15/02/2006
Un texte inédit extrait d'Amnésie de Sarah Vajda

Après un texte inédit d'Éric Bénier-Bürckel, je publie dans la Zone des lignes rares, et pour cause : voici la réponse que me fit Sarah Vajda à qui je demandais un passage non publié de son remarquable roman, Amnésie : «[...] sûr que j'en ai un, la matrice du livre, le premier jet, un long poème en prose d'où il naquit et que (ne le dites pas [...] m'a fait oter) avec quelque raison, pléonasme, mais vous ne le détesterez pas – vous seul avez pointé cet angle dantécien ou dantéquien. [...] Vous l'aurez deviné il était placé dans le chapitre Révélation : l'extase de saint Jean de la Croix... la passion d'Avila dans les rues de Saint-Pierre-sur-Garonne.»
C’est arrivé, un point c’est tout. Ici et Maintenant, qui aurait pu tout aussi bien avoir lieu ailleurs, moins au sud, à chaque point cardinal du Pays et sans doute du Continent. Resté là, fixé, tenace, chancre ou mycose. Emplâtre ou galipot n’y faisaient. La ville, le territoire continuaient à noircir, en dépit des efforts des meilleurs. Urbanistes, paysagistes et architectes, tous s’y étaient mis, en vain. Les barres avaient supplanté les maisons tristes en pierre meulière et l’opacité des vies, cédé le pas à la transparence : aux baies-vitrées où les familles se mirent au reflet neigeux du voisinage, aux cités-jardins d’un nouveau genre, piscines au centre et haies taillées à l’entour qui recouvraient le pays, effaçant l’ordonnance d’une République aux ors pâlis. Les quartiers ouvriers avaient fondu au soleil du Capital. Dame Misère avait établi des squats et des taudis où, naguère, des rideaux clairs et des pinsons en cage simulaient la douceur de vivre. De la chose arrivée, de l’acte innommable, le Pays seul se souvenait, quand ses habitants l’avaient oublié. C’était resté, collé à l’air, aux institutions, aux pratiques scientifiques, médicales, universitaires, aux lois, aux vêtements des femmes, à la casquette des Jules. Les hommes avaient beau ne plus porter de feutre, de lunettes d’écailles, de pantalons de tergal ou de popeline, et les femmes avoir oublié le bruit des socques, l’esthétique enfantine des chaussettes repliées, les jupes faites à la maison, les peignes dans les cheveux, on avait beau avoir inversé les slogans, inventé un monde nouveau, lavé les mots à grande eau, retourné la grammaire, la chose s’était faufilée partout, à la ville, à la campagne, dans les sports et les loisirs, dans toutes les couches de la société, du plus jeune au plus vieux. L’advenu suintait, culture non apprise, déjà là, confondue avec l’être et le non-être, visqueuse et riante. Les hommes désormais vivaient suspendus entre ciel et terre, glissant, à la surface des choses, emportés dans un tourbillon douceâtre. Nourris de lait et de sucre, la faim les tenaillait et la pesanteur de la terre les attirait, comme si, dans l’éther et au-dessous des pavés, au lieu de la plage attendue et du pays de Nulle Part, flottaient des armées de fantômes, rampants, volants, incoercibles. Les jeunes gens des trois sexes avaient déchiré leurs pantalons, dénudé, troué et marqué leurs corps. On les reconnaissait à cette habitude qu’ils avaient de s’insurger contre le parti du passé, parlant une langue nouvelle aux accents des confins, un jargon, dont toute identité nationale s’était absentée. La vieille rhétorique, à tue-tête, chantait dans le non-dit, le sous-texte, le palimpseste et l’intertextualité. Sous les habits neufs du pays, la vieille terre grondait, volcan mal éteint, jamais identifié, fuyant comme les spectres à la lueur de l’aube. C’était couleur d’aurore, couleur opérette, lavée à l’eau de source contrôlée. Cela a un beau nom, femme Narsès, ça s’appelle l’Histoire.
De vieux mythes parlaient de crimes impunis, imprescriptibles, d’une déesse H, invisible et inaccessible, néanmoins violentée. L’horreur prenait la tonalité d’un roucoulement de Luis Mariano, le charme désuet d’un clocher paisible et d’une girouette municipale, l’éclat des lambris de Versailles un certain 3 octobre 1789 où une Reine moqua un peuple affamé jusqu’à ce que l’indifférence, vice commun en ce pays, transforme une insurrection en Révolution et un promeneur solitaire en maître de Terreur et par dessus-tout, glaçant le paysage, la pâleur, rose sucre glacé d’une pièce montée apportée jadis en une noce de province dont chacun avait oublié et l’identité des mariés et celle de leurs convives. La fête, dit-on, s’était mal terminée et un bois de bouleaux avait recouvert le merveilleux domaine.
Ça poissait le long des murs, au fil des nuits, le long du temps, figé à l’état de larve, dans le sommeil et dans la veille, dans l’accordéon comme dans le rock, derrière les cris du rap et le sirop des chanteurs à texte ou dans les trémolos des chanteurs à voix. Aucune forme nouvelle ne parvenait à éradiquer une figure maudite, un Hexagone réapparaissant sournoisement sous les pyramides, les ovales et les rectangles, présent dans la pierre des montagnes comme sur le sable des plages, dans la structure des molécules, les diagrammes de l’État, les sourires et les pleurs des gamins. Quoique ceci ne se dévoilât jamais, chacun, confusément, sentait un malaise. Le Pays n’était jamais sorti de table. Chaque aube le trouvait barbouillé. Le gâteau, de si belle apparence, si doux aux lèvres avait tourné – trop de levain sans doute. Au sucre s’était mêlée une substance âcre. Le pays gavé conservait sa nausée. Il fallut bien se rendre à l’évidence : le sucre était poison qui ne s’éliminerait pas. Quatre générations déjà, et les anneaux pyloriques demeuraient impuissants, aigreurs, ballonnements, pets foireux, brûlures, mauvaise humeur chronique, alternance de diarrhées et de constipation. Aucun régime n’y ferait. Ni l’austérité ni l’abondance, ni le jeûne ni la diète ni les repas équilibrés ou les banquets ne dissoudraient ce relent. Toute l’eau des fleuves, tout le jus de la treille ne laverait la bilieuse saveur. La mauvaise graisse et la cellulite survivraient au surf, au roller, au football, au rugby, au jogging, au stretching même, à toutes ces disciplines inventées dans l’unique but de modeler des hommes nouveaux, des corps durs, imperméables aux fantômes. Aucun coach n’en viendrait à bout. Les esprits avaient beau se vider devant des spectacles offerts en masse aux masses, des jeux collectifs où la frivolité le disputait à l’obscénité, ça filtrait, conscience insidieuse et sans nom, repérée par les instituts de statistiques aux chapitres dépression, suicide, conduites d’addiction, repérable sous le masque du spleen déguisé en exaltation du Moi. Les vieilles femmes se coupaient les cheveux à ras, tondues pour un crime imaginaire et les plus jeunes, mâles et femelles confondus, estampillaient leurs corps d’une encre indélébile. Le marquage avait commencé par la cheville, une esquisse de chaîne, viré ensuite à l’allégorique, au décoratif. Des papillons, des oiseaux se faisaient les signes d’une liberté qu’ils ne retrouveraient plus. Les humains de cet étrange pays vivaient comme se meurent en réserve les animaux et les peuples sauvages. Semblant ne manquer de rien, ils manquaient de tout.
Les témoins de la scène initiale avaient presque tous disparus, qu’ils l’aient décrite avec force détails avant de tomber sous les balles au Fort de Montrouge ou au Mont Valérien, évoquant le souvenir des amours chiennes qu’avait entretenu le Pays avec un bel officier silencieux ou qu’ils se soient suicidés, obsédés par un verbe trompeur, soldats perdus d’un royaume au songe millénaire et bientôt aboli. Les autres furent frappés d’amnésie. Le pays se mit à ressembler au château de la belle endormie, version parc de loisirs. L’oubli est frère du sommeil et par-là même de la mort. Aussi les mortels, désormais semblables aux compagnons lotophages du vieil Ulysse, erraient-il sans but, en troupeaux revenus, ignorant, de leur voyage, la nature et le sens. Le mensonge, malgré eux, devint langue maternelle. Aux vastes questionnements, ils opposaient un mot, jouissance. Et ce mot comme le a d’une grenade éclatait dans leurs bouches insolentes de santé, génération fluor, avant qu’ils ne se ceinturent la taille de grenades, dans l’inutile espoir d’annihiler le néant. Se croyant condamnée par la domination de l’économie et de maître Profit, la Jeunesse, horde dominante, ne concevait d’autre alternative à sa douleur que de prendre la vague, s’emplir l’âme de musique, tenter de vivre une fraternité imaginaire avec quelques hors-caste, révoltes immédiatement initiées en modes et toujours pratiquées en bandes. Ces âmes errantes s’autoproclamaient rebelles, usant d’un vieux mot dont le sens leur échappait. Cette classe d’âge, érigée en valeur absolue, se tenait debout des nuits entières dans des champs dévastés, les narines pleines de substances hallucinogènes, à danser et hurler jusqu’à la dissolution complète, totale, absolue du sentiment temporel. De cette espèce, il en venait par milliers qui rollaient dans les rues des grandes villes, entourés de vastes cordons sanitaires, s’évadant dans des camps sans voir d’autres indigènes que des esclaves porteurs de miel et d’hydromel. Au travail comme au repos, le même sentiment d’irréalité triomphait du vif. Du but de l’existence, ils avaient cessé de se fabriquer une idée.
De la guerre qui les avaient opposés si longtemps à un autre peuple, ils ne parlaient jamais. Désormais frères, battant même monnaie, ils se voulaient pour l’éternité retrouvée compagnons d’arme dans une seule et même unité, en attendant de parler une langue commune, Jouvence. En ce jargon, ils paradaient ontologiquement fiers, gays ou lesbiens, végétariens ou végétaliens, carnivores jamais. Parfois ces damnés qui se croyaient élus évoquaient leurs arrières-grands-pères disparus par millions dans une guerre ancienne qu’ils jugeaient inutile. Celle-ci, ils la qualifiaient de Grande, ayant tout oublié de la Petite qui avait suivi. La pressentaient-ils trop laide pour donner naissance à des contes et légendes, trop irréelle pour la pouvoir enfermer même dans un songe ?
Leurs vies et leurs livres se confondaient. L’authenticité de leurs récits devenait le garant de la forme, la marque de l’écrivain, comme elle justifiait leurs existences, occupées du seul souci de soi. En réalité, il s’agissait d’un génocide sans cadavres, exit la Littérature. Fini le temps offert à la reconstruction de l’expérience humaine, évanouie l’aspiration à la transfiguration du réel, foin de l’effort d’inscrire un événement, un récit, un songe ou un instant dans une tradition, et par-là même, adieu la révolte. Les faits parlaient d’eux-mêmes. L’hypocrite lecteur enfin devenu semblable et frère, l’unicité de leurs existences avaient valeur d’universel.
Les pères parlaient à leurs fils en copains et les filles recevaient les confidences des mères. En cette fusion extrême des générations et des catégories, ce qui avait mû leurs aînés était devenu lettre morte, surgissant seulement au détour d’un slogan publicitaire à l’usage d’une firme, d’une banque ou d’un parti politique. Les hommes continuaient à donner le nom de cité à des ensembles vides où des individus arrachaient au néant des instants de glisse, au-dessus des contingences. Ils vivaient en paix, loin de la hache de l’Histoire, l’esprit entièrement occupé des choses à acquérir pour meubler, non seulement leurs demeures, mais ces trous noirs auxquels ils donnaient par habitude le nom d’existence.
Si d’aventure leur béatitude se troublait comme l’eau d’un lac aux abords de l’orage, ils rejoignaient un village sans clocher ni mairie. Certains prétendaient, techniciens habiles, attaquer le cœur même de l’État, mettre en péril l’ordre et la sécurité du monde, en tapant sur la touche shift de merveilleux engins qui, en lieu et place des dieux assassinés et des catégories anciennes, ordonnaient l’incohérence du monde.
L’amour même se faisait sériel en ce temps là, à l’instar du crime, de la musique et de la mathématique. Les femmes achetaient des chaussures en série, couraient les magasins afin d’emplir leurs armoires de vêtements qu’elles ne mettraient jamais. Certaines d’entre elles, dans un geste en tous points similaire, vomissaient immédiatement après avoir mangé. Les habitants du pays ne se contentèrent plus, mâles ou femelles, androgynes ou vieillards, de collectionner les amants : ce furent bientôt les vies qu’ils multiplièrent, changeant d’emploi, de famille, les recomposant à l’infini, dans l’espoir délétère de voir tous ces éclats composer une rhapsodie qui ne naîtrait jamais. L’amertume veillait, dragon d’un autre temps, qui, à leurs oreilles, fredonnait le chant du nevermore et de la vanité.
Les premières rides prenaient, dans ce monde, une importance extrême. Quel moyen, à cinquante ans, quand les corps s’alourdissent, de prendre la grande vague ? Des guérisseurs, souvent, leur offraient de quoi supporter l’épreuve. Parfois, lassés d’avoir bu et mangé des substances caloriquement faibles, ils ouvraient un vieux livre. Leurs yeux et leurs cerveaux saturés par l’amoncellement d’images découvraient d’étranges phonèmes qui avaient cessé de faire sens. Abjection, héroïsme, vertu, beauté, passion… Démagnétisés, les mots vaguaient. Le couteau de la valeur, resté sur la table du banquet, le temps s’était arrêté. La pendule marquait midi – heure de l’acédie – aux clochers des églises, aux frontons des mairies, à la porte des synagogues, des mosquées et des temples, charity, shoa business, souillure post-coloniale, à laver comme Jésus les plaies des Lépreux. Confusion générale : la mathématique quantique avait même annulé le «Je sais que 2 et 2 font 4» de Don Juan. Le visage humain ne se conformait plus au modèle ancien. Amaigri, pommettes saillantes, blanchi outrageusement, yeux noircis, gothic style, il renvoyait à l’image des larves, des gargouilles. Obèses ou anorexiques, les humains avaient à cœur de narguer toute règle.
C’était vraiment une époque formidable, grouillante de révolutionnaires et d’homme libres qui chérissaient la mer, le soleil, la plage et qui, sans discontinuer, Incroyables de Centre Commercial et Merveilleuses de banlieue, entonnaient La Ballade des gens heureux dans l’air vicié. Les queers n’étaient désormais plus les seuls à modeler leurs corps. Les poubelles se remplissaient de déchets humains, de boules de graisse superflue, de fragments de seins et de nez jugés trop longs ou trop gros. En lieu et place des lèvres, des mollets, des seins encore, du silicone. La nature, mère ou sœur de l’Histoire, s’était réfugiée dans des posters figurant des îles désertes, des îles préhistoriques. Il semblait que, pour paraître homme, il fallût, en ce temps-là, se déshumaniser. Le diktat de la mode, de la minceur, la tentative aboutie de ne plus rien conserver du monde ancien, sauf à titre dérisoire d’indices du passé, entretenait un lien encore invisible avec ce nuage rose plus terrible que celui d’Hiroshima tombé sur le Pays, un matin de 1945. Amnésie : Je est un autre, Je ferai de vos deuils des fêtes, cours Camarade, le vieux monde est derrière toi. Pourtant, c’était là se déplaçant à la vitesse des métastases dans la chaîne nucléique, acide qui grignotait les cerveaux, aussi présent que le bleu de la robe de Marie dans le miel des discours humanitaires, trace jamais résorbée de martyrs chantant dans l’incendie de Rome.
Certains mortels ne souffraient plus cette singulière non-vie dans un monde de zombies qui, un certain 11 septembre, se mirent à genoux. On les vit qui remerciaient le Ciel, la Providence, le Destin, Allah ou l’Antéchrist, qu’importe, d’avoir à ce monde apporté le détergent capable d’effacer le cauchemar climatisé qui leur avait tenu lieu de maison paternelle.
Ainsi, une amnésie chassant l’autre, l’espérance d’un monde nouveau leur fit rêver que les zombies chassés, ils retrouveraient un monde conforme à des rêves plus humains. L’espérance des lendemains qui chantent ne les quittait pas, ils croyaient, comme des générations avant eux, à l’efficace de la tabula rasa, ignorant qu’après eux, dans un monde, une nouvelle fois dévasté, d’autres jeunes gens, à leur tour, reprendrait le couplet : c’est arrivé, un point c’est tout.
10/02/2006
Toutes sortes de secrets moins l'essentiel : sur Jacquemond, Boutang, Bloy et Massignon
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08/02/2006
Géographie mentale de la Shoah, par Jean-Luc Evard
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07/02/2006
Munich de Steven Spielberg : videmus nunc per speculum ?

Certes, dans ce film facile à bien trop d'égards, beaucoup d'images sont d'une évidente banalité dont cette scène finale, proprement ridicule, d'orgasme israélo-palestinien : du sperme, de la bave et du sang, mélangés de la plus maladroite façon. Une autre image de Munich peut sembler tout aussi facile, si on n'y prend garde : juste avant que n'apparaisse son étrange informateur français, Louis, Avner, le chef du groupe chargé de liquider, l'un après l'autre, les commanditaires et exécutants de l'attentat anti-israélien de Munich en 1972, se tient devant une vitrine de magasin qui lui renvoie son reflet et contemple, l'air stupide, une splendide cuisine, clinquante et sans doute hors de prix, comme Louis, amateur d'arts exquis, le lui fait d'ailleurs ironiquement remarquer. N'y a-t-il rien d'autre ? Quel élément passé inaperçu légitime cette curieuse scène et lui confère, peut-être, une aura trouble, lui évitant de tomber, une fois de plus, dans l'ornière de la facilité confondante (sans compter une foule de détails incongrus peu dignes de l'attention d'un réalisateur de téléfilms ouralo-altaïques) dans laquelle avait déjà sombré La guerre des mondes ? Oui, il y a tout de même autre chose dans cette scène sans intérêt. Les spectateurs attentifs auront noté que l'air absent d'Avner s'explique par le fait que, désormais, ses mains de plus en plus couvertes de sang arabe et alors même qu'il est devenu le père d'une petite fille, il songe à l'un de ses hommes, Robert l'artificier, mort : le visage de son ami apparaît sur la vitre qu'Avner fixe, à l'endroit même où le visage de Louis va effacer, trait pour trait, le visage souriant du disparu, qu'Avner d'ailleurs aura tenté de saisir de sa main avant qu'il ne s'évanouisse. Méthodiquement, fidèle en tout cas à son extrême prudence, l'informateur exceptionnel qu'est Louis effacera la trace laissée par la main d'Avner sur la vitrine du magasin. Est-ce là tout ce que nous aurions dû voir ? Non, il reste encore un élément, je le concède bien discret, peut-être même exagéré par le souvenir que j'en garde : devant la vitrine illuminée de ce magasin vendant des cuisines haut de gamme, Avner, perdu dans ses sombres pensées, paraît basculer d'avant en arrière, comme s'il esquissait, dans une espèce d'insomnie diabolique, l'attitude bien connue des Juifs en prière devant le Mur des Lamentations.
C'est peut-être là l'image la plus troublante de Munich, la seule qu'il convienne de retenir avant qu'elle ne s'efface, charriée par le flot de toutes ces autres images sans intérêt, ce basculement devant une vitrine ne renvoyant rien de plus que le reflet du visage enfiévré du tueur et le séparant d'un saint des saints frelaté, de pacotille, sans autre réelle présence, sans autre possibilité de transcendance que celle d'une cuisine, fût-elle flambant neuve et, certes, hors de prix. Et puis, aussi, Munich ayant plutôt dû s'appeler, à mon goût, Avner, c'est assez payer tous ces morts de Juifs et d'Arabes (ainsi que d'une magnifique Hollandaise) que la conscience d'un homme hantée par les innombrables fantômes des liquidés, ne croyant plus de surcroît que le sang versé l'a été pour la survie d'Israël, tueur errant de ville en ville et incapable de dormir, devenu aussi apatride que les terroristes palestiniens qu'il a pourchassés, éliminés, et qui ne cessent pourtant de renaître sous ses yeux.
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04/02/2006
Allahou Akbar

«Une démocratie ne saurait instaurer une police de l'opinion, sauf à fouler aux pieds les droits de l'homme.»
Le Monde, éditorial du 2 février 2006.
Dieu est grand bien sûr, et la Presse est toute petite, qui tente pourtant de Lui ravir sa place, qui prétend Le chasser du Saint des saints et, abomination de la désolation de la Parole, se repaître des sacrifices immolés à l'Idole. Regardez quel dédain à l'égard des croyants, de toute personne même qui, incroyante, respecterait tout de même le sacré, regardez quel extraordinaire mépris ces chiens hirsutes (qui de la religion ne croquent le plus souvent rien de plus que quelques clichés aussi jaunis que les dents de l'increvable pourriture Voltaire à la mamelle sèche duquel s'abreuvent une multitude de petits Onfray), témoignent à celles et ceux qui prient Le Dieu pour ensuite, ô scandale inadmissible, s'étonner que les fidèles les plus rigoristes profèrent à leur égard des menaces de mort à peine voilées, c'est le cas de le dire. Certes, il est bien vrai que les hyènes de la Presse n'étaient guère habituées, jusqu'alors, à une quelconque réaction venant des catholiques, sinon de pure forme, se limitant bien souvent à une bulle fulminée par le vieillard irascible depuis longtemps claquemuré dans l'in-pace de sa maladie ou, à défaut, telle lettre sentant bon l'encens épiscopal, de facto jugée inoffensive par le Tribunal révolutionnaire de la sempiternelle répétition, cette Presse qui ne peut ni admettre ni surtout comprendre l'intrusion d'une parole souveraine. Dans ces conditions humides, où les champignons de la libre pensée, de la tolérance de droit divin, du devoir intangible de la Presse à se répandre, poussaient d'un bel élan consensuel vers le soleil blafard du lieu commun, il était de bon ton de moquer les catholiques (souvent, aussi, tout chrétien), le Christ fait Homme, son Père et bien évidemment, sa représentante visible, qui il est vrai a perdu de sa superbe depuis quelques siècles au moins, se contentant de nos jours de vanter les vertus de la séparation entre les pouvoirs temporel et religieux. L'Église pouvait ainsi se déclarer profondément choquée par telle campagne de presse (il y a quelques années déjà, l'affiche du film Amen de Costa-Gavras) où ses ouailles étaient tirées comme des lapins, levées comme des palombes; elle pouvait encore témoigner du désarroi de ses millions de fidèles face aux caricatures les plus grossières, rien à faire : le Veau gras de la Presse se déclarait lui-même scandalisé qu'on ose se scandaliser et, de la sorte, qu'on tente de limiter sa prescience miraculeuse, sa ravageuse alacrité, sa mordante ironie à l'égard de tout dogme, aussi impénétrable, aussi suspect à ses yeux que le sens d'une destinée mystique de saint.
L'affaire était donc vite conclue même si, bien rarement, de belles voix dénonçant courageusement l'odieux chantage forçaient les dos de quelques fidèles précautionneusement prosternés devant l'Idole à se redresser et obligeaient même le veau d'or à se regarder dans une glace à sa toute petite mesure. Qu'y voyait-il, dans ce reflet, l'espace d'une trop courte seconde ? Certes pas un animal sauvage, noble, libre. La Presse est une hyène et, adoptant avec un mimétisme assez remarquable les coutumes de cette espèce charognarde, impudique et veule, sait parfaitement qu'il serait mortel, pour elle, d'attaquer un tigre autrement que mourant, crevant de ne plus pouvoir bondir dans l'immensité, de zébrer l'espace de sa signature divine. La Presse a grossi dans le cadavre deux fois crevé de la France et de l'Église. La Presse, pour naître et grandir indéfiniment, a dû se nourrir de la carne putrescente de ces deux charognes.

