ils ne peuvent voir les incohérences flagrantes de leurs affirmations.

Définitivement discrédité, le Da Vinci Code ? Peut-être, mais que le lecteur me permette de lui porter l’estocade. Il convient en effet d’étudier la question de la descendance de Jésus.
Si le Christ s’était marié, il paraîtrait logique qu’il ait eu des enfants. En tout cas, la théologie chrétienne affirme – ô, affreux conservatisme ! – que le mariage se doit d’être tourné vers la procréation. Dan Brown, fait surprenant, s’inscrit dans cette logique mais, obsédé par sa théorie du «féminin sacré», il affirme que Marie-Madeleine a donné naissance à une fille. Or, si Jésus est le Fils de Dieu, que sont ses descendants ? Sa fille serait-elle, comme dans les paganismes antiques, une demi-déesse ? Et ses petits-enfants, des «quarts de dieux», puis des «huitièmes de dieux» ? On le voit, cette théorie nous renvoie une nouvelle fois à une conception archaïque de la divinité, qui permettait une démultiplication des dieux et l’apparition d’une «race» supérieure, celle, précisément, des demi-dieux (6). Elle s’oppose à l’unité absolue de la Transcendance inhérente au monothéisme, mais aussi à l’unité absolue du genre humain. En effet, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, l’Homme apparaît comme la créature de Dieu et aucune distinction n’est faite entre les individus. Tous créés à l’image du Seigneur, ils ont en conséquence une dignité égale. C’est ce qui, seul, peut fonder la théorie des droits de l’Homme, n’en déplaise aux grands prêtres de la fraternité mondiale. Car il ne peut y avoir de fraternité sans paternité commune…
Par voie de conséquence, l’existence d’une descendance du Messie remettrait en cause l’unité et l’égalité de l’Amour de Dieu pour tous les êtres humains. En effet, Jésus ne serait-Il pas tenté de considérer Ses héritiers comme étant «davantage» Ses enfants que les autres Hommes ? Ne les aimerait-Il pas plus ? Et comment pourrait-on penser que le Jugement Dernier, annoncé notamment par l’Apocalypse de Saint Jean, puisse être équitable ? N’y aurait-il pas un risque de favoritisme envers cette «lignée royale» ?
Sur ce point comme sur les autres, la théologie catholique n’a rien à craindre des théories farfelues du livre de Dan Brown. Sa cohérence sans failles, signe, à mon sens, de sa Vérité, la met nécessairement à l’abri de tous les mensonges et de toutes les calomnies.
La Vérité de la foi catholique, justement, est la suivante : si Jésus a bien une épouse, il s’agit de l’Église, et non de Marie-Madeleine. L’Église est donc à la fois le Corps mystique du Christ, dont Il est la tête, et son Épouse. C’est ce que rappelle l’Abrégé du catéchisme de l’Église catholique, promulgué par la lettre apostolique en forme de motu proprio du Pape Benoît XVI, le 28 juin 2005 : «[…] Le Seigneur lui-même s’est défini comme «l’Époux» (Mc 2, 19) qui a aimé l’Église, qui s’est lié à elle par une Alliance éternelle. Il s’est livré pour elle, afin de la purifier par son sang, de la «rendre sainte» (Ep 5, 26) et d’en faire la mère féconde de tous les fils de Dieu. Si le terme «corps» fait apparaître l’unité de la «tête» et des membres, le terme « épouse » met en relief la distinction des deux dans une relation personnelle» (paragraphe 158). L’Église, dès lors, n’est pas un organe de pouvoir, prêt à tout pour défendre son pré carré, comme Dan Brown voudrait nous le faire croire. Continuellement assistée par l’Esprit-Saint, descendu sur les apôtres le jour de la Pentecôte (Ac 2, 1-4), elle a reçu pour mission de témoigner de la Résurrection du Christ, son Époux mystique, et d’annoncer l’Évangile au monde entier.

Au terme de cette analyse complexe, une question demeure : le Da Vinci Code constitue-t-il une menace pour la diffusion de la foi chrétienne ? Pour les athées, il ne change rien : puisqu’ils ne croient pas que Jésus est le Fils de Dieu, et même, puisqu’ils ne croient pas en Dieu, peu leur importe que Jésus se soit ou non marié avec Marie-Madeleine.
Le danger concerne donc avant tout les agnostiques : leur culture religieuse, dans nos sociétés oublieuses de leur passé et de leurs valeurs, frôle souvent le zéro absolu. En lisant le Da Vinci Code, petit thriller somme toute insignifiant, ils croient «apprendre beaucoup de choses sur le christianisme», comme plusieurs me l’ont confié (7). En réalité, ils n’apprennent rien. Manipulés par un auteur qui prétend s’appuyer sur certaines vérités cachées, alors qu’il n’avance pas le moindre élément de preuve historique à l’appui de ses théories – et je dis bien historique, pas théologique –, ils en viennent à porter un jugement fortement négatif sur l’Église catholique. Ils risquent d’être ainsi durablement, si ce n’est définitivement, réticents à toute forme d’évangélisation. Or, quand les valeurs chrétiennes reculent, le monde se porte moins bien. Les intérêts égoïstes, la haine et la marchandisation de l’être humain progressent. Et ce sont les mêmes qui, après avoir contribué à affaiblir l’Église, cause unique, à leurs yeux, de tous les maux de l’Histoire, s’étonnent de constater que les choses empirent…
Cela étant, les chrétiens eux-mêmes ne sont pas à l’abri des effets pervers du Da Vinci Code. Plusieurs reportages ont, complaisamment, relayé les déclarations d’hommes et de femmes, catholiques fervents, se disant «ébranlés» par la lecture de cet ouvrage. Mais surtout, nous avons vu fleurir, au cours des dernières semaines, un discours tentant de minimiser l’impact d’une telle «révélation». À en croire certains, parmi lesquels l’omniprésent Frédéric Lenoir du Monde des religions, dont l’avis théologique pèse plus – ô nivellement permanent des médias ! – que celui même du Pape, un chrétien peut très bien s’accommoder d’un Jésus marié. En fait, cela le rendrait «plus proche» de nous, «plus humain» et plus compréhensif, plus à l’écoute de nos problèmes quotidiens. Et cela permettrait aussi de dénoncer l’attitude rigide de l’Église qui refuse toujours – mais comment ose-t-elle ? – la contraception, l’avortement, le mariage des prêtres et l’ordination des femmes.
Citant les Écritures, mais les déformant et les sortant de leur contexte, comme le fit Satan quand il tenta le Christ dans le désert (8), ces individus espèrent semer le doute dans l’esprit des croyants. Le risque est que certains chrétiens, certes de bonne volonté mais ne comprenant pas l’importance du dogme et peu attentifs aux déformations que celui-ci peut subir, acceptent de faire des concessions sur l’essentiel, croyant que l’important est seulement de répandre le message du Christ – alors que celui-ci est indissociable de sa Personne. Ce faisant, des entreprises comme le Da Vinci Code pourraient affadir le christianisme et le transformer en une insipide bouillie rose droit-de-l’hommiste qui, de fait, n’aurait plus rien à apporter à notre époque. À défaut d’être abattu, il ne dérangerait plus personne.
Le rôle de tout chrétien est, au milieu de cette sombre nuit de la pensée, d’allumer des flambeaux pour éviter que certains d’entre eux ne se perdent. C’est ce que ces quelques lignes ont tenté, humblement et bien imparfaitement, de faire.

Que le lecteur me permette une toute dernière remarque. Après avoir tout mis en œuvre pour saper les fondements du christianisme, Dan Brown termine son livre par un éloge du «féminin sacré» – représenté par Marie-Madeleine – qui aurait été étouffé par l’Église, institution d’hommes, au profit d’un patriarcat dont la violence et la guerre seraient les conséquences naturelles. C’est oublier la place éminente accordée par les catholiques aux femmes, de Marie et Marie-Madeleine à la bienheureuse Mère Teresa, en passant par Sainte Thérèse d’Avila et Sainte Thérèse de Lisieux, docteurs de l’Église. C’est oublier également que Jésus est très souvent présenté comme le Prince de la Paix par la hiérarchie catholique.
Mais c’est surtout faire un aveu extraordinaire : le monde d’aujourd’hui, désenchanté parce que déchristianisé, ne serait pas viable sans vie spirituelle. Pour combler le vide oppressant de nos sociétés matérialistes, mais détestant l’exigence de la Vérité chrétienne, Dan Brown a donc recours à un culte païen, ancestral même. Cette régression théologique, ce retour volontaire à des croyances primaires donnerait presque raison à Marx, pour qui la religion était l’opium du peuple. Et, par le jeu des contrastes, elle fait apparaître l’éternelle actualité du christianisme. C’est finalement le mérite caché du Da Vinci Code.

Bien joué, Mr. Brown !

Notes :
(1) : Voir notamment les dossiers du Figaro, de Famille chrétienne ou encore le site suivant.
(2) : Je ne peux m’empêcher, tout de même, de faire deux remarques. Si les apôtres et, aujourd’hui, l’Église, avaient été si machistes, pourquoi auraient-ils accordé une place aussi éminente à Marie, mère du Sauveur, «élevée corps et âme à la gloire du ciel et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers» (Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, 59) ? Par ailleurs, le concile de Nicée avait pour objet de condamner l’hérésie arienne qui, tout en reconnaissant la divinité du Christ, prétendait que Jésus n’était pas de même nature que le Père. Le vote des évêques rétablissant la vérité de la foi ne fut pas obtenu à une courte majorité, comme l’affirme le livre, mais à la quasi-unanimité. Naturellement, la subtilité de ces débats théologiques échappe à la grossièreté du traitement médiatique réservé au Da Vinci Code.
(3) : C’est ce que confesse Pierre à Césarée de Philippe : «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16, 16).
(4) : Cf. l’excellent ouvrage d’Yves Sémen, La sexualité selon Jean-Paul II (Presses de la Renaissance, 2004).
(5) : C’est ce qu’expriment, entre autres, les paroles d’Élisabeth à Marie lors de la Visitation, reprises ensuite dans la prière traditionnelle de l’Ave Maria : «Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni».
(6) : Comme si la divinité était un caractère génétique qui pouvait se transmettre de génération en génération. À l’inverse, la divinité du Christ n’est pas héritée, elle résulte de son ontologie même et de sa conception par l’action mystérieuse du Saint-Esprit. De manière incidente, on comprend aussi que la Virginité de Marie, de même que l’absence de paternité de Saint Joseph, sont des nécessités théologiques.
(7) : C’est ainsi qu’un tiers des Français et plus de quinze pour cent des Américains se déclarent désormais convaincus que Jésus avait épousé Marie-Madeleine.
(8) : Mt 4, 1-11; Mc 1, 12-13; Lc 4, 1-13. La déformation et la parodie semblent être les armes préférées du diable.