Charogne de la France devant sans cesse se battre la coulpe et proférer, contre le risque d'être déclarée relapse, de pénibles amendements à sa propre histoire, ni bonne ni mauvaise, mais tout simplement grande, et petite lorsque elle a systématiquement voulu se renier, s'excuser, s'abaisser, cracher sur elle-même bref, faire amende honorable qui la mena tout droit au déshonneur, et à la sortie de l'Histoire aussi. Charogne de l'Église que la Presse, cette communauté invisible annonçant la bonne parole de l'opinion universelle, promettant le paradis de la conscience vide à ses milliards de fidèles communiant dans une sainte jouissance du fait divers, a réduit à n'être plus que la portion congrue, l'os qu'elle n'a de cesse de ronger où s'accrochent encore quelques lambeaux de liberté de culte, tout juste tolérée malgré les vertueuses professions de bonne foi des oulémas de la plus stricte obédience. La Presse, étant une hyène, ne saurait tout de même ne point s'abaisser à lécher sans relâche le corps immense en décomposition, abandonné de tous, surtout de ses sœurs protestante, orthodoxe et anglicane mais il lui faut encore, pour excuser ses amours décomposées, que chaque chrétien admette avec candeur que sa croyance ne peut qu'être embastillée dans la sphère étroite de la vie privée. Alors, réjouie, la hyène peut reprendre sans le plus petit scrupule sa patiente dévoration, et se contenter de sucer l'os plutôt que de vouloir le broyer.
Comme il est amusant, aussi, de voir que la carcasse de la France ne cesse de trembler devant le tigre de l'Islam, qui s'en est déjà repu et flaire de plus nobles conquêtes, et ce quels que soient les sursauts nous faisant croire, peut-être, au fait que le cadavre bouge encore. Comme il est drôle de constater, encore, que le cadavre de l'Église, habilement, cherche à ne point salir la robe altière du tigre, fût-ce d'un de ses crachats de puceron : l'heure, mesdames et messieurs, est à l'œcuménisme et quiconque affirmera le contraire méritera de finir sur le trébuchet de l'inquisition publique, puisque l'Église n'a plus le pouvoir d'exécuter elle-même ses décrets. En somme, elle, cette Église, autrefois grande comme la France, grande parce que la France, entre autres intersignes d'honneur, avait été désignée pour l'accomplissement d'une mission, demeurait sa fille aînée et était elle-même grande, en somme cette Église rend son propre cadavre présentable pour attirer le Prince messianique qui, d'un baiser ô combien douloureux, lui rendra peut-être la vie, la jeunesse, la grandeur de son scandale : Dieu fait Homme, ce que nul n'a osé proclamer avant ou après Elle, ce que nul n'osera plus faire dans les siècles des siècles.

Ainsi le tigre est revenu, il s'est réveillé de siècles d'assoupissement, comme s'il était l'un de ces sept dormants mystiques qui doivent se lever au Jour du Jugement. Et le tigre cherche maintenant, selon l'ancienne prédiction de l'apôtre, qui dévorer, ses adversaires de longue date bien sûr, les Juifs, mais aussi ses placides brebis, parquées dans le parc européen, qu'il contribue à engraisser en les gavant de manne pétrolière. Et bientôt, n'en doutons pas, ce sera au tour de l'Occident tout entier d'être dévoré, à moins qu'il ne soit vassalisé comme, ici ou là, le prétendent quelques romanciers et écrivains immédiatement taxés de folie et à leur tour parqués, cette fois dans l'horreur du camp de concentration réactionnaire diligemment ouvert pour eux par la Presse. Et puis enfin, annonçant le Silence dernier, ce sera au tour de la hyène d'être mangée, cette Presse qui, avant de se coucher puis d'écarter les cuisses dans une évidente parade de séduction censée la protéger des morsures du félin, hurle qu'elle est serve, c'est-à-dire qu'elle est libre, libre de reprocher au tigre sa force, libre de lui dicter sa conduite et de décider quel sera l'empan de ses bonds, la taille de ses crocs, la note, au crépuscule, de ses terribles feulements, la couleur même de ses déjections. La force se soucie-t-elle de comptabiliser les dégâts qu'elle fait ? Non bien sûr puisque la force n'a nulle nécessité de légitimer son action, qu'elle soit désacralisée et alors les milliers de figures dolentes rejoignent sans un mot de plainte (ou presque) le bord du charnier communiste où elles vont être jetées dans quelques instants ou qu'elle soit religieuse, et qu'elle tente ainsi de justifier l'horreur de ses guerres saintes qui se passent de raisons mais creusent toujours le puits sans fond de la légitimité. Le faible quête toujours la légitimité qu'il n'a pas, convoquant les arcanes de la Tradition et sondant les puits, souvent peu profonds et nauséabonds, du Sacré. Le fort, lui, se revêt de cette légitimité comme d'un manteau impérial dont il ne se dépouillera qu'au moment, tragique, où il s'avisera d'en définir les pouvoirs mystérieux, d'en repriser le tissu impalpable. La force détruit et c'est bien là tout ce que nous sommes en droit de constater, sans pouvoir le lui reprocher. Le faible, lui, qui inverse la triple prière du père de tous les croyants, Abraham, et la transforme en un ignoble marchandage où caquettent les dupes, la hyène n'hésite pas à demander au tigre de se rendormir, afin d'abord que le fort ne dévore point les brebis qui ont été mises là de toute éternité par Dieu pour nourrir son animal roi et flatter la méchanceté du faible, afin ensuite que le tigre ne prétende point tout de même se repaître de la propre graisse suintante de mots profanés que ricane la hyène, enfin pour qu'il ne soit pas trop violent avec le cadavre de la France, celui de l'Église ayant été depuis longtemps jeté sans ménagement dans la fosse commune, et oublié.

Le tigre dévorera bien sûr les brebis et, s'il n'a pas assez de force pour jeter à terre l'immense Idole à mufle porcin, espérons au moins qu'il ne se gênera pas pour la transformer en ridicule borne compissée. Reste à savoir si le lion, évidemment de Juda, acceptera que l'Islam prétende l'asservir et le détruire, s'il acceptera que le tigre veuille conquérir son territoire de déserts et de rares sources qu'il a gardé durant des millénaires d'une veille inquiète, jamais relâchée, l'ardeur et la patience demeurant cachées au plus profond du cœur des Juifs. Reste à savoir si nous saurons, nous, chrétiens s'il en demeure, et, eux, vous, musulmans, s'il en demeure n'étant point fascinés par la violence du guerrier et la drogue des assassins, faire nôtre la prière de Louis Massignon (intitulée : Pour une paix sereine entre chrétiens et musulmans dans Parole donnée) que voici : «Ce n'est que dans l'honneur partagé, avec un «pain licite», des camarades de travail, qu'ils [Massignon évoque les «ultras» français et musulmans] trouveront la parole de vérité, libératrice.» Reste à savoir surtout si le tigre, lui aussi flatté par les prestiges faciles de l'Occident et que ce dernier prétend «intégrer» à son propre corps pourri, «assimiler» c'est-à-dire dissoudre dans sa mélasse tiède, trouvera assez de force pour se garder de toute compromission avec la horde innombrable des hyènes, leur puanteur inaliénable, partagée comme un étrange schiboleth par chacun des membres de la confrérie jamais silencieuse, ricanant dans le désert, foulant de ses pattes toute trace sainte des dieux enfuis, du Dieu introuvable. Je ne suis pas certain en effet que la fierté qu'évoque Massignon dans un autre de ses textes, sublime (Les trois prières d'Abraham père de tous les croyants), soit encore bien longtemps de quelque contenance face à la morsure de l'acide de la médiocrité, distillé à l'occidentale, c'est-à-dire sans que nous nous en rendions compte, sans que nous comprenions que le poison envahit lentement notre sang, tôt ou tard vicié. La saignée prochaine, qui ne peut que nous être prescrite par le savant docteur qu'a toujours été l'Islam, cette saignée indispensable nous videra, nous tuera et, peut-être, nous régénèrera si nous ne sommes pas dès à présent invinciblement pourris.

Aujourd'hui, l'Islam crève du cancer de l'Occident, qui s'attaque ainsi au dernier organe encore relativement sain de l'Orient (à moins, je l'ai dit, qu'il n'y ait là qu'apparence de santé et que le mal, désormais, soit irréparable), puisqu'il ne peut plus rien consommer de son propre cadavre, que même les hyènes hésitent désormais à venir renifler. Massignon donc, l'amoureux de l'Islam, désignant pourtant, contre nos petits docteurs gentiment optimistes, gentiment lettrés, gentiment béats : «Pour l'Islam, toute paix en ce monde est bâtarde, qui n'est pas fondée sur la reconnaissance du Dieu d'Abraham. Et même avec les Chrétiens et les Juifs, qu'ils tolèrent, les Musulmans n'envisagent d'accord que sous forme de menace d'ordalie, de «capitulation» vassalisante, abandonnant d'ailleurs dédaigneusement à ces deux groupes tout ce qui, dans la vie économique joue idolâtriquement sur les «faits de Dieu», assurances maritimes, taxes indirectes, commerce des métaux précieux et usure, bourses. Le Musulman ne veut pas de ces avantages, suspects à ses yeux autant que les privilèges religieux dont ces deux groupes se targuent.» Je crois au contraire que le Musulman moyen, tout comme le Chrétien moyen, s'il n'y a pas là quelque évident pléonasme, veut ces assurances, ces taxes et les métaux précieux, et l'usure, et le profit invisible de la Bourse, et les putains superbes stériles car engrossées par l'argent facile. Si l'Islam obtempère, si le tigre somptueux et implacable se laisse dresser comme un caniche de cirque, si la hyène triomphe de la bête indomptable, alors la Chrétienté, elle aussi, faute de cet intercesseur caché, maintenant révélé sous son terrible éclat de violence qui, pour elle, signifie la mort et la renaissance, alors la Chrétienté disparaîtra sans même que soit conservé son pieux souvenir, si ce n'est par quelque fulgurant et mélancolique Hallâj futur.
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01/02/2006
Le Maljournalisme auto-amplificateur : Le grand bazar de l'info d'Yves Agnès, par Jean-Pierre Tailleur
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31/01/2006
Inactualité essentielle de Karl Kraus
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28/01/2006
Pas à pas dans Outrepas de Renaud Camus
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27/01/2006
Contre Gilles Grelet, Théorie-rébellion. Un ultimatum, par Francis Moury
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25/01/2006
Le démonologue et sa fourmilière : le Formicarius de Jean Nider
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23/01/2006
Amnésie de Sarah Vajda ou les voix de nos morts
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17/01/2006
Blog déclaré d'utilité publique : dissection de la NLF

De quelle déclaration d'utilité publique s'agit-il ? Pas, à l'évidence, celle qui serait délivrée à une source d'eau insigne mais bien celle qu'il faudrait apposer de toute urgence à une passionnante recherche étymologique. Les lecteurs de Pierre Boutang me feront d'ailleurs remarquer, et je ne puis que leur donner entièrement raison, que source et étymon sont peut-être bien une même et unique réalité, même si l'étymologie, pour ces deux mots, ne nous est pas d'une grande utilité. Donc, après avoir évoqué les textes d'un Dominique Autié, d'un Slothorp, d'un Olivier Noël ou encore d'un Juan Pedro Quiñonero, voici ceux, précis et intelligents, d'un nouvel anatomiste officiant sur la table de dissection de la Nouvelle Langue Française. Revenir à la vérité du (bon) sens des mots, ne point les faire mentir, les voiler, c'est espérer retrouver, sous les scories, sous les strates épaisses accumulées par les travestissements et mensonges systématiques du journalisme et de ses affidés (intellectuels, hommes politiques, leaders d'opinion, le putanat parisien coutumier, etc.), le rougeoiement antique du foyer de l'étymon. Sur le modèle des travaux de Klemperer et, en France, de Darmesteter et, tout récemment, de l'excellent Renaud Camus, l'auteur pour l'instant anonyme de ces billets (auxquels il manque toutefois, à la différence de ceux de l'auteur de LTI, non pas tant un ancrage dans la réalité quotidienne où s'exercent les méfaits de l'universel reportage dénoncé par Mallarmé et analysé par André Hirt qu'une écriture en acte, je veux dire incarnée plutôt qu'anonyme), l'anonyme amoureux du français tente donc de disséquer les innombrables déformations de la réalité imputables, en premier lieu, aux gauchissements infligés au langage. Rares sont les auteurs, George Steiner peut-être, de toute façon bien isolé parmi ses pairs, qui osent encore affirmer que pervertir les mots c'est trahir, de fait, les réalités qu'ils désignent. Limiter l'usage de la pensée à quelques mots soigneusement déminés de leur charge sacrée (Gershom Scholem) c'est ainsi, comme Orwell l'établit génialement, réduire la réalité à un cachot sécuritaire où, n'en doutons point, nous nous trouvons à peu près tous emprisonnés. Aujourd'hui, le cratylisme, considéré comme une vieille lune pseudo-intellectuelle qui plus est démentie, comme il se doit, par les prétendues avancées des sciences du langage, ne peut qu'être en conséquence rangé dans le camp de la réaction par les imbéciles.
Je cite un passage significatif, extrait d'un billet consacré à l'islamisme : En français, islam et islamisme sont synonymes, et cela depuis 1697, quand d’Harbelot, professeur au Collège de France, a, dans sa Bibliothèque orientale, formé islamisme, en ajoutant le suffixe isme au mot arabe islam, le francisant de fait, parce que, de tous les noms désignant des religions, islam était le seul qui ne fût pas terminé par isme. La synonymie de ces deux noms est un fait de langue ancien, inscrit dans l’histoire de la langue et confirmé dans l’usage de nos meilleurs écrivains, même par les islamologues contemporains, puisque, dans le titre du livre de Bruno Etienne, L’islamisme radical (1987), islamisme a le sens d’islam : l’islamisme radical, c’est l’islam à la racine, tel qu’il est exposé par les textes fondateurs et l’islam extrémiste, tel que le prônent les militants de l’islam. Il est juste d’employer islamisme dans le sens d’islam, à savoir la religion des musulmans ou les pays musulmans. Non seulement cet emploi est pertinent, mais encore il est éclairant.
16/01/2006
Les ouvrières de la Termitière

Je veux donc dire, l’expérience est fascinante, je l’ai même réalisée pendant des heures, jusqu’à éprouver, littéralement, l’envie de vomir, que toutes ces niaises et fantomatiques pages virtuelles finissent pas se mélanger, par faire advenir une espèce de texte unique mais fallacieux, labile, une voix grotesque, à la limite de l’inexistence mais sauvée du néant tout de même par une dernière retenue ironique : la douleur infiniment médiocre, exprimée en tout cas dans une langue creuse, elle-même parangon de nullité, qui doit cependant recevoir quelque écho, la prière non pas de l’humble ou de l’humilié mais du médiocre [...].
Il semble, effectivement, que la Toile mérite bien son nom : il s'agit d'un Réseau où se trament les histoires, parfois les intrigues, je dis cela en toute ironie et sans chercher à être subtil (subtilis mis pour sub-telis), sachant que ce cliché est aussi vieux que celui qui apparente le livre (le Livre) au labyrinthe. Bien sûr, ne nous leurrons pas sur cette série d'images, qui probablement n'offrent, de la Toile justement, qu'une représentation obéissant aux propres schémas mentaux des concepteurs (Alex Shapiro et Christian Langreiter) de ce nouvel outil de recherche, et certainement pas une photographie, rigoureusement impossible d'ailleurs, du monstre arachnéen. Celui qui, de la Toile, pourrait jouir d'une vue surplombante vivrait sans doute une expérience mystique. Peut-être ces mêmes concepteurs, auxquels nous pourrions accorder, sait-on jamais, quelque culture littéraire ou picturale, ont-ils goûté les gravures les plus enchevêtrées de Piranèse ou tel texte babélique de Borges. Je veux simplement dire que, comme Dieu, la Toile est parfaitement non-représentable et que ce n'est que par une voie détournée, négative (ou apophatique) que nous sont offertes ces commodes (donc réductrices et finalement fausses) images qui, de la réalité de l'objet (fût-il virtuel), ne nous disent strictement rien ou, ici, rien de plus que ce que nous voulons en savoir : la Toile, infra-verbale ou pas, est effectivement une toile, rien de plus.
L'extension rapide des connexions et des inter-connexions, comme s'il s'agissait des galeries creusées par de patientes ouvrières n'obéissant à aucune Reine (savoir si Elle a jamais existé ou si Elle a simplement disparu est une question que je laisse à la sagacité des lecteurs de Kafka ou de... Borges), cette extension ridicule en ce qui concerne mon propre site, peut-être s'approchant de l'infini ou plutôt tendant indéfiniment à se rapprocher de l'infini (comme la Nef de Frank Herbert se rapproche toujours de la divinité sans jamais l'embrasser) pour ce qui est de l'univers virtuel est, mais je l'ai déjà dit ici, parfaitement inverse à la singularité presque absolue des voix qui la parcourent. Quelques voix paradoxales donc, en ceci qu'elles ne sont rien de plus que les messagères de la Voix, autant de singularités entretissant leurs écritures alors que, à mesure que grandit et s'étend le Réseau, à mesure que d'invisibles mains tissent la Toile, le Verbe se décale vers le rouge et s'éloigne, son écho de plus en plus faible venant d'un passé immémorial et pourtant vide.
15/01/2006
La France, une peau de chagrin, par Raphaël Dargent