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13/06/2006

Le Mahatma Pierre-Emmanuel Dauzat

Crédits photographiques : Bikas Das (Associated Press).

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11/06/2006

Deux revues de combat : Controverses et Jibrile

Paul Klee, Angelus Novus


La revue JibrileDans la dernière livraison de l'excellente revue Jibrile, j'ai beaucoup apprécié le dossier, aussi bien fouillé qu'intéressant, consacré par Frédéric Dufoing aux auteurs (nous parcourons bien des siècles en allant des doctrines épicuriennes aux avertissements prophétiques de Günther Anders) ayant sondé les principaux traits de notre modernité technicienne. Une seule fausse note, l'article expéditif, une fois de plus approximatif et pompeux (je songe à l'irrécupérable papier qu'il avait fait paraître dans un dossier du Journal de la culture consacré à Georges Bernanos) que Jacques de Guillebon a consacré à Ivan Illitch, qu'il reconnaît être un bon penseur mais qu'il stigmatise, si j'ai bien compris le ridicule de l'analyse, pour la très bonne raison qu'il... n'a pas la foi ou plutôt celle, bien sûr d'une charité excessive, d'une noble ouverture d'âme et riche à profusion de talents, qu'il plairait à notre mousquetaire excédé de lui voir endosser. Guillebon écrit ainsi que «la technique est à détruire entièrement comme idole, comme dieu pseudo-vivant. C'est-à-dire qu'elle n'est pas à réduire, mais à expulser définitivement du trône où l'humanité l'a laissé s'installer, qui est le trône de l'Unique». Merveilleux de pertinence sulpicienne et... ridicule puisque, comble de malchance, la citation par laquelle l'auteur conclut son tout petit article, signée du père Kolbe, affirme exactement le contraire : «Il n'y a finalement pas de mal à user de toutes les technologies nouvelles que le monde nous offre. Il faut simplement que, là où est la machine, là soit, plus présente encore, la prière.» Détruisons donc la technique, oui, radicalement : lançons, enfin grands dieux, le Jihad Butlérien décrit par les romanciers futuristes. Affranchissons-nous encore de toutes les barrières petitement bourgeoises que les placides exaltés décrits par Ballard dans Millenium People veulent renverser et parions alors que, très vite, des pans entiers de la civilisation retourneront aux mangroves infestées de rats d'eau. Nul doute alors, ce sera même pour moi une très douce consolation en ces temps futurs d'Apostasie, nul doute que nous croiserons, sur son embarcation légère de bambou assemblée à la diable par quelques hardis scouts au visage glabre de Torquemada de catéchèse, la main en visière sur le regard sombre fouillant les terres idolâtres, notre fier missionnaire Guillebon venu porter la Bonne Nouvelle jusqu'au plus profond des forêts redevenues subitement dangereuses et frémissantes d'ombres noires...
La revue Controverses publiée par L'ÉclatPubliée par les éditions de L'Éclat que je suis avec beaucoup d'attention depuis de nombreuses années à présent, voici le premier numéro d'une revue, Controverses, qui eût sans doute mérité de s'appeler Combats, tant son ton est réjouissant, je veux dire utilement polémique, tranchant avec la logorrhée saumâtre du reportage universel. Avec un dossier consacré à la théologie politique des alter-mondialistes, des têtes de Turc dont les noms bien connus sont Hardt et Negri, il y a fort à parier qu'un silence prudent, de la part des plumes timorées des salles de rédaction, ne soit observé à l'endroit de Controverses. Quoi qu'il en soit, plusieurs auteurs attaquent les fondements vermoulus de la pseudo-philosophie alter-mondialiste, par exemple rigoureusement critiquée par Shmuel Trigano (lequel dirige par ailleurs la revue) ou encore Mitchell Cohen. Mais l'article, en tous points remarquable (et surtout... relu, ce qui n'est hélas pas le cas de bien des articles de Controverses, l'exemple de ce manque de correction grammaticale la plus élémentaire étant donné par le texte de Léon Sann), est celui signé par Rapaël Lellouche, auteur d'un livre à paraître sur Emmanuel Levinas aux éditions de L'Éclat. Lellouche analyse superbement le messianisme de l'apôtre Paul, affirmant que nul ne saurait passer sous silence sa dimension profondément prophétique, ne craignant pas de voir dans l'ouvrage célèbre que lui a consacré Jacob Taubes (La Théologie politique de Paul, Seuil; Abendländische Eschatologie, lui, n'a pas encore été traduit dans notre langue) et dans celui (qui célèbre ne l'est pas moins, hélas...), rédigé par Badiou (Saint Paul, la fondation de l'universalisme, PUF), deux extrêmes de l'interprétation contemporaine du paulinisme. La lecture à laquelle l'auteur procède de l'essai de Badiou est implacable dans ses conclusions : l'intellectuel maoïste n'a à peu près rien compris à la pensée théologico-politique de l'apôtre, qu'il réduit à n'être qu'un chantre de l'universalisme, pseudo-concept devant lequel se pâment tous les pions de l'alter-pensée, qu'il faudrait, après cette lecture corrosive, renommer sous-pensée. Et Lellouche d'affirmer que l'interprétation d'Agamben (Le Temps qui reste, Rivages), sur ces questions difficiles, est tout de même d'une portée nettement supérieure à celle de Badiou, tout de même plus à l'aise, me semble-t-il, lorsqu'il s'agit de disserter sur le concept de mathème (que l'auteur oppose à l'analyse heideggérienne du poème en tant que vecteur privilégié du dévoilement de l'être, cf. L'Être et l'Événement, Seuil). C'est enfin Shmuel Trigano qui conclut ce remarquable dossier sur le retour à Paul de certains penseurs contemporains, affirmant de celui-ci qu'il pourrait : «montrer que quelque chose d'autre se trame, comme un nouvel âge de l'Europe, sortant de la modernité. Au moment où les post-modernistes décrètent la fin de l'État-nation et s'auto-hypnotisent avec le rêve (prfondément totalitaire) d'un État mondial et vertueux, multiculturel, métissé, les Juifs par leur persévérance dans l'être [...], leur identité trop forte et surtout l'État-nation d'Israël deviennent l'objet de leur exécration» (Controverses, p. 117).

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08/06/2006

Les voies du Stalker, 3 : L'Éphémère chinois

Photographie (intitulée Peso del corazon de la literatura, détail) de F. Javier Alvarez Cobb, extraite de la série intitulée Autopsia, en référence à ce blog.

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07/06/2006

Entretien sur Léon Bloy avec Pierre Glaudes, suite

Crédits photographiques : Matas Juras (Nature/National Geographic Photo Contest).

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03/06/2006

Sur l'Affaire Handke, par Jean-Gérard Lapacherie



Jean-Gérard Lapacherie, que je remercie, m'a fait parvenir ce court texte, écrit en un temps record qui n'enlève absolument rien à sa force. Depuis quelques jours, en réponse au texte (et à la pétition qui l'accompagne forcément) d'Olivier Py intitulé Le droit de dire non, une pétition circule sur la Toile, grâce aux bons offices de Patrick Barriot qui va publier d'ici peu aux éditions L'Âge d'Homme un ouvrage intitulé Le Crime par la Pensée ou la Jurisprudence Bozonnet dans lequel est analysée la cinquantaine d'articles publiés en France au plus fort de ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'Affaire Handke. Tout lecteur désireux de signer cette pétition peut donc écrire à M. Barriot à cette adresse électronique. Je signale enfin, sur ce même sujet, l'excellent article de Matthieu Baumier paru dans Le Figaro.