L'intermède mélancolique aura été de courte durée. Je poursuis, avec ce nouveau texte (sous-titré : De la haine de soi au déchaînement de la violence) de Raphaël Dargent (directeur de la revue Libres), la série de textes polémiques auxquels j'ai toujours fait une large place dans la Zone. Il va de soi, mais il faut tout de même le répéter, que je n'ai jamais tenu compte des avis prudents selon lesquels la littérature (la vraie, la pure, n'ont-ils pas honte d'affirmer) n'a rien de commun avec la vaine imprécation. Je devrais donc, pour rafraîchir le maigre gosier de ces femmelins, ne jamais quitter ma tour éburnéenne pour toucher terre et, de là, descendre encore comme Fernando Vidal-Olmos par quelque puits vers le monde ténébreux, aveugle, qui est le nôtre. Sans doute les cervelles creuses qui ont levé cette pauvre idée comme on lève une bécasse, ont-elles bien mal compris les ouvrages d'un Bernanos ou d'un Bloy ni même, d'une portée évidemment bien inférieure, ceux de ce trublion parfois génial qu'est Nabe qui, parodiant Huysmans donnant une préface écrite vingt ans après la publication d'À rebours, est le récent auteur d'un texte assez drôle et néanmoins parfaitement suintant pour son (surestimé, ai-je besoin de l'ajouter) Au régal des vermines.
La Zone aurait-elle pour sombre vocation de se transformer en une sorte de virtuel refuge d'une écriture violente, devenant ainsi un modeste chaînon de cette catena aurea secrète qui a donné à notre pays nombre de ses plus grands écrivains ? Peut-être. Et j'ajouterai, puisque certains analystes, lamentablement taxés de folie, de paranoïa ou souffrant de déclinite aiguë, annoncent que notre société se trouve dans une situation pré-révolutionnaire, que cette violence ne sera pas toujours contenue par les policiers armés de mitraillettes qui défendent aux curieux de pénétrer dans le mystérieux territoire dont ils sont du reste les premiers à redouter les fulgurants dangers.
Bonne lecture donc.
«Aimer son pays, en être fier, agir pour lui». Tels sont les mots, stupéfiants dans sa bouche, qu’employa Jacques Chirac lors de ses vœux aux Français. Puisque tout arrive et que le vent de l’Histoire tourne, voilà donc, au cœur d’un discours convenu et ponctué de gestes mécaniques de la main, le président-caméléon qui réhabilite le beau mot de patriotisme. C’est toujours cela de pris, me direz-vous. Mais peut-il seulement faire illusion celui qui n’a eu de cesse depuis trente ans de trahir le gaullisme et d’affaiblir la France ?
Quatre jours plus tard, lors de ses vœux à la presse, alors que le pays est sous le choc du saccage du train Nice-Lyon et des violences inouïes auquel un tel acte a donné lieu, le même Jacques Chirac, après avoir jugé «inacceptables» de telles violences – «inacceptable», c’est un mot bien neutre en réalité, «scandaleuses», «monstrueuses», «horribles», «barbares» eussent été des qualificatifs plus appropriés – annonça la prochaine réécriture de l’article de loi contesté sur le rôle positif de la colonisation, article qui fit grand bruit du fait de l’émoi du pouvoir algérien et de l’activisme de quelques associations antillaises, en cela bien relayés par une Gauche indigne et de surcroît amnésique.
Pourquoi lier les deux événements ? Mais parce qu’ils ont évidemment bien des points communs ! En effet, qui ne voit qu’il y a un lien direct entre la multiplication des actes de repentance que la France est sommée d’accomplir et le déchaînement de violences gratuites à forts relents identitaires, entre la francophobie ambiante et la montée d’un racisme anti-français ?
Histoire officielle et repentance
Il ne s’agit pas ici de prendre parti sur le fond du dossier de la colonisation. Pour tout dire, il y a bien longtemps que je considère que nous n’avions rien à faire dans ces contrées éloignées et que, tout bien pesé, l’aventure nous a apporté plus d’ennuis que d’avantages – mais las, c’était l’époque de «la course aux clochers» et de la concurrence entre nations européennes. Passons.
S’il est vrai que ce n’est pas le rôle d’une loi de dire l’Histoire, on ne peut pas, comme l’affirme Jacques Chirac, prétendre qu’en «France, il n’y pas d’histoire officielle». Les historiens ont beau travailler avec sérieux et veiller à l’objectivité – ce qu’ils font presque tous – l’Histoire, en France comme ailleurs, est toujours celle du pouvoir en place. Gageons par exemple que l’histoire de la Seconde guerre mondiale serait aujourd’hui fort différente si c’était Hitler qui avait gagné la guerre ! Gageons encore que les jugements de nos manuels scolaires sur le maréchal Pétain et le général de Gaulle ne seraient pas les mêmes ! Gageons enfin que si l’URSS avait finalement remporté la Guerre froide, nous ne porterions pas le même regard sur le Goulag ! Et pensons donc que si la France avait gagné la guerre d’Algérie, l’Assemblée algérienne ne se serait pas émue de l’article sur le rôle positif de la colonisation. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’il y a bien une histoire officielle ou dominante. Toutes les vérités qui dérogent à cette histoire-là sont immanquablement condamnées ou interdites d’expression. C’est ainsi qu’on ne peut plus dire désormais, au risque d’être accusé de «révisionnisme» historique, que la colonisation, absurde et condamnable par elle-même, eut des aspects positifs – ce qui est pourtant incontestable. D’ailleurs, que ceux qui s’offusquent à juste titre de la colonisation française d’il y a deux siècles manifestent donc la même intransigeance avec la colonisation culturelle ou démographique dont aujourd’hui est victime la France, et l’Europe tout entière !

L’historiquement correct, que dénonçait il y a deux ans Jean Sévillia dans un ouvrage indispensable, n’en finit donc pas de faire des ravages. «Analysant le monde d’hier d’après les critères de notre époque, l’historiquement correct traque l’obscurantisme, l’impérialisme, le colonialisme, le racisme, le fascisme ou le sexisme à travers les siècles. Que ces mots n’aient pas de sens hors d’un contexte précis, l’historiquement correct s’en moque : son but n’est pas de comprendre le passé, mais d’en fournir une version conforme à la philosophie dominante.» (1) On ne peut mieux dire.
Le procès perpétuel de la France
Pourquoi une société oublieuse de son passé craindrait-elle l’anachronisme ? Pourquoi un peuple rivé à l’instant présent, sans recul ni perspective, redouterait-il l’injustice ? Qu’aurait-on besoin d’une conscience historique (et d’une conscience tout court) et d’un peu de la foi de nos ancêtres quand il y a le Tribunal pénal international ou la Cour européenne des Droits de l’Homme ? Au contraire, nous vivons l’absolue loi du présent et à cette aune tout le passé est revisité. Prétention de l’homme moderne ! Notre temps se veut d’éternité, nos valeurs indépassables, nous prétendons être les derniers.
Dans ce contexte, la France est régulièrement traînée au banc des accusés et c’est toute son histoire qui y est jugée à l’aune des critères actuels et de la bien-pensance post-moderne. Il n’y a pas jusqu’à notre hymne national qui ne soit contesté, jugé trop violent ou trop «nationaliste».
Faut-il rappeler que c’est Jacques Chirac lui-même qui ouvrit l’ère de cette repentance devenue endémique, lorsque le 16 juillet 1995, il évoqua la responsabilité de la France – de la France et non pas de l’État français, non pas de Vichy – dans les persécutions contre les juifs ? Se rendait-il compte que disant cela, il reconnaissait en fait la légitimité de Vichy (Vichy, c’était donc la France ?), contredisait, lui le prétendu gaulliste, Charles de Gaulle lui-même, et faisait du Général le traître que Pétain dénonça ? Qu’on s’en souvienne tandis qu’il nous parle aujourd’hui de patriotisme : contre la France, c’est lui qui tira le premier. J’aime à citer ce proverbe chinois : «Le poisson pourrit toujours par la tête !»
Dernièrement, ce fut donc le tour de Napoléon d’être condamné. C’est ainsi qu’on vit les autorités françaises boycotter le bicentenaire de sa plus grande victoire, Austerlitz, alors même qu’elles avaient peu de mois auparavant envoyé le porte-avion Charles-de-Gaulle, fleuron de notre marine, célébrer la plus sévère défaite de la marine française, Trafalgar. Bel exemple de haine de soi ! Symbole parmi les symboles : le 2 décembre dernier, pendant que le service minimum de la célébration était assuré par quelques troupes devant la colonne Vendôme, Jacques Chirac faisait le paon… au Mali ! Quant à Dominique de Villepin – Villepin qui écrivit Les Cent-jours, Villepin le napoléonide –, il était en visite à Amiens pour évoquer… la non-discrimination ! Le Premier ministre expliqua, lorsque l’on s’en étonna, qu’il n’y avait «pas de consensus autour d’Austerlitz»; il cédait ainsi à la pression de quelques associations communautaires d’Antillais, de Guyanais et Réunionnais qui accusaient l’Empereur d’avoir rétabli l’esclavage, et donnait crédit aux inepties professées à grand renfort de médias par un certain Claude Ribbe lorsque celui-ci n’hésitait pas, loin de toute vérité historique, à comparer Napoléon à Hitler et à mettre sur le même plan les 20 000 individus concernés par le rétablissement de l’esclavage et les millions de déportés morts sous le joug nazi ! On n'en finira décidément jamais d’admirer le courage des plus hautes autorités de notre pays.
Aux «indigènes de la République» qu’on n’osa pas froisser, l’historien Pierre Nora répondit dans un Plaidoyer pour les indigènes d’Austerlitz dans Le Monde du 12 décembre : «La France ? Elle se décommande, elle se fait toute petite, elle se fait excuser, elle se cache derrière son petit doigt.» Quant à l’historien Thierry Lentz, président de la Fondation Napoléon, tout en ne niant pas les faits, il les mit en perspective et précisa dans Le Figaro du 22 décembre : «Pendant tout l’épisode, c’est bien l’Angleterre qui eut le monopole de la traite dans le monde et ne s’en priva pas, ce que les tabloïds britanniques ont, eux, passé sous silence dans leur récent déchaînement de francophobie au sujet du «French Hitler» qu’aurait été Napoléon.»
Comment veut-on après une telle honte que quelques rappeurs n’écrivent pas ces fortes paroles : «Je pisse sur Napoléon et le général de Gaulle»? Comment veut-on après ça que des jeunes déstructurés, désorientés, déracinés, aiment notre pays et veuillent sa réussite ? Comment des Français d’adoption ou issus de l’immigration pourraient-ils aimer la France quand ses plus hautes autorités ne l’aiment pas elles-mêmes ?
Il s’agit aujourd’hui de bannir toute fierté nationale et de se complaire dans l’autodénigrement. On attend la suite. A quand le procès des Croisades ? A quand celui de la Révocation de l’Édit de Nantes ? A quand celui d’Auguste Thiers ?
Cette sale besogne qui consiste à réécrire l’histoire de France pour la noircir, est aussi une vaste entreprise de lavage de cerveaux. La Gauche s’y complaît. Depuis 2001, Bertrand Delanoë s’est engagé dans une politique de renomination des rues de Paris pour satisfaire aux revendications de toutes sortes d’associations communautaires. C’est ainsi par exemple qu’il a débaptisé la rue Richepance, du nom du général coupable selon des associations noires d’avoir réprimé la révolte des noirs de la Guadeloupe et justement rétabli l’esclavage sur ordre de Bonaparte…
Amnésie de la Gauche, lâcheté de la Droite
La Gauche a la mémoire courte, tellement courte d’ailleurs, qu’elle s’oublie elle-même et ne sait plus qui elle est ni dans quel sens elle doit aller, vers Bayrou ou dans la direction de Besancenot. François Hollande ou Jack Lang étaient-ils bien inspirés de faire le procès en colonisation de la Droite quand on sait qu’en 1880 c’est la Gauche de l’époque, désireuse d’apporter «la civilisation» au reste du monde, qui réclamait la colonisation, et la Droite, plus soucieuse des deniers publics et de l’Alsace-Lorraine, qui y était hostile ? Jules Ferry, qu’on loue pour sa politique scolaire, ne fut-il pas surnommé Le Tonkinois, eu égard à son engagement colonial ? La Gauche, toujours prompt par ailleurs à donner des leçons d’anti-racisme au peuple français et à accuser la Droite de frayer avec l’extrême-droite, a-t-elle oublié l’antisémitisme de Jaurès ? Et instruira-t-on un jour le procès des «compagnons de route» du communisme comme on instruisit à juste titre celui des collaborateurs avec le nazisme ? Chance pour la Gauche : le peuple français ne connaît pas son histoire et ces vieilles lunes se sont perdues dans les limbes de la modernité matérialiste.
Il faut en convenir : l’histoire est toujours celle du vainqueur et en l’occurrence la Gauche, ses valeurs, son idéologie, sa vision de la France et du monde, ont gagné sur toute la ligne. La Droite a abdiqué ses valeurs propres, l’autorité, la tradition, le pragmatisme, la liberté pour céder à l’égalitarisme, au droits-de-l’hommisme, au progressisme de la Gauche. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les paroles consensuelles et bien-pensantes de Jacques Chirac et celles, verbeuses et jésuitiques, de son disciple Dominique de Villepin, lyrique Premier ministre qui s’aime davantage qu’il n’aime la France. Et quand certains à droite tentent de briser le consensus pour rétablir quelques vérités premières, ils sont cloués au pilori, accusés de toutes les tares et tous les extrémismes.
S’excuser d’être français
Encore une fois, me voici amené à faire l’éloge de Nicolas Sarkozy, chose proprement ahurissante il y a encore peu. Je sais bien que d’autres que lui parlent vrai mais parmi ceux qui peuvent raisonnablement succéder à Jacques Chirac à la Présidence de la République, l’actuel ministre de l’Intérieur est le seul à le faire avec autant de netteté. Il faut lui reconnaître cette grande qualité : il ne craint pas de mettre sa popularité en jeu lorsqu’il dit les choses telles qu’elles sont et conteste la repentance ambiante.
Ainsi quelle ne fut pas ma satisfaction lorsque je l’entendis, alors qu’il était interrogé sur France 3 le 7 décembre dernier au sujet de la fameuse loi concernant la colonisation et sur Austerlitz, affirmer avec force «qu’il faut cesser avec la repentance permanente en France pour revisiter notre histoire. […] cette repentance permanente qui fait qu’il faudrait s’excuser de l’histoire de France, permettez-moi de vous le dire, parfois touche aux confins du ridicule. […] Les Anglais, ça ne les gêne pas de fêter Trafalgar. Permettez-moi de vous dire qu’on ne peut pas réduire Napoléon aux aspects négatifs de son action. Et ne pas célébrer Austerlitz n’a pas beaucoup de sens. Donc justement, laissons les historiens faire ce travail de mémoire, et arrêtons de voter sans arrêt des lois pour revenir sur un passé revisité à l’aune des idées politiques d’aujourd'hui. C’est le bon sens.»
Quelle ne fut pas aussi ma satisfaction de lire sous sa plume ceci : «Nous assistons à une dérive préoccupante. Tout semble bon pour instruire le procès de la France et faire assaut d’auto-dénigrement.» Puis, dans une allusion à peine voilée à l’intervention du président de la République : «On assiste au développement en France chez certains individus et parfois même au sein de l’État à une tendance irrépressible à la repentance systématique.» Fustigeant la «funeste inclinaison au reniement de soi», le président de l’UMP feint de s’interroger : «Finira-t-on, un jour prochain, par s’excuser d’être français ?».
Peut-on être plus clair ? Dans la lâcheté ambiante, qui confine parfois à la collaboration pure et simple avec les adversaires de la France, les paroles de Nicolas Sarkozy font du bien.
Je sais bien ce que l’on va dire. J’entends déjà la critique poindre : «Il est devenu sarkozyste !». Il faut pourtant que les choses soient bien claires : je ne serai jamais ni «sarkozyste», ni «villepiniste», ni «villiériste», ni «chevènementiste» ni quoi ce soit d’autre. Je déteste les écuries. Je n’ose même plus me dire «gaulliste» eu égard au nombre d’opportunistes et d’hurluberlus qui se définissent comme tel. La seule étiquette que je revendique est celle de «patriote», étiquette intemporelle et qui n’appartient à personne. C’est pourquoi, et afin de répondre par avance à mes contradicteurs, je peux d’ores et déjà annoncer qu’en 2007, je soutiendrai, au premier tour puis au deuxième tour, le candidat qui selon moi défendra le mieux les intérêts de la France. Voilà ce que j’ai toujours fait, en conscience, depuis que j’ai l’honneur de pouvoir voter. Il se peut, en tous les cas il n’est pas exclu, qu’au deuxième tour, ce candidat soit Nicolas Sarkozy. J’ai pour habitude de juger sur pièce et non par principe. J’ai suffisamment critiqué Nicolas Sarkozy et sa politique pour avoir le droit de reconnaître quand il a raison. Or, dans ces affaires de repentance et de haine de soi, c’est lui qui a raison.
Quelques «jeunes gens» bien tranquilles…
J’ai dit déjà, dans un article précédent, combien le Ministre de l’Intérieur avait également eu raison lorsqu’il qualifia les auteurs des émeutes urbaines de novembre dernier de «racailles» et de «voyous» alors que le Président de la République et le Premier ministre, la Gauche et les médias bien-pensants ne voulaient y voir que des «jeunes». Et bien, nous venons la semaine dernière de vivre, à une échelle moindre, la même situation. Alors qu’on apprit, avec trois jours de retard, qu’une cinquantaine de barbares avaient investis le 1er janvier au matin le train Nice-Lyon, tout saccagé, rançonné et violenté les passagers, créant une véritable panique, les médias continuaient, en évoquant les responsables de tels actes, de parler de «jeunes gens». Il faut être bien charitable pour souhaiter que ceux qui persistent à utiliser un vocable aussi lâche ne croisent jamais, pour leur malheur, cette sorte de «jeunes gens» !
C’est Nicolas Sarkozy à nouveau qui rétablit les mots dans leur sens et condamna, lors du Journal de vingt heures de TF1, cette scandaleuse expression. Et regretter que la plupart de ceux qui avait été arrêtés avait dû être relâchés du fait de leur âge, ordonnance de 45 oblige.
Ce qui n’empêchait pas pour sa part Jacques Chirac d’assurer le plus solennellement du monde que «les auteurs de tels actes seraient punis» !
Le fait est que parmi la poignée qui fut arrêtée, se trouvaient nombres d’étrangers ou de jeunes Français d’origine étrangère. Qui peut contester le fait qu’il y a bien une composante identitaire à ces violences ? Qu’on me comprenne bien. Je ne dis pas, je n’ai jamais dit, que c’était là la seule composante, je ne dis pas, je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas aussi une composante proprement sociale. Je ne fais pas non plus d’amalgame et je ne condamne pas toute une catégorie de la population française ou vivant en France parce que certains de ses membres commettent les pires actes. Mais les faits parlent d’eux-mêmes. Qu’on en juge.
Petite ville de l’orléanais : une bande de ces «jeunes gens», casquettes vissées sur le crâne, doigt levé bien haut, insultent les passants, leur promettent que «le pays sera bientôt à eux, qu’ils vont faire régner la terreur», ils crachent sur certains, des grands-mères sont moquées. A Épinal, une semaine après, devant un centre commercial, même scène mais ce sont des jeunes filles qui invectivent la foule et promettent au pays, le leur, aux sales Français, qu’elles sont, le même sort. Comment se peut-il que ces deux exemples, éloignés de plusieurs centaines de kilomètres, que des personnes dignes de foi m’ont personnellement raconté, n’illustrent pas un phénomène plus général ?
C’est pourquoi j’ose dire qu’il y a un lien entre le désamour français que j’ai évoqué plus haut et ces violences gratuites à relents identitaires ou communautaires. Je ne prétends pas que ce lien soit nécessairement de cause à effet mais j’affirme que le procès instruit perpétuellement à la France est un facteur aggravant. On ne peut accréditer sans cesse l’idée selon laquelle la France s’est rendue coupable de ségrégation, d’esclavagisme, de torture vis-à-vis d’Algériens, d’Africains, d’Antillais et s’étonner après cela que des jeunes issus de l’immigration, en désespérance sociale et faute de repères, en veuillent à la France et aux Français. On n’est pas aimable lorsque l’on ne s’aime pas soi-même.
Pour une réforme intellectuelle et morale
Qu’est donc devenu notre pauvre pays en si peu de temps, en trente ans à peine ?
Comme il est loin le temps où l’historien Pierre Chaunu pouvait écrire : «Dans l’esprit des Français, à quelque famille qu’ils appartiennent, à partir de motivations différentes, l’image de la France est gratifiante. […] La France a reçu, au ciel des mots et des entités sociales, dès le berceau, une charge affective exceptionnellement forte et vivace.» (2)
Comme il est loin le temps où son Président se faisait «une certaine idée de la France», la comparant à «la princesse des songes, la madone aux fresques des murs» !
La France est un peu comme la peau de chagrin décrite par Balzac en 1831 : c’est comme si à chacune des émotions qu’elle avait fait partager, à chacune des idées et des œuvres qu’elle avait offertes au monde, à chacune des grandes choses qu’elle avait réalisées, elle avait rétréci. La France n’est plus qu’une peau de chagrin. Une pauvre peau de chagrin, une peau de misère qui n’exauce plus rien et ne fait plus rêver, une vieille peau piétinée, déchirée, brûlée. C’est comme si la France avait épuisé tout le capital de grandeur, d’exemplarité et d’amitié que la Providence lui avait accordée à la naissance.

Je ne cesse pour ma part d’appeler à un sursaut patriotique – je dis patriotique et non pas nationaliste. Il y a quelques mois, François Taillandier évoquait auprès de moi la nécessité de constituer une Université France pour rassembler tous les esprits soucieux de définir et de redéfinir l’idée nationale. C’est bien là ce qu’il faudrait faire : une autre Académie française, non pas seulement destinée à régler la langue mais conçue pour la promouvoir et avec elle la littérature, l’histoire, la politique de la France. Pour l’instant il nous faut œuvrer à notre mesure réelle et rassembler le petit groupe de ceux qui forment aujourd’hui, dans des temps difficiles de renoncement et de haine de soi, ce qu’on pourrait appeler un conservatoire national. Ernest Renan n’écrivait-il pas à la fin du XIXe siècle : «Un pays n’est pas la simple addition des individus qui le composent; c’est une âme, une conscience, une personne, une résultante vivante. Cette âme peut résider en un fort petit nombre d’hommes» ou encore «L’âme d’une nation ne se conserve pas sans un collège officiellement chargé de la garder» ?(4) Soyons ce conservatoire, soyons ce collège !
C’est une immense réforme qu’il faut préparer en effet. Une réforme des esprits. Une réforme des consciences. Exactement, pour être fidèle à Renan, une réforme intellectuelle et morale. Sans quoi, nous n’arrêterons pas les barbares, leur bêtise crasse et leur force débile.
(1) : Jean Sévillia, Historiquement correct (Perrin, 2003).
(2) : Pierre Chaunu, La France. Histoire de la sensibilité des Français à la France (Robert Laffont, 1982).
(3) : Jacques Julliard, Le Malheur français (Flammarion, 2005).
(4) : Ernest Renan, La réforme intellectuelle et morale (éditions Complexe, 1990).
04/01/2006
De l'art retrouvé de l'apologétique, par Francis Moury
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02/01/2006
Les abeilles de Delphes de Pierre Boutang
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28/12/2005
Contre-jour critique


Les imbéciles partiront d'un grand rire jaune mais je ne puis faire autrement que remercier ici toutes celles et ceux qui ont pris la peine de m'écrire, anonymes ou célèbres, quelques mots ou plusieurs pages sur ce livre difficile.
Enfin, je rappelle que les lecteurs peuvent d'ores et déjà lire deux des chapitres de ce livre, l'un consacré à Ernesto Sabato, l'autre à Monsieur Ouine de Georges Bernanos. D'autres, sans doute, suivront...
Voici donc, à ce jour, les auteurs des critiques rédigées sur mon ouvrage.
Dominique Autié sur son excellent blog, Balles de match, Balles perdues suivi de ma réponse dans la Zone.
Pierre Cormary (pseudonyme) pour le Journal de la culture (n°14) de Joseph Vebret, article repris sur son blog suivi de ma réponse, bien évidemment dans la Zone.
Sarah Vajda, courriel. Je publierai, le jour de sa parution (le 5 janvier), une critique consacrée au premier roman (Insomnie édité par le Rocher) de Sarah Vajda. Ce livre est tout simplement absolument remarquable.
Marc Alpozzo pour Boojum puis E-Torpedo.
Renaud Camus, lettre.
Axelle Felgine, sur le site Le-Mort-Qui-Trompe.
Pol Vandromme pour Valeurs actuelles, n°3580, du 8 au 14 juillet 2005, article repris dans Le Bulletin célinien n°269, novembre 2005.
Michel Crépu pour La Revue des deux mondes, numéro du mois de septembre 2005.
Lucien Suel, dans une longue méditation intitulée Dans la gorge de l'ombre, publiée dans la Zone.
Le Vif L'Express, week-end du 22 avril 2005, compte rendu signé par M.E.B.
Alain Santacreu pour Contrelittérature, n°16, été 2005.
Laurent Mabire sur son site, Iaboc. A priori, cet article sera bientôt repris par Liberté politique.
Olivier Noël, dans la troisième partie d'une remarquable critique consacrée à Cosmos Incorporated de Maurice G. Dantec, évoque mon livre de la façon suivante : «Non, Cosmos Incorporated, après l’explosion-révélation, refuse d’enregistrer le réel; en fait, le Réel n’est pour Dantec que ce néant originel évoqué par Saint Augustin. Ambition aporétique s’il en est, d’un projet faustien désavoué in extremis : écrire le contre-roman du contre-monde, écrire l’impossibilité de décrire l’indicible, se défaire de son innocence pour retrouver l’innocence. Entendu au sens burroughsien de virus, le langage est ici plus contaminé qu’il ne contamine; il finit par tuer son hôte – Plotkine, et le roman lui-même. Le langage ne transcende plus, il est une substance-mort. En d’autres termes, au Trou Noir du Contre-Monde relativiste succède un autre Trou Noir, celui du livre, celui de la littérature de Dantec. Dans La Littérature à contre-nuit, le recueil de textes critiques de Juan Asensio, figure un passage intitulé «De la littérature considérée comme un trou noir» où il est opportunément rappelé que cette singularité fut aussi désigné par de Nerval comme l’œil de Dieu. «[N]ous mettons en rapport la négativité d’un espace aboli, celle d’un astre inversé ou retourné, et l’apparition, au sein d’une écriture romanesque, d’un vide qui la creusera jusqu’à son amuïssement final.» D’amuïssement, il ne saurait être question dans Cosmos Incorporated puisque la parole – contre-verbe – y est déjà vaincue. On saisit quel abîme sépare irrémédiablement le roman de Maurice G. Dantec et le chef-d’œuvre de Georges Bernanos, Monsieur Ouine, dont Juan Asensio, qui lui consacre les plus belles pages de son livre, écrit à juste titre qu’il est une révélation, ce que Cosmos Incorporated, à trop vouloir tutoyer les dieux, ne parvient jamais à être. Il semblerait toutefois que Dantec en soit douloureusement conscient, lui qui réduit Plotkine au silence – qui le rend à sa liberté – dans les dernières pages de son roman. Mais avant cette consomption finale, en dépit de son échec littéraire, Dantec et sa substance-mort auront au moins réussi, ce n’est pas rien, à nous communiquer l’essence de ce qui manque cruellement à sa fiction, et qui fit le succès et l’importance de 1984 : l’insurrection du Verbe au royaume du Novlangue.»
22/12/2005
Lettre à ceux qui parlent encore, par Moussa Diabira

L'un des reproches les plus inébranlables que me servent les crétins anonymes (sur la Toile, l'anonymat est bien souvent l'épithète de nature du crétinisme) est bien connu, quoique, sous leur plume débile, apparemment toujours auréolé de nouveauté : parce que j'interdis les commentaires, je serais un affreux dictateur détestant la contradiction. J'ai déjà, mille et mille fois, répondu à cette critique grossière, stupide et infondée, rappelant que je me moquais comme d'une guigne des avis des uns et des autres, que la communication directe était à mes yeux une facilité sidérante si on osait lui opposer la dureté de la communication indirecte (savoir si la Toile est ou peut être le lieu d'une pareille gageure est un débat initié, naguère, avec Dominique Autié...), qu'enfin j'ouvrais la Zone à qui le désirait, à condition bien sûr que l'intéressé daigne me faire parvenir un texte argumenté et, si possible, rédigé dans un français qui ne soit point celui du blog de Julien Dray. Est-ce trop demander ? Les babouins estiment, en hôchant d'un commun élan leur chef prognathe : oui, c'est beaucoup trop car je ne vois pas par quelle raison, moi, babouin et fier de l'être, je devrais ne point venir souiller la Zone et, en sus, y inviter la bande fort étendue de mes congénères, toujours prêts à se livrer à leurs tripotages publics. Mais qui donc, grands dieux, a fait croire à ces cousins lointains de l'homme que la Zone était un tripot démocratique ? Pas moi, je vous le jure. Et qu'y puis-je si, par exemple à l'occasion de ma série de publications de textes consacrés aux émeutes en banlieue, j'ai reçu beaucoup d'insultes mais strictement pas la plus petite trace d'un texte, fût-il violemment opposé aux idées de messieurs Moury, Dargent et Rivron, qui tâcherait de réduire à néant leur argumentation ? Effectivement, les babouins, y compris le chef, s'il existe, de cette facétieuse communauté arboricole, estimeront que je n'y puis rien... Je l'attends toujours, d'ailleurs, ce texte critique, polémique, soit-disant républicain, donc tolérant, s'insurgeant contre les analyses ici professées, qui, je le dis tout de suite, ne me font point rougir...
Voici en revanche, publié tel quel, l'un des très nombreux courriers que m'a valu cette même parution dans la Zone des différents articles regroupés sous un seul titre, Bellum civile/Civil War in France.
Je suis presque navré de prendre le temps de vous écrire ceci. Navré d'abord sans doute parce que je sens quelque chose d'un égocentrisme chagrinant à croire que cette lettre puisse avoir la moindre importance. Mais navré surtout qu'il m'apparaisse nécessaire de devoir l'écrire, c'est-à-dire peiné que certaines personnes ayant lu vos textes aient pu croire, parce qu'on y retrouvait peut-être une quelconque parenté formelle dans l'emphase avec les textes de certains extrémismes (vous le remarquez fort justement, c'est finalement souvent plus ce qu'on reproche aussi à Bloy), que vos textes défendaient des idées extrémistes quand, de manière générale, ils ne disaient rien que de très naturel.
Répétons-le donc encore au désert : il n'y a rien d'extrémiste à rappeler que si la société civile se refuse à employer la force pour juguler la violence, c'est la société civile qui disparaît, pas la violence, et cela reste vrai que cette violence ait été engendrée par la société civile elle-même ou non.
Je me permettrais cependant de glisser ce commentaire, avec l'espoir qu'il sera peut être utile : il m'apparaît étonnant que PERSONNE à ma connaissance (limitée je ne peux que l'accorder si je tiens à rester un tant soit peu honnête), n'ait fait le lien entre ces flambées de violence et le fiasco des dernières élections présidentielles : l'impact qu'a pourtant eu cette tragédie, le discrédit qu'elle semble avoir jeté sur l'ensemble des discours d'intégration ne sont pourtant pas moindres. Je pense que je garderais toute ma vie cette sensation étrange de la qualité du poids de l'air dans les rues au lendemain du premier tour, le visage des gens, et plus particulièrement celui de ce marchand de kebab, ébranlé et perdu. Je me souviens d'un article du Monde ou un anonyme cité disait : «On n'a pas voulu ça !». Réaction de quelqu'un sûr de son identité française. Mais pour beaucoup d'immigrés, ou de personnes se sentant immigrés dans leur propre pays, la réaction a plutôt été : «C'est pour faire partie de ça que je me suis battu ?». La revendication d'une identité communautaire, que beaucoup confondent avec l'islamisation, parce qu'elle en parasite les formes, semble s'être accrue dangereusement juste après, de même que la conception utilitariste de l'État français comme source extérieure, bonne uniquement à être parasitée, elle aussi, me semble s'être tout simplement légitimée à ce moment, se débarrassant des derniers lambeaux de honte qui auraient encore pu lui rester.
Ils ne veulent plus se considérer comme Français, voilà le message transmis.
Et pourtant, que sont-ils, si pas Français ? Que dit d'autre le désir avoué des plus bruyants d'entre eux de violer ou de pisser sur la France, si ce n'est que la France est toujours perçue comme la Femme sacrée qui les fait bander de (trop) loin ? Que marque d'autre la forme même de ces explosions de violence (je ne parle pas de celle que les médias de tous bords ont cherché à lui donner, mais bien celle perçue et assumée par les fauteurs criminels eux-mêmes, si loin de la réalité que puisse être leur perception des choses), cette manière de présenter ce qui n'est jamais que notre échec de société matérialiste comme une revendication sociale, sinon qu'ils étaient Français ?
Et c'est bien notre échec que cette manifestation montre. Vous l'avez déjà dit, répétons-le encore, ce n'est pas parce qu'ils sont dans un état de misère objectif, mais relatif, que la minorité vocale de ceux
qui maintenant refusent brûle. Nous leur avons enseigné que l'état de la société était purement arbitraire, et ils en ont tiré les conséquences logiques : s'il est certain que, de toutes façons, quelqu'un doit faire le sale boulot (sale, dégradant, juste parce que moins bien payé : l'argent est le seul vecteur de l'honneur, ça aussi nous le leur avons plus ou moins involontairement enseigné, et ils ne l'ont que trop bien appris), alors pourquoi serait-ce à eux de le faire plutôt qu'à d'autres ? Pire encore, je pense, ce que cette explosion de violence, devenue sa propre monnaie, et qui ne va nulle part, montre bien, c'est que nous n'avons rien de mieux à leur offrir pour se divertir que l'autodestruction par négation de l'autre.
Mais je m'arrête ici, j'étais venu pour lancer un élément, un écho, dans le débat. Pas pour participer à la grande série des monologues...
Merci au Stalker pour sa Zone (il est bon de trouver une voix autre et claire au milieu de la cacophonie des semblables, que l'on soit ou non d'accord avec elle), et merci encore à messieurs Moury, Dargent et Rivron pour leurs analyses de ces événements.
19/12/2005
Tsimtsoûm, numéro premier, Le Nouvel Attila, numéro troisième

«Il ne faut pas admettre que le Livre Saint d’un milliard et demi de musulmans soit à jamais porteur de la haine.»
Soheib Bencheikh, Tsimtsoûm, n°1.
«Tout athée européen fait partie de l’armée de producteurs du film vidéo montrant l’égorgement de Nick Berg, parce que cela ne serait jamais arrivé si l’Europe était encore chrétienne.»
Laurent James, Ibid.

James le constate avec la simplicité enfantine du bourreau et cette simplicité truande est, elle-même, jouissance assassine : «[…] l’Islâm est aujourd’hui l’unique puissance capable de s’opposer à l’univers néo-balzacien issu des isoloirs municipaux, des palais de la [B]ourse et des séances de brain-storming.» Et de continuer : «S’il existe une autre force, il lui reste à s’actualiser : c’est évidemment la Parole du Christ». Non point morte, pas même terrassée mais simplement oubliée, et oubliée, d’abord, par les chrétiens eux-mêmes car, de «brandon fumeux qu’elle est devenue après vingt siècles de civilisation renversée [Bloy, Chesterton et Bernanos ne sont évidemment pas loin…], où la perte de l’état de grâce liée à l’apparition de l’individualisme social et l’invention simultanée de l’universalité menèrent à l’atomisation généralisée, cette Parole n’attend que des hommes de bonne volonté pour la réactiver par l’Eau et par le Feu». Laurent James, comme prétendait le faire Marc-Édouard Nabe (avec bien peu de réussite à mes yeux) enfonce le clou un peu plus profond dans la prunelle de celui qu’il appelle l’Aveugle, id est, l’homme d’Occident, déclarant : «c’est bien l’Occident, et lui seul, qui […] est le seul fautif. C’est en cela que je considère tout athée […] comme directement responsable, non seulement de l’absence de vie intérieure en Occident, mais également du trop-plein de cruauté jaillissant de l’arme du Musulman qui saisit sa chance pour établir la Loi d’Allah sur une partie de la planète». Croyez-vous, alors, que James va témoigner sa sympathie à l’ennemi naturel du gauchiste vilipendé, le petit droitier (parfois il est droiturier, surtout lorsque le danger se rapproche de ses fesses consensuelles) confit dans le même confort que le gauchiste ne fait que mine de refuser ? Ce serait mal connaître l’auteur, qui écrit : «Considérer que le gauchisme et l’Islâm sont deux indices matriciels d’un même vecteur de force historique, en gros celui qui vise à néantiser l’Occident […], est une très grave erreur» puisque c’est bel et bien la «rage rationnelle du matérialisme antitranscendantal qui a dévissé le socle européen, laquelle est beaucoup plus vieille que la Révolution Française !». Les racistes à la petite semaine en seront pour leurs frais, James leur affirmant qu’il ne voit guère de différence tangible, manifeste, entre droite et gauche, droite se diluant à gauche et gauche lorgnant sans le dire sur bien des thèmes chers à son irréductible ennemi politique, pardon, aujourd’hui, salonnard.
De l’entretien proprement dit avec Bencheikh, je n’écrirai rien ou presque, laissant au lecteur le soin de goûter la beauté de plusieurs des thématiques évoquées, comme celle du «Livre archétype, hors-temps», appelé par Bencheikh «la Table gardée», matrice incrée du Coran.
La poigne est tout aussi ferme même si le crochet, sous la plume de Jourde, est d’une ampleur moindre. Disons que, fidèle à son habitude ou à son eczéma, Pierre Jourde, avec la truculence qu’on lui connaît, se moque avec une saine méchanceté du Petit Père du peuple de Saint-Germain, Philippe Sollers ainsi que de ses habituels bouffons, Meyronnis, Haenel et Josyane Savigneau, que tout le monde croyait exilée en quelque contrée, sans doute la Laponie extérieure, plus à même de goûter son génie littéraire, certes conservé, pour l’appétit de générations de manchots, par l’antique procédé du salage. Jourde n’a dès lors de cesse de stigmatiser les constantes poussées de fièvre collusionniste entre ces quatre, moquant le style des intéressés par le plus facile et efficace des procédés, la citation. Qu’on en juge : «Il n’y a pas cinq sens; il y en a mille – il y en a autant qu’il y a de corps en vous. Et lorsque vous entrez dans ce qui s’ouvre d’une œuvre d’art, vous avez mille corps, des centaines d’oreilles.» De qui est cette phrase ? Je l’ai lue deux fois (pas plus) et je suis parti d’un grand rire, pensant que je l’avais déjà vue un bon millier de fois au moins, à la virgule près, sous la plume ovarienne d’Alinartiste. Mais non, cette phrase ridicule est bien de Haenel, même si cet admirable phénomène de parenté homozygote ou de palilalie prouve, sans conteste, la réalité de l’interchangeabilité des mérites, voire des identités, qui s’opère dans le monde versicolore où les imbéciles échangent, contents d'eux-mêmes, des signaux avertissant leurs congénères de leur indéfectible présence. Quoi qu’il en soit, les connaisseurs, si l'espèce existe qui collectionne les éphémères reyno-meyroniens, admettront sans mal que cette phrase ridicule aurait pu être signée et contresignée par l’une des plumes de Tsimtsoûm, Alina Reyes justement, qui jamais ne s’est privée d’étaler semblable marmelade rose sur des tartines beurrées de sotte complaisance. Alina qui d’ailleurs éprouve toutes les peines du monde à retenir son naturel papillonnant, je veux parler de l’épanchement inconsistant, on en jugera par l’admirable banalité concluant son propre article, lui-même invertébré : «Le roman est, ou doit être, le poème d’aujourd’hui, la langue nouvelle qui, remontant de la fosse de Babel, nous révèle ce que sans le savoir nous sommes en train de vivre, fantasmer, et risquer.» Ah bon ? Qui pourrait contester le bon sens de cette cruche alinade ? Allez, vite, passons de l’écrivaine à l’écrivain, une femme bien sûr, Sarah Vajda, dont je n’ai lu que tout récemment, à ma grande honte je le confesse, ses deux biographies consacrées à Barrès et Hallier. L’avantage de lire Sarah Vajda est que, quel que soit le sujet, peu importe (et le sujet de son article est, réellement, sans aucune importance…), une écriture y vit, s’y anime et, souvent, entre en ébullition, comme dans ce passage, où Sarah égratigne ses «camarades droitiers» n’ayant rien compris selon elle à Deleuze, Foucault et son cher Barthes : «Cette volition en des temps si troublés où chacun se retranche dans un camp ou l’autre mérite châtiment, ce qui devrait unir désunit et il semble qu’ad libitum, artistes et intellectuels, sans parler du petit prolétariat de l’esprit qu’on nomme journalistes, la séparation, l’écart irréductible soit vanté». Fort heureusement oui, chère Sarah car, pour reprendre telle conversation ancienne avec vous laissée en jachère, je ne vois, dans ces auteurs, que des occasions, certes parfois remarquables, sur telle ou telle question, de souligner la justesse de leurs analyses, ajoutant que je ne place tout de même point, pour ce que j’ai lu d’eux, Foucault et Deleuze sur le même tabouret de nains sur lequel j’ai le plus grand plaisir à asseoir le petit Barthes qui, décidément, n’a sa vie entière (contrairement à ce qu'en pense Compagnon dans ses Antimodernes) touillé que le même pot de banalités érudites.
Quoi d'autre ? Sarah Vajda dialoguant avec l'altier, le superbe Guy Dupré («il demeurera le lettré qui, au chevet d'un pays défunt, en dessine pour jamais l'agonie et la cartographie» écrit Vajda, elle-même hantée par la sénescence, elle-même lettrée au chevet de la France), Costes déféquant avec jovialité, c'est sa coutume qu'on ne lui reprochera point cette fois, sur le surestimé Jean Genet qui naguère mérita les honneurs d'un Éric Marty, Laurent Schang encore, doué comme toujours et enfin le jeune et talentueux peintre (il existe aussi, paraît-il, un marin éponyme dont je ne sais strictement rien...) Laurent Pellecuer présenté par Laurent James, dont je reproduis (avec l'autorisation déjà lointaine de l'intéressé), un autoportrait.