La Bêtise, l’immonde Bêtise, la Bêtise au front bas, la Bêtise aux joues épaisses, la Bêtise aux fesses rebondies, la Bêtise à la panse pleine et à la bonne conscience replète, la Bêtise des nantis, la Bêtise qui faisait hurler de rire Flaubert, la Bêtise qui a traduit en justice Baudelaire, la Bêtise aux ciseaux aveugles, la vieille Bêtise racornie, rabougrie, cacochyme, pourrie, corrompue, puante, la Bêtise de toujours, l’éternelle Bêtise bête a encore frappé. Depuis un siècle et demi, elle n’a pas changé. Elle trône dans l’Empire du Bien, cette Vertu incarnée, cette Morale obligatoire, cette sainte Alliance du Beau, du Bien, de l’Utile, du Progrès, de la Direction des Âmes, de la Conscience éclairée, de la Vigilance en éveil, des Dominants, etc. Les favoris louis-philippards ont été remplacés par les cheveux longs soixante-huitards, mais la Bête est toujours là, aux aguets, près de fondre sur la proie innocente, avide de sang chaud et de silence, cupide et sale, rêvant de têtes alignées droit comme les menhirs de Carnac, déambulant sous les lambris dorés du Pouvoir, hantant les studios de télé ou de radio, etc. Elle peut crier, elle aussi, «je suis partout» : partout où il y a du Mal à extirper, elle est prête à la besogne. Au milieu du XIXe siècle, elle se nommait Homais, Pécuchet, Prud’homme, Bouvard, Perrichon ou Bécassine. Aujourd’hui, elle a pour noms Bozonnet Marcel (le bon Marcel de gôche), Daniel Jean, les journaleux du Nouvel Obs. Baudelaire et Flaubert aujourd’hui se nomment Peter Handke.
En elle-même, l’affaire Handke est dérisoire : ce qui y donne du sens, c’est qu’elle révèle la vraie nature de notre époque, comme le papier tournesol de la modernité. Notre époque se croit, se dit, se prétend libérée, subversive, pas bégueule, anticonformiste, bohème, dérangeante, antibourgeoise, convulsive, antiraciste tous ensemble tous ensemble tous, amatrice de prides en tout genre et de world music, etc. Le frac révolutionnaire a beau être pourvu d’amples pans, il ne parvient même pas à dissimuler la stupidité, l’étroitesse d’esprit, la rancune tenace, l’alcool triste, l’inculture, tant ces saletés de l’âme lui collent à la peau. Pendant des décennies, il a été reproché à la Comédie-Française de ne représenter que les pièces du répertoire français. Désormais, elle est ouverte au monde et aux autres; elle accueille en son sein les autres cultures du monde, comme disent les bien pensants du socioculturel : c’est un grand pas en avant, rétorquent-ils. Faisons-leur crédit sur ce point. La Comédie-Française a donc programmé en 2007 Le Voyage au pays sonore ou l’art de la question, une pièce de Peter Handke, écrivain vivant et autrichien de surcroît. Bruno Bayen, un maître de la scène moderne, devait la mettre en scène. On est en plein moderne. Handke le moderne choisi par le Marcel moderne et mis en scène par Bayen le moderne. Tout est moderne. Pourtant, il a suffi que la Marcel, l’Administrateur d’une institution publique, nommé par le pouvoir politique (Jospin ou Lang sans doute), lise dans Le Nouvel Obs, son bréviaire socioculturel (autant dire de m…), un entrefilet mensonger, vipérin, calomniateur, faux, raciste (pourquoi pas ?), le type même du communiqué de Parti tunique (genre PCMLF, Mao spontex, PCF, UOIF, PMF, etc. : les organisations tyranniques sont légion en France), pour qu’il décide de son propre chef, sans en référer à quiconque, de déprogrammer la pièce : de fait de l’interdire. Il a pris ses ciseaux et il a découpé dans le programme 2007 le nom d’Handke pour le faire disparaître, comme d’autres retouchaient les photos officielles, après avoir fait assassiner celui dont il ne devait y avoir de trace nulle part. Quel crime a commis Handke ? Aucun. Il est seulement allé à Požarevac. Pozarevac, pour son malheur, se trouve en Serbie.
Handke a démenti les mensonges du bréviaire socioculturel des imbéciles : « Je n’ai pas déposé une rose rouge sur le corbillard de Slobodan Milošević. Je n’ai pas touché le corbillard. Je n’ai pas brandi le drapeau serbe. Et jamais je n’ai approuvé «le massacre de Srebrenica et autres crimes commis au nom de la purification». Jamais je n’ai considéré les Serbes comme «les vraies victimes de la guerre». Et à Požarevac, je ne suis pas venu «en voyageur de la vérité». Je ne suis pas l’auteur de Justice pour la Serbie, mais du Voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina (Gallimard). Et nulle part, dans mon petit discours à Pozarevac, je n’ai dit : «Je suis heureux d’être près de Slobodan Milošević, qui a défendu son peuple». Cela n’a pas empêché le Marcel d’accorder du crédit à ces mensonges : ils étaient écrits dans le bréviaire socioculturel. La culture s’est mise au garde-à-vous devant le socioculturel. Ce n’est pas la première fois qu’elle s’abaisse et se prosterne. Il en allait ainsi quand l’auteur de La Pucelle distribuait les pensions du Roi aux poètes.
Puisque le Marcel et son bréviaire ont décidé de purifier l’art et la culture, indiquons-leur des pistes. Molière était un intime de Louis XIV. Louis XIV a fait mettre à feu et à sang le Palatinat. Que Molière ne soit plus joué à la Comédie-Française. Musset était un affreux réactionnaire. Que ses pièces soient interdites ! Mme Duras a écrit un ouvrage à la gloire de l’empire colonial, avant de travailler pour les services d’Abetz, puis de faire le procureur dans les procès de la Libération (elle a obtenu la tête d’un pauvre type), puis d’entrer au service de la propagande de Staline. Que jamais ses pièces ne soient jouées à la Comédie-Française. Beckett était une sorte de disciple lointain de Schopenhauer (Le Monde comme volonté et comme représentation); Hitler aussi. Que Beckett ne soit jamais plus joué à la Comédie-Française, etc. À ce rythme, il n’y aura plus sous peu ni théâtre, ni peinture, ni musique, ni littérature, etc. Savonarole et J.-J. Rousseau auront gagné : le seul qui aura survécu à la purification sera l’Observateur des basses-cours par le trou de la serrure. Il fera office de bréviaire socioculturel pour tous les Marcel de la sous-culture à la Goebbels Jdanov.

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02/06/2006

Lettre sur Benjamin Fondane, par Daniel Cohen

Crédits photographiques : Uriel Sinai (Getty Images).

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27/05/2006

Marc-Édouard Nabe le si peu bloyen + Entretien avec Pierre Glaudes

Crédits photographiques : Rodrigo Abd (Associated Press).

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25/05/2006

Les voies du Stalker, 2 : entretien avec Michel Lévy-Provençal (Mikiane)

Crédits photographiques : Photographie (détail) de F. Javier Alvarez Cobb, extraite de la série intitulée Autopsia, en référence à ce blog.

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23/05/2006

Les voies du Stalker, 1 : Vox Galliae

Photographie (détail) de F. Javier Alvarez Cobb, extraite de la série intitulée Autopsia, en référence à ce blog.

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20/05/2006

Patrick Kéchichian, pamphlétaire ouaté

Crédits photographiques : Aaron Favila (Associated Press).

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18/05/2006

De la France au bord du gouffre… et de ceux qui veulent qu’elle fasse un pas en avant, par Germain Souchet

Crédits photographiques : Winslow Townson (Associated Press).

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16/05/2006

Un éloge et une détestation : gratuité et maljournalisme

Crédits photographiques : Aly Song (Reuters).

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14/05/2006

Un faubourg de Toulouse de Raymond Abellio

Crédits photographiques : Mario Tama (Getty Images).

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08/05/2006

Philippe Sollers, le doge de la bêtise

Crédits photographiques : Adrian Dennis (AFP/Getty Images).

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05/05/2006

Architecte des décombres : à propos d'Option Paradis de François Taillandier, par Matthieu Jung

Herri met de Bles, Le Paradis, XVIe siècle


«L’intrigue de notre temps. L’intrigue, c’est ce qui se passe vraiment, sans qu’on le sache ou qu’on le voie.»