Une autre revue me demanderez-vous, puisque me voici promu amateur de ces étranges animaux que sont les revues littéraires, dont les plus sincères seulement sont aussi, bizarrement, les plus éphémères, donc les plus intéressantes ? Voyons, j'ai déjà évoqué Nunc, je ne vois rien d'autre... Ah, j'y suis, ne me dites rien de plus : La presse littéraire, pas vrai ? Voyons mais, d'abord, une question impertinente : quel sens donner à ce mot de presse je vous prie ? Non, ne me dites rien, j'ai trouvé : il s'agit n'est-ce pas de ce mécanisme savant qui, à l'aide d'un effort minime, permet d'exercer une pression considérable ? Je vois parfaitement l'effort minime dont il s'agit mais, grands dieux, de quelle pression considérable parlons-nous ? Tout de même pas celle qui nous fait gicler, à gros bouillons gluants, l'huile grasse, voire lourde (on parle alors de goudron) de quelque critique digne de Coluche, si ?
16/12/2005
Louis-Claude de Saint-Martin : quelques aperçus
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14/12/2005
Histoire, Mémoire, Enseignement : la grande confusion, par Germain Souchet

Depuis quelques jours, une sorte de délire collectif semble s’être emparé de la France. Plusieurs mois après l’adoption de la loi du 23 février 2005 dont l’article 4 dispose que «les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit», le parti socialiste, brutalement sorti de sa torpeur, a réussi à lancer une vaste campagne de presse demandant l’abrogation de ce texte. Dans le même temps, les commémorations de la bataille d’Austerlitz, sans doute la plus grande victoire militaire de la France, ont été marquées par l’absence du président de la République et du Premier ministre en raison d’une «polémique» créée de toute pièce autour du rétablissement de l’esclavage par le Premier Consul Bonaparte en 1802. Un livre – que dis-je, un pamphlet haineux – comparant Napoléon à Hitler – n’ayons pas peur des amalgames ! – a bénéficié d’une publicité exceptionnelle, son auteur étant reçu sur plusieurs plateaux télévisés, la plupart du temps sans contradicteur, à l’exception notable de l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde dont l’animateur, Marc-Olivier Fogiel, ne nous avait pas habitués à tant d’objectivité.
L’objet de cet article n’est pas de discuter sur le fond la question des éventuels bienfaits de la colonisation, ni de dresser un bilan de l’action de Napoléon Bonaparte. Il me paraît cependant important de faire le point sur quelques notions particulièrement malmenées dans le «débat médiatique», expression qui sonne à mes oreilles comme un bel exemple d’oxymore. Car à l’appui de sa demande d’abrogation de la soi-disant «loi de la honte» – mais qu’est-ce qui est si honteux ? d’oser affirmer que l’Histoire de France n’est pas faite que de massacres, de crimes odieux ou d’exploitation d’autres peuples, mais que notre pays a fait de grandes choses dans le monde et que nous pouvons être fiers d’appartenir à cette Nation multiséculaire ? – le parti socialiste, relayé par quelques associations d’Antillais et par la plupart des médias radio et télévisuels avancent un argument en apparence indiscutable : ce n’est pas au Parlement d’écrire l’Histoire. Indiscutable, car a priori, personne ne saurait contester ce qui relève de l’évidence : quelqu’un oserait-t-il soutenir que le Parlement peut légiférer dans le domaine des mathématiques et affirmer que deux et deux font trois ? Indiscutable, donc… sauf que l’objet du débat n’est justement pas celui-là ! C’est ce que nous allons tâcher de montrer maintenant. Pour cela, il est nécessaire de préciser ce que recouvrent exactement les trois notions suivantes : l’Histoire, la Mémoire et l’Enseignement.
En première analyse, l’Histoire est une science sociale dont le but est d’établir l’existence de faits ayant eu lieu dans le passé. Elle est donc, à ce titre, une science objective, bien qu’il puisse exister des débats sur le fait de savoir si tel ou tel événement a bien eu lieu : par exemple, et pour rester dans l’actualité, une querelle oppose depuis plusieurs décennies les historiens de la période napoléonienne sur la question de l’éventuel empoisonnement de l’Empereur déchu sur l’île de Sainte-Hélène.
À un deuxième niveau de réflexion, l’Histoire se transforme en historiographie, c’est-à-dire en courants intellectuels cherchant à expliquer l’enchaînement des événements. On sort de l’objectivité de l’étude des seuls faits pour rentrer dans la subjectivité de l’analyse de ceux-ci. Cependant, on reste dans le domaine de la dialectique, car des historiens dignes de ce nom – je ne parle pas des «Guignols de l’Histoire», selon l’expression de Dominique Jamet dans son ouvrage sur Napoléon, qui sont à cette science ce que le journal télévisé est à l’information – construisent des raisonnements argumentés, reposant sur une utilisation rigoureuse de faits dont l’existence a été préétablie, dans le but de faire une démonstration.
Sur ces deux points, inutile de préciser que le Parlement n’a pas son mot à dire : comme pour les autres sciences, la recherche doit rester libre, car elle permet, par la confrontation des idées et des thèses différentes, de faire lentement mais sûrement émerger ce qu’on pourrait appeler la «vérité historique», à laquelle toutes les personnes de bonne volonté sont attachées.
La Mémoire, quant à elle – terme largement galvaudé de nos jours, et la plupart du temps employé dans la seule expression «devoir de Mémoire», formulation bien étrange qui très souvent sert de caution morale à une instrumentalisation de l’Histoire par des adeptes de l’idéologie marxiste – n’est pas marquée du sceau de la même rigueur. Elle résulte à la fois de phénomènes spontanés, à savoir la transmission orale de souvenirs au sein de familles, de communautés politiques ou religieuses, de villes ou parfois de régions entières, et d’une action volontaire des pouvoirs publics à travers les commémorations, les discours officiels et l’enseignement, sur lequel nous reviendrons dans un instant.
Il existe ainsi plusieurs Mémoires en fonction des communautés évoquées, ce en quoi le Premier ministre, interrogé la semaine dernière sur France Inter, avait parfaitement raison : il va de soi que la Mémoire de la Révolution française n’est pas la même en Vendée – où le massacre, après l’arrêt des combats, de plus de 150 000 personnes, hommes, femmes et enfants, semble faire l’objet d’un étrange «oubli» parmi les thuriféraires de la Ière République – qu’à Paris, ou que la Mémoire alsacienne sur les deux guerres mondiales est sensiblement différente de celle du reste de la France métropolitaine.
Pour autant, il existe bien une Mémoire nationale, qui, sans effacer les particularités et les sensibilités locales, doit les fédérer et les transcender. Car toutes ces Mémoires appartiennent à la France, «fille aînée de l’Église et de la Convention» comme le chantait si bien Michel Sardou, mère patrie généreuse qui aime indistinctement tous ses enfants… même si tous ne le lui rendent pas.
Qu’en est-il donc de l’enseignement de l’Histoire ? L’actuelle campagne politico-médiatique tente de nous faire croire qu’il relève simplement de l’étude objective des faits et que, de ce fait, le Parlement n’a pas son mot à dire. Or, l’enseignement ne peut ni ne doit se désintéresser de la construction et de la transmission de la Mémoire nationale. En effet, pour être parfaitement neutre, pour rester dans le domaine scientifique, l’enseignement de l’Histoire devrait soit se limiter à ne parler que des faits strictement avérés, ce qui serait quelque peu réducteur, soit rendre compte de manière exhaustive de l’ensemble des courants historiographiques et des thèses défendues par les auteurs y appartenant. Par manque de temps – il faudrait consacrer des heures au Consulat et à l’Empire, sur lesquels des dizaines de milliers de livres ont été écrits depuis deux siècles, alors que je me souviens n’avoir passé que deux heures, deux misérables petites heures, en 4ème, qui plus est, à étudier cette période foisonnante – et parce que les collégiens et, dans une large mesure, les lycéens, ne sont pas forcément à même de comprendre l’utilité de tous ces raffinements intellectuels, la neutralité absolue de l’enseignement de l’Histoire me paraît être une chimère.
Est-elle d’ailleurs souhaitable ? Je ne le crois pas. En effet, le déchaînement médiatique escamote une question fondamentale – une fois de plus, serais-je tenté de dire : à quoi sert l’enseignement de l’Histoire ? S’il s’agit simplement d’apprendre par cœur des dates et des événements, on pourrait sans doute alléger les semaines de nos chers élèves et supprimer quelques milliers de postes à l’Éducation Nationale, ce qui ne ferait pas de mal à nos finances publiques… En réalité, l’enjeu est tout autre : il s’agit d’abord de comprendre pourquoi le monde est comme il est aujourd’hui et d’éviter de faire ainsi des contresens dans l’analyse des événements contemporains. Mais, au-delà de ce qui relève de la formation de tout honnête homme, comme on disait autrefois, il s’agit aussi – et peut-être même surtout – de contribuer à la formation d’une conscience commune, d’un sentiment d’appartenance à une communauté nationale. L’enseignement de l’Histoire participe à ce titre de la construction de la Mémoire de la France.
En apprenant aux élèves ce que leur pays a fait dans le passé, il doit leur donner envie de vivre ensemble aujourd’hui et de bâtir des projets communs pour l’avenir. C’est pour cela que le philosophe Henri Bergson disait que «le passé est la conséquence du futur» : il voulait dire que la Mémoire consiste à retenir du passé ce qui est nécessaire à la projection dans le futur. Si on souhaite que la France défende des valeurs humanistes – la liberté, l’égalité, la justice, le respect de la personne humaine –, si on souhaite que notre pays soit présent sur la scène internationale, il est important d’enseigner que la France a été un grand pays et que les valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui ont été les siennes au cours de son Histoire. Car comment peut-on espérer faire aimer notre pays aux jeunes générations, Français de longue date ou récemment installés sur le territoire national, si on leur assène à longueur d’année que le comportement de la France, au cours des siècles, a été sans cesse détestable ? Comment espère-t-on leur donner l’envie de vivre ensemble et de se respecter mutuellement si on leur laisse croire que la France n’a jamais respecté les autres peuples et n’a été qu’un foyer d’intolérance et d’injustice ? Le «malaise» qui secoue nos banlieues trouve malheureusement une de ses sources dans cette vaste entreprise de détestation de soi orchestrée depuis des années par des médias inconscients et des enseignants idéologues.
Naturellement, la Mémoire ne doit pas s’opposer à la réalité historique. Il ne s’agit pas de masquer les fameuses «heures sombres de notre Histoire», pour reprendre l’expression consacrée par la bien-pensance ambiante. Certes, la France a été esclavagiste et a participé à la traite des Noirs; certes, la colonisation a été un phénomène ambigu marqué par des dérives importantes ; certes, il y a eu des «collabos» et des dénonciations pendant la Seconde guerre mondiale. Mais je tiens pour vrai que l’Histoire de France a été plus souvent glorieuse que honteuse; que notre pays a plus souvent été du côté de la liberté et de la justice que de l’oppression et de l’arbitraire; que le Bien y a plus souvent triomphé que le Mal – je sens que l’emploi de ces termes, pourtant essentiels et malheureusement vidés de tout contenu par le lent déclin du christianisme en Europe, risque de choquer les intellectuels de gauche qui n’hésiteront pas à me jeter au visage l’insulte, censée être infâmante, de «Bushiste», sans comprendre qu’en affaiblissant sans cesse la France, ils font le jeu de «l’hyperpuissance américaine» qu’ils dénoncent par ailleurs. En somme, j’ai le tort d’aimer la France et de penser qu’en plus d’avoir un passé glorieux, elle peut encore avoir un avenir radieux, à condition qu’on veuille bien se donner la peine de cesser de saper ses fondements. Car la confiance en l’avenir se nourrit du respect du passé.
Si donc l’on veut bien reconnaître que l’École est inévitablement le vecteur privilégié de la transmission de la Mémoire, avec toutes les conséquences proprement politiques que nous venons de voir sur la cohésion nationale, alors oui, le Parlement a le droit de s’intéresser au contenu des programmes scolaires. Lui seul possède la légitimité démocratique pour le faire, sûrement pas les fonctionnaires de l’Éducation nationale. Car ce que le parti socialiste redoute en réalité, c’est que soit battue en brèche la mainmise de la gauche et de l’extrême gauche sur l’Éducation nationale, qui leur donne l’incroyable pouvoir de façonner les jeunes esprits selon leur vision arriérée et simpliste du monde – le matérialisme historique et la lutte ancestrale entre les dominants et les dominés. Ce qui est en jeu aujourd’hui n’est donc pas le fait de savoir si le Parlement doit ou non écrire l’Histoire, mais si une minorité agissante a le droit de déterminer seule et de vouloir imposer, au mépris de la volonté d’une majorité démocratiquement élue, sa Mémoire ? Si la droite cède sur ce point capital, ce que l’annonce de la création d’une «mission» par le président de la République laisse malheureusement prévoir, alors elle aura une fois de plus perdu une bataille idéologique majeure et laissé le champ libre à une gauche rétrograde embourbée dans une mauvaise conscience maladive.
10/12/2005
Alain Finkielkraut en chute libre ?

J'ai décidé de donner quelque écho à cette lettre que deux journalistes, dont l'un, Jean-Pierre Tailleur, est un ami qui m'avait déjà proposé un certain nombre de textes consacrés au maljournalisme, ont tout récemment envoyé à Alain Finkielkraut, traîné dans la boue après avoir écrit un article (What sort of Frenchmen are they ?, traduction anglaise de l'original en langue hébraïque) publié dans Haaretz.
En voici une version française fidèle, intitulée Quel genre de Français est-ce là ?. J'ajoute, pour faire bonne mesure, ce texte, pour le moins peu amène et prétendument objectif, signé d'Henri Maler et publié sur le site de l'Acrimed. Bien évidemment, ce scribouillard (je ne vais tout de même pas employer le terme d'auteur, n'est-ce pas ?) ne juge absolument pas utile de nous démontrer en quoi Alain Finkielkraut se serait trompé dans ses assertions explosives, se bornant donc, comme la majorité de ses congénères à la stature intellectuelle peu enviable, de pointer les approximations et les subites virevoltes sémantiques du penseur. Le fond de cette sale affaire, bien sûr, que ce besogneux éphémère n'a pas même effleuré de l'une de ses pattes aussi fines qu'un ver des marécages, continue de gronder. Et encore, s'il n'y avait que ces rinçures vite diluables mais non puisque je vous rappelle, au cas improbable où vous l'auriez oublié, que nous sommes en France, pays qui a inventé, paraît-il, la pétition. Alain Finkielkraut a donc eu droit, on s'en serait douté, à la sienne, misérablement contresignée par quelque douzaine d'impuissants sur un site d'arrière-latrine virtuelle. Soyons cependant bien certains d'une chose : s'ils en avaient, durant une seule seconde, le pouvoir, ces imbéciles pétitionnaires ne se contenteraient point d'une ridicule bulle d'excommunication aux vertus citoyennes mais ajusteraient lentement, très lentement, avec un immense plaisir récompensant leur stricte obéissance à la Ligne du Parti, la mire sur le corps préalablement roué de coups de n'importe quel Finkielkraut, fût-il le plus décharné et étique porteur de lunettes, comme nous avons vu la scène, des milliers de fois, se reproduire, par exemple au Cambodge. Car il y a, entre ces crétins compulsifs qui ne sont que des lâches faussement vertueux et les anonymes tueurs des régimes socialistes un point commun banal mais pas moins caché : la haine placide, implacable de l'homme des foules à l'égard de ses frères secrètement haïs, haine ou plutôt ressentiment décrit, dans son abjection petite-bourgeoise, infiniment médiocre, infiniment partagée, par Edgar Poe ou encore Harry Mulisch.
Voici donc cette courte lettre.
A l'attention de Monsieur Alain Finkielkraut.
Monsieur, nous sommes deux journalistes qui avons été sensibles à vos écrits, à vos déclarations sur la situation actuelle en France et dans le monde. Nous partageons vos idées et nous avons été choqués par la levée de boucliers et la campagne infâme qui tente de vous écraser. Ce texte exprime notre solidarité avec vous et vous êtes le premier à le recevoir.
Recevez nos cordiales et solidaires salutations.
Eduardo Mackenzie et Jean-Pierre Tailleur, journalistes.
Personne ne la nomme ainsi, mais tout porte à croire qu’il y a une opération anti-Finkielkraut en marche. Cette machine a pour objet la mort sociale et médiatique du philosophe. Elle connaît, certes, une pause, après la mise au point hésitante de Robert Solé, le Médiateur du Monde, où il admet que ce journal aurait abusé des «anathèmes» contre le philosophe et polémiste. Mais rien n'empêche qu'elle soit poursuivie ou qu'elle rebondisse de plus belle.
Cette démarche indigne n'a pas commencé avec le résumé tronqué de Sylvain Cypel dans Le Monde du 24 novembre 2005. Ce texte prétendait rendre compte d'un long entretien accordé par Alain Finkielkraut au journal israélien Haaretz. Elle a démarré, en réalité, sur France 5, dans l'émission Ripostes de Serge Moati, où l'auteur de La défaite de la pensée a été attiré dans un véritable guet-apens. Un parterre monolithique d'invités s'y est aligné sur la même consigne : disculper les émeutiers des banlieues par un discours victimisant et menacer tous ceux qui oseraient, comme Finkielkraut, examiner les faits et s’interroger sur le facteur ethnico-religieux des «violences urbaines».
L'un des invités, Tarik Ramadan, y était aux anges. L'avalanche de propos outranciers contre Finkielkraut empêchera, en fait, le véritable échange d'idées que les téléspectateurs attendaient de cette rencontre. Désinvolte et condescendant, le professeur ès-islamisme souriait et ricanait face aux propos nauséabonds véhiculés par les chansons rap qu'un Finkielkraut horrifié venait de citer sur le plateau.
Organisée quelques heures après la fin de la vague d'émeutes de novembre, cette étrange émission de Serge Moati a contribué à escamoter les vrais enjeux de la récente vague de violences dans les cités. Elle fut de ce fait une des premières émissions télé où le discours officiel de disculpation et de repli face aux émeutiers fut assené avec une rare brutalité et sans appel.
On connaît ce qui a suivi : Alain Finkielkraut a eu droit au «choix de citations» de Sylvain Cypel, au sibyllin «J'assume» du Monde, aux critiques indignées du Nouvel Observateur, à une menace de plainte pour diffamation de la part du MRAP et aux critiques misérables de Sylvain Bourmeau dans un débat-interrogatoire organisé par France Culture.
Le directeur adjoint de la rédaction des Inrockuptibles, aveuglé par son arrogance et ses a priori politiquement corrects, notait chez Finkielkraut des tares qu’il pouvait s’attribuer d'abord à lui et à ses amis. Notamment, le fait de voir la réalité des banlieues à travers les idées et non les faits. Le philosophe, certes, n’était pas libre de reproches dans ce débat, avec des pointes d’emportement qui lui faisait couper la parole à son adversaire. Mais les propos de Bourmeau, journaliste auto-désigné «intelligent» lors d’une pétition contre le gouvernement Raffarin, étaient des plus consternants, ce que les médias se sont gardé de relever.
Le summum de la mauvaise foi a été atteint par un article du Canard enchaîné du 30 novembre 2005. On apprenait par des moqueries racistes, probablement pardonnables car émises par le vertueux hebdomadaire de Claude Angeli, que le philosophe «n'est pas un Français de souche» et que son nom peut aussi s'écrire ainsi : «Fin-fiel-kraut». Le journal satirique lançait même une pétition pour la suppression de l'émission Répliques, produite par l'intéressé les samedis sur France Culture.
Pourquoi cette volonté de frapper si bassement un intellectuel comme Finkielkraut ? Parce qu'il dérange. Parce qu'il dérange énormément. Car, en contredisant non sans succès les croyances de l'ordre établi, le philosophe-essayiste montre un chemin autre au monde intellectuel français pour lui permettre d'échapper enfin aux sentiers crépusculaires des Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Pierre Bourdieu et autres, auteurs célèbres et célébrés par leurs hauts énoncés bien plats, par leurs apologies du rejet et de la pensée éclatée.
On essaye d'abattre Finkielkraut parce qu'il dénonce sans relâche la montée de l'idéologie des particularismes identitaires, l'approche culturaliste et communautariste. Parce qu'il fustige le relativisme dominant, parce qu'il invoque l'actualité d'Ernest Renan contre les élèves tardifs de Johann Herder. Parce que tout simplement il alerte, comble des erreurs, dans un contexte d’attaques organisées contre les apports positifs de la culture occidentale.
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09/12/2005
De l'École et de ce qui fonde la valeur de la culture et du savoir, par Laurent Lafforgue

C'est avec grand plaisir que je reproduis ci-dessous, avec son autorisation, le texte de Laurent Lafforgue disponible sur son propre site, au format PDF, ici. Les lecteurs intéressés par la question de l'enseignement scolaire à la française et de sa faillite non moins estampillée du sceau de notre génie national, ne seront sans doute que peu surpris d'apprendre que Laurent Lafforgue, éminent mathématicien récompensé en 2002 par la Médaille Fields et promu Chevalier de la Légion d'honneur en 2003, a récemment démissionné du HCE (ou Haut Conseil de l'Éductaion) pour les raisons qu'il explique longuement ici. Enfin, je me permets de signaler cet excellent site, Sauver les lettres, où d'innombrables exemples du crétinisme idéologique qui paralyse encore la majeure partie du corps professoral français sont exposés.
Voici le texte de Laurent Lafforgue.
Je remercie le comité éditorial de la Gazette des Mathématiciens qui m'a invité à exprimer dans ses colonnes les raisons que j'ai eues de corédiger le texte Les savoirs fondamentaux au service de l'avenir scientifique et technique, conjointement avec Demailly, Balian, Bismut, Connes, Serre et Lelong.
Puisque j'y suis invité, je vais le faire d'une façon strictement personnelle, qui n'engage que moi, et en prenant le risque d'en surprendre plus d'un, voire de scandaliser.
Un constat et une analyse que je partage avec beaucoup
J'ai choisi de me joindre à d'autres pour tenter de réhabiliter et de faire revivre l'École républicaine laïque telle qu'elle avait été mise en place par la IIIe République dans les années 1880 et avait perduré jusqu'aux années 1960 suivant les mêmes principes : la valeur de la connaissance rationnelle, du savoir et de l'étude, la valeur de la grande culture léguée par les siècles, la valeur incommensurable du langage et de son expression privilégiée qu'est la littérature, la confiance qu'il existe des vérités objectives et universelles que l'homme a pour vocation de chercher inlassablement, la confiance en la liberté de l'homme qui peut se déployer indépendamment de tous les déterminismes historiques et sociaux dès lors que l'instruction confère les moyens de la liberté intellectuelle.
Aujourd'hui, cette École n'existe presque plus, ou plutôt, il lui a été substitué en quelques décennies une chose très différente. Pour s'en convaincre, il suffit à chacun d'interroger les élèves qu'il connaît sur ce qu'ils apprennent ou n'apprennent pas et sur la culture qu'ils acquièrent ou n'acquièrent pas, ou de jauger par exemple dans quel état d'impréparation intellectuelle toujours croissante les étudiants arrivent chaque année à l'université. On peut lire aussi quelques-uns des très nombreux livres de témoignage d'instituteurs (notes 1 et 2) ou de professeurs du secondaire (notes 3 à 7) qui sont parus ces dernières années. Ces témoignages sont proprement hallucinants, et ils le sont d'autant plus que, par-delà l'évolution générale de notre société qui accorde toujours moins de valeur au savoir, à l'étude et à la culture en tant que tels, ils mettent directement en cause l'Éducation Nationale qui, à travers ses différentes instances de pouvoir, semble avoir elle-même mené une politique de destruction de l'École et des principes qui la fondaient. Dans cette destruction, un rôle particulièrement important a été joué par les prétendues «sciences de l'éducation» (notes 13 et 2 pour leur effet sur les IUFM où elles règnent en maîtres), par la sociologie quand elle a élaboré contre l'École un discours soi-disant social qui la dépossédait de sa légitimité démocratique, et plus généralement par une forme dévoyée des sciences humaines et sociales qui tourne le dos aux humanités classiques fondées sur le primat de la liberté de l'homme et de l'irréductible singularité de toute histoire humaine individuelle ou collective, et cherche à copier le modèle des sciences de la nature, comme si l'homme était un objet inerte soumis à des lois physiques ou, tout au plus, un rat de laboratoire.
Plus profondément encore, si les anciens principes de l'École ont été reniés, c'est qu'ils ont été mis en accusation, jugés et condamnés.
La notion de vérité a été rendue responsable de tous les fanatismes et condamnée à être remplacée par le relativisme, délégitimant en profondeur toute forme d'instruction et de recherche intellectuelle. Dans la foulée, tous les savoirs, littéraires, scientifiques et mathématiques, ont été suspectés de n'être rien de plus que des constructions, très marquées historiquement et sociologiquement et certainement pas universelles; si par exemple l'enseignement des mathématiques dans les collèges et lycées est devenu formaliste et a perdu sa substance, c'est que beaucoup n'y ont effectivement plus rien vu qu'un formalisme vide de sens.
La notion de liberté et son corollaire, la responsabilité, ont été suspectées de masquer la réalité des déterminismes sociaux; depuis trente ans, le discours social sur l'École consiste à dire que les enfants des privilégiés s'en sortiront toujours et les enfants des milieux défavorisés jamais, donc qu'il n'est pas besoin de rien faire pour les bons élèves, forcément des privilégiés, et qu'il faut tout passer aux mauvais élèves, forcément des victimes vis-à-vis de qui l'École restera toujours coupable.
La notion de grande culture a été considérée comme un moyen pervers de domination de certaines classes sociales, aristocratiques ou bourgeoises, sur les autres, ou de certains peuples sur les autres, en particulier à travers le colonialisme (alors même qu'en France plus encore que dans les autres pays européens, les écrivains ont toujours été très critiques de la société de leur temps, de ses prestiges et de ses relations de pouvoir – critiques de la société aristocratique avant 1789, critiques de la société moderne habitée par le mythe du progrès après 1789 (cf. note 17) et critiques du colonialisme dès le XVIe siècle avec Montaigne); l'École s'est mise à enseigner que tout se vaut, les programmes de français demandent désormais d'appliquer les mêmes grilles d'analyse formelle aux textes littéraires, aux articles de journaux et aux messages publicitaires considérés comme de même nature (cf. note 8), ils bannissent l'admiration et invitent à démystifier les œuvres en mettant à nu les rouages par lesquels les auteurs sont censés manipuler leurs lecteurs.
La culture française et européenne a été particulièrement clouée au pilori comme coresponsable des grands crimes de l'Europe (pour s'en tenir aux derniers en date, les deux guerres mondiales, les totalitarismes et la Shoah) et l'École participe pleinement au refus de la France et de l'Europe de la continuer; les français et européens de notre temps se trouvent bons et moraux et ils veulent ne plus rien avoir en commun avec leurs ancêtres qui ne l'étaient pas; ils ne voient plus l'admirable fécondité intellectuelle et culturelle dont leur civilisation fut capable pendant des siècles, elle n'a plus de valeur à leurs yeux, en tout cas elle ne suffit pas à épargner à la culture européenne une condamnation à mort pour immoralisme et une exécution par rejet du passé (alors même que les totalitarismes contre lesquels on prétend réagir se définirent eux aussi par une rupture radicale avec la culture européenne dans toutes ses dimensions, et que la Shoah fut l'extermination par des brutes ayant rejeté toute forme d'humanisme du peuple de la terre le plus adonné à l'étude, à la culture et au savoir).
Enfin, le langage lui-même a été mis en accusation (voir le remarquable et passionnant essai (signalé en note 16); si, depuis plus de trente ans, l'enseignement du français a été ruiné plus que tous les autres, ce n'est pas l'effet d'une simple accumulation de circonstances malheureuses, c'est que la langue est devenue suspecte.
On aura compris que je n'accepte aucun des actes d'accusation dressés contre la culture, que je crois qu'il existe des vérités objectives et universelles sans lesquelles d'ailleurs cela n'aurait aucun sens d'être mathématicien, que je crois que l'homme est irréductiblement libre et appelé à une liberté toujours plus grande qui se déploie d'une façon particulièrement heureuse quand il cherche la vérité, que je crois en le pouvoir non pas aliénant mais profondément libérateur du langage. Bref, je crois en tous les principes de l'humanisme classique.
Parmi les phénomènes liés au reniement par l'École de ces principes, le plus désolant pour moi est la rapide extinction littéraire de la France à laquelle nous assistons. Pendant des siècles, la France a été la nation littéraire par excellence et a exercé une sorte de royauté de l'esprit à tel point que toutes les élites de l'Europe et parfois au-delà apprenaient sa langue. Ce rayonnement n'était pas la conséquence d'une domination politique ou économique : la France était puissante mais ne fut la plus puissante que quelques années sous Napoléon. La raison pour laquelle le français était la langue des élites, y compris chez les puissances rivales de la France, était son extraordinaire fécondité littéraire et culturelle. La fortune littéraire et culturelle de la France s'est affirmée dès le Moyen-Âge, a survécu à la guerre de Cent Ans et aux guerres de Religion, a trouvé son plein épanouissement sous l'Ancien Régime malgré tous les travers de celui-ci, et a continué magnifiquement dans la France post-révolutionnaire jusqu'aux années 1960. Puis, en quelques décennies, elle paraît s'être effondrée dans la médiocrité. Si la place du français dans le monde s'amenuise de plus en plus, c'est tout simplement que les auteurs français n'écrivent plus de grands livres capables de passionner le monde, de le bouleverser et de l'enrichir. Encore sous la IIIe République, l'École avait été capable de susciter de très grands écrivains même issus de familles misérables et illettrées et orphelins de père comme Charles Péguy ou Albert Camus (cf. l'admirable évocation par Camus de son instituteur (14)); l'École d'aujourd'hui n'est apparemment plus capable de faire émerger de tels écrivains dans aucun milieu. Le constat le moins effarant n'est pas celui de la totale inconscience et indifférence de nos compatriotes devant la nouvelle stérilité littéraire, culturelle et intellectuelle de la France : c'est tout juste si beaucoup ne considèrent pas le déclin du français dans le monde comme un progrès démocratique, et pour ce qui est du seul champ intellectuel où la France est encore brillante – les mathématiques – il n'est pas jusqu'à un ministre de l'Éducation Nationale qui n'ait considéré ce dernier foyer de grande vitalité comme un problème.
Donc je défends ardemment l'École républicaine laïque telle qu'elle fut mise en place par la IIIe République.
L'essentiel pour moi, et un paradoxe
Les personnes qui me connaissent savent que cet engagement ne va pas sans paradoxe de ma part puisque, bien au-dessus de mon état de mathématicien, de mon intérêt passionné pour la littérature ou de mon amour pour la France et sa langue, je place ma foi dans le Christ et ma fidélité confiante à l'Église catholique dont j'ai reçu cette foi, lesquelles me rendent souvent très critique de la France républicaine et laïque et plus encore de la société sécularisée contemporaine dans laquelle je me sens étranger.
Et pourtant, oui, je défends l'École républicaine...
L'École de tous
Je la défends par sentiment de profonde gratitude personnelle et familiale : alors qu'aucun de mes grands-parents n'était allé au-delà du certificat d'études, elle a permis à mes parents de poursuivre des études longues et de découvrir les lettres classiques, la littérature, la philosophie, les sciences, les mathématiques, puis à moi ainsi qu'à mes frères de faire des études brillantes et de consacrer notre vie à la recherche intellectuelle ou à l'enseignement.
Je la défends à cause de son équité et de sa neutralité, de la façon dont, quand elle a été mise en place, elle n'a rien renié de l'héritage de la culture française et européenne, y compris ce qui pouvait paraître le plus éloigné de l'esprit républicain, et a fait étudier Pascal ou Bossuet, plus tard Dostoïevski et Péguy, autant que Voltaire, Rousseau et Diderot.
Je la défends parce qu'elle a fait profondément confiance à l'intelligence et à la liberté de chacun, qu'elle n'a pas craint de donner aux élèves qui passaient entre ses mains des armes intellectuelles redoutables, en prenant le risque que plus tard ces élèves ne retournent ces armes contre elle – ce qui n'a pas manqué d'arriver (mais rassurons-nous : l'École d'aujourd'hui ne prend plus de tels risques) – et que cette École prétendument bourgeoise a produit des générations d'esprits libres, certains fidèles et d'autres rebelles.
Je la défends parce qu'elle créait un monde commun, celui de la raison, de la connaissance rationnelle, de la pensée réfléchie et du débat argumenté dans lequel moi pour qui la raison est un don de Dieu puis me retrouver et m'accorder de façon très profonde avec des personnes qui interprètent la raison autrement mais la respectent autant que moi, des personnes de toutes sensibilités, traditions et convictions, non seulement de France mais du monde entier. Tant qu'elle restait centrée sur les savoirs, l'École était l'institution républicaine par excellence et, en même temps, celle à laquelle je pouvais adhérer entièrement et avec moi tant de personnes de tous les horizons.
Je la défends parce qu'elle orientait vers l'amour et la recherche de la vérité, ouvrait à la beauté et éveillait à la liberté, avant tout par l'apprentissage approfondi de la langue.
Mes observations et convictions personnelles à propos du fond du problème
Cet attachement que l'École républicaine laïque et ses anciens principes ont su m'inspirer comme à tant d'autres est d'autant plus remarquable que je nourris contre la France laïque, sécularisée et détachée de ses racines spirituelles chrétiennes et bibliques un soupçon majeur qui est celui d'être incapable de fécondité sur le long terme, en particulier sur le plan intellectuel et culturel; elle me donne l'image d'un rameau magnifique mais détaché de son arbre, dans lequel la sève ne vient plus et qui lentement se dessèche. Je suis très frappé de constater que depuis la fin du XVIIIe siècle, la France paraît connaître un déclin lent et inexorable, déclin démographique relatif très prononcé dès le XIXe siècle, déclin économique, politique et militaire (Tant mieux, diront certains – non sans de très bonnes raisons – mais qu'ils songent aussi combien de malheurs auraient été épargnés au monde si la France avait gagné la bataille de 1940 !), déclin intellectuel et culturel qui s'amorça bien après mais devient spectaculaire depuis quelques décennies. Ce déclin surprend d'autant plus que la Révolution fut admirable à bien des égards et qu'elle instaura en France un nouvel ordre politique et social objectivement très supérieur à l'ancien; cela me donne à penser que la Révolution a fait tout bien sauf une chose qu'elle a manquée, la plus essentielle malheureusement, qui était de préserver la relation à Dieu, source de toute fécondité.
Je suis très frappé de la différence de destin et de créativité, différence qui ne cesse de s'accentuer, entre la France où, pour des raisons historiques très compréhensibles, on a voulu construire la liberté contre l'Église catholique et contre le christianisme, et l'autre république née à la fin du XVIIIe siècle, les États-Unis, où la liberté s'est construite en s'appuyant sur le christianisme (cf. Tocqueville et note 18 pour une relecture actuelle). Les français se consolent de cette différence de fortune et de fécondité en se persuadant qu'ils sont plus intelligents que les américains et moralement supérieurs, mais alors ils devraient s'étonner de ce que les américains, peuple réputé ignorant mais religieux, traitent cent fois mieux que nous autres français intelligents leurs universités, aussi bien en termes de moyens que d'autonomie reconnue au champ du savoir, en dépit de dirigeants dont l'action est parfois particulièrement stupide et arrogante.
Je soupçonne que ce n'est pas un hasard si l'université, vieille institution médiévale née de l'Église il y a bien des siècles, reste le lieu par excellence de la transmission et de la formation du savoir alors que nos grandes écoles héritées des Lumières n'engagent que rarement leurs étudiants dans la voie du savoir cultivé pour lui-même. Je suis profondément attaché à l'École de la IIIe République mais je sais qu'elle ne fut pas créée à partir de rien mais calquée très largement sur les écoles chrétiennes, de même que le lycée napoléonien fut institué sur le modèle des collèges des Jésuites, et je vois qu'un siècle à peine après leur laïcisation, ces institutions qui avaient voulu honorer les savoirs en dehors de l'Église ne les honorent presque plus. Je constate que l'effondrement littéraire, culturel et intellectuel de la France commença dans les mêmes années 1960 où la masse de sa société civile tourna le dos à tant de siècles d'imprégnation chrétienne.
Je ne peux pas ne pas remarquer qu'aujourd'hui plus que jamais le peuple juif, peuple de la Loi et des Prophètes, peuple de Dieu, fait preuve d'une créativité intellectuelle et culturelle dont aucun autre peuple n'approche, même de très loin.
Un grand défi qui est posé à mon avis
Je sais qu'en écrivant ces lignes je provoque nombre de personnes, et effectivement j'écris dans un but de provocation. Pour moi, une question brûlante est posée aujourd'hui à notre société française et européenne sécularisée : es-tu capable de fécondité ? Es-tu capable de refonder par toi-même la valeur du savoir et de l'étude, et de continuer la culture européenne ? Si oui, prouve-le non par des déclarations de principes et d'intentions mais par des faits ! Si tu peux être féconde, donne du fruit ! Par exemple, reconstruis une École de la culture et du savoir, et redonne à la langue française une grande littérature qui enrichisse le monde ! Refais de la France une nation qui donne beaucoup, dans toutes les sciences et tous les domaines de la connaissance !
Si je dois reprendre mes billes et aller jouer ailleurs
Si cela s'avère impossible, je reporterai pour ma part tout mon espoir sur l'Église, y compris pour refonder la valeur du savoir et de l'étude et faire revivre la culture française et européenne dans toutes ses dimensions, non comme un objet de musée mais comme une tradition vivante.
Il est paradoxal que j'écrive cela, étant donnée la longue histoire des relations conflictuelles entre l'Église et les artisans du développement de la connaissance rationnelle en Europe depuis la Renaissance. Pourtant, il ne faut pas oublier à mon avis que si les sciences et l'ensemble des connaissances se sont développées en Europe en s'émancipant de la tutelle des Églises, elles l'ont fait sur un terreau chrétien qui avait posé l'exigence de vérité comme un impératif absolu pour l'homme. Comme a écrit Renan, s'il convient de glorifier l'islam pour Averroès, il convient de la même façon de glorifier le christianisme pour Galilée.
Je reconnais d'autre part que les chrétiens n'ont pas toujours fait que des bonnes choses en matière d'éducation, loin s'en faut. Dans les temps actuels, on doit absolument citer le livre magistral de Jean-Claude Milner (10), publié en 1984, qui identifiait les milieux «chrétiens progressistes» comme une des trois grandes forces à l'œuvre dans la destruction de l'École républicaine. Je crains qu'il n'eût raison. J'ajouterai seulement pour information qu'avant de s'intéresser à l'Éducation Nationale et d'y substituer les méthodes pédagogiques aux contenus, ces milieux avaient fait leurs premières armes dans les Catéchismes et les Aumôneries, et qu'ils ont largement ruiné la transmission de la foi juste avant de ruiner celle de la culture. Non que leur progressisme fût mauvais par nature, mais parce que, à mon avis, ils ont fini par y croire plus qu'en Dieu.
Quoi qu'il en soit, je suis persuadé que la revalorisation de la culture et du savoir et la revivification de la culture européenne peut venir de l'Église; une Église passée par le feu de la repentance et qui y repassera autant que nécessaire mais qui, contrairement à la société européenne, n'a pas renié tout ce que son héritage comporte de bon et de précieux et n'a pas sombré dans la haine de soi; une Église dépourvue de tout pouvoir temporel et qui n'a d'autre force que celle de la parole; une Église réconciliée avec la raison et qui l'exalte comme chemin de vérité et de sagesse (cf. note 19); une Église qui sait que le sentiment et l'expérience ne suffisent pas et que la foi doit être pensée; une Église réconciliée avec la liberté, don irrévocable et appel de Dieu à chaque personne humaine, mais qui, plus que jamais, ne se prive pas de dire ce qu'elle estime devoir dire; une Église qui reconnaît l'autonomie de chacun dans sa recherche de la vérité conçue comme une vocation humaine fondamentale, mais qui, plus que jamais, proclame qu'il existe une vérité; une Église pleinement réconciliée avec le peuple juif et le judaïsme et qui pourrait, selon moi, se mettre à son école pour redécouvrir dans l'étude une forme privilégiée de louange et de relation à Dieu (et dans l'esprit critique un sens de la transcendance de la vérité qui se laisse indéfiniment approfondir mais jamais saisir complètement ni épuiser).
Pour jouer son rôle de levain dans la pâte, l'Église n'a pas besoin d'être très nombreuse : il lui suffit de petites communautés très fortes, libres de tout désir de plaire et de se conformer au monde ambiant, et enracinées dans la foi, sur laquelle tout peut être reconstruit. Concrètement, je rêve par exemple qu'en France certains établissements confessionnels pourraient choisir de quitter le régime des «établissements privés sous contrat» et de recouvrer une liberté pleine et entière (en espérant que les gardiens de la tolérance le tolèrent... pas comme en 1902-1905 où les Congrégations furent interdites d'enseignement et le jeune Charles de Gaulle, par exemple, contraint de poursuivre en Belgique son éducation par les Jésuites) qui permettrait de refonder un enseignement religieux (lecture approfondie de la Bible en hébreu et en grec, étude de toute la tradition depuis les Pères de l'Église, étude de la tradition juive) et profane (humanités classiques, littérature, philosophie, mathématiques, physique, sciences) sans commune mesure avec celui d'aujourd'hui.
D'accord avec ceux qui veulent sauver et redresser l'École républicaine
En attendant, je m'occupe de plaider la cause de l'École républicaine avec la même ardeur, dans les mêmes termes et en demandant les mêmes mesures que beaucoup d'autres personnes dont la plupart sont des laïcs purs et durs, car, sur ce sujet du rétablissement d'une École républicaine digne de ce beau nom, je suis totalement d'accord avec eux.
Bibliographie
Témoignages d'instituteurs et de professeurs :
1) Marc Le Bris : Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter (Stock, 2004).
2) Rachel Boutonnet : Journal d'une institutrice clandestine (Ramsay, 2003).
3) Fanny Capel : Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école ? (Ramsay, 2004).
4) Collectif Sauver les lettres : Des professeurs accusent (Textuel, 2001).
5) Élisabeth Altschull : L'école des ego : contre les gourous du pédagogiquement correct (Albin Michel, 2002).
6) Claire Laux et Isabel Weiss : Ignare Academy : les naufrages de l'enseignement (Éditions du NiL, 2002).
7) Évelyne Tschirhart : L'école à la dérive : ce qui se passe vraiment au collège (Éditions de Paris, 2004).
Réflexions et analyses de professeurs ou d'universitaires :
8) Agnès Joste : Contre-expertise d'une trahison : la réforme du français au lycée (Éditions des Mille et Une Nuits, 2002).
9) Denis Kambouchner : Une école contre l'autre (PUF, 2000).
10) Jean-Claude Milner : De l'école (Éditions du Seuil, 1984, malheureusement épuisé).
11) Jean-Claude Michéa : L'enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes (Éditions Climats, 1999).
12) Liliane Lurçat : Vers une école totalitaire ? (Éditions François-Xavier de Guibert, 2001).
13) Liliane Lurçat : La destruction de l'enseignement élémentaire et ses penseurs (Éditions François-Xavier de Guibert, 2004).
Autres :
14) Albert Camus : Le premier homme (Gallimard, 1994).
15) Hannah Arendt : La crise de la culture (Gallimard, 1972).
16) Hélène Merlin-Kajman : La langue est-elle fasciste ? (Le Seuil, 2003).
17) Antoine Compagnon : Les antimodernes (Gallimard, 2005).
18) Agnès Antoine : L'impensé de la démocratie : Tocqueville, la citoyenneté et la religion (Fayard, 2003).
19) Jean-Paul II : Encyclique La Foi et la Raison (Éditions du Cerf, 1998).
08/12/2005
Kingdom of Heaven, par Germain Souchet