François Taillandier, Option Paradis, StockDans les derniers jours du mois de décembre 2005, pour célébrer le premier anniversaire de la loi permettant aux mères de donner leur nom à leur enfant, une anthropologue déclarait dans Le Monde : «La famille n’est plus conçue comme un chaînon de générations inscrites dans une lignée comportant des morts et des vivants, mais comme un espace de liens affectifs et éducatifs entre parents et enfants dans lequel la mère a toute sa place – d’où l’importance de la possibilité de transmettre son nom».
On pourrait d’abord faire remarquer à cette anthropologue qu’on voit mal en quoi ce «chaînon de générations inscrites dans une lignée» serait incompatible avec un «espace de liens affectifs et éducatifs».
On pourrait aussi lui objecter qu’un mariage sur deux se concluant par un divorce en Île-de-France, région où se pratique le plus couramment la «déclaration de nom» (gracieuse expression à rajouter d’urgence au lexique officiel du novlangue sociétal), les enfants du futur devront s’habituer vite, et tôt, au «lien défait», titre d’une jolie chanson de Jean-Louis Murat. Ils devront en tous cas apprendre à ne pas tisser trop serré, afin que le relâchement des susnommés liens ne devienne pas trop douloureux lors de la séparation des parents.
Enfin, on ne se souvenait pas non plus que la mère avait été, depuis l’aube de l’humanité jusqu’à très récemment, immédiatement exclue de cet «espace de liens affectifs et éducatifs» sitôt après avoir enfanté, ni privée d’une place privilégiée à laquelle elle va désormais accéder grâce à cette loi généreuse. Depuis des temps immémoriaux, les garçons et les filles qui entretinrent avec leur mère une relation riche, pleine, bouleversante, éblouissante, irremplaçable, eh bien ils se sont trompés. Ils ont mal senti. Ils ne sont tout simplement pas rendu compte, les pauvres, que leur mère n’avait pas eu «toute sa place» dans leur enfance. Pour eux sonne l’heure des regrets.
Mais, en contredisant de la sorte cette anthropologue, on aurait sans doute manqué le sens essentiel et caché de son assertion, lumineusement mis en évidence par François Taillandier dans son roman Option Paradis, à savoir la division contemporaine du temps entre un «avant» et un «maintenant».
Avant, la mère n’avait pas toute sa place.
C’était nul.
Maintenant, la mère a toute sa place.
C’est super.
Dans les travaux pratiques quotidiennement proposés dans les médias, l’«avant» correspond évidemment à une malédiction, (surtout si, comme on le rappelait à deux reprises dans l’article du Monde, il remonte à ce Moyen Âge de sinistre mémoire) et le «maintenant» à une béatitude. Ou à un Paradis, ainsi que le soutient un des personnages du roman, obscur universitaire à la cinquantaine passée, qui voit dans ce postulat « l’acte unique » du monde moderne, celui dont découle l’ensemble de nos conditions actuelles d’existence : au terme d’un interminable Purgatoire, qui remonte à la nuit des âges pour se conclure en 1945 avec la fin de la deuxième guerre mondiale où elle a vécu l’Enfer sur la terre et rencontré le diable – Hitler –, notre civilisation a proclamé inconsciemment son entrée dans le jardin des délices. L’Histoire ayant conduit au pire, il devenait urgent de jeter le passé aux oubliettes pour pénétrer enfin dans le meilleur des mondes possibles. Et certes, au regard du progrès technique et des avancées sociales des trente glorieuses qui, en apportant bien-être et prospérité, ont libéré l’être humain de pas mal d’antiques malédictions, le postulat revêt quelque apparence de vraisemblance. Mais en 1995, date à laquelle le professeur soutient cette théorie, la machine paradisiaque commence à émettre d’inquiétants grincements. Ce fin penseur en démonte le mécanisme, énonce quelques trouvailles percutantes. L’Option Paradis produit l’«individu inchoatif» dont elle a besoin pour perdurer, cet être toujours en mouvement, évoluant dans un présent perpétuel, coupé de tout passé, soumis à un «temps autorésorbant», aussitôt oublié que vécu. Bref, le système du professeur fonctionne. Il ne possède qu’un seul inconvénient aux yeux de ce frustré sexuel : il n’amène dans son lit aucune de ses désirables étudiantes.
Seulement, contrairement à son «prophète de l’acte unique», Taillandier s’interdit «cet amer plaisir là : vitupérer l’époque», pour citer Aragon auquel il a consacré un essai. Il applique sur un plan romanesque cette idée qu’il avait énoncée en 2002 dans Les parents lâcheurs, bref coup de gueule paru aux éditions du Rocher : «Nous ne sommes pas emportés par le fleuve, nous sommes l’eau».