Mercredi 4 mai 2005 est sorti sur les écrans Kingdom of Heaven, le dernier film de Ridley Scott, réalisateur entre autres films de Gladiator. L’action se passe en France et en Terre Sainte, à la fin du XIIe siècle, entre les deuxième et troisième croisades. Intéressé par le sujet et intrigué par la présentation des médias télévisuels parlant d’une œuvre de réflexion sur les problèmes de notre temps, j’ai donc décidé de voir ce film.
À mon sens, Kingdom of Heaven est la plus grande œuvre de détestation de soi de l’Occident chrétien produite à ce jour par les studios de Hollywood et constitue à ce titre – et je pèse chacun de mes mots – un véritable danger pour la paix civile et l’avenir de notre civilisation. Les deux principaux traits du film sont en effet :
1. une présentation grossièrement falsifiée du christianisme médiéval comme étant simplement un instrument de pouvoir et de contrôle des esprits aux mains d’un clergé couard et peu scrupuleux, et de fanatiques meurtriers et va-t-en guerre ;
2. une relecture de l’Histoire consistant à présenter les Croisades comme une agression injustifiée de l’Occident chrétien contre un Islam pacifique, ce qui expliquerait, près de mille ans plus tard, les tensions actuelles au Proche-Orient et justifierait les soi-disant «rancoeurs» du monde arabo-musulman contre l’Occident. Ce faisant, ce film adhère à la vulgate islamiste d’Oussama Ben Laden qui a conduit directement aux attentats du 11 septembre 2001 à New York puis à ceux du 11 mars 2004 à Madrid.
Le film de Ridley Scott commence en effet par cette indication bien étrange : au XIIe siècle, l’Europe vivait «sous la répression et dans la pauvreté», réactivant un mythe tenace sur le Moyen Âge que les recherches des trente dernières années ont pourtant largement battu en brèche (1). Les toutes premières scènes nous montrent la femme de Balian (Orlando Bloom) être décapitée avant d’être enterrée, sort qui lui est réservé en raison de son suicide. Avant cela, le prêtre avait volé la petite croix qu’elle portait autour de son cou. Faisant comprendre à Balian que sa femme est «en enfer sans tête», le prêtre est assassiné par ce dernier puis jeté dans le feu. Image choquante qui illustre bien la tonalité adoptée par le film à l’encontre du christianisme.
Les choses ne s’arrangeront pas par la suite : le clergé y est présenté comme couard et totalement indifférent au sort de la population de Jérusalem. L’évêque de la ville, voyant l’arrivée des troupes de Saladin, déclare qu’il faut fuir et, si le peuple doit mourir, «c’est dommage pour lui, mais Dieu le veut» ! Quelques jours plus tard, alors que Saladin s’apprête à négocier avec Balian devenu entre-temps défenseur de la ville, l’évêque déclare tout de go : «Convertissez-vous tous à l’Islam, vous vous repentirez plus tard», s’attirant un cinglant «vous m’avez appris beaucoup de choses sur la religion» de la part de Balian. Et j’ai envie de dire : moi aussi ! Car vraiment, la première croisade, qui a vu des centaines de milliers de pèlerins partir volontairement vers la Terre Sainte pour répondre à l’appel du Pape, aurait-elle été possible si l’Église était aussi détestable qu’on veut bien nous la dépeindre dans ce film ? La réponse est évidemment non.
Quelques petites phrases savoureuses émaillent également le film, comme ce prédicateur sur la route de Messine déclarant à qui veut l’entendre que «tuer un infidèle n’est pas un péché, c’est le chemin vers le paradis», ou encore Balian s’exclamant devant le spectacle de Templiers exécutés dans Jérusalem pour avoir tué des Arabes : «Ils sont exécutés pour avoir fait ce que le Pape leur ordonnait de faire»… Splendide travail de désinformation et de falsification de l’Histoire, consistant à nous présenter le seul homme pur et respectable de tous les croisés – Balian – comme un athée (n’ayons pas peur des anachronismes !), considérant que la religion n’a pas d’importance, car seule la volonté de créer un «royaume de conscience, où chrétiens et musulmans vivent en paix» compte.
Certes, l’Église, à travers les âges, et en particulier au Moyen Âge, est loin d’être exempte de tout reproche : le regretté Jean-Paul II a lui-même a plusieurs reprises demandé pardon à Dieu pour les péchés de l’Église. Cependant, entre des comportements hautement condamnables mais, quelle que soit leur ampleur, minoritaires, et le tableau dressé par Ridley Scott, il est un gouffre que seule une violente idéologie anticléricale peut mener à franchir.
Malheureusement, Ridley Scott ne s’arrête pas là, puisqu’il double ce tableau d’une relecture de l’Histoire consistant à inverser le sens des Croisades. Les musulmans y sont en effet présentés comme relativement pacifiques tandis que les chrétiens seraient les agresseurs.
Certes encore, il est vrai que les provocations permanentes de Renaud de Châtillon et l’intransigeance de Gui de Lusignan, successeur du roi Baudouin IV à la tête du royaume de Jérusalem, précipitèrent l’attaque de celui-ci par les forces de Saladin. Pour autant, il ne faut pas oublier que l’objectif ultime du chef musulman était bien de reprendre la ville sainte, la trêve conclue avec les Croisés devant lui permettre d’unifier les royaumes musulmans sous sa domination et de constituer une armée capable de vaincre les chrétiens. De même, s’il est vrai que l’esprit chevaleresque de Saladin fut loué en son temps (le poète Dante l’ayant même inclus parmi les âmes païennes des limbes dans La Divine Comédie), la présentation qu’en fait Ridley Scott est excessivement positive : prenant Jérusalem, il épargne dans le film tous ses habitants et tous les combattants – répondant à Balian qui lui rappelait le massacre des musulmans dans la ville lors de sa prise par les chrétiens à la fin de la première croisade : «je ne suis pas ces gens-là, je suis Saladin» – et on le voit même remettre respectueusement sur une table une croix tombée à terre… C’est oublier que Saladin fit immédiatement exécuter tous les Templiers et les Hospitaliers présents dans la ville. Pourquoi le masquer ?
Par ailleurs, Ridley Scott semble oublier que les croisades furent lancées pour enrayer l’expansion militaire de l’Islam qui, en quatre siècles à peine, avait conquis tout le Moyen Orient, l’Afrique du Nord et même réussi à pénétrer en Europe, et pour permettre aux chrétiens d’accéder de nouveau aux lieux saints de Jérusalem, sa prise par les Turcs en 1078 ayant mis un terme à l’ouverture de la ville sainte aux pèlerins chrétiens. Pourquoi, dans ce cas, faire dire à Saladin que les musulmans n’avaient connu que très peu de victoires avant son arrivée ? Pourquoi faire dire à Balian que la prise de Jérusalem par les chrétiens était une «offense» faite aux musulmans ? Pourquoi faire dire encore à un chevalier qu’il faut rendre Jérusalem accessible à tous les cultes, comme cela était le cas «quand les musulmans occupaient la ville avant [eux]», alors que c’est précisément parce que la ville n’était plus ouverte aux chrétiens que ces guerres ont commencé ?
Enfin, le réalisateur s’attarde complaisamment sur l’extrémisme des Templiers, criant sans cesse «Dieu le veut» pour justifier une reprise des hostilités contre les musulmans et se rendant coupables des pires exactions. On m’objectera qu’on voit également l’extrémisme dans l’autre camp. C’est vrai, face aux dizaines de Templiers fanatiques on voit… un musulman reprochant à Saladin d’avoir accepté de maintenir la trêve à la demande du roi lépreux… Le déséquilibre entre les deux est tellement flagrant qu’il s’apparente à une grossière technique de propagande. De plus, s’il est vrai qu’on voit Saladin égorger Châtillon et que l’image de l’ost anéantie – corps épars, souvent décapités, Templiers massacrés au pied de leur croix – est très crue, il est difficile, en voyant le film, d’éprouver beaucoup de pitié devant ce spectacle. Car au fond, ne l’avaient-ils pas mérité ? N’avaient-ils pas voulu cette guerre envers et contre tout ? N’avaient-ils pas massacré les premiers les musulmans, Châtillon allant même jusqu’à assassiner la sœur de Saladin – je n’ai d’ailleurs pas trouvé la moindre trace de cet événement –, sachant pertinemment qui elle était ? En omettant de rappeler le contexte des croisades, en présentant la situation au XIIe siècle de manière très déséquilibrée, Ridley Scott en viendrait presque à nous faire prendre parti contre les chrétiens.
Car au fond, l’idéologie qui sous-tend Kingdom of Heaven est la suivante : le christianisme était le règne de l’obscurantisme et de la terreur, de la trahison et des massacres. L’Islam a été agressé, et l’Occident chrétien est donc responsable de la rancœur du monde arabo-musulman. Certes, nous avons quand même le droit de nous défendre (heureux, tout de même, que Ridley Scott nous concède ce droit !) mais en aucun cas pour protéger le christianisme, seulement pour défendre «la liberté et la sécurité du peuple». Et tant pis si la liberté passe avant tout par la liberté de culte, tant pis si les Croisades ont été déclenchées justement pour permettre aux chrétiens d’accéder de nouveau aux lieux les plus sacrés de leur foi, tant pis enfin si leur sécurité est menacée précisément parce qu’ils sont chrétiens…
L’Islam a le droit de vouloir reprendre Jérusalem parce que c’est un lieu saint, et parce que nous devons respecter chez l’autre ce que nous ne respectons pas chez nous : la religion. Mais le christianisme, lui, ne saurait se défendre en tant que tel. L’anachronisme du relativisme religieux est total, mais tant pis, car la fin – continuer à pousser ce «long sanglot de l’homme blanc» évoqué par le philosophe Pascal Bruckner – justifie les moyens.
Certes, les guerres de religion sont par nature épouvantables car elles suscitent de tous côtés le fanatisme. Vouloir créer un dialogue serein et fructueux entre l’Islam et l’Occident d’héritage chrétien est plus que jamais nécessaire, car lui seul peut empêcher la dérive de certains vers l’idéologie islamiste, perversion de la religion musulmane. Mais il n’est pas nécessaire pour autant de réécrire l’Histoire en s’accusant de tous les maux et de toutes les erreurs passées. La mauvaise conscience occidentale n’a jamais été un gage de respect de la part des islamistes.
Vouloir la paix n’est pas se renier, ni refuser de combattre ses agresseurs. La détestation de soi n’empêchera pas les islamistes de nous haïr, précisément pour ce que nous sommes, à savoir des Occidentaux héritiers du christianisme ; elle ne fera qu’y ajouter un profond mépris.
Note
(1) Cf. notamment l’excellent résumé de l’état de ces recherches fait par Jean Sévillia dans son ouvrage Historiquement correct, Perrin, 2003.
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20/11/2005
Le Tentateur d'Hermann Broch
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16/11/2005
Max Milner et Paul Gadenne ou l'éloge de la nuit
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03/11/2005
Noam Chomsky, l'esprit immonde

Les poubelles de la Toile sont bien utiles. Voici ce que j'ai pu dénicher dans les commentaires du blog bananier de Pierre Assouline, extraits de presse qui méritent lecture je crois et évoquent l'intellectuel le plus influent du monde selon certain classement inepte. Par une mauvaise foi bien connue des gauchistes de tout crin, encore illustrée par tel récent ouvrage de Perry Anderson et par les lamentables cris de vierge effarouchée que pousse depuis quelques jours notre dolent Parti socialiste, je me livre à une expéditive juxtaposition de plusieurs textes provenant de sources différentes, sans le moindre commentaire ni même, horreur de l'horreur (ou plutôt : leçon élémentaire de toute propagande), la plus petite contextualisation. Scandaleux procédés n'est-ce pas, ma foi jouissifs une fois retournés contre leurs plus habiles utilisateurs, ces irresponsables belles âmes qui mériteraient, une vie durant enfermées dans quelque cachot de la République, de recopier jusqu'à ce que mort s'ensuive (par désespoir ou par empoisonnement du sang, tragique fin de tel moine fanatique du Nom de la rose ?) chacune des virgules de La Fausse parole d'Armand Robin.
D'abord, une plongée, en apnée je vous prie et surtout en se bouchant le nez, dans les archives humanitaires.
L'évacuation de Phnom Penh selon L'Humanité, article du 9 mai 1975 (je rappelle tout de même une date, travestie par les mensonges du quotidien : 17 avril 1975, Phnom Penh tombe aux mains criminelles des Khmers Rouges).
Les agences de presse occidentales déversent des flots de dépêches sur les événements qui se sont déroulés à Phnom Penh depuis le jeudi 17 avril, date de la libération de la ville. On s'aperçoit à leur lecture, que la campagne déclenchée par la presse réactionnaire depuis ce moment et tous les trémolos dont nous ont abreuvés radios, télévision, Aurore et Figaro à propos de la nécessité de rester discrets sur ce qui se passait au Cambodge relevait [sic] d'une vaste campagne d'intoxication, même si certaines mesures prises par les patriotes cambodgiens (évacuation des villes, par exemple) peuvent sembler, a priori et hors contexte de ce pays et de la guerre cruelle qui y a sévi, un peu étonnant pour un Français vivant dans son pays économiquement développé.
Je ne puis résister d'offrir, en vis-à-vis éminemment critique, la Une du Monde du 18 avril 1975, sous la plume de Patrick De Beer.
La ville est libérée [...]. On entend encore des coups de feu dans le centre de la ville, mais l'enthousiasme populaire est évident. Des groupes se forment autour des maquisards [...] jeunes, heureux, surpris par leur succès facile [...]. Des cortèges se forment dans les rues et les réfugiés commencent à rentrer chez eux.
Patrick de Beer, encore lui, le 10 mai dans un article du Monde, retour de ce qu'il a sans doute estimé être, véritablement, en toute bonne foi, le Paradis terrestre, justifie l'isolement du pays et l'expulsion de tous les journalistes étrangers par ces lignes : Pourquoi cette attitude ? Sûrement pas, comme tente de le faire croire l'administration américaine qui se raccroche à sa théorie du bain de sang, pour cacher des horreurs que des sadiques hommes en noir seraient en train de perpétrer. Que celà plaise ou non, les Cambodgiens ont décidé qu'ils ne voulaient plus d'étrangers chez eux [...]. Ils veulent se débrouiller seuls avec leurs propres méthodes [...]. Personne ne peut encore se permettre de juger une expérience.
Ensuite, un article rédigé par Noam Chomsky et Edward S. Herman paru dans The Nation (en date du 25 juin 1977, section Books and The Arts) à propos de la publication de trois ouvrages : Cambodia : Starvation and Revolution de George C. Hildebrand et Gareth Porter (Monthly Review Press, 1976); Cambodge Année Zéro de Francois Ponchaud (Julliard, 1977) et Murder of a Gentle Land de John Barron et Anthony Paul (Thomas Y. Crowell, 1977).
Extraits choisis de l'article en question, les italiques sont des auteurs :
The drab view of contemporary Vietnam provided by Butterfield and the establishment press helps to sustain the desired rewriting of history, asserting as it does the sad results of Communist success and American failure. Well suited for these aims are tales of Communist atrocities, which not only prove the evils of communism but undermine the credibility of those who opposed the war and might interfere with future crusades for freedom.
If, indeed, postwar Cambodia is, as he believes, similar to Nazi Germany, then his comment is perhaps just, though we may add that he has produced no evidence to support this judgement. But if postwar Cambodia is more similar to France after liberation, where many thousands of people were massacred within a few months under far less rigorous conditions than those left by the American war, then perhaps a rather different judgement is in order. That the latter conclusion may be more nearly correct is suggested by the analyses mentioned earlier.
We disagree with Lacouture's judgement on the importance of precision on this question. It seems to us quite important, at this point in our understanding, to distinguish between official government texts and memories of slogans reported by refugees, between the statement that the regime boasts of having killed 2 million people and the claim by Western sources that something like a million have died - particularly, when the bulk of these deaths are plausibly attributable to the United States. Similarly, it seems to us a very important question whether an inhuman phrase was uttered by a Thai reporter or a Khmer Rouge official. As for the numbers, it seems to us quite important to determine whether the number of collaborators massacred in France was on the order of thousands, and whether the French Government ordered and organized the massacre. Exactly such questions arise in the case of Cambodia.
Pour faire bonne mesure et toujours sur le même sujet, on se souviendra des déclarations de Georges Marchais devant le Comité central du Parti communiste, le 29 mai 1975 :
Il s'agit d'une véritable tentative de manipulation de l'opinion utilisant des moyens massifs et les techniques les plus modernes.
Par exemple, la victoire des peuples vietnamien et cambodgien - qui a mis fin à des années de guerre, de massacres épouvantables, au règne de dictatures sanglantes et corrompues - est présentée comme un recul de la liberté. Et cela en ayant recours à un véritable martèlement des esprits, à partir d'images de guerres ou de quelques faits, incompréhensibles en dehors du contexte dans lesquels ils se sont produits.
Enfin, quelques lignes (et l'intégralité du texte) commentant un rapport a priori impartial remis le 22 février 1999 par un groupe d'experts au Secrétaire général des Nations unies.
Pour ce qui est du contexte historique, le rapport fait état de ce qui suit : les atrocités commises entre 1975 et 1979 n'étaient en général pas les actes isolés de tel ou tel responsable, mais elles étaient plutôt le résultat d'une politique délibérée du Parti communiste du Kampuchea; le régime avait entrepris une révolution absolue et unique en son genre, qui visait à abolir toutes les institutions économiques, sociales et culturelles existantes, à extirper toute influence étrangère et à transformer la population entière en une main-d'œuvre collective, forcée de travailler à un rythme intensif dans le but de développer la puissance économique du pays; le régime a mené une action impitoyable contre tous les éléments soupçonnés d'hostilité au nouvel ordre; les formes d'abus comprenaient les déplacements forcées des personnes, y compris l'évacuation par la force de toutes les villes du Cambodge, le travail forcé et des conditions de vie inhumaines, une vie communautaire organisée de façon à éliminer les structures familiales traditionnelles, des attaques contre les ennemis de la révolution (les responsables du régime précédent, les minorités ethniques, les enseignants, les étudiants et les autres éléments instruits, les dirigeants religieux et les institutions religieuses), et les purges au sein du Parti communiste du Kampuchea visant des membres accusés d'être des agents de la CIA, du KGB ou du Vietnam.
02/11/2005
Séjours à la campagne ou la manière noire de W. G. Sebald
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31/10/2005
V'Ger
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29/10/2005
Dans la gorge de l'ombre, par Lucien Suel