Comme nous tous, les personnages de Taillandier contribuent à l’accélération du courant. Ils errent parmi leurs semblables, les zombipèdes des centres-villes hygiénistes (inquiets toutefois de la reformation de bidonvilles à la périphérie), accrochés à leur téléphone portable customisé avec sonnerie polyphonique personnalisée et caméra numérique intégrée d’une résolution de 300 000 pixels, agenouillés devant le dieu pétrole – comme leurs prédécesseurs devant le Seigneur – qui bientôt les conduira au ciel en supersonique vers une destination ensoleillée de l’autre côté de la terre, prêts à assigner en justice quiconque leur rappellera même involontairement la part tragique de l’expérience humaine. Au milieu du réel en lambeaux, ils s’aiment et se déchirent, ils font l’amour et meurent, comme ils peuvent.
Leurs mères étant sœurs, Louise Herdouin et Nicolas Rubien sont des cousins germains devenus amants. Des cousins germants ? Au printemps 2001, époque lointaine où Loana et un lofteur permanenté glissaient dans la piscine, ils se retrouvent pour quelques heures hors du temps dans leur maison de famille à Vernery-sur-Arre, village bourguignon archétypique de la France rurale vouée à l’extinction.
Elle gagne confortablement sa vie en tant qu’agent immobilier (ou agente immobilière, on ne sait plus). Il a réussi dans l’architecture grâce à son riche beau-papa. Il admire Ledoux et Piranèse mais il abîme les paysages à coup de restauroutes et de résidences hôtelières qu’il nomme lui-même des «cochonneries».
Depuis son divorce, il ne voit plus beaucoup son fils de douze ans, Grégory. Elle a bravement recomposé une famille monoparentale sur l’écroulement de son mariage. Sa fille Alexandra, pas convaincue par les valeurs occidentales, part respirer un peu d’air pur à Haïfa dans une gentille secte syncrétique où tous les adeptes s’aiment même les méchants. Il est le fils d’un vétérinaire juif d’origine juive ukrainienne, amoureux malheureux de sa femme, des contrepèteries et de Rabelais. Elle est la fille d’un de ces paterfamilias aujourd’hui disparus.
Leur commune grand-mère Gabrielle Maudon, égoïste et bigote, a terminé sa vie en regardant le monde ancien s’effondrer comme ces immenses blocs de banquise plusieurs fois millénaire engloutis en nos modernes océans réchauffés.
Leurs respectives aventures sexuelles ne furent pas tellement joyeuses, mais se les confier sur l’oreiller entre deux étreintes extatiques les rend heureux, et nous aussi.
Nicolas Rubien a passé son enfance dans une commune du Val de Marne : Villefleurs. Elle n’existe pas, mais sous la plume de Taillandier elle paraît plus vraie que dans la réalité. Comme dans toutes les villes de banlieue parisienne, il s’y déroule à intervalles irréguliers le «rite singulier» du vide-greniers, que Larousse donne comme un nom masculin pluriel invariable. Le terme apparaît selon le Robert en 1986 mais le correcteur orthographique du traitement de texte le souligne encore en rouge. Ringard, Bill Gates ? Pour décrire ces burlesques brocantes, Taillandier s’amuse à mêler ses néologismes aux mots tombés en désuétude. Lors d’une soirée entre amis, cherchez si vous trouvez seuille, flanquoire, bargnolon, frelampier ou gounelle dans le dictionnaire, c’est plus amusant que le Pictionnary.
La phrase de Taillandier s’écoule avec la fluidité née du labeur. Il dépose le mot juste à l’endroit précis pour enfoncer courtoisement ses stylets dans le cœur de ses lecteurs. Ses directs au foie partent sans méchanceté, mais on se tord quand même de douleur. Ce désastre sur un air de triomphe, c’est aussi ma vie, découvre-t-on soudain. On n’aurait pas pu me prévenir plus tôt ?
Baudrillard parlait récemment d’une «société bancale, qui ne sait plus où elle va ni sur quoi elle roule». Il ajoutait : «Nous sommes dans une architecture de décombres. Voilà ce que nous ne pouvons qu’éprouver, si nous ne sommes pas trop en état d’autodéfense idéologique.» Taillandier nous guide en humble érudit au milieu des ruines. Mais qui est encore prêt à entendre qu’il y a quelque chose de radicalement défectueux dans l’Option Paradis tout confort et zéro défaut, plutôt que de fonder une association loi 1901 contre la violence à l’école ou de faire fortune grâce au commerce équitable ?
Taillandier pose de manière inhabituelle, sur le portrait qui orne la jaquette. Il a dû se faire engueuler par les types de la com’, chez Stock. Il ne regarde pas l’objectif. Il ne sourit pas. Il semble ailleurs. Je lui trouve même une petite mine, à Taillandier. Comment se définit-il, déjà, Nicolas Rubien l’architecte, dans les dernières pages du roman ?
«Celui qui assume le fait de la destruction, celui qui se laisse traverser, exploser la gueule. C’est dans ma déconstruction que j’existe. Dans ce pari que toute défaite est l’ombre d’une victoire».
Exploser la gueule…
La victoire de François Taillandier l’écrivain, c’est l’édification d’un cycle romanesque en cinq volumes. On n’est pas impunément comme lui biographe de Balzac sans éprouver la tentation du héros récurrent. Le deuxième volume, Telling, a paru en mars 2006.
Non, Taillandier ne regarde pas l’objectif. Une fois qu’on a terminé Option Paradis, on comprend pourquoi : il voit loin. Au moins jusqu’en 2010, date à laquelle l’action de La grande intrigue s’achèvera.

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04/05/2006

Ils réenchantent le monde, par Laurent Schang

Le mystérieux Manuscrit Voynich, dont le texte n'a toujours pas été déchiffré


Christopher Gérard, Maugis, L’Âge d’Homme, 2005.Non, Empédocle d’Agrigente, le poète philosophe de l’Un et du Multiple, ne s’est pas jeté du sommet de l’Etna au fond de son cratère ardent, cinq siècles avant la naissance du Galiléen. La sandale a menti. Le Grec, auteur des Purifications, a fui le monde antique pour retourner aux origines de la sagesse, à Bénarès où, selon le rite, ses cendres furent répandues dans le Gange sacré des Indiens. D’aucuns affirment «de source sûre» qu’une mystérieuse Phratrie des Hellènes, attachée au culte des anciens dieux, en perpétuait encore le souvenir avant guerre. Quant à Hitler, on sait maintenant que sa victoire aux élections de 1933 répondait à un plan secret de l’Ordre noir des SS, visant à mettre la capacité industrielle de l’Allemagne au service du Manuscrit Voynich. Inconnu du Führer lui-même, le complot prévoyait l’enlèvement de l’actrice américaine Louise Brooks, censée détenir dans sa chair le code génétique indispensable au décryptage dudit manuscrit. Seul un commando demeuré obscur, les Chevaliers du Saint-Sépulcre, déjoua la machination à la dernière minute.
Qui a prétendu que le roman d’aventure avait épuisé tous les sujets ? Adolescents, Christopher Gérard et Matthieu Baumier ont lu Le Matin des Magiciens en collection de poche, celui avec la photo de l’île de Pâques orange, et il en est resté quelque chose. Pas étonnant dès lors que leurs histoires de conspiration mondiale, guérilla souterraine d’initiés sur fond de lutte entre le Bien (l’alliance de Jérusalem et d’Athènes) et le Mal (le nazisme, parangon du matérialisme moderne), semblent tirées d’un chapitre oublié de la bible des occultistes, avant Dan Brown.
Et si, derrière la froide litanie des événements chronologiques – la période qui court de 1937 à 1946 –, s’était dissimulée une guerre de dimension cosmique entre sociétés secrètes ennemies, une guerre pour l’achèvement d’un cycle, qui aurait conduit à l’éradication de l’un, et à la mise en sommeil de l’autre ? Maugis, de Christopher Gérard, des deux l’aîné, fait suite à un précédent roman, Le Songe d’Empédocle, premier volet d’une tétralogie «païenne» déjà saluée par son compatriote Pol Vandromme, que n’aurait pas désavoué un Raymond Abellio, par exemple. Les vicissitudes au XXe siècle d’un ordre idéal d’élus, gardien de vertus immémoriales, la Phratrie des Hellènes, dont le destin tourmenté se confond avec celui du continent européen. On le voit, l’uchronie – «reconstruction historique d’événements fictifs, d’après un point de départ historique et un ensemble de lois» nous dit le Dictionnaire de la Langue Française – est un genre littéraire riche d’avenir.
Lorsqu’en mai 1940, les divisions à la tête de mort, nouveaux Doriens pour une Europe nouvelle, déferlent sur les XVII provinces, l’officier François d’Aygremont, fils d’Oriane et du chevalier d’Aygremont, dit Maugis, est du dernier carré des résistants ardennais. Maugis, comme dans la chanson de geste, le Phratriarque. De victoire en victoire, la roue solaire étend son empire mais dans l’ombre, le combat continue. Démobilisé, François/Maugis est missionné à Paris par ses frères, où il retrouve le poète Genséric, son initiateur, acquis à la Collaboration entre-temps. Après tout, les adorateurs d’Arès descendent bien des compagnons de Charlemagne, eux aussi. Là, au milieu des femmes faciles, des vapeurs d’alcool, il va connaître la tentation nihiliste de trahir pour épouser la cause de l’Âge Sombre, avant d’échapper à ses démons et de refaire le chemin d’Alexandre de l’Hellespont à la Bactriane, vers le Toit du Monde, le mythique Tibet. En attendant de rebâtir Delphes, qui sait ? En Irlande peut-être.
Matthieu Baumier, Le manuscrit Louise B, Les Belles Lettres, 2005.Changement d’intrigue mais pas de décor avec Le manuscrit Louise B, de Matthieu Baumier. 193… Hitler au pouvoir, ils ne sont pas nombreux ceux qui, en Allemagne ou ailleurs, osent tenir tête aux sbires du pontife de l’Ordre de Wotan, Himmler, le chef suprême de la SS. Cette fois, le Magus (à ne pas confondre avec Maugis) a décidé d’envoyer son plus fidèle séide, le Graaliste Otto Rahn, à la recherche de la formule chimique créatrice de toute vie. Anton Voïdius, journaliste, et Vladimir Zworidyn, un prêtre qu’on devine défroqué, useront de tous les moyens pour contrecarrer ce projet diabolique. Des bas-fonds du vieux Caire (Guénon, es-tu là ?) aux pavés glissants des rues berlinoises, du Paris décadent des surréalistes aux cités perdues des conquistadors de l’Amazonie, Matthieu Baumier s’amuse avec les classiques de l’aventure et revisite les époques, quitte à ressusciter Vladimir Soloviev, le théoricien russe de la divino-humanité, mort en 1900. Passe Aragon… Écrite dans un style imagé proche de la bande dessinée, la scène finale, une fusillade de tous les diables dans le ventre d’un dirigeable, s’avère digne des meilleures pages de Jules Verne. LA référence en la matière.

Christopher Gérard, Maugis, L’Âge d’Homme, 2005.
Matthieu Baumier, Le manuscrit Louise B, Les Belles Lettres, 2005.

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