A propos du livre de Juan Asensio, La littérature à contre-nuit.
Lucien Suel, Notes de lecture, mars - septembre 2005.
Avant toute chose, j’aimerais dire les circonstances qui m’ont amené à rédiger ces notes à propos de l’ouvrage de Juan Asensio. Depuis plus de trente ans, mes influences littéraires majeures forment un ensemble additionnant Léon Bloy et Jack Kerouac, Georges Bernanos et William Burroughs, Philip K. Dick et Kurt Schwitters, Joris-Karl Huysmans et Raymond Chandler, mélange qui peut paraître hétéroclite mais que j’assume avec plaisir.
Mon isolement relatif au fond d’une campagne française me laissait imaginer qu’à la vérité, peu de gens partageaient avec moi ce cocktail capiteux. Ces dernières années, au moins deux événements m’ont heureusement détrompé. Ce fut d’abord la découverte de l’œuvre en construction de Maurice G. Dantec à partir des Racines du mal, jusqu’à Villa Vortex, en passant par son Journal métaphysique et polémique, une œuvre qui brasse également un flot d’influences diverses pour en faire une pâte singulièrement nourrissante. Je me souviens de mon heureux étonnement en voyant Maurice G. Dantec découvrir Léon Bloy dans Le théâtre des opérations, premier volume de son journal, découverte se métamorphosant pour l’auteur, en véritable engouement, voire fascination, dans le deuxième volume, Le laboratoire de catastrophe générale, jusqu’à ce que le Vieil Imprécateur devienne pour finir un des personnages de son roman Villa Vortex. Un ami qui rédige aujourd’hui sur Internet les Chroniques de l’inutile avait attiré mon attention sur un compte rendu de Villa Vortex rédigé par Juan Asensio. Et là intervient le second événement, la rencontre sur Internet d’une communauté de lecteurs et d’auteurs partageant influences et admirations similaires aux miennes. Le blog littéraire de Juan Asensio, avec ses articles et ses liens, me fait vivre une nouvelle expérience, m’ouvre d’autres portes. Depuis plus d’un an maintenant, j’ai appris à lire sur un écran, mais je suis toujours heureux de tourner les pages de papier et de humer l’intérieur des livres.
Me voici donc occupé à rédiger ces lignes sur un livre qui parle d’autres livres, à écrire noir sur blanc sur noir sur blanc.
A contre-jour, l’ombre est devant, la lumière est derrière. A contre-nuit, l’objet est éclairé, c’est la nuit qui est derrière. Le dévoilement se fait sur un fond de noirceur, sur le fond du mal. Lisant La littérature à contre-nuit, je réagis, j’approuve, je me questionne mais aussi je m’approprie les phrases de Juan Asensio. J’ai lu ce livre entre mars et septembre. Cela peut sembler une longue période, mais c’est que je pratique deux formes de lectures, comme en électricité, la lecture en parallèle (1) et la lecture en série (2). J’ajoute que comme tout bon livre, La littérature à contre-nuit m’a donné des envies de lecture, de relire Joseph Conrad et William Faulkner et de connaître l’œuvre d’Ernesto Sabato.
Le projet est de travailler à dissiper la nuit, détruire la nuit, me souffle en parallèle Michel Ciry. J’ai appris dans ma jeunesse que parfois, la nuit se manifeste en plein jour, à trois heures de l’après-midi. Juan Asensio, lecteur au service des lecteurs, pour parodier le slogan des Électriciens de France, dirige l’éclairage sur quelques auteurs, Joseph de Maistre, Joseph Conrad, Paul Gadenne, Ernesto Sabato, Georg Trakl, Georges Bernanos et Ernest Hello. Ce n’est bien sûr pas un nouveau brelan d’excommuniés, je sais compter, mais il ne m’étonne pas de trouver là des maîtres et des disciples devenus à leur tour maîtres, mais souvent ignorés par une majorité de lecteurs. Ernest Hello figurait déjà dans le Brelan d’excommuniés de Léon Bloy. Il est intéressant de se souvenir que dans l’édition Pauvert de Belluaires et porchers, le brelan était devenu une paire, Barbey d’Aurevilly et Paul Verlaine, le malheureux Ernest Hello étant excommunié une fois de plus... Merci donc à Juan Asensio de lui redonner un peu de lumière, de vraie lumière, pas cette mauvaise lumière de la télévision qui est le véhicule nouveau du démoniaque (3), agent du contrôle nova (4), propagatrice des mots-virus (5). Le langage s’attaque à la parole. Il faut répondre à l’assaut, ne rien céder, c’est l’obstination qui sauve, l’obstination, un autre nom pour l’espérance. Ernest Hello encore, en 1872 : «La Parole est un acte. C’est pourquoi j’essaye de parler.»
Depuis mes premières lectures de William Burroughs, notamment Junkie et Les Lettres du yage, je fréquente plus volontiers les évidences du béhaviourisme que les écoulements de la psychanalyse. Je regarde aussi l’infini dans le microcosme, en étant attentif au ver de terre, au pouillot véloce, à l’éclat de silex noir et blanc. Les plus petites choses méritent la contemplation. C’est la nature qui me donne la parole. Ceux qui me connaissent un peu savent que j’écris dans et sur le jardin, grave dans la terre, sur la terre. Le jardin de mon enfance, de mon innocence était celui d’Éden. Le monde actuel est l’ennemi de l’enfant et du pauvre. La période est courte pour gambader dans le jardin d’Éden. La perte de l’innocence intervient de plus en plus tôt. On appelle cela précocité. A force de vivre dans un présent figé comme le rictus des bonimenteurs médiatiques, on finit par oublier l’existence de l’entropie. Comment lutter contre quelque chose dont on ignore, volontairement ou non, l’existence ? Je sais que le monde est un langage, une parole. Je préfère croire que tout est signe de tout. Ce n’est pas encore la Pentecôte, mais de vrais nuages s’éclairent de rouge à l’ouest. En clignant des yeux, je peux voir la Nouvelle Jérusalem descendre du ciel entre les pales des éoliennes. Mouchette flotte à la surface de l’étang, les yeux ouverts, levés vers la même vision, autre chose qu’un flux de méga-octets transitant dans l’espace entre deux boîtes de plastique métallisé.
Je flotte dans le vide assourdissant de la cacophonie. L’oracle des ondes crachouille. Il est ce qu’il prononce, le plus souvent, un flot de vomissures. Satan parle, la bouche d’ombre vagit. Il y a identité entre être et parole, entre faux-semblant et langage. Le langage est infecté à l’origine. Le virus est l’autre nom du péché originel. Écoute, petit homme : le barbare est devenu médiocre, le sauvage est devenu terne. Oui, Satan radote ; c’est le non-langage, l’épidémification, le nihilisme, la nullité revendiquée ou non, celle que Pierre Jourde fustige dans La littérature sans estomac (6) avec le renfort de René Girard concernant l’écriture blanche (7).
Pour Joseph de Maistre, ce n’est pas seulement le langage qui est malade, mais l’homme entier qui n’est qu’une maladie. William Burroughs déclare que son pays était déjà vieux et malade avant même l’arrivée des Indiens. L’esprit du mal est à l’oeuvre, pétrifiant les consciences incapables de tendre vers un ailleurs et un autre, figées dans le froid l’ennui le vide. L’ennui, une autre joie dépourvue de grâce, est l’autre nom du désespoir, une préfiguration terrestre de l’enfer. Le sacré a été retourné comme un gant. Juan Asensio affirme : «Sans Dieu, l’homme n’est rien de plus qu’un bavard qui s’ennuie». La langue est détruite par le mensonge de la propagande. Là où Jacques Ellul voit le règne de l’image toute-puissante humiliant la parole, Juan Asensio juge que la dégénérescence du langage est à l’œuvre intrinsèquement. Il y reviendra avec le personnage de Bernanos, Monsieur Ouine, personnification du mal abouti.
La liste sans fin des noms des jeunes gens abattus par dizaines de milliers entre 1914 et 1918, gravés sur les pierres de la Porte de Menin à Ypres est un des premiers poèmes de la douleur et du désespoir du siècle dernier. Impossible de visiter ce lieu, d’effleurer tous ces noms sans être saisi par l’horreur. Georges Bernanos et Paul Celan, entre autres, sont les témoins à charge de ce crime et de ceux qui suivirent. La parole désespérée débouche sur le silence définitif.
Je pense à Barbey d’Aurevilly disant qu’après A rebours, Huysmans n’avait le choix qu’entre le revolver et le pied de la croix. Aujourd’hui, cent ans après, il n’aurait plus le choix (8). D’ailleurs, Georges Bataille, aussi bien que Pierre Klossowski, tous deux un moment tentés par le sacerdoce, n’ont pas succombé à la tentation. Ne parlons pas de Maurice Sachs ou d’Ernest de Gengenbach. En revanche, voici ce que Hugo Ball, l’un des fondateurs de Dada, initiateur du Cabaret Voltaire à Zürich en 1916, déclarait à Hambourg, dans un discours prononcé le 1er juillet 1920 : «Tirons la leçon de notre défaite. Nous avons vécu sous le règne de Satan. Nous pouvons croire à nouveau que le démon existe. Nous l’avons vu à l’œuvre. Faisons maintenant de l’Allemagne un pays de Dieu. Il nous suffit de prendre le contre-pied de tout ce que nous avons vu à l’œuvre autour de nous. Voilà ma conception de la reconstruction.» Les conseils de Hugo Ball (9), aussi bien que ceux de Georges Bernanos dans Les Enfants humiliés, sont restés lettre morte (10). «L’Illumination, c’est fini. Ce que nous vivons maintenant, c’est la Dés-Illumination» (11). Et Juan Asensio me présente L’ange des ténèbres de Ernesto Sabato. Je le sens plus proche de moi que le sinistre Cthulhu de Lovecraft. L’ange se penche vers moi, regarde la page. J’ai perdu la grâce de l’enfance mais je veux bien essayer d’écrire un Jugement Dernier, voire une Apocalypse romancée pour mes enfants et petits-enfants. Je peux mixer L’Obsolescence de l’homme de Günther Anders avec des fragments de la trilogie Matrix. Le désespoir est rivé à la «possibilité» de la grâce, la possibilité d’une île. Le battement du sang dans mes artères me rappelle d’où je viens, ma provenance lointaine et sacrée. Il s’agit de réintroduire le mystère dans la littérature. Je me souviens de ce que Claude Louis-Combet disait, concernant le rejet catégorique de la religion par André Breton, comment les surréalistes avaient ignoré tout un pan du merveilleux, du sacré. Nous avons réduit le monde en pièces (12). Aujourd’hui, la parole souffle sur notre poussière (13) et l’évidence de la beauté se tient dans la simplicité. Le bleu-Trakl que j’utilisai dans mes précédents livres (14) est devenu un bloc de noirceur obstruant la gorge du poète. Même avec les yeux crevés, le chant reste un croassement.
Monsieur Ouine, Madame Ebola, le mal, l’horreur, un duo, une litanie pour notre temps. Monsieur Ouine, le personnage de Georges Bernanos est ici analysé, disséqué magistralement par Juan Asensio. L’écriture de Monsieur Ouine fut le combat de Bernanos avec l’Ange, le second du programme, après celui de Donissan et du maquignon dans Sous le soleil de Satan. Dieu est mort, il n’y a même plus la possibilité d’une seconde d’innocence absolue. Monsieur Ouine, c’est le mal. Monsieur Ouine, c’est le froid éternel de l’enfer. Monsieur Ouine, c’est l’ennui. Monsieur Ouine, c’est le néant (15). Mais Juan Asensio ajoute que c’est un néant trompeur. En effet, «l’homme n’est pas la victime résignée mais la bête volontaire, le partenaire de Satan». D’un point de vue littéraire, c’est le mal qui provoque le brouhaha et la confusion dans l’écriture. Seuls, ceux qui respectent la tradition peuvent s’autoriser les audaces les plus inouïes. Juan Asensio a raison de pointer l’insignifiance des productions des nains littéraires du nouveau roman en regard du roman de Bernanos. Monsieur Ouine exprime toute la civilisation depuis la Renaissance (ce terme est-il vraiment approprié ?). Dans la crise du langage, le sens des mots s’est inversé (16). Au commencement était le Verbe [...] et le Verbe était Dieu, s’il n’y a plus de Dieu il n’y a plus de Verbe.
La littérature à contre-nuit se termine par un long développement sur Ernest Hello et l’urgence de la parole. Ernest Hello ! Bonjour l’espérance ! Je vois le jeune Georges Bernanos, dans son collège d’Aire-sur-la-Lys, lisant avec un grand sérieux les phrases de L’Homme. Oui, la beauté est dans la simplicité. Ernest Hello et Arthur Rimbaud meurent la même année et Juan Asensio nous invite à un détour par le désert, par le silence du désert que l’adolescent de Charleville a cherché. Mais on ne part pas, le désert se multiplie par lui-même et l’Éden est perdu. Le silence est le verbe du désert. C’est l’or qui s’oppose au silence, l’or qui glapit en lettres lumineuses au sommet des tours, sur les affiches de la propagande publicitaire, sur tous les écrans de la virtualité, l’or qui est le sang du pauvre. Les pierres ne seront pas transformées en pain mais les mots, eux, sont du pain ou du poison. La lumière est la splendeur du monde visible. La parole est la splendeur du monde invisible. Il reste à reprendre l’offensive pour dégager les mots profanés, les arracher à l’homme médiocre, l’homo festivus d’aujourd’hui en apesanteur dans un présent indifférencié, un néant d’où naît l’ennui d’où naît le désespoir. Il reste à graver, à marteler une écriture noire, à se frayer un chemin vers la rédemption par la langue.
La Tiremande, septembre 2005.
1) Mes lectures en parallèle durant la même période : La parole humiliée (Jacques Ellul), Détruire la nuit (Michel Ciry), Choke, Berceuse (Chuck Palahniuk), La littérature sans estomac (Pierre Jourde).
2) Mes lectures en série de la même période : Sunset Limited (James Lee Burke), Entretiens avec Raymond Abellio (Marie-Thérèse de Brosses), La poésie en string (Jean-Marc Baillieu), Un drôle de pèlerin (Elmore Leonard), Celle qui pleure (Léon Bloy), L’oiseau de paradis (James Purdy), Takfir sentinelle (Lakhdar Belaïd), La solitude du manager, Meurtre au comité central (Manuel Vasquez Montalban), Le jeu du chien-loup, Une proie en hiver, La proie de l’instant (John Sanford), Le silence inutile (Lambert Schlechter), L’homme qui souriait (Henning Mankell), De Marquette à Vera-Cruz (Jim Harrison), La source chaude (Thomas Mc Guane), Gone, baby gone, Un dernier verre avant la guerre (Dennis Lehane), Déviances mortelles (Chris Mooney), L’enfant du silence (Abigaïl Padgett), Ce que je crois (Jean Delumeau), Rimes de joie (Théodore Hanon), Sarinagara (Philippe Forest), Ça sent le brûlé (John Lutz), Revanche, Une balle dans la tête (Dan Simmons), Brûlé (Leonard Chang), Chant pour Jenny (Staffan Wasterlund), Rites de mort (Alicia Gimenez Bartlett), L’homme chauve-souris (Joe Nesbo), Chroniques, volume I, (Bob Dylan), Mea culpa (Louis-Ferdinand Céline), Tchadiennes (Daniel Boulanger), Deuil interdit (Michael Connelly), Meurtre à la sauce cajun (Robert Crais), L’insurrection de Cronstadt et la destinée de la révolution russe (Ante Ciliga), Les neiges bleues (Piotr Bednarski), La simple vérité (David Baldacchi), Le bonhomme de neige (Jorg Faüser), Tokyo (Mo Hayder), Le papou d’Amsterdam (Jan Van de Wetering).
3) Dans La part du diable (Gallimard, 1946), Denis de Rougemont a donné un bel exemple de la ruse ultime de l’ennemi, celle qui consiste à faire douter de son existence.
4) 24 octobre 2004, Bordeaux, 1H30 du matin. En rentrant à l’hôtel, je jette un œil au mur de la caverne de Platon. Je tombe dans le «toc chaud» de Thierry Ardisson, un aréopage pérorant d’humoristes auto-proclamés, arrogants et sûrs de connaître la vérité ultime sur le destin et la manière de vivre de l’humanité. Le meneur de jeu au masque de cire, espace de statue funéraire au regard vicieux, donne la parole à Philippe Val, le rédacteur en chef inamovible d’un organe libéralo-conformiste. Je suis édifié par le visage dur, lisse et glacé de ce moraliste à rebours qui énumère les lieux communs les plus convenus. Tous ces gens se congratulent. Ils sont les nouveaux maîtres à penser. J’éteins le poste et les rejette dans leur nuit.
5) Voir William Burroughs, Entretiens avec Daniel Odier (Belfond), 1969.
6) La littérature après avoir perdu l’âme et le souffle a maintenant perdu l’estomac.
7) «Comme l’avait bien vu René Girard, l’écriture blanche n’est que du romantisme dégradé : L’esthétique du silence est un dernier mythe romantique. [...] Dix ans ne passeront pas avant qu’on reconnaisse dans l’écriture blanche et son degré zéro des avatars de plus en plus abstraits, de plus en plus éphémères et chétifs des nobles oiseaux romantiques. Ils ne veulent pas la solitude, mais qu’on les regarde en proie à la solitude. Ils ne choisissent le silence que comme marque d’honorabilité littéraire, l’insignifiance n’est chez eux qu’une ruse de l’impuissance, qui l’utilise comme apparence d’un sens mystérieux», Pierre Jourde, La littérature sans estomac (Presses Pocket, coll. Agora), pp. 195 et 196. Un peu plus loin, p. 333, Pierre Jourde parle de l’idiotie revendiquée de Valère Novarina, comme perspective d’un dépassement du couple affirmation-négation. Pour lui, «l’étrange réalisme de Novarina est le miroir du réel : son théâtre représente le monde à l’envers». Après tout, en ce siècle, cela est peut-être proche de l’affirmation de saint Paul dans la Première épître aux Corinthiens, souvent citée par Léon Bloy : «Nous voyons maintenant, à travers un miroir, en énigme. Mais alors, nous verrons face à face».
8) «Parfois, dit et renifle Denny, c’est comme si je voulais être battu et puni. C’est pas un problème s’il n’y a plus de Dieu, mais je veux quand même continuer à respecter quelque chose. Je ne veux pas être le centre de mon propre univers», in Choke de Chuck Palahniuk (Gallimard, Folio Policier n° 370), p. 106.
9) Voir aussi Hugo Ball, La fuite hors du temps, Journal 1913-1921 (Editions du Rocher), 1993.
10) Sauf peut-être pour Maurice G. Dantec qui se coltine tout cela dans Cosmos Incorporated (Albin-Michel).
11) Choke, de Chuck Palahniuk (Gallimard, coll. Folio Policier n° 370), p. 136.
12) Choke, p. 153.
13) Titre de l’essai que Juan Asensio a consacré à l’œuvre de George Steiner (L’Harmattan).
14) Sombre ducasse (épuisé), Canal Mémoire, Marais du Livre Éditions.
15) «Monsieur Ouine est partout ! Monsieur Ouine est partout ! Monsieur Ouine se porte bien ! Il est le ressuscité des ordinateurs, les robots qui ne disent plus rien d'autre que oui non oui non oui non oui oui non non, qui marchent aux pas des lois : un deux un deux un deux un droite gauche droite gauche ! Logiciel, ça s'allume et ça s'éteint.» L. S., in Canal Mémoire.
16) Voir l’ouvrage de Arnaud Aaron-Upinsky, La tête coupée (Éditions Le Bec, 1998) et aussi, de Dimitri Panine, Théorie des densités (Éditions Présence), 1990